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ITV Natalia Narotchnitskaïa

J’ai déjà parlé de l’énorme travail effectuée par cette intellectuelle de renom, qui avait été prise à partie (journalistiquement parlant) par Laure Mandeville. J’ai pris la défense de Natalia Narotchniskaia via une petite tribune publié sur le site de l’institut Stoletie.
Je ne peux qu’inciter mes lecteurs à lire l’ouvrage le plus récent de Madame Narotchnitskaïa , qui est un ouvrage de référence pour tout paneuropéen, ou continentaliste qui se respecte. Je reviendrais rapidement sur cet ouvrage absolument essentiel pour comprendre la Russie d’aujourd’hui, de hier et de demain.
Quelques extraits de l’interview :
Mme Narotchnitskaïa entretient également des liens étroits avec certains milieux nationalistes et conservateurs européens qui s’insurgent contre le « diktat des États-Unis et de l’Otan » et contre la mondialisation. Pour elle, une Russie forte représente le principal rempart contre un monde unipolaire dominé par l’Amérique. 

Depuis 2008, elle préside le bureau parisien de l’« Institut de la démocratie et de la coopération dont l’objectif à peine voilé consiste à relativiser les acquis de la démocratie occidentale.    

Dans les années 1920, l’Occident ne s’est pas spécialement opposé au régime bolchevik, jugé faible et guère dangereux. Mais quand, en 1945, l’URSS est devenue un géant géopolitique auréolé de sa victoire contre l’Allemagne nazie, la guerre froide a été déclenchée. N’est-ce pas curieux ? 

Et qu’on ne me dise pas que cette guerre froide était due exclusivement à la crainte et à la répulsion qu’inspirait Staline ! Après la mort de ce dernier, Khrouchtchev en a fini avec les répressions de masse. Des centaines de milliers de personnes ont été réhabilitées. Mais la guerre froide a continué. Alors, pourquoi l’attitude occidentale à l’égard de l’URSS n’a-t-elle pas évolué ? Bien sûr, c’était un régime rigide ; mais à partir de 1956, il avait complètement abandonné la logique d’extermination qui avait été la sienne pendant le premier quart de siècle après la révolution. Et vous devez admettre que, sous Brejnev, l’URSS s’est comportée comme un partenaire normal sur la scène internationale, un partenaire qui respectait les conventions et les traités internationaux. Alors, pourquoi l’Occident a-t-il tellement tenu à prolonger la guerre froide, pourquoi a-t-il toujours rêvé de démembrer ce géant, si ce n’est pour des raisons géopolitiques ?  
  
Lors de l’effondrement de l’URSS et pendant les dix années qui ont suivi, l’équipe au pouvoir a délaissé les vrais intérêts stratégiques du pays. Le régime du président Eltsine s’appuyait non pas sur les éléments « sains » de la nation, mais sur des libéraux qui, à l’instar des premiers bolcheviks, étaient prêts à sacrifier des territoires et, plus globalement, les intérêts nationaux au nom de l’affirmation de leurs idéaux. 

Nos libéraux ont agi comme si l’État russe d’avant la révolution n’avait jamais existé, comme si l’URSS n’avait jamais existé. Leurs slogans étaient d’une simplicité enfantine : ils souhaitaient « passer du totalitarisme à la démocratie ». Ils fantasmaient sur le marché et sur Coca-Cola. 

