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Vers une nouvelle perestroïka

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Beaucoup de commentaires négatifs et sans doute inappropriés ont accompagné l’élection présidentielle en Russie. Bien que l’on ne parle plus beaucoup de fraudes, ni d’une quelconque illégitimité du futur locataire du Kremlin, le main-stream médiatique a de nouveau remis en avant la possibilité d’un pouvoir russe qui serrerait la vis ou encore d’une éviction totale de Dimitri Medvedev qui quitterait la vie politique, à cause du retour au pouvoir de Vladimir Poutine. La théorie de la rupture entre les deux hommes avait, on s’en souvient, constitué l’une des principales bases d’analyse de nombre de commentateurs étrangers en vue de la présidentielle. L’idée développée par ces commentateurs était la suivante: Les deux hommes sont fondamentalement opposés, Dimitri Medvedev représenterait une Russie tournée vers la modernisation et l’ouest (comprenez vers la démocratie, les droits de l’homme et surtout la lutte contre la corruption crée par le capitalisme d’état sous contrôle des organes de sécurité) pendant que Vladimir Poutine représenterait une Russie archaïque et autoritaire, fermée et gangrenée par un vieux système sclérosé sous contrôle des organes de sécurité.Pourtant les récents événements montrent que la rupture entre les deux hommes est à ce jour loin d’être une réalité.
Sans surprise, et conformément a ce qui avait été prévu et annoncé, le nouveau président russe a nommé Dimitri Medvedev comme étant son futur premier ministre.

Cette théorie de la rupture s’était aussi propagée en Russie avant l’élection présidentielle, puisqu’un certain nombre de personnalités du monde politique russe avaient ouvertement pris position pour la candidature de Dimitri Medvedev, et donc indirectement contre la candidature de Vladimir Poutine. Dimitri Medvedev a donc fait preuve d’une solidité sans faille, n’écoutant pas les sirènes et restant indifférent aux appels du pied d’une certaine intelligentsia libérale qui aurait souhaité l’utiliser comme tête de pont dans une manœuvre contre le “système Poutine”, système qui selon cette intelligentsia bloque les espoirs démocratiques de la Russie postcommuniste. Pourtant, même si les Iphonchiki (fans d’Iphones) qui ont défilé durant ces derniers mois ne le reconnaissent pas, sept réformes majeures ont été proposées en décembre 2011 par le président Medvedev, et qui curieusement ont été passée sous silence par le Main-Stream médiatique.

–    Le  retour aux élections directes pour les gouverneurs régionaux.

–    La modification du système signatures nécessaires pour que les partis puissent s’enregistrer au parlement.

– L’allègement de la procédure de création des partis politiques (500 signatures désormais nécessaires contre 45.000 aujourd’hui).

– Le renforcement de la proportionnelle aux élections législatives pour améliorer la représentativité des petits partis. (ceux qui obtiennent moins de 5% et n’étaient jusqu’alors pas représentés).

– L’abaissement du nombre de signatures nécessaires pour qu’un candidat s’enregistre à l’élection présidentielle. (300.000 au lieu de 2.000.000 jusqu’à maintenant pour les candidats de partis représentés à la Douma, et 100.000 pour les candidats de partis non représentés à la Douma).

– L’augmentation de la représentation des partis d’opposition au sein des commissions électorales, pour assurer un vote et des décomptes justes.

– L’accentuation de la décentralisation des organismes fédéraux, c’est-à-dire du niveau fédéral vers les échelons régionaux, municipaux et locaux.

Manifestement, cet agenda politique avait été préparé bien avant l’élection présidentielle, et il parait clair que ce n’était pas dans un contexte conflictuel entre les deux hommes. Au contraire, ces réformes annoncées  par Dimitri Medvedev ont sans aucun doute eu le soutien total de Vladimir Poutine. Elles laissent penser que la Russie pourrait entrer dans une nouvelle période, que l’on pourrait qualifier de “nouvelle perestroïka”. Mais il est probable qu’à la différence de la “perestroïka naufrage” de Michael Gorbatchev qui avait amené le pays à l’anarchie, cette potentielle “nouvelle perestroïka” sera sans doute une perestroïka méticuleusement préparée et développée, sous contrôle.
Comme l’avait annoncé le député Sergei Markov sur Ren-Tv le 11 décembre dernier, “la modernisation continuera sa route, pas par pas”. Cette modernisation mise en avant par le président Medvedev dès son arrivée au pouvoir en 2008 sera donc sans doute visiblement l’un des éléments essentiels du développement de la Russie d’aujourd’hui, et de demain. Pour l’analyste Alexandre Rahr,
“Vladimir Poutine est visiblement prêt a donner carte blanche a un futur gouvernement Medvedev, pour poursuivre des reformes radicales”. Le message serait clair: “le tandem existe toujours, et Dimitri Medvedev est plausiblement un leader politique de la génération russe suivante”.

On voit donc bien que les mesures proposées par Dimitri Medvedev, dans le but de réformer la vie des partis politiques, ont le soutien entier de Vladimir Poutine et que le tandem n’a jamais été aussi soudé. Cette “nouvelle perestroïka” coïncide du reste parfaitement avec le ton qui a été donné au futur mandat de Vladimir Poutine, (2012-2018). Son porte parole a en effet récemment indiqué
que: “Le nouveau Poutine (…) sait parfaitement où il va et ce qu’il devra faire”, mais également que si “le premier et le deuxième mandat représentaient respectivement la réanimation et la restauration de la Russie, le troisième mandat de Vladimir Poutine serait celui du développement physique et spirituel du pays, de son économie et de tous les autres domaines”.

