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Discours à la séance plénière de la 20e réunion anniversaire du Club de discussion international Valdaï – Multipolarité équitable : comment assurer la sécurité et le développement pour tous –

Chers participants de la séance plénière ! Collègues ! Mesdames et Messieurs !

Je suis heureux de vous accueillir à Sotchi à l’occasion de l’anniversaire, comme vient de le dire notre présentateur, de la vingtième réunion annuelle du Club de discussion international Valdai.

Notre, ou, pourrait-on dire, votre forum, qui réunissait traditionnellement des hommes politiques et des scientifiques, des experts et des personnalités publiques de nombreux pays du monde, confirme une fois de plus le statut élevé d’une plateforme intellectuelle recherchée. Les Discussions Valdaï sont toujours le reflet des processus les plus importants de la politique mondiale du XXIe siècle dans toute leur intégralité et leur complexité. Je suis sûr que ce sera le cas aujourd’hui – c’était probablement déjà le cas les jours précédents lorsque vous discutiez entre vous, et cela continuera à être le cas, car nous sommes confrontés en fait à la tâche de construire un nouveau monde. Et à ces étapes déterminantes, le rôle et la responsabilité des intellectuels comme vous, chers collègues, sont extrêmement importants.

Au fil des années de travail du Club, tant dans le monde que dans notre pays, comme je viens de le dire, des changements sérieux, voire énormes, voire colossaux se sont produits. Selon les normes historiques, un délai de vingt ans, ce n’est pas tellement long, pas tellement considérable. Mais lorsqu’il incombe sur l’époque de l’effondrement de l’ordre mondial tout entier, le temps semble se comprimer.

Et je pense que vous conviendrez que plus d’événements se sont produits au cours de ces vingt années qu’à d’autres époques au cours de très nombreuses décennies, et ces changements sont qualitatifs et nécessitent des changements fondamentaux dans les principes mêmes des relations internationales.

Au début du XXIe siècle, on espérait que les États et les peuples auraient tiré les leçons de la confrontation militaro-idéologique coûteuse et destructrice du siècle dernier, qu’ils auraient pris conscience de son caractère destructeur, qu’ils auraient ressenti la fragilité et l’interdépendance de notre planète et qu’ils seraient convaincus que les problèmes globales de l’humanité nécessitaient une action commune et la recherche de solutions collectives. Tandis que l’égoïsme, la vanité et le mépris des défis réels nous mèneront inévitablement dans une impasse, tout comme la tentative du plus fort d’imposer ses propres idées et intérêts aux autres. Cela aurait dû devenir évident pour tout le monde – cela aurait dû le devenir, mais il s’est avéré que ce n’était pas le cas, pas du tout.

Lorsque nous nous sommes rencontrés pour la première fois lors de la réunion de Club il y a près de vingt ans, notre pays entrait dans une nouvelle étape de son développement. La Russie a surmonté la période de redressement la plus difficile après l’effondrement de l’URSS. Avec toute notre énergie et notre bonne volonté, nous nous sommes impliqués dans le processus de construction d’un nouvel ordre mondial, qui nous semblait plus équitable. Vu que notre pays peut y apporter une énorme contribution, car nous avons quelque chose à offrir à nos amis, à nos partenaires et au monde entier.

Malheureusement, certains ont mal compris notre disposition à une interaction constructive – ils l’ont compris comme une soumission, comme un accord selon lequel un nouvel ordre sera construit par ceux qui se sont déclarés vainqueurs de la guerre froide, en fait, comme une reconnaissance du fait que la Russie était prête à se tenir dans le sillage d’autrui, prête à se laisser guider non pas par ses propres intérêts nationaux, mais par ceux des autres.

Toutes ces années, nous avons averti à plusieurs reprises : cette approche ne mène pas seulement à une impasse, elle se heurte également à une menace croissante de conflit militaire. Mais personne ne daignait nous écouter ou nous entendre, personne ne le voulait. L’arrogance de nos soi-disant partenaires occidentaux dépassait tout simplement les bornes, il est impossible de le formuler autrement.