L’union soviétique n’est pas devenue une grande puissance à cause des répressions, mais grâce à sa victoire sur le nazisme. Et, pour vaincre, Staline, en homme rusé, a ressuscité l’idée de la Patrie, même si c’était la patrie socialiste. Nos parents et grands-parents se sont battus non pas pour l’État, mais pour la patrie ! 
Je me souviens très bien d’un discours que j’ai prononcé à l’Académie de l’état-major soviétique, trois jours après l’annonce des accords signés dans la forêt de Bélovej par les présidents russe, ukrainien et biélorusse (Boris Eltsine, Léonid Kravtchouk et Stanislav Chouchkevitch) – accords qui ont entériné la fin de l’URSS
……
J’étais à l’époque une assez jeune chercheuse à l’Institut des relations internationales de Moscou, et je vous assure que, devant un tel auditoire, j’avais les genoux qui tremblaient ! Voici ce que j’ai dit, en substance, à cette assistance composée uniquement de généraux et de colonels : « Ce n’est pas l’URSS qui vient d’être écartelée, mais l’État russe. En échange de la sortie du totalitarisme, on nous propose de renoncer à trois cents ans de l’histoire russe. Que feront les armées devenues nationales, alors qu’elles ont prêté serment à l’URSS ? En réalité, aucun des États nouvellement formés ne résulte d’un développement historique naturel conjuguant trois éléments : une nation, un territoire, un État. Je n’ai rien contre le fait de renoncer au marxisme ; mais qu’advient-il de notre patrie? » 
J’aimerais vous rappeler certaines thèses du discours que Vladimir Poutine a prononcé à Munich, en 2007. En substance, il a envoyé le message suivant aux pays occidentaux : « Cessez de dissimuler sous une feuille de vigne vos éternelles visées géopolitiques. Ne prétendez plus que votre action est guidée par des valeurs morales prétendument universelles ! »

Voyez l’activité de milliers d’ONG en Ukraine et en Géorgie qui, même si elles s’occupent, pour la plupart, de choses innocentes, n’en orientent pas moins la jeunesse et l’intelligentsia vers les valeurs occidentales. Leur propagande présente la Russie comme un pays arriéré, si bien que les Ukrainiens et les Géorgiens sont très surpris, quand ils ont l’occasion d’aller à Moscou, en découvrant qu’il s’agit d’une métropole ultramoderne. 

Il est indéniable que nous ne travaillons pas assez pour contrecarrer la propagande occidentale. Nous n’avons pas de véritable politique à l’égard de l’« étranger proche » alors même que ces pays sont nos voisins et nos frères. 
J’ai étudié des documents de la CIA datant de la première moitié des années 1950, qui évaluaient les appuis potentiels en cas de guerre américano-soviétique. Ces documents mentionnaient, parmi les alliés possibles, l’Ukraine occidentale (mais pas le reste de l’Ukraine) et la Géorgie. Ces deux contrées étaient dépeintes comme des territoires où le sentiment antirusse était profondément ancré. Je dis bien antirusse, et non seulement antisoviétique. Contrairement à l’idée romantique que se faisaient beaucoup de Russes à propos de la Géorgie – qu’ils voulaient voir comme une alliée orthodoxe fidèle -, une partie de l’élite géorgienne était prête, dès l’époque tsariste, à prendre les armes contre les Russes, même s’il fallait, pour cela, s’allier avec les Perses.  
Moi, je ne comprends pas pourquoi l’Occident n’a rien trouvé à redire aux crimes que le régime de Djokhar Doudaev (le premier « président » indépendantiste de la Tchétchénie) avait perpétrés bien avant le début de la première guerre tchétchène en 1994. Ce régime a commis d’innombrables violations des principes du droit international. Savez-vous que presque 200 000 habitants russes de Tchétchénie ont été chassés de cette république, lors d’un véritable nettoyage ethnique ? Savez-vous combien de jeunes filles et de femmes russes ont été violées par des Tchétchènes ? Or ce coup d’État organisé par un petit colonel, Djokhar Doudaev, dans les meilleures traditions de l’Amérique latine, a été présenté en Occident comme le « couronnement d’une lutte pour la libération nationale ». Mais quand Moscou a enfin réagi, nous avons été agonis d’injures ! 

 Imaginez que, au moment de l’attaque de l’Ossétie du Sud par Saakachvili, la Russie ait trahi les Ossètes et ses propres forces de maintien de la paix stationnées sur place. Le lendemain, nous aurions eu, dans tout le Caucase du Nord,  dix nouvelles prises d’otages semblables à celle de Beslan ! 
Si seulement vous saviez ce que j’ai enduré de la part de l’establishment à l’époque eltsinienne ! 
Plus généralement, pourquoi l’Occident s’intéresse-t-il, depuis deux cents, voire trois cents ans, au Caucase ? Selon plusieurs analystes, le pipeline Bakou-Tbilissi-Ceyhan – une installation chère aux Américains, qui traverse le Caucase d’est en ouest en contournant la Russie – n’aura aucun impact sur les cours du pétrole dans les vingt-cinq ans à venir. Et, pourtant, cet oléoduc a été construit au prix d’investissements gigantesques.  L’explication est évidente : le « BTC », comme on l’appelle, existe avant tout pour des raisons géopolitiques. Il s’agit, toujours et encore, du partage du monde en sphères d’influence. 