Contrairement à certaines analyses donc, cette libéralisation-soft et cette ouverture politique annoncées sont un autre chapitre de la reconstruction de la Russie, qui vient après la restauration de l’autorité de l’état et le redressement de l’économie du pays.

Election présidentielle: Petite analyse des votes russes à l’étranger

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Ci et là sur le net ont circulé beaucoup d’informations et d’interprétations plus ou moins exactes sur les votes en Russie et à l’étranger. Une corrélation intéressante a également été faite entre le prix au mètre carré des logements, quartier par quartier (dans l’agglomération de Moscou), et les votes pour les candidats Prokhorov et Poutine. Plus le prix du mètre carré augmente et plus le vote pour Michael Prokhorov est important, comme on peut le voir sur ce schéma. Pourtant bien loin de ce qui a été écrit, Prokhorov n’est pas le “candidat des riches de Moscou ” car finalement même lorsque le mètre carré dépasse les 6 ou 7.000 euros, c’est Vladimir Poutine qui est en tête, avec une avance de 8 à 12%. Si le milliardaire Prokhorov n’a obtenu que 8% à l’échelle fédérale (ce qui est déjà beaucoup pour une première campagne politique), il en va autrement à l’étranger. Michael Prokhorov a visiblement beaucoup plus séduit les russes de l’étranger, fussent-ils pauvres, que les russes de Russie, fussent-ils riches. Dans nombre de pays il est même en tête devant Vladimir Poutine.

Pourtant, les votes des russes de l’étranger ne sont absolument pas homogènes, et pour répondre à la curiosité de certains lecteurs à propos de ces votes hors de Russi e, voila quelques informations intéressantes qui sont un bon sujet de réflexion.

Au sein des pays de l’union Européenne, Vladimir Poutine est en tête devant Michael Prokhorov en Hongrie (49.9%, contre 27.9%), en Pologne(48.5% contre 30.2%), en Italie (48.3% contre 32.1%), en Finlande (44.0% contre 36.2%), en Espagne (40.8% contre 37.0%) et en Suède (37.0% contre 36.5%). Michael Prokhorov s’impose par contre en France (41.2% contre 31.3%), En république Tchèque (43.4% contre 36.0%), En Australie (43.5% contre 33.1%), au Canada (43.8% contre 36.2%), En Suisse (44.8% contre 32.0%), et en Hollande (46.4% contre 27.8%). Dans le monde orthodoxe Vladimir Poutine l’emporte largement, obtenant 84,1% en Grèce, 81,6% en Macédoine, 69% en Roumanie, 68% en Serbie et 56,8% à Chypre.

Au Japon, Vladimir Poutine s’impose de justesse avec 38.2% contre 36.2% pour Michael Prokhorov. Idem en Israël ou Vladimir Poutine obtient 48.1%, contre 38.8% pour son adversaire. Par contre en Amérique Michael Prokhorov obtient 52.4%, contre “seulement” 30.0% pour son adversaire. A noter que dans le bureau de vote de Palo Alto, 69,33% des russes ont voté pour Michael Prokhorov et 16,21% pour Vladimir Poutine (!). Même schéma en Angleterre (58.0% contre 28.1%). En Turquie par contre Vladimir Poutine obtient 63.3% contre 21,75% pour Michael Prokhorov.

Autre cas intéressant : Le vote dans les pays de l’union douanière. Vladimir Poutine obtient 77.5% au Kazakhstan, et 66.4% en Biélorussie. Dans ces pays, Michael Prokhorov obtient respectivement 7, 94% et 15,16%. Vladimir Poutine 76.1% en Ukraine, Michael Prokhorov 8,89%. A noter que dans ces trois pays le score du candidat communiste Guennadi Ziouganov est respectivement de 8,18%, 11,8% et 8%. Etonnant aussi, les scores de Poutine sont les plus bas en Biélorussie alors qu’ils sont très hauts (à un niveau identique) en Ukraine et au Kazakhstan.Dans les BRICS, Vladimir Poutine est en tête avec 40,7% en Chine, 45,1% au Brésil et 46,2% en Inde et 43.1% en Afrique du sud. Dans ces pays Michael Prokhorov est chaque fois second avec respectivement 34.3%, 28.4%, 24.5% et 28,81%. Seconde surprise, les russes qui habitent dans les BRICS n’ont donc pas plébiscité Vladimir Poutine, et ont relativement fortement voté pour Michael Prokhorov.

L’Asie est également partagée, en Indonésie Vladimir Poutine obtient 41.3%, et Michael Prokhorov 39.4%. En Malaisie 35.2% contre 32.6%. En Corée du sud 40.66% contre 34,28%. En Thaïlande Michael Prokhorov s’impose avec 39.7% contre 38.3% pour Vladimir Poutine. Idem à Singapour ou le jeune milliardaire caracole en tête avec 48.8%.

Dans le monde arabe Vladimir Poutine est en tête avec par exemple 69,1% en Algérie et 75,38% au Yémen. A Bahreïn le président Poutine obtient 54,29% (Michael Prokhorov atteint tout de même 22,86%). Aux Émirats arabes unis, Vladimir Poutine obtient 47.67%, contre 35,76% pour Michael Prokhorov. Enfin au Qatar Vladimir Poutine obtient 59,7 contre 22,39% pour Michael Prokhorov. A noter qu’en Syrie Vladimir Poutine obtient 81,05%, en Irak 52,69%, en Libye 71,93% et en Jordanie 75,47%. Dans les pays arabes considérés comme des alliés de la Russie les scores de Vladimir Poutine sont élevés. A contrario dans les pays considérés comme des alliés des Etats-Unis les scores du président sont plus bas, y a-t-il un lien de cause à effet?

