L’Occident est-il trop complaisant avec les Pussy Riot ?

Les médias occidentaux se sont saisis de “l’affaire” Pussy Riot en pointant du doigt le déficit de liberté d’expression dans la Russie de Poutine. Une façon détournée pour tenter de renverser une Russie de plus en plus influente sur la scène mondiale ?

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Atlantico : Les médias se sont saisis de « l’affaire » Pussy Riot en pointant du doigt le déficit de liberté d’expression dans la Russie de Poutine. De même, des personnalités comme Madonna ou John Malkovich  ont adjoint leurs voix à la critique. Washington, Londres, Berlin, Paris ou l’OSCE vont dans le même sens. Comment expliquer un tel consensus, notamment dans les médias occidentaux ?

Alexandre Latsa : La Russie est sous le feu des critiques et sous forte pression médiatique de façon permanente depuis l’avènement de Vladimir Poutine. A la chute de l’URSS, la Russie est apparue comme un état faible, en totale décadence mais qui ne présentait plus de risques pour le nouvel ordre mondial américano-centré qui a émergé en 1991 dans les sables d’Irak, lors du fameux discours de Bush père. Mais depuis 2000 un autre scénario est en cours, avec la renaissance russe initiée en grande partie par Vladimir Poutine. La Russie s’est relevée selon un mode de développement non occidental, mais qui lui est propre. Elle représente aujourd’hui un nouveau pôle d’influence, de valeurs et surtout propose un nouveau mode de gouvernance qui n’est pas celui de l’ouest, alors que ce pays appartient à l’hémisphère nord.

En ce sens, la Russie peut représenter un modèle dans le futur proche pour nombre de pays d’Europe et d’Eurasie et sans doute faire beaucoup d’ombre a l’influence américaine dans cette même zone. Je parle d’influence politique, morale, sociale, économique et/ou religieuse. Or l’Amérique est une puissance qui ne survit que par sa permanente projection, qu’elle soit financière, économique, militaire, culturelle. Cette projection est aujourd’hui concentrée vers l’Europe/Eurasie, et l’Asie pacifique. C’est pour cette raison que l’Amérique aujourd’hui a deux adversaires essentiels : la Russie et la Chine.

C’est aussi pour cela que le mainstream médiatique est en permanence hostile à la Russie. Ce mainstream est l’une des armes utilisées par l’Occident (sous totale domination américaine) dans la guerre médiatique en cours contre la Russie afin de tenter de renverser cette dernière. La logique géopolitique est claire, prendre le contrôle de la Russie pour s’en servir comme tête de pont face a la Chine, comme l’Europe a été prise sous contrôle et sert de tête de pont pour attaquer la Russie (extension de l’OTAN, bouclier anti-missiles, révolution de couleur etc.). Les trois principales agences de presses mondiales et généralistes qui produisent une grande majorité des nouvelles du monde occidental ont également leurs sièges dans des pays de l’OTAN. Du reste les pays que vous citez dans votre question sont des pays de l’Alliance Occidentale et de l’OTAN, et donc alignés sur les positions américaines. Mais et l’Asie ? Et le monde musulman ? Et les BRICS ? Et l’Afrique ? Et l’Amérique du sud ? Pourquoi n’ont-ils pas voix au chapitre dans cette affaire? Sans doute car dans ces pays, ni les peuples ni les élites ne cautionnent la non performance des Pussy Riot.

Vous me parlez de Madonna mais en Russie, c’est l’Etat et la justice qui dirige, et pas les acteurs et chanteurs américains. A mon sens, la meilleure réponse concernant l’apparition de Madonna dans cette affaire a été donnée par le vice Premier ministre russe Dimitri Rogozine.

Vous vivez actuellement en Russie. La condamnation des “punkettes” y suscite-t-elle autant d’indignation que dans les autres pays, comme en France, où ont défilé des manifestants encagoulés?