Le moment est venu de mettre fin à la période d’instabilité mondiale qui a résulté de l’éclatement de l’URSS. Nous voulons contribuer à instaurer une période plus calme, propice à la mise en place d’un nouvel équilibre international. Ne serait-ce que parce que, sans stabilité, la démocratie sur le continent européen ne pourra pas être préservée.  
Lorsque des officiels bulgares pleurent d’émotion en hissant le drapeau de l’Otan, je pense avec tristesse à la mort de nos soldats qui les ont libérés de la domination turque… 
Je crois que la Russie possède quelque chose que les Américains n’auront jamais : la capacité de respecter l’autre, sa différence. En réalité, la Russie représente un « modèle réduit » du monde, bien plus que les États-Unis. La Russie vit en même temps au XIXe, au XXe et au XXIe siècle. Elle combine l’opulence et la misère ; la technologie de pointe y côtoie les conditions de vie les plus primitives ; on trouve, sur son territoire, tous les climats possibles ; de nombreuses religions et civilisations y cohabitent. La coexistence relativement harmonieuse de toute cette diversité confère à la Russie une expérience unique. En tout cas, nous n’avons jamais eu de guerres de religions comparables à celles qui ont sévi en Europe. Nous sommes à l’opposé de l’aspiration qui viserait à uniformiser le monde sur la base des valeurs libérales (une aspiration qui n’est pas si éloignée, dans l’esprit, de la vision trotskiste). Dans un tel monde, il n’y aurait de place ni pour l’orthodoxie slave ni même pour la grande culture européenne. Bref, je crois que le modèle américain a montré sa stérilité et ses limites : on ne peut pas bombarder un pays parce qu’il n’est pas organisé « comme il faut » ! Ce qui est sûr, en tout cas, c’est que cette faiblesse américaine donne une chance au modèle russe. À nous d’en profiter !

Notre fédération est eurasienne, notre emblème l’aigle à deux têtes

Reconnaître les aspirations communes du genre humain, ce n’est pas nier les cultures. La Fédération de Russie doit contester cette philosophie politique. Et nous sommes légitimes à proposer une cohabitation des identités.

Notre fédération est eurasienne.
Notre emblème est l’aigle à deux têtes. Depuis des siècles, nous sommes à la fois Européens et Asiatiques, Russes et Tatars, chrétiens et musulmans.
Nous sommes aujourd’hui majoritairement des Russes orthodoxes, mais aux temps médiévaux nous étions des Asiatiques convertis.
Ceci n’est pas une réponse dilatoire, mais une réalité indiscutée qui a formé notre identité.

Lorsque les Tatars et les Caucasiens nous défendirent, leurs chefs furent annoblis. Ils n’étaient pas traités comme des colonisés, mais étaient les égaux des aristocrates russes. Ils avaient même des serfs russes. Les Anglo-Saxons n’ont jamais été capables de concevoir cela. Vous imaginez des Lords indiens avec des domestiques anglais ?

Sources

Что же не понравилось Лоре Мандевиль?

Il y a quelques mois je commentais via ce blog un article absolument déplaisant du figorange magazine sur Natalia Narotnitcheskaia.

Cet article a été traduit et reproduit sur le site de la fondation Stoletie. Je me permets de le retranscrire ci dessous :

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Не так давно в «Фигаро» прошел материал о Наталии Нарочницкой, которая возглавила российский Институт демократии и сотрудничества, призванный изучать проблемы западноевропейской демократии, а также проблемы, с которыми сталкиваются русские, проживающие в странах Восточной Европы.

Статья, прямо скажем, далеко нелестная в отношении г-жи Нарочницкой, где ее называют: «пассионарией нового российского национализма, одновременно активно поддерживающей теорию заговора Запада, направленного на изоляцию России»! Ни больше, ни меньше…

Действительно, для окрасившейся в оранж «Фигаро» поддержка политики сдерживания в ее нынешнем обновленном виде является самоцелью, не говоря уже о критике в адрес В. Путина, источаемой А. Глюксманом, всегда готовым вывернуть все наизнанку.