Les russes d’Afrique ont eux largement voté pour Vladimir Poutine: 52,65% en Angola, 62,32% au Bénin, 62,07% au Burundi, 79,55% au Gabon, 86,52% au Congo ou 73,91% au Tchad.

En Amérique du sud les scores sont plus équilibrés, au Chili Vladimir Poutine obtient 50% (contre 23,37% pour Prokhorov), en Uruguay 51,25% (contre 20%), au Venezuela 51,09% (contre 23,62%), au Brésil 45,05% (contre 28,39%).

Quelques éléments de réflexions: Les plus hauts scores de Michael Prokhorov sont dans les pays suivants: en Angleterre 57,98%, aux Seychelles 52,69%, aux USA 52,41%, à Singapour 48,75%, au Monténégro 47,35%, en Hollande avec 46,35%, en Suisse avec 44,80%, à Monaco avec 44,32% ou encore au Canada avec 43,77%. Constatation intéressante, ces
votes sont élevés dans les pays du monde où le vote pour le parti libéral d’opposition Iabloko avait été élevé lors des élections législatives de décembre 2011.

Enfin le candidat de la gauche patriote Serguey Mironov a obtenu 10,13% en Islande et 11,67% au Cap-Vert, 11,48% au Costa Rica, 9,09% au Népal et 11,54% au Paraguay.
A contrario les scores les plus élevés de Vladimir Poutine sont dans des régions du monde soit plus pauvres, soit plus frontalières avec la Russie. Par exemple au Tadjikistan 92,58%, en Guinée Bissau 91,57%, en Abkhazie 91,08%, en Kirghizie 90,74%, en Ossétie du sud 90,39%, en Lettonie 89,05%, en Arménie 87,18%, ou de façon très surprenante au Congo avec 86,52%.

es plus hauts scores du candidat du parti communiste Guennadi Ziouganov ont été obtenus en Angola (20,61%), au Bangladesh (20%), A Brunei (19,75%) et en Irak (19,71%).
Les plus hauts scores du candidat du parti libéral-démocrate Vladimir Jirinovski ont été obtenus au Guatemala (11,86%), à Djibouti (10,41%), en Corée du nord (14,86%), en Tanzanie (12%) et au Ruanda (10.87%).

Enfin le candidat de la gauche patriote Serguey Mironov a obtenu 10,13% en Islande et 11,67% au Cap-Vert, 11,48% au Costa Rica, 9,09% au Népal et 11,54% au Paraguay.

Nul doute que ces votes des expatriés russes donneront lieu à de nombreuses analyses et réflexions d’experts.
Sources : SublimeOblivion, le blog de Kireev, Ria-Novosti.

Réflexions sur une opposition désunie

L’article original a été publié sur  Ria-Novosti
 
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Beaucoup de lecteurs francophones m’ont demandé, via Facebook, des précisions sur les liens entre les manifestations de rue des trois derniers mois, et celles qui ont suivi l’élection présidentielle. Deux questions reviennent souvent: “pour qui ont voté ces gens qui manifestent dans la rue” et “qui représente réellement l’opposition russe”.
 
Ces questions se posent d’autant plus que ces manifestations de l’opposition ont été réellement inattendues et qu’il a été très difficile d’y trouver une ligne politique dominante. On y a vu un très grand nombre de leaders politiques de diverses tendances, et une grande quantité de revendications différentes.
 
A la question “qui représente réellement l’opposition russe”, je pourrais répondre qu’il y a à la Douma (parlement russe) 226 députés de Russie Unie, 92 députés communistes, 64 de Russie Juste, et 56 du Parti libéral-démocrate de Russie. Mais bien sur, les questions portaient sur cette opposition qui manifeste dans la rue.  Enfin Jean m’a demandé “ce qu’il en était des arrestations lors du meeting d’opposition de lundi soir, le lendemain de l’élection”.
 

Assistait-on à un tour de vis du pouvoir russe, et à un viol total de la liberté de manifester que de pacifiques manifestants réclamaient, comme dans toutes les démocraties digne de ce nom?
 
Les gros titres de la presse Française, qui dénonçait une répression musclée du pouvoir pouvaient en effet le laisser penser.
 
Revenons sur ces trois mois de manifestations.
 
Lorsqu’au lendemain des élections législatives de décembre dernier des images de fraude se mettent à tourner en boucle sur les médias, une frange de la société civile mais également des représentants de partis politiques minoritaires décident d’appeler à la contestation des résultats des élections en demandant la démission du président de la commission électorale, l’annulation du scrutin et la tenue d’élections honnêtes.
 
Rapidement sur internet se mettent en place via les réseaux sociaux une galaxie de sites et de pages Facebook appelant à aller manifester. Ce Buzz ayant bien fonctionné, une première manifestation a alors lieu sur la place des marais le 10 décembre 2011, réunissant probablement 35 à 40.000 personnes. Cette manifestation rassemblait côte à côte des membres de la jeunesse dorée moscovite, ainsi que des dizaines de sous-groupuscules politiques non candidats à la représentation nationale: tant des nationalistes radicaux, des antifascistes, ainsi que des partis politiques libéraux mais également des communistes.
 
Un second meeting unitaire a eu lieu le 24 décembre sur l’avenue Sakharov, rassemblant 40 à 50.000 personnes, avec de nouveau cette hétéroclite et improbable coalition de mouvements politiques ou issus de la société civile, et de personnalités d’opposition ou issues du show-business. Fait intéressant que la presse n’a pas beaucoup relevé, ces deux manifestations se sontdéroulées sans incidents notables, si ce n’est à la fin du second meeting, quand des radicaux d’extrême droite ont tenté de monter sur la tribune de force. 
 
Enfin le 4 février un troisième  meeting unitaire, de nouveau sur la place des marais, rassemblait encore une fois entre 40 et 50.000 personnes.
 
