Tout ce sang versé aura finalement abouti à ce que l’Ukraine revienne à l’ancienne constitution, que des élections anticipées aient lieu mi ou fin 2014 (contre mars 2015 comme initialement prévu) et enfin que ne soit remodifié le code pénal pour prévoir la libération de l’opposante Timochenko, égérie marketing de la révolution de couleur mais emprisonnée pour faits massifs de corruption, incluant la signature de contrats énergétiques avec la Russie trop désavantageux pour l’Etat ukrainien.
Si cette dernière est libérée, on pourrait objectivement imaginer qu’elle puisse être élue présidente, damant le pion à son bras droit (Iatseniouk) qui a pourtant visiblement l’aval de la diplomatie américaine mais aussi de l’Allemagne, le boxeur Klitchko, que certains n’hésitent pas à dépeindre comme le « Van Damme » de la politique ukrainienne. Timochenko pourrait-elle réussir ce tour de force de fédérer et structurer cette opposition si désunie ?
Son étiquette de politique le plus corrompu de l’histoire ukrainienne pourra-t-elle calmer les ardeurs d’une foule qui en grande partie reproche à l’élite politique d’être justement trop corrompue ? Rien n’est moins sûr. Ses origines (juives, arméniennes…) en font-elle une candidate tolérable pour les groupes radicaux qui représentent jusqu’à 30% des manifestants, sans aucun doute la très grande majorité des fauteurs de troubles.
On imagine mal du reste comment l’opposition dite parlementaire pourrait envisager son avenir politique sans se détacher de cette frange d’activistes radicaux qui périphérisent le mouvement Svoboda et dont le président Oleg Tiagnibok appellerait prétendument à pénaliser l’usage de la langue russe, donner un sous-statut aux russes d’Ukraine, lutter contre les élites juives ou encore attaquer des églises orthodoxes russes.
Le retour au calme (civil comme politique) en Ukraine post-Maïdan ne se fera sans doute pas en effet sans un consensus fort avec cette minorité nationaliste radicale et active qui bénéficie d’un périmètre d’action aussi large que l’Etat n’est faible. Ce vecteur nationaliste, qui a débordé le contrôle de l’opposition parlementaire, mérite qu’on s’y arrête car il est fonctionne sur des logiques similaires, que l’on pense à la Russie ou l’Ukraine. En 2011 lors d’une rencontre avec des mouvements associatifs et culturels russes, j’ai échangé quelques mots avec une jeune femme qui représentait une organisation russe assez nationaliste. Cette dernière m’avait expliqué à quel point l’Ukraine à ses yeux était un pays avec un potentiel extraordinaire pour les nationalistes russes.
La Russie lui semblait à jamais bloquée politiquement (pour les nationalistes) tant le pouvoir actuel était fort, ne tolérant pas l’extrémisme et prônant le « vivre ensemble » à la russe. A contrario à ses yeux, l’Ukraine présentait un intérêt certain puisque la révolution de couleur de 2005 avait démontré que le système politique y était fragile et renversable. Une partie Est et pro-russe était certes indémolissable mais à l’Ouest, les espoirs étaient réels selon elle elle d’appuyer des nationalistes locaux pour y bâtir un nouvel Etat au frontière de l’Europe, blanc, nationaliste et orthodoxe. Je lui répondais que ce type de projet avait déjà existé en Croatie et qu’après la victoire des indépendantistes soutenus par les nationalistes (incluant des volontaires de toute l’Europe), ces derniers avaient été exécutés et arrêtés jusqu’au dernier, le pays ayant ensuite pu bénéficier d’un processus d’intégration au sein de la matrice occidentale, incluant subventions et social-démocratisation. La Croatie de 2013, 28ème membre de l’UE, également membre de l’OTAN, avec ses 18% de chômage, ses financements d’entreprises sous perfusion par la BERD et le FMI, sa gaypride et sa future adhésion à la zone Euro en 2015 est il est vrai sans doute loin de l’objectif des nombreux nationalistes qui durant la guerre de Croatie sont allés tenter d’y bâtir un Etat nouveau.
Preuve que certains schémas mentaux ne changent pas, nombre d’entre eux partaient lutter contre un serbo-bolchevisme qui n’existait que dans leur tête, tout comme les nationalistes ukrainiens rossent aujourd’hui certains de leurs concitoyens en hurlant contre un potentiel retour à une Union Soviétique qui n’existe pourtant également plus. L’Ukraine va-t-elle vers une scission de fait pour se transformer en une grande Moldavie à l’Ouest et une Nouvelle Ossétie à l’Est, en Crimée notamment ?
L’EuroMaïdan est donc aussi une leçon pour les gouvernants du monde entier.
La bataille pour l’Ukraine, qui intervient au sein d’une féroce lutte géopolitique des grands ensembles du continent, à également vu la démonstration du double standard le plus abject qui soit. Comme le rappelait Xavier Moreau récemment, l’Ukraine a permis de montrer au monde entier que ce pays était considéré par les Occidentaux comme une sorte de colonie africaine, et un pays dans lequel les blancs occidentaux en cravates pouvaient choisir les élites et décider de l’avenir. Imagine-t-on en effet en France « 15.000 désœuvrés d’extrême gauche ou droite se constituer en bandes armées, se barricader sur la place des Invalides, attaquer des policiers a coups de « cocktails Molotovs » et armes à feu et le tout avec le soutien de capitales étrangères ? ». Cela semble fort peu probable. Pourquoi le serait-ce alors pour l’Ukraine ?
En 1945, le monde s’est retrouvé scindé en deux espaces dont les projets pour l’avenir étaient fondamentalement opposés et similaires à la fois, d’un mondialisme à l’autre. La chute de l’URSS n’a cependant pas arrêté la poussée occidentale que l’on aurait pourtant pu imaginer atténuée récemment par la crise financière de 2008. La prise de pouvoir politique de l’Amérique sur l’Europe via la construction européenne (François Asselineau l’a parfaitement expliqué ici) a permis la constitution d’un territoire utilisé pour y déployer territorialement l’Otan afin de permettre sa projection continentale mais également permettre la création d’un gigantesque marché économique dont les contours se dessinent de plus en plus clairement ces derniers mois : l’union transatlantique, cette nouvelle Otan économique.
Les centres de gouvernances occidentaux et Otano-centrés viennent de clairement démontrer avec l’Ukraine que leurs objectifs d’extensions à l’Est continuent et que les révolutions de couleurs de nouvelle génération ne devraient pas utiliser les libéraux comme fantassins mais bel et bien les nationalistes afin de briser l’espoir de certains pays de constituer de potentiels grands espaces, voir des pôles indépendants.
Ce faisant on peut imaginer que les micro-nationalismes tout comme les régio-nationalismes confirment et confirmeront dans un proche avenir leur rôle de meilleurs alliés de l’extension de l’Otan et d’intégration des nations européennes au sein de la matrice globale occidentale sous domination américaine. Une extension qui devrait permettre à l’Amérique de continuer à tranquillement « dépecer l’Europe » en la privant sans doute définitivement d’une alliance avec la Russie.