Идея создания подобного института, пишет «Фигаро», сродни старым фильмам советской пропаганды (цитата: дабы продемонстрировать, что не только при развитом социализме бывают очереди, по телевизору показали вереницу парижан перед булочной Пуалан). Дальше больше: оказывается, инициатором создания института является сам В. Путин, о чем им было заявлено в ходе саммита Россия-ЕС в октябре прошлого года. Подумать только! Обрушившись с критикой на страны альянса, уже привыкших всех поучать, он решил, что Европе следовало бы лучше сконцентрироваться на своих собственных проблемах меньшинств и демократии вместо того, чтобы посылать наблюдателей для оценки российских выборов!

«Выдвижение подобной инициативы руководителем, который за восемь лет своего президентства полностью нейтрализовал оппозицию, поправ основополагающие свободы, граничило с нахальством», – продолжает Лора Мандевиль. Иной раз задаешься вопросом, отдают ли себе отчет наши журналисты в собственном невежестве, помноженном на бестактност? Хотя понятно, что трансатлантическая лихорадка и реинтеграция Франции в НАТО (этакое возвращение сводни к своему своднику) основательно вскружили им голову.

И Лоре Мандевиль здесь тоже особенно нечем похвастаться, ведь именно она в декабре 2007 г. потешалась над этой идеей В. Путина по поводу создания института…

Идея «весьма забавная» как отметила тогда Лора Мандевиль со “свойственными” ей тонкостью и врожденным даром предвидения. И вот прошло шесть месяцев… Я вообще посоветовал бы ей перечитывать периодически свои статьи, а также побывать наконец в странах Балтии и посмотреть, как обращаются с русскими в Эстонии и Латвии, в этих новых европейских странах. Так не обращаются ни с одним народом в Европе (статус «не гражданина», безработица, административная и социальная дискриминация…), если, конечно, не считать косовских сербов, проживающих отныне в новом государстве, с благословения друзей из «Фигаро» и нашего президента во главе с ними.

Но продолжим, из статьи Лоры Мандевиль мы узнаем, что Наталия Нарочницкая приурочила свой приезд во Францию к выходу своей книги «с эмоциональным названием», где она «замалчивает с практически ревизионистской вероломностью (однако Лор Мандевель тоже трудно упрекнуть в отсутствии эмоций) фундаментально агрессивную природу коммунистического тоталитаризма». Кроме того, Лора Мандевиль обвиняет Наталию Нарочницкую в упоминании о «постоянных геополитических угрозах англосаксов в адрес России», что является, по ее мнению, «осадной параноей пропутинской элиты». Читая о происходящих сегодня в мире событиях, нужно быть Лорой Мандевиль или Андре Глюксманом, чтобы требовать прекращения этой «паранойи» в условиях завоевания Центральной и Восточной Европы англосаксами. Но оставим пока эту тему, уже совсем скоро выйдет специально посвященная ей статья.

Sources : Столетие

Natalia Narotnitcheskaïa et la continuité historique

Sources photos : Pravoslavie.ru

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Veuillez trouver ci dessous la retranscription d’une interview que Natalia Narochnitskaya a accordé au Réseau Voltaire en 2006, vous pouvez le texte ici ..

Pour les russophones, je vous incite a également à lire les excellentes analyses de l’institut Stoletie : http://www.stoletie.ru/

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Réseau Voltaire : L’administration Bush a réorienté l’essentiel des ressources budgétaires fédérales pour développer ses forces armées au détriment des dépenses sociales. La Stratégie de sécurité publiée par la Maison-Blanche érige le terrorisme international en ennemi principal. Pourtant, au même moment, dans un article publié par Foreign Affairs, le Council of Foreign Relations évoque la possibilité d’une première frappe nucléaire US contre la Russie. Selon vous, à quel ennemi les États-Unis doivent-ils faire face ?

Natalia Narochnitskaya : Le plus grand ennemi des États-Unis, c’est leur pseudo-universalisme politique. Renouant avec une longue tradition, ils se présentent comme « la Nation rédemptrice » (Redeemer Nation). Dèja à l’issue de la Première Guerre mondiale, le président Woodrow Wilson avait choqué le président de la Conférence de Versailles, le Français George Clemenceau, en affirmant que les États-Unis avaient eu l’honneur de sauver le monde.