Qui étaient ces gens qui ont bravé le froid pour aller manifester dans la bonne humeur? Les études sociologiques et les sondages réalisés depuis ont montré que le gros des manifestants était issu principalement de la classe moyenne-supérieure
moscovite, mécontente des résultats des élections et qui souhaitait faire entendre sa voix. Le problème de cette classe sociale éduquée, parfois occidentalisée, qui s’est enrichie pendant les 10 dernières années, c’est qu’elle ne s’est pas constituée en parti politique pour faire entendre sa voix, et qu’elle n’a pas de leader à qui faire
confiance.
 
Bien sur ces manifestations ont réuni de nombreux groupes politiques, des associations et des leaders historiques de l’opposition, que l’on pense à Boris Nemtsov, Gregory Iavlinskii ou Garry Kasparov. Pour eux il s’agissait de tenter de profiter des événements pour relancer leur popularité et s’imposer comme leaders de cette foule mécontente. Aucun d’eux ne s’est imposé, mais de nouvelles figures sont apparues, que l’on pense par exemple Michael Prokhorov, au blogueur nationaliste-libéral Alexey Navalny ou encore à l’extrémiste de gauche Serguey Udaltsov. Bien que faisant partie de tendances opposées sur l’échiquier politique, leur “anti-poutinisme” primaire leur a permis de faire temporairement alliance.
 
C’est probablement là que le bât blesse. Les membres de la  classe “moyenne-supérieure-moscovite” qui ont  manifesté depuis trois mois ont en général un niveau élevé d’aventures d’extrême droite ou d’extrême gauche, ni de réhabiliter des loosers d’une autre époque politique.
 
C’est sans doute pour cela que le gros des manifestants a sans doute préféré s’abstenir de participer aux élections présidentielles, ou a majoritairement choisi de soutenir Michael Prokhorov, jugé le candidat le plus moderne et le plus fiable à leurs yeux. Les résultats de la présidentielle ont montré que ce dernier, tenant d’une ligne politique plutôt libérale et pro-européenne a sans aucun  problème pu séduire une classe moyenne supérieure “européanisée” tout autant qu’un électorat qui souhaitait un vote anti-système constructif. Sans nul doute, c’est lui qui est le grand gagnant de la vague de contestation des trois derniers mois, vague de contestation qui se veut avant tout légaliste et politique.
 
Il conviendra de voir ce que Michael Prokhorov va maintenant faire, lui qui devrait dans les prochaines semaines créer un nouveau parti politique de droite sur l’échiquier russe.
 
Maintenant qu’en est-il des arrestations lors des dernières manifestations et pourquoi ont-elles rassemblé moins de manifestants? Contrairement a ce qu’a pu titrer une partie de la presse française, ce n’est pas la pseudo-répression
qui a fait faiblir la mobilisation mais bel et bien le fait que la grande majorité des manifestants de décembre 2011 ne se reconnaît  pas dans les leaders émergents extrémistes. Lors de l’avant dernière manifestation place Pouchkine lundi 5 mars, Michael Prokhorov a du reste été hué par les quelques milliers de manifestants présents. Lundi dernier, il n’est pas venu à la manifestation d’opposition sur l’avenue Arbat.
 
Ainsi, nulle surprise que ces manifestations n’aient pu rassembler respectivement que 10 et 8.000 manifestants.
 
Nulle surprise non plus que dans les deux cas, les manifestations aient tourné a l’affrontement avec les forces de l’ordre, leurs organisateurs ayant décidé de choisir la confrontation avec la police en refusant de quitter les lieux en fin de manifestation ou encore en choisissant délibérément de laisser des groupes nationalistes ou de radicaux d’extrême gauche marcher vers le kremlin.
 
Comme l’a parfaitement résumé l’analyste Xavier Moreau, à ce rythme, ces manifestations d’opposition pourraient devenir une attraction touristique originale pour le samedi après-midi à Moscou et la conclusion de tout cela pourrait tenir dans les deux mots que le nouveau président russe a adressés à ces mêmes groupuscules d’opposition le 7 mars dernier: “soyez sérieux”.

Poutine jusqu’en 2018

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Le 04 mars 2012, le peuple russe a voté et n’en déplaise à certains, il a  voté massivement pour que Vladimir Poutine dirige la Russie jusqu’à
2018. Après le dépouillement de 99,3% des bulletins, Vladimir Poutine arrive en tête du scrutin avec 63,6% des suffrages, suivi par Guennady
Ziouganov (17,19%) et Mikaël Prokhorov (7,98%). Vladimir Jirinovski obtient 6.22% et Serguey Mironov 3,85%. Le taux de participation s’est établi à 65%.

Le résultat de cette élection est simplement une confirmation de ce que tous les analystes lucides et sincères avaient prévu, à savoir un Vladimir Poutine obtenant entre 50 et 65% au premier tour. En effet, tous les instituts de sondages le donnaient gagnant au 1ier tour. Ce vote est aussi un événement géopolitique d’une portée qui échappe encore sans doute à la très grande majorité des commentateurs. L’élection de Vladimir Poutine pour un troisième mandat, qui est incompréhensible à travers le prisme médiatique français, s’inscrit pourtant dans une séquence historique russe parfaitement cohérente.

En mars 2000 lorsque Vladimir Poutine est élu avec un peu plus de 50% des voix, le pays est ravagé par une décennie postsoviétique “eltsinienne”, et il sort d’une crise économique majeure. Propulsée par le système Eltsine, l’élection de Vladimir Poutine par la population russe se fait principalement par défaut. Inconnu, ce dernier apparaît cependant très rapidement comme un homme à poigne et son style sec et autoritaire est perçu positivement par la population russe. Vladimir Poutine apparaît dès le début des années 2000 comme une sorte de sauveur, qui restaure l’ordre public. Sa seconde élection en 2004 avec près de 70% des voix au premier tour sera un plébiscite. Le deuxième mandat de Vladimir Poutine sera une période de redressement économique incontestable pour la Russie.