Non. En Russie personne n’y porte d’intérêt et la grande majorité des russes (85%) sont pour une condamnation mais également pensent que le procès est mené de manière partiale. La Russie est un pays menacé par le terrorisme qui est en plein développement. Par conséquent l’affaire Pussy Riot est encore une fois quelque chose qui n’intéresse pas grand monde. Les Russes ne sont pas dupes et ils sont surtout bien informés, à l’inverse des Français qui n’ont trop souvent qu’un seul et monolithique son de cloche.Les Russes qui s’intéressent a cette affaire savent eux très bien que l’agitation est la prolongation des mouvements de contestation de l’année passée qui sont en partie “drivés” de l’extérieur, et que le but est uniquement de faire un maximum de bruit et de scandale contre la Russie. D’ailleurs, la défense des Pussy Riot est financée par des opposants en exil proche de l’ex-oligarque voyou Boris Berëzovski.

Vous rappelez, dans votre tribune, que le code pénal français « punit de sept ans de prison et 100 000 € d’amende la dégradation d’un bien culturel exposé dans un lieu de culte ». Ne pensez-vous pas qu’en France, les opérations comme celles qu’ont organisé les Pussy Riot auraient bénéficié d’une certaine clémence du fait de leur caractère politique et de leur aspect revendicatif, tombant sous le coup de la liberté d’expression et de manifester ? 

Evidemment la France est un pays laxiste dans lequel les peines ne sont souvent pas appliquées. Les églises sont occupées par des sans papiers et tout le monde trouve cela normal. Pour relativiser les choses: détruire ou endommager un radar en France est passible de 3 ans de prison et de 45.000 euros d’amendes. Dans l’état de droit français, un radar est plus sacré qu’une église. Mais ce n’est pas le cas en Russie. Ce pays n’est pas victime de l’athéisme totalitaire comme c’est le cas en France. Je veux dire qu’on peut bien sur ne pas être d’accord avec la peine reçue par ces « idiotes » (comme les appelle la presse russe) mais on ne peut pas reprocher à un pays de vouloir défendre ses lieux saints, ni de vouloir faire respecter SA loi pénale.

Mais je ne crois néanmoins pas qu’une unique comparaison avec la France soit bonne.Par exemple, au sein de l’Union Européenne, en Pologne, la principale chanteuse de pop (Doda) est actuellement poursuivie pour blasphème et risque deux ans de prison ferme pour blasphème. Pourquoi est-ce que personne ne dit rien ? En Allemagne de tels actes sont passibles d’une peine d’emprisonnement jusqu’à trois ans ou d’une amende, et en Autriche – la privation de liberté d’une durée maximale de six mois ou une amende d’un montant d’un an de salaire.

Vous insistez sur le caractère sensible de la question religieuse dans un pays multiconfessionnel et longtemps forcé à l’athéisme. Les Pussy Riot n’ont-elles été arrêtées que pour leur critique virulente du patriarche orthodoxe? En d’autres termes: leurs opinions à l’égard de Vladimir Poutine n’ont-elles pas influencé les autorités ? Le cas échéant, cette influence relève-t-elle, selon vous, d’une intervention directe de Vladimir Poutine ou d’une « autocensure», d’une volonté de préserver le président, de la part des autorités ?

Non. Les nombreuses et précédentes actions de Pussy Riot n’ont pas été condamnées à ce que je sais. Pourtant il y en a de vraiment gratinées. Parmi elles, l’organisation d’uneorgie sexuelle avec des femmes enceintes dans un musée (le nom de l’action étant une insulte violente adressée au président Medvedev), se montrer en public nul et couvert de cafards, se masturber avec une carcasse de poulet dans une épicerie et en sortir en marchant avec la carcasse enfoncée dans les parties génitales, l’attaque à l’urine sur des policiers ou encore tenter d’embrasser sur la bouche des représentants de l’ordre du même sexe. Ajoutez à cela de dessiner à la peinture des pénis géants sur les routes ou encore la destruction de véhicules de police.

Leur action dans la cathédrale était juste la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. La Russie sort de 70 ans de communisme et à ce titre, les Russes ont conscience de l’importance de faire respecter les lieux de culte. Le pays doit en outre faire face au maintien d’un équilibre confessionnel très fragile, et c’est pour ca que la justice a réagi plutôt durement. Parce que fondamentalement les gens et les autorités ont conscience en Russie de la gravité de tels actes, qui offensent les croyants.