Comme à l’époque de la IIIe Internationale communiste, ils rêvent d’imposer un modèle au monde, sans égard pour les autres formes de civilisation. Loin de chercher l’harmonie dans la diversité, ils pensent l’humanité en termes simplistes. Ils ignorent le doute cartésien et les angoisses d’Hamlet pour se contenter de Mickey Mouse.

Condoleezza Rice s’exprime avec la même assurance que Nikita Kroutchev à la tribune du Comité central du Parti communiste de l’Union soviétique. Elle ignore les échecs économiques et militaires de son pays pour promettre au monde un avenir qu’elle estime radieux. Pourtant leur système est en faillite. Ils impriment des montagnes de papier-monnaie pour combler des déficits abyssaux. Par le biais du dollar, ils font payer leurs dépenses à leurs alliés comme jadis l’Empire romain collectait un tribu dans ses provinces. Leurs armées essuyent des défaites quotidiennes en Afghanistan et en Irak. Tandis que Cuba, le Venezuela et la Bolivie s’insurgent victorieusement contre leur impérialisme en Amérique latine. Leur impérialisme est trop lourd, il s’essoufle, mais ils sont les derniers à en avoir conscience.

Réseau Voltaire : Ce comportement des États-Unis, bien qu’enraciné dans la doctrine de la Destinée manifeste, n’est-il pas nouveau par bien des côtés ? Doit-on y voir l’influence de politiciens et de journalistes issus de l’extrême gauche comme Paul Wolfowitz ou Richard Perle ?

Natalia Narochnitskaya : Vous avez raison. Il ne s’agit pas seulement d’un entrisme des trotskistes au Parti républicain, mais d’une continuation du marxisme scientifique par les néo-conservateurs. Les mêmes structures de pensée persistent. C’est d’ailleurs pourquoi nos aparatchiks se sont si bien adaptés à leurs nouveaux parrains états-uniens. Ils se sentent spontanément à l’aise avec cette rhétorique.

Pendant la guerre idéologique [la Guerre froide], nous devions apprendre un catéchisme. À la question « Dans quelle époque vivons-nous ? », nous devions répondre « Dans une période de transition du capitalisme au communisme ». Aujourd’hui les dirigeants et les journalistes occidentaux pensent et parlent avec le même simplisme. Ils ont juste remplacé des slogans par d’autres. Si vous leur demandez « Dans quelle époque vivons-nous ? », ils vous répondrons avec le même automatisme « Dans une période de transition du totalitarisme à la démocratie ».

Cet universalisme de pacotille, qu’il s’exprime en termes marxistes scientifiques ou néo-conservateurs, va de pair avec un super-globalisme. Toutes les différences doivent disparaître et le monde doit être gouverné par un organe unique.

Réseau Voltaire : Vous appartenez à un parti politique, Rodina, que la presse occidentale dénigre volontiers en le qualifiant de « nationaliste » et l’on présente aujourd’hui votre pays comme un obstacle à la démocratisation des nouveaux États d’Europe orientale et d’Asie centrale. Quelle est votre conception de l’universalisme ?

Natalia Narochnitskaya : Reconnaître les aspirations communes du genre humain, ce n’est pas nier les cultures. La Fédération de Russie doit contester cette philosophie politique. Et nous sommes légitimes à proposer une cohabitation des identités.

Notre fédération est eurasienne. Notre emblème est l’aigle à deux têtes. Depuis des siècles, nous sommes à la fois Européens et Asiatiques, Russes et Tatars, chrétiens et musulmans. Nous sommes aujourd’hui majoritairement des Russes orthodoxes, mais aux temps médiévaux nous étions des Asiatiques convertis. Ceci n’est pas une réponse dilatoire, mais une réalité indiscutée qui a formé notre identité.

Lorsque les Tatars et les Caucasiens nous défendirent, leurs chefs furent annoblis. Ils n’étaient pas traités comme des colonisés, mais étaient les égaux des aristocrates russes. Ils avaient même des serfs russes. Les Anglo-Saxons n’ont jamais été capables de concevoir cela. Vous imaginez des Lords indiens avec des domestiques anglais ?