Lorsqu’il cède la place à Dimitri Medvedev en 2008, l’autorité de l’état a été totalement  établie, et un parti de gouvernement a été créé. En pleine embellie économique, Dimitri Medvedev est élu président en mars 2008 avec 72% des voix. Malheureusement, la crise financière mondiale frappe la Russie, ainsi qu’une nouvelle guerre dans le Caucase. La présidence Medvedev souffre en 2009 des conséquences sociales de la crise et des difficultés à moderniser le pays aussi rapidement que souhaité. La pression internationale se fait également plus forte et durant la dernière année de son mandat, la diplomatie russe est malmenée en Libye ou en Europe (bouclier antimissile) et finalement la politique extérieure de Medvedev est critiquée en Russie.

Après les élections parlementaires de décembre dernier, de grosses manifestations d’opposition ont lieu dans les grandes villes du pays, faisant penser à certains commentateurs étrangers que la Russie commençait à se révolter contre le “système Poutine”. D’autres, au contraire, ont vu  dans ces manifestations un embryon de déstabilisation orchestrée de l’extérieur, sur le modèle des révolutions de couleurs. De nombreux indices ont pu laisser penser que ce dernier scénario était plausible.

Paradoxalement, c’est ce risque de révolution de couleur qui a unifié l’opinion publique et grandement contribué au score très élevé de Vladimir Poutine. L’analyste Jean-Robert Raviot, a parfaitement défini ce phénomène en définissant 3 Russies. D’abord, la plus médiatisée car occidentalisée, celle des “Moscobourgeois”, ces bourgeois métropolitains baptisés “classe moyenne” par les commentateurs. Ensuite la Russie
provinciale et périurbaine, très majoritaire, patriote et fragilisée par la crise, socle de la majorité favorable à Vladimir Poutine et enfin la Russie des périphéries non-russes contrôlées par des ethnocraties alliées au Kremlin et dans lesquelles les votes sont assez homogènes, en faveur du pouvoir central. En effet, Moscou et Saint-Pétersbourg sont les seules villes dans lesquelles les résultats, pris isolément, auraient pu déboucher sur un deuxième tour entre Poutine et Prokhorov. Mais si cette Russie riche, urbanisée et européanisée des grandes villes a moins voté Poutine que le reste du pays, elle reste très minoritaire. A l’inverse, la Russie des petites et moyennes villes, voire des campagnes, est beaucoup plus conservatrice et populaire. En votant massivement pour Vladimir Poutine, elle a montré son inquiétude face à de possibles bouleversements. Depuis le début des années 2000, la Russie poursuit son redressement, et les désordres de la première décennie qui a suivi la disparition de l’URSS ont profondément marqué les esprits. Le peuple russe a donc fait bloc derrière Vladimir Poutine, refusant toute ingérence extérieure et souhaitant que la politique entamée il y a maintenant 12 ans soit poursuivie.

Le score stable de Guennadi Ziouganov, le candidat du parti communiste, indique que le parti a fait le plein et que 4 ou 5% de ses électeurs de décembre dernier (le parti communiste avait atteint 19% aux législatives en bénéficiant de son statut de principal concurrent a Poutine et du vote anti-Poutine) se sont cette fois reporté sur Michael Prokhorov. Ce dernier a sans doute canalisé la majorité des votes des manifestants contestataires des derniers mois. Il recueille en effet 20% à Moscou et 15,5% à Saint-Pétersbourg. Le faible score de Vladimir Jirinovski est sans doute à mettre en rapport avec le score élevé de Vladimir Poutine, beaucoup d’électeurs LDPR ayant sans doute voté Poutine au premier tour. Сe faible score du LDPR semble annoncer le déclin de ce parti que l’on imagine mal survivre sans son charismatique leader. Enfin l’échec cuisant du candidat Mironov (3,46%) alors que son parti avait obtenu un score très élevé aux législatives, montre que fondamentalement les électeurs russes refusent tout candidat trop social-démocrate.

Bien sur de nombreux commentateurs étrangers écriront dans les jours qui viennent (pour nier ce soutien populaire qu’ils ne peuvent visiblement ni admettre ni comprendre) que les élections ont été truquées et que de nombreuses fraudes en faveur de Vladimir Poutine ont été recensées. Pourtant, comme lors des législatives, la grande majorité de ces accusations de fraude vont s’avérer infondées, le nombre de cas de fraudes réelles ne devant pas dépasser environ 300, contre 437 formelles lors des législatives de décembre dernier, pourtant si critiquées.

Les observateurs de la CEI, de l’Organisation de Shanghai ou encore des observateurs indépendants ont pourtant déclaré que le scrutin s’était déroulé normalement et que l’élection était conforme, proposant même d’instaurer le système de surveillance voulu par Vladimir Poutine (96.000 bureaux de vote filmés par 91.000 webcaméras) pour les élections au parlement européen. A ce titre, si Michael Prokhorov est arrivé en tête en France et en Angleterre, les russes d’Allemagne et d’Espagne ont eux majoritairement voté pour Vladimir Poutine. Ce alors qu’en Allemagne Russie-Unie avait obtenu un mauvais score en Allemagne aux législatives, se retrouvant derrière le parti libéral Iabloko.