Je crois qu’il n’y a rien a voir avec le patriarche ou Poutine dans cette affaire. Ça, c’est ce que les journalistes occidentaux aimeraient prouver mais malheureusement pour eux ce n’est pas le cas. L’article 213 du code pénal russe, point 1b) dit bien que l’on peut être condamné d’hooliganisme si l’on exprime de la haine envers un groupe ethnique, social ou religieux. C’est le cas ici il me semble puisque dans les refrains de la chanson il était notamment dit : « Sainte Marie mère de Dieu, deviens féministe» ou « merde, merde, merde du Seigneur».

Que nous apprend cette affaire sur les relations entre le gouvernement russe et l’Eglise orthodoxe ? En aurait-il été de même si les Pussy Riot avaient manifesté dans un lieu de culte d’une autre confession ?

Je pense que si les Pussy Riot avaient organisé une telle action à la Synagogue de Jérusalem ou à la Mosquée sainte Sophie d’Istanbul, cela n’aurait pas non plus été apprécié par les croyants concernés. En Russie, les représentants religieux ont tous condamnés la prestation, certains conseillant même d’envoyer ces jeunes filles à l’asile. Mais votre question est intéressante, un éminent journaliste et présentateur télé russe du nom de Vladimir Soloviev a bien mis le doigt là-dessus et en substance ce qu’il dit est qu’il serait : « impossible de faire ça contre une synagogue car nous les juifs (il parle de lui) disposons d’une importante diaspora a l’étranger, influente et qui n’aurait pas laissé les choses se dérouler de la même manière, et c’est idem pour les musulmans ; seule l’Eglise orthodoxe est attaquable car c’est une structure ne disposant pas de réseaux puissants ni de soutiens influents a l’étranger ».

Pour ce qui est des manifestations en France, et notamment de la manifestation de Marseille, vous auriez pu préciser que les manifestantes encagoulées se sont toutes fait interpeller pour non respect de la loi anti Burka ! Visiblement sur ce plan, la loi française est bien plus stricte que la loi russe.

Rappelez-vous les caricatures de Mahomet et les terribles émeutes qui en ont suivi. Ou ce film blasphématoire qui a entrainé la mort de son réalisateur. Il me semble donc que finalement ce que dit Soloviev est assez juste. On se permet beaucoup contre les églises chrétiennes, car elles sont fondamentalement faciles à attaquer dans les sociétés modernes, et car elles n’inspirent pas assez le respect, ni la crainte.

Quels sont les liens qui unissent les Pussy Riot, groupe de rock féminin, et le groupe activiste Voina ? Les membres des Pussy Riot ont-ils été personnellement impliqués dans les actions de Voina ?

Les liens sont nombreux et établis. Le groupe Pussy Riot se revendique comme issu du collectif “d’art contemporain de gauche” (ainsi que les membres eux-mêmes le désignent) Voïna (la guerre en russe). L’un des responsables de Voina, Pyotr Verzilov, a d’ailleurs pour épouse Nadezhda Tolokonnikova, l’une des trois Pussy Riot condamnée. Tous deux sont des membres de Voina depuis bien longtemps, comme on peut le voir lors d’une action ici datant de 2008.

Selon vous, les Pussy Riots peuvent-elles être libérées à la faveur de la pression internationale ?

Non, il est sûr que non et ce n’est pas le but de toute façon. Les gens qui ont organisé ces actions et poussé les Pussy Riot à cette prestation connaissaient, eux, très bien les risques encourus, à ce moment de tension politique et religieuse. Eux ne cherchent qu’à faire monter la pression internationale contre la Russie de Poutine, qu’ils considèrent comme un pouvoir à renverser, d’une façon démocratique ou non. Les pauvres « idiotes » (comme les appelle la presse russe) n’ont que servi de fusible. Si elles sont libérées ce sera via une pression du pouvoir russe ou de… L’Eglise orthodoxe, ce qui serait un retournement assez inattendu !

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