Réseau Voltaire : Si le projet anglo-saxon de démocratisation globale n’est pour vous qu’une imposture, comment analysez-vous la politique étrangère des États-Unis ?

Natalia Narochnitskaya : La politique étrangère des États-Unis est anglo-saxonne. Elle poursuit, sous une forme modernisée, la politique de l’Empire britannique. C’est un expansionnisme obsédé par la question des détroits. Une première ligne de pénétration part des Balkans à l’Ukraine pour le contrôle de la mer Egée et de la mer Noire. Une seconde ligne part de l’Égypte à l’Afghanistan pour le contrôle de la mer Rouge, du Golfe persique et de la mer Caspienne. Il n’y a rien de nouveau dans cette stratégie, sinon l’enjeu pétrolier qui l’a relancée.

Réseau Voltaire : Comment expliquez-vous que l’Union européenne se soit ralliée à cette stratégie qui sert uniquement les intérêts anglo-saxons ?

Natalia Narochnitskaya : C’est un aveuglement collectif. Les Européens n’ont rien à gagner et tout à perdre dans ce schéma. Le seul moyen pour l’Europe occidentale de continuer à jouer un rôle politique de premier plan sur la scène mondiale, c’est de s’allier à la Russie. C’est d’autant plus facile que nous sommes beaucoup plus proches culturellement les uns des autres que vous ne l’êtes des Anglo-saxons.

Réseau Voltaire : Certes. Cependant, les Européens n’ont rien à gagner non plus à quitter la suzeraineté d’un impérialisme pour tomber sous la coupe d’un autre.

Natalia Narochnitskaya : Vous vous méprenez. Nous ne sommes pas une autre puissance belliciste. Nous ne cherchons de confrontation avec personne, et surtout pas avec les États-Unis. Comme vous, nous voulons être libres de nos décisions et avoir de bonnes relations avec les États-uniens.

Au demeurant, notre intérêt est d’être pacifique. Notre économie ne réclame pas que nous fassions la guerre. Et dans la situation actuelle, une puissance forte et paisible sera toujours plus attractive qu’une autre belliqueuse. Le monde est interdépendant et le moment est venu de retrouver un équilibre des puissances.

Réseau Voltaire : Permettez-moi de revenir à la question de l’adoption par les Européens de la politique étrangère anglo-saxonne. Comment analysez-vous l’engagement de l’OTAN en Yougoslavie ?

Natalia Narochnitskaya : La politique anglo-saxonne sur le continent européen est un va et vient perpétuel entre la France et l’Allemagne. Elle s’est toujours appuyée alternativement sur l’une et l’autre pour combattre la Russie et les a poussé au conflit l’une contre l’autre pour les affaiblir. La politique de l’OTAN est basée sur l’alliance des Anglo-saxons avec l’Allemagne. Les adhésions à l’OTAN se font selon la carte des ambitions de l’Empereur Guillaume II [Madame Narotchnitskaya sort alors une carte allemande de 1911 que nous n’avons malheureuseement pas pu photographier]. C’est la continuation de la politique de Benjamin Disraeli lors du Congrès de Berlin, en 1878. À l’époque, les Anglais nous avaient obligés à réviser le traité de San Stefano. Ils avaient artificiellement créé des États balkaniques pour satisfaire l’Allemagne. Ils avaient séparés des populations mélangées pour créer des États éthniques et ils avaient en outre décidé de créer une colonie juive en Palestine. De la même manière l’OTAN a pulvérisé la Yougoslavie pour en finir avec les vestiges du bloc soviétique. Elle a créé artificellement des États ethniques. Elle vient de recréer le Monténégro de 1878 et bientôt le Kosovo.

Dans cette stratégie, l’Allemagne n’est qu’un jouet, un État à souveraineté limitée. Il existe en effet un Traité germano-états-unien imposé à l’Allemagne de l’Ouest pendant la période d’occupation et qui n’a pas été abrogé lors de la réunification. Celui-ci comprend des clauses secrètes subordonnant la politique étrangère et de défense de l’Allemagne au bon vouloir de Washington. Ces clauses n’ont été publiquement appliquées que lors de la Guerre du Kippour. Les Etats-Unis avaient installé un pont aérien pour soutenir Israël contre les Arabes. Ils avaient utilisé pour cela leurs bases aériennes en Allemagne. Lorsque Walter Scheel s’y est opposé en faisant valoir la neutralité allemande dans ce conflit, Henry Kissinger l’a remis à sa place. Et l’Allemagne a cédé.