Que va-t-il se passer désormais? L’opposition a annoncé qu’elle allait continuer à manifester, comme elle l’a fait déjà lundi dernier, au lendemain des résultats. Mais la manifestation n’a rassemblé que 10.000 personnes, et le climat semble déjà avoir changé. Michael Prokhorov, tout comme Boris Nemtsov ont été copieusement sifflés pendant cette manifestation, et Alexey Navalny et Serguey Udaltsov (respectivement nationaliste/libéral et d’extrême gauche, mais alliés contre Poutine) ont été au contraire ovationnés. En fin de manifestation, en refusant de quitter les lieux et en appelant à occuper la place, ce sont eux qui ont provoqué l’interpellation des 300 ou 400 irréductibles qui les accompagnaient, pour le plus grand plaisir des caméras étrangères. Plus tard c’est un groupe d’une centaine d’ultranationalistes qui a tenté de marcher sur le Kremlin, avant que la police ne les interpelle également. On peut donc se demander si l’opposition légale ne s’est pas cristallisée autour de Michael Prokhorov et si finalement la frange la plus radicale et non  politique de cette opposition si disparate, ne va pas chercher à créer des troubles, en refusant de reconnaître une élection que personne dans le monde ne conteste déjà plus.

Les minorités Tcherkesses

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Dans une précédente tribune  j’ai décrit le “grand jeu Anglo-américaine au 19°siècle”, cette confrontation qui a eu lieu en Asie centrale mais également dans le Caucase au fur et à mesure que la Russie agrandissait son territoire dans ces deux zones clefs. L’Angleterre avait bien compris l’importance et la menace pour elle des récentes conquêtes russes aux dépens de l’empire Ottoman dans la région du Caucase. Ces avancées de la Russie lui ouvraient en effet l’accès à la mer noire et à la méditerranée, aux détroits, et à une position géostratégique renforcée dans toute la zone. En 1859, l’armée russe bat les Tchétchènes et les Ingouches (pendant la bataille contre Imam Shamil). Puis en 1864, les russes battent les Adyguéens, ce peuple  du nord-ouest du Caucase, qui vit dans les régions de l’Adyguée et de la Karatchaiévo-Tcherkessie.


Puissance mondiale dominante à cette époque, l’Angleterre a donc tenté de déstabiliser la Russie de diverses manières, notamment par des livraisons d’armes dans le Caucase ou par la création de comités Tchétchènes et Tcherkesses lors du congrès de Paris, après la guerre de Crimée. On peut citer aussi l’intervention de David Urquhart, mi-homme d’affaires mi-espion, qui, dans les années 1830, encourage les Tcherkesses à créer leur propre État. Ce Lawrence du Caucase publiera même une “Déclaration d’indépendance des peuples circassiens”, autre nom des Tcherkesses, et leur fournira un drapeau national.

Le but était déjà clair: créer et soutenir un front caucasien pour repousser et éloigner l’empire russe (puissance continentale) des mers et du Caucase. De nombreux responsables des républiques musulmanes de Russie, principalement dans le Caucase et en Asie centrale, tenteront alors d’organiser la bataille vers leur indépendance avec le soutien de l’occident. À cette occasion, les souffrances de certains peuples du Caucase ont eu un certain écho en France, préfigurant le soutien que le “mouvement prométhéen” allait recevoir en Occident afin de constituer des pôles de lutte contre le pouvoir central russe. Après ces événements, beaucoup de caucasiens se sont dispersés à l’étranger et certains membres de ces diasporas se sont sédentarisés en Europe (France ou Pologne), d’autres en Turquie et certains autres enfin dans les pays arabes. On sait ce qu’il est advenu du mouvement prométhéen, il est tombé dans les oubliettes de l’histoire.

Mais ces diasporas se superposèrent aux déjà nombreuses diasporas caucasiennes (dont des Tcherkesses), descendants des esclaves affranchis qui formèrent dans le passé les milices de certains califes musulmans et de l’Empire ottoman. A ce jour, plusieurs milliers de Tcherkesses vivent en Égypte, 100.000 en Syrie et plus de 70.000 en Jordanie. Enfin en Turquie on compte entre 4 et 5 millions de Tcherkesses. Récemment, le printemps arabe a fait resurgir la question Tcherkesse et a dévoilé l’existence d’une carte des minorités Circassiennes dans la zone. En Libye les Tcherkesses ont par exemple été au cœur de la guerre et du nouveau “grand jeu” qui se déroule entre la Russie et l’Amérique dans le monde arabo-musulman. Les quelques 10.000 Tcherkesses de Libye ont été en effet courtisés par Muammar Kadhafi pendant le conflit Libyen. Celui-ci avait envoyé des émissaires à Amman pour négocier avec le Conseil tribal Tcherkesse de Jordanie afin de convaincre les frères de Misrata de le rejoindre. Un groupe de Tcherkesses- Circassiens résidant dans la République Caucasienne Russe de Kabardino- Balkarie a alors envoyé un message de soutien à l’ambassadeur de Libye à Moscou, en l’assurant de son soutien au colonel Mouammar Kadhafi et lui proposant
même une aide militaire. Au même moment, des “Tcherkesses de Californie” dénonçaient le  soit disant massacre des Tcherkesses de Misrata en comparant  au passage Mouammar Kadhafi à Staline, dans un élan rhétorique des plus atlantistes.

Mais c’est sans doute en Syrie que la carte Tcherkesse prend toute son ampleur puisque le pays compte aujourd’hui près de 100.000 Tcherkesses. En raison de leur statut de minorité les Circassiens Syriens ont toujours été plutôt proches des différents pouvoirs qui se sont succédés: d’abord les Ottomans, puis les Français et aujourd’hui les Baasistes. Comme pour beaucoup de minorités, la pérennité du gouvernement  de Bachar-El-Hassad est synonyme de leur survie.