Les États-Unis et leurs satellites ont fermement mis le cap sur l’hégémonie – militaire, politique, économique, culturelle, voire morale et axiologique. Dès le début, il était clair pour nous que les tentatives visant à établir un monopole étaient vouées à l’échec. Le monde est trop complexe et diversifié pour être subordonné à un seul schéma, même si derrière lui se cache le pouvoir, l’énorme pouvoir de l’Occident, accumulé au fil des siècles de politique coloniale. Après tout, vos collègues – nombreux sont ceux qui ne sont pas présents ici, mais ne nient pas que la prospérité de l’Occident a été largement obtenue grâce au pillage des colonies au fil des siècles. C’est un fait. En fait, ce niveau de développement a été atteint grâce au pillage de la planète entière. L’histoire de l’Occident est essentiellement une chronique d’expansion sans fin. L’influence occidentale dans le monde est une immense pyramide militaro-financière qui a constamment besoin de nouveaux carburants pour subvenir à ses besoins : des ressources naturelles, technologiques et humaines appartenant à d’autres. L’Occident ne peut donc tout simplement pas s’arrêter et n’a pas l’intention de le faire. Nos arguments, exhortations, appels à la raison et suggestions ont été tout simplement ignorés.

J’en ai déjà parlé publiquement – ainsi qu’à nos alliés, nos partenaires. Après tout, il y a eu un moment où votre humble serviteur a simplement suggéré : peut-être devrions-nous rejoindre l’OTAN ? Mais non, un tel pays n’est pas bienvenu au sein de l’OTAN. Non. La question était : bon, quoi d’autre ? Nous pensions que nous étions déjà les vôtres, pardonnez-moi ce mot, comme on dit chez nous, “bourgeouins” [Буржуинский, или буржуйский : appelation badine et péjorative de celui qui appartient ou se croit appartenir à la classe bourgeoise, la servir – NdT]. Que voulez-vous d’autre? Il n’y a plus d’affrontement idéologique. Quel est le problème ? Apparemment, le problème réside dans les intérêts géopolitiques et dans une attitude arrogante envers les autres. C’est ça le problème, une outrecuidance.

Une pression militaro-politique constamment croissante nécessite une réponse. J’ai dit à plusieurs reprises que nous n’avions pas déclenché la soi-disant « guerre en Ukraine ». Au contraire, nous essayons d’en finir. Ce n’est pas nous qui avons organisé le coup d’État à Kiev en 2014 – un coup d’État sanglant et anticonstitutionnel. Partout où cela se produit, nous entendons toujours immédiatement dans tous les médias du monde, subordonnés, bien sûr, en premier lieu, au monde anglo-saxon : c’est impossible, c’est inadmissible, c’est antidémocratique. Mais ici, c’est possible. Ils ont même nommé la somme, le montant qui a été dépensé pour ce coup d’État. Tout est possible.

A l’époque, nous soutenions les habitants de Crimée et de Sébastopol. Nous n’avons pas organisé de coup d’État et nous n’avons pas intimidé les habitants de Crimée et de Sébastopol par un nettoyage ethnique dans l’esprit nazi. Ce n’est pas nous qui avons essayé de contraindre le Donbass à l’obéissance par des frappes et des bombardements. Ce n’est pas nous qui avons menacé de sévir contre ceux qui voulaient parler leur langue maternelle. Écoutez, tout le monde ici est informé et instruit. Bon, on peut, excusez mon mauvais ton, “poudrer des cervelles” de millions de personnes qui perçoivent la réalité à travers les médias. Mais vous savez ce qui s’est passé : pendant neuf ans, ils ont bombardé, tiré et utilisé des chars. La guerre, une guerre naturelle contre le Donbass, était déclenchée. Et personne n’a compté les enfants morts dans le Donbass. Personne dans d’autres pays, surtout en Occident, n’a pleuré pour les morts.