Réseau Voltaire : Pensez-vous que la Fédération de Russie puisse ébranler la domination anglo-saxonne sur le monde ?

Natalia Narochnitskaya : Pour reprendre la célèbre formule du Prince Alexandre Gortchakov, « La Russie se recueille ». Nous modernisons notre société. Nous relevons notre économie. Nous nous préparons.

De Natalia Narotchnitskaïa

Laure Mandeville a récemment présenté via les pages du figaro magazine Natalia  Narotchnitskaïa, qui vient de fonder un Institut russe de la démocratie et de la coopération censé explorer les problèmes que le système démocratique rencontre en Europe occidentale et également à l’égard des minorités Russes dans les pays d’Europe de l’est. L’article fort peu agréable à l’encontre de madame Narotnitcheskaïa nous apprend que celle ci serait :”une pasionara du nouveau nationalisme à la russe mais également une grande adepte du complot occidental qui viserait à isoler la Russie“! Rien moins que ca … Il est vrai que pour le Figorange, le soutien aux politique atlantistes de nèo-containment sont une raison d’être, quand ce ne sont les aberrations du Gluscksmann de service sur Vladimir Poutine. Cette démarche nous apprend le figaro ne serait pas sans rappeller de vieux films soviétiques propagandistes (je cite : “ pour démontrer que le socialisme réel n’était pas seul à générer d’interminables files d’attente, ils s’attardaient sur les queues dominicaines devant le magasin Poilâne à Paris”) mais le pire reste encore à lire, ce serait Vladimir Poutine lui même qui aurait été le premier à évoquer la création de cet Institut, lors d’un sommet Russie-UE à Lisbonne, en octobre. 
Diantre ! 
Fustigeant les Occidentaux, donneurs de leçons, il avait estimé que l’Europe ferait mieux de se pencher sur ses problèmes de minorités et de démocratie plutôt que d’envoyer des observateurs juger les élections russes .. Laure Mandeville affirme en outre que :”Vladimir Poutine aurait en huit ans de présidence verrouillé les contre-pouvoirs et les libertés, et que donc l’initiative de sa part ne manquait pas de toupet”. Dès fois on peut se demander si nos journalistes sont bien conscients de leur ânerie, doublée de leur maladresse. 
On peut également se demander si depuis l’ère Sarkozy, la fièvre atlantiste et de retour au coeur de l’Otan de la France (la transformant ainsi en maquerelle de retour chez son maquereau tous les soirs) ne fait pas tourner la tête à nos “journalistes”. Il est vrai que Laure Mandeville n’a pas de quoi pavaner, c’est elle qui en décembre 2007 avait rigolée de l’idée de Vladimir Poutine à l’époque de créer un tel institut … Une idée “non sans humour” avait t’elle rajoutée avec beaucoup de finesse et un don inné pour la prévision. 6 mois plus tard, je conseillerais à Laure Mandeville de relire ses articles et de se rendre dans les pays baltes et de regarder comment sont traités les Russes d’Estonie ou de Lettonie, dans ces nouveaux pays Européens. Aucune minorité en Europe n’est traitée aussi mal (sous citoyenneté, non accès à l’emploi, discriminations administratives et sociales ..), si ce n’est les Serbes du Kosovo, ce nouvel état qui à la bénédiction des amis du figaro magazine, notre président en tête. 
Mais continuons, nous y apprenons que Natalia Narotchnitskaïa aurait fait coïncider son arrivée à Paris avec la publication d’un livre avec un “titre émotionnel” dans lequel elle gommerait avec une mauvaise foi presque “révisionniste” (On se demande si ce n’est pas Laure Mandeville qui jouerait sur l’émotif) la nature fondamentalement agressive du communisme totalitaire. Laure Mandeville reproche également à Natalia Narotchnitskaïa de rappeller les “permanentes offensives géopolitiques anglo-saxonnes et euro-impériales contre la Russie” ce qui seraient selon elle “exprimer la paranoïa obsidionale de l’élite poutinienne”. A la lecture des évenements mondiaux récents, il faut être Laure Mandeville ou Glucksman pour prétendre qu’il n’y a pas une seule paranoia obsidionale : la conquête du Heartland par les dirigeants militaires Euro-saxons ! Mais passons, un article très détaillé prochainement viendra éclairer ce fait.