Le 31 janvier 2012 trois officiels de la communauté Tcherkesse de Syrie ont rencontré le dirigeant de la république Tcherkesse de Russie, Arsen Kanokov, qui a affirmé son soutien aux trois invités en affirmant que la position russe en Syrie était juste et destinée à éviter que la
Syrie ne se transforme en un nouvel Irak ou une nouvelle Libye. Depuis le mois de décembre 2011, ce sont près de 200 Syro-Tcherkesses qui ont demandé directement de l’aide au président russe Dimitri Medvedev mais également aux gouverneurs d’Adyguée, de Kabardino-Balkarie et de Karatchaï-Cherkessie. Beaucoup de Tcherkesses de Syrie souhaitent en effet être protégés, ou au mieux rapatriés dans le Caucase russe, comme près d’un millier d’entre eux l’ont déjà demandé. Bien sur, si le gouvernement russe acceptait de les accueillir, il s’agirait d’une reconnaissance tacite du fait que la Syrie de Bachar El Assad n’est plus capable d’assurer leur sécurité, ni sans doute celle des autres habitants de Syrie.

Ce rapatriement potentiel de Tcherkesses de Syrie ne serait le premier du genre. En 1998 et 1999, des Tcherkesses du Kosovo, ayant refusé de rallier aveuglément les nouvelles autorités Albano -musulmanes du Kosovo, ont choisi de quitter leur patrie d’adoption et de rentrer dans leur pays d’origine, la Russie. Les Tcherkesses du Kosovo ont en effet toujours vécu en bonne intelligence avec les serbes malgré leur religion musulmane, mais ils ont toujours été considérés par les albanais comme “des russes”.

Cet accueil de Tcherkesses de Syrie pourrait avoir une autre conséquence très importante pour le Caucase : Faciliter une réconciliation historique interne à la Fédération de Russie, qui n’a jamais reconnu le génocide  Tcherkesse (qui a eu lieu pendant les guerres du Caucase de 1763-1864) malgré les demandes rédigées dans ce sens par les parlements d’Adyguée et de Kabardino-Balkarie dans les années 90. Lorsque la candidature russe pour l’organisation des Jeux olympiques d’hiver à Sotchi l’a emporté, les Tcherkesses en ont profité pour se faire entendre et un congrès du peuple Tcherkesse a même eu lieu à Tcherkessk. En 2010 la colère des Tcherkesses s’était traduite par des émeutes en Karatchaevo-Tcherkessie, suite à des meurtres de militants politiques Adygues. En 2011 le parlement Géorgien a reconnu le génocide Tcherkesse de 1763-1864, mettant ainsi de l’huile sur le feu, dans ses relations avec la Russie. Ce geste inamical de Tbilissi a été considéré avant tout comme une mesure de rétorsion suite à la reconnaissance par Moscou des ex-provinces géorgiennes d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud.

A l’occasion des événements dramatiques de Syrie, le problème des caucasiens qui vivent dans divers pays du moyen orient est revenu à la surface. La Russie peut-elle accorder un “droit au retour” aux Tcherkesses qui le demanderaient? Ce serait sûrement positif pour la démographie de la Russie. En attendant, la Russie doit faire comprendre aux occidentaux sa position sur les événements en cours dans le monde Arabo-musulman, veiller autant que possible sur les diasporas caucasiennes menacées, sans oublier qu’il y a aussi, dans le Caucase, à Sotchi, les jeux olympiques d’hiver à organiser en 2014. La diplomatie russe a du pain sur la planche.

La Russie, BRIC européen dans un monde asiatique?

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Les BRICS sont un groupe de cinq pays (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du sud) considérés comme les grandes puissances émergentes d’aujourd’hui, et les géants de demain. L’acronyme BRICS est apparu en 2011, quand l’Afrique du Sud a rejoint le groupe BRIC. Le terme BRIC était apparu en 2001 dans un rapport tendant à démontrer que l’économie  des pays de ce groupe  allait rapidement se développer et que le PIB total des BRIC devrait égaler en 2040 celui du G6 (États-Unis, Japon, Royaume-Uni, Allemagne, France et Italie).


Ce rapport de 2001 n’a pas été contredit par les faits. Les BRICS sont respectivement les neuvième, sixième, quatrième, deuxième et vingt-cinquième puissances économiques mondiales et comptent déjà pour 40% de la population mondiale. En 2015, ils assureront sans doute 61% de la croissance mondiale selon le FMI et leur part dans l’économie mondiale ne cesse d’augmenter. Ce groupe  de pays représentait 16% du PIB mondial en 2001, 27% en 2011 et d’après des estimations récentes,  ce sera près de 40% en 2025. Les BRICS pourraient à eux seuls compter par exemple pour 70% de la croissance du marché  automobile mondial pour la prochaine décennie.
Les BRICS ont contribué à plus d’un tiers de la croissance du PIB mondial dans la dernière décennie. Ce siècle devrait être celui des BRICS puisque d’après la Banque mondiale, la Chine pourrait devenir la première puissance économique de la planète en dépassant les États-Unis dès 2020. Pour Goldman Sachs, l’Inde pourrait également dépasser les Etats-Unis au milieu du siècle. Le centre de gravité du monde de 2050 serait donc en Asie, les deux premières puissances économiques mondiales étant aussi les deux pays les plus peuplés de la planète. Par comparaison, les USA représentaient 42% du PIB mondial en 1960, ce chiffre est descendu à 26% en 2012, et encore moins (19%) pour le chiffre “à parité de pouvoir d’achat”. Pour autant, les pays du groupe BRICS apparaissent comme dispersés géographiquement et très différents. Ils n’ont jamais été alliés ni sur le plan économique ni sur le plan politique dans le passé. La Russie parait tirer sa force de ses ressources énergétiques, le Brésil devient le champion agricole de la planète, la Chine est déjà l’atelier du monde et elle est devenue le premier producteur mondial d’or. De plus les organisations politiques de ces pays sont assez différentes. Ces grandes différences économiques et politiques ne doivent cependant pas faire oublier les points communs qui existent: Des taux de croissance élevés, une dynamique d’industrialisation et un important marché intérieur non saturé. De plus, à l’exception de la Russie, ce sont des pays qui ont une réserve de main d’œuvre inemployée importante.