La guerre déclenchée par le régime de Kiev avec le soutien actif et direct de l’Occident en est maintenant à sa dixième année, et l’opération militaire spéciale vise à y mettre un terme. Et cela nous rappelle que les mesures unilatérales, peu importe qui les prend, entraîneront inévitablement des représailles. L’action, comme nous le savons, donne lieu à une réaction. C’est ce que fait tout État responsable, souverain, indépendant et qui se respecte.

Tout le monde est conscient que dans un système international où règne l’arbitraire, où tout est décidé par celui qui s’imagine exceptionnel, sans péché et le seul à avoir raison, n’importe qui peut être attaqué simplement parce que tel ou tel pays ne plait pas à l’hégémon qui a perdu le sens de la mesure et, j’ajouterais, le sens de la réalité.

Malheureusement, force est de constater que nos contreparties occidentales ont perdu le sens des réalités et ont franchi toutes les frontières possibles. À tort.

La crise ukrainienne n’est pas un conflit territorial, je tiens à le souligner. La Russie est le plus grand pays du monde et possède le plus grand territoire. Nous n’avons aucun intérêt à conquérir des territoires supplémentaires. Il nous reste encore à explorer et à développer la Sibérie, la Sibérie orientale et l’Extrême-Orient. Il ne s’agit pas d’un conflit territorial ni même de l’établissement d’un équilibre géopolitique régional. La question est bien plus vaste et fondamentale : nous parlons des principes sur lesquels reposera le nouvel ordre mondial.

Une paix durable ne sera établie que lorsque chacun commencera à se sentir en sécurité, à comprendre que son opinion est respectée et qu’il existe un équilibre dans le monde, lorsque personne ne sera en mesure de forcer ou de forcer les autres à vivre et à se comporter comme le souhaite l’hégémon, même si cela contredit la souveraineté, les intérêts véritables, les traditions et les fondements des peuples et des États. Dans un tel schéma, le concept même de toute forme de souveraineté est tout simplement nié et jeté, excusez-moi, à la poubelle.

Il est évident que l’adhésion aux approches de bloc, le désir de conduire le monde dans une situation de confrontation constante entre « nous et eux » sont un héritage vicieux du 20e siècle. C’est un produit de la culture politique occidentale, du moins dans ses manifestations les plus agressives. Je le répète, l’Occident – une certaine partie de l’Occident, les élites occidentales – a toujours besoin d’un ennemi. Il a besoin d’un ennemi contre lequel la lutte peut expliquer la nécessité des actions fortes et d’une expansion. Mais il est également nécessaire de maintenir un contrôle interne dans un certain système de cette même hégémonie, au sein des blocs – au sein de l’OTAN ou d’autres blocs militaro-politiques. Il y a un ennemi – tout le monde doit se rallier autour du patron.

La mode de vie des autres États ne nous regarde pas. Mais nous voyons comment, dans beaucoup d’entre eux, les élites dirigeantes forcent les sociétés à accepter des normes et des règles que les citoyens eux-mêmes – du moins un grand nombre de citoyens, et dans certains pays, on peut dire avec une certitude absolue, la majorité des citoyens – ne veulent pas accepter. Mais les élites les y astreignent, inventant constamment des raisons à cela, trouvant des coupables externes aux problèmes internes croissants, inventant et exagérant des menaces inexistantes.

Pour autant, la Russie est un sujet de prédilection pour ces hommes politiques. Bien entendu, nous y sommes déjà habitués, historiquement habitués. Mais ils tentent de créer l’image d’un ennemi parmi tous ceux qui ne sont pas prêts à suivre aveuglément ces élites occidentales.
De n’importe qui : de la République populaire de Chine, dans certaines situations, à un certain moment, ils ont essayé la même chose avec l’Inde – maintenant ils flirtent, bien sûr, nous comprenons parfaitement cela, nous ressentons et voyons la situation en Asie, tout est clair. Les dirigeants indiens, je tiens à le dire, sont indépendants et très orientés vers le pays. Je pense que ces tentatives n’ont aucun sens, mais elles continuent néanmoins. Ils essaient de façonner un ennemi à partir du monde arabe, également de manière sélective, ils essaient d’agir avec prudence, mais néanmoins, en général, c’est à cela que tout se résume – et ils essaient même de façonner une sorte d’environnement hostile des musulmans. Et ainsi de suite. En fait, quiconque se comporte de manière indépendante et suit ses propres intérêts, est transformé instantanément par ces élites occidentales en un obstacle à éliminer.