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Natalia Narotchnitskaïa est née en 1948. Cette spécialiste des relations internationales, personnalité éminente de l’Orthodoxie politique, également membre de l’Académie des sciences, fut élue député du parti Rodina et occupa le poste de vice-présidente de la Commission des Affaires étrangères de la Douma. Farouche partisane d’une civilisation orthodoxe singulière fondée sur la prédominance des Russes ethniques, Natalia Narotchnitskaïa s’est signalée par ses critiques de la globalisation et des mécanismes supranationaux. Partisane d’un maintien des souverainetés étatiques et nationales, elle s’est fait aussi connaître par ses vigoureuses prises de positions contre la désagrégation de la Yougoslavie et l’implication de l’Otan, jusqu’à la récente proclamation d’indépendance du Kosovo. Son premier ouvrage traduit en français se présente comme un appel véhément lancé à l’opinion publique occidentale. Natalia Narotchnitskaïa  bâtit son propos autour de la question sensible de la victoire soviétique du 9 mai 1945 au terme de cette Grande Guerre Patriotique menée contre l’envahisseur “fasciste”. Cette dernière aurait rétabli le territoire de la Russie historique et de plus, sollicité le sentiment national et la solidarité spirituelle du peuple russe. Pour Natalia Narotchnitskaïa  : “le souvenir de la victoire est la pierre angulaire de la conscience nationale séculaire qui empêche la disparition de la Russie“. L’auteur en profite pour dresser une vaste généalogie des agressions occidentales contre la Russie sur la longue durée, en fait depuis la fin du XIXème siècle. Elle s’appuie, pour cela, sur une approche strictement géopolitique (thèses de Mackinder principalement) et toute une série de références glanées chez des auteurs russes autant qu’occidentaux pour démontrer la permanence d’une politique hostile de refoulement et d’affaiblissement de la Russie de la part d’un Occident souvent ingrat. Pour l’auteur, les représentants du “projet antirusse du XXème siècle” combattent la transmission de la “conscience russe et soviétique” car sans cela “la guerre cesse d’être patriotique, et donc les Russes du XXème siècle n’ont pas d’histoire nationale, ni de structure d’Etat légitimes. En conséquence, toute ingérence extérieure et toute révolte intérieure, tout séparatisme sont juridiquement valables”. Les catégories négatives englobant les ennemis de la Russie sont bien délimitées et comprennent, outre les Occidentaux précités, les ennemis de l’intérieur comme les “libéraux occidentalistes postsoviétiques” ou les “bolcheviks internationalistes” incarnés par le trio Lénine-Trotski-Boukharine. L’interprétation marxiste nihiliste de l’histoire russe” sous forme de “phraséologie libérale et anticommuniste” sous l’ère Eltsine est aussi dénoncée. Natalia Narotchnitskaïa  affirme que les diverses campagnes de propagande pour la défense du “monde libre”, de la Liberté et de la Démocratie ont servi à dissimuler l’enjeu véritable de la guerre froide, à savoir discréditer l’URSS en la privant de son statut de grande puissance rendu par la victoire de 1945 et la refouler à l’Est, loin des mers Noire et Baltique. 
L’auteur donne la clé qui sous-tend sa conception du monde lorsqu’elle décrit chez ses compatriotes “un sentiment d’appartenance à une Patrie sacrée qui ne s’identifie pas à l’Etat et relève d’une conscience orthodoxe inscrite dans “une perception de la continuité historique”. Au terme d’une démonstration désireuse de montrer que les responsabilités pour les affrontements et les malentendus des siècles passés sont équitablement partagées, notre historienne invite Français et Allemands, noyau dur “carolingien” d’une avant-garde européenne à tirer un trait sur la guerre froide en ouvrant la voie d’un véritable axe Paris-Berlin-Moscou. Pour commander cet ouvrage, cliquez ici

Pour accéder à son blog, c’est la !

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Note de rajout de janvier 2010, cet article a été traduit et reproduit sur le site de l’institut STOLETIE