Des structures géopolitiques artificielles sont imposées au monde et des formats de blocs fermés sont créés. Nous le constatons en Europe, où ils encouragent l’expansion de l’OTAN depuis des décennies, ainsi qu’en Asie-Pacifique et en Asie du Sud, où ils tentent de briser l’architecture ouverte et inclusive de la coopération. L’approche de bloc, appelons un chat un chat, est une restriction des droits et libertés des États à leur propre développement, une tentative de les enfermer dans une certaine cage d’obligations. Il s’agit dans une certaine mesure – et c’est une évidence – de la suppression d’une partie de la souveraineté, puis – et bien souvent – de l’imposition de décisions dans d’autres domaines que celui de la sécurité, et surtout dans le domaine économique, comme c’est ce qui se passe actuellement dans les relations entre les États-Unis et l’Europe. Il n’est pas nécessaire de l’expliquer, mais si cela est nécessaire, lors de la discussion qui suivra mon discours d’ouverture, nous en parlerons plus en détail.

Pour y parvenir, ils tentent de remplacer le droit international par « l’ordre » – quel genre d’« ordre » ? – basé sur certaines « règles ». Ce que sont les « règles », quelles sont ces « règles » et qui les a inventées, ceci n’est absolument pas clair. C’est juste une sorte d’absurdité, d’ineptie. Mais ils essaient d’introduire cela dans la conscience de millions de personnes. “Il faut vivre selon les règles.” Mais selon quelles règles ??

Et en général, si je peux me permettre, nos collègues occidentaux, notamment américains, non seulement fixent arbitrairement de telles « règles », mais font également la leçon : qui doit les suivre et comment, qui doit se comporter en général et comment. Tout cela est fait et dit, en règle générale, d’une manière ouvertement grossière. C’est toujours la même manifestation de cette pensée coloniale. On entend tout le temps, ça sonne tout le temps : vous devez, vous êtes obligés, nous vous avertissons sérieusement…

Mais qui êtes-vous, généralement ? De quel droit avertissez-vous qui que ce soit ? C’est tout simplement incroyable. Peut-être que pour ceux qui disent cela, il est peut-être temps pour vous-mêmes de vous débarrasser de l’arrogance, de cesser de vous comporter par rapport à la communauté mondiale qui comprend parfaitement ses tâches, ses intérêts, et de vous débarrasser pour de bon de cette mentalité de l’ère de la domination coloniale ? Je voudrais dire : frottez vos yeux, cette époque est révolue depuis longtemps et ne reviendra jamais. Jamais.

Je dirai plus : au fil des siècles, un tel comportement a conduit à la reproduction de la même chose : de grandes guerres, pour la justification desquelles diverses justifications idéologiques, voire pseudo-morales, ont été inventées. C’est particulièrement dangereux aujourd’hui. L’humanité dispose de moyens qui, comme nous le savons, peuvent facilement détruire la planète entière, et la manipulation de la conscience à une échelle incroyable conduit à une perte du sens de la réalité. Bien sûr, nous devons sortir de ce cercle vicieux, nous devons chercher une issue. Si je comprends bien, chers amis et collègues, vous vous réunissez sur le site de Valdaï justement dans ce but.

Dans le Concept de politique étrangère russienne adopté cette année, notre pays est caractérisé comme un État-civilisation singulier. Cette formulation reflète de manière précise et succincte la façon dont nous comprenons non seulement notre propre développement, mais aussi les principes fondamentaux de l’ordre mondial, dont nous espérons la victoire.

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