La progression du volume des échanges intra-BRICS montre bien à la fois la complémentarité des pays du groupe et leur croissance économique. Le volume de ces échanges intra-BRICS est passé de 15 milliards à 158 milliards de dollars entre 2000 et 2008, et pourrait atteindre 1.000 milliards de dollars en 2030.

Sur le plan intérieur, à l’exception de l’Afrique du Sud qui connait des difficultés,  on assiste dans les pays du groupe BRICS à une extension rapide de la classe moyenne. On estime aujourd’hui qu’en Russie 25% des habitants peuvent être comptabilisés comme appartenant à la classe moyenne soit 35 millions de personnes contre 20% au brésil (40 millions de personnes) ou 13% en Chine (160 million de personnes) et 5% en Inde (65 million de personnes). En Asie toujours, l’Indonésie ne compte plus ses projets d’infrastructures: routes, nouvel aéroport, et surtout chemin de fer bientôt construit par les chinois. Avec sa classe moyenne comptant désormais 30 millions de personnes (sur 240 millions d’habitants), l’Indonésie talonne les BRICS et s’est même payé le luxe d’un relèvement de sa note par les agences de notation. On devrait donc à ce titre très prochainement parler des BRIICS. Dans le domaine géopolitique, la puissance économique croissante des pays du groupe BRICS renforce leur influence, et favorise la naissance d’un monde multipolaire. Bien que ce groupe de pays ne forme aucune alliance militaire, des positions communes apparaissent, sur divers problèmes internationaux. Réunis en chine en avril 2011 les BRICS ont décidé par exemple de s’orienter vers des échanges bilatéraux sans passer par le dollar américain. On peut donc parler non seulement d’une interdépendance mais aussi d’une coordination entre émergents. Réunis à Moscou en novembre 2011, les vice-ministres des affaires étrangères du groupe BRICS se sont prononcés contre l’ingérence des forces étrangères dans les affaires internes des pays du Moyen-Orient. Une position semblable était apparue au moment de l’intervention franco-anglaise en Lybie. Pendant la dernière réunion du G20 en France à Cannes enfin, les pays BRICS se sont retrouvés en position de force, avec leurs réserves de change importantes, en position de demander aux pays de l’Union Européenne et aux USA un peu plus de rigueur budgétaire. Par ailleurs, le groupe BRICS exerce déjà des pressions pour que sa représentation dans diverses instances internationales comme le FMI, soit renforcée. L’idée que le patron du FMI ne soit plus forcément un européen est dans l’air. Du côté desinvestisseurs, ces marchés émergents suscitent toujours l’intérêt. Au terme d’une étude récente effectuée par Accenture, il apparaît que pour 80% des chefs d’entreprises, interrogés dans 85 pays, la priorité en matière de croissance repose sur les économies émergentes.

Enfin il est à noter que les BRICS sont tous éloignés, à des degrés divers, du modèle d’état nation homogène traditionnel tel qu’on le connaît en Europe de l’ouest par exemple. La Russie comprend plus de 100 peuples et nationalités, l’Afrique du sud a 11 langues officielles, la Chine reconnaît 56 nationalités différentes et l’Inde reconnaît 23 langues. La culture brésilienne, lusophone, parait plus homogène, mais la population provient de multiples immigrations, d’Europe, d’Afrique et du moyen orient. Enfin 3 des BRIC (Inde, Chine, Russie) ont une forte
composante musulmane de souche. Cet aspect pluriculturel et multiconfessionnel des BRICS ne parait pas gêner leur croissance économique.

Et si ce modèle partagé par les BRICS était le modèle d’avenir des nouveaux regroupements civilisationnels?

Rapports de force?

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Moscou et la Russie toute entière ont encore connu une grande journée de manifestations le samedi 4 février 2012. Il était intéressant d’observer ces manifestations et de les comparer aux manifestations de décembre 2011. Une première grande manifestation de l’opposition avait eu lien le 10 décembre 2011 sur la place Bolotnaya à Moscou, regroupant entre 35 et 45.000 personnes. Beaucoup de manifestants contestaient les résultats des dernières élections législatives, mais le meeting s’était rapidement transformé en un meeting anti-Poutine. Le succès de cette première manifestation a incité un certain nombre de personnalités de l’opposition politique, de leaders de mouvements et d’associations mais également de membres de la société civile (blogueurs, journalistes) à créer un mouvement protestataire de fond avec deux revendications principales: annuler les élections législatives et surtout exiger le départ du premier ministre et candidat à l’élection présidentielle, Vladimir Poutine. 

Dans cet élan, le 24 décembre, une seconde grande journée de contestation a été organisée à Moscou et dans toute la Russie afin de maintenir la pression et d’annoncer un grand mouvement de protestation durant le mois de février, destiné à faire vaciller le pouvoir de Russie Unie, et à forcer les autorités à tenir compte des revendications des manifestants. Cette seconde grande journée  de mobilisation n’aura été finalement un succès qu’à Moscou, car le 24 décembre, en province et même à Saint-Pétersbourg, la mobilisation aura été bien plus faible que le 10 décembre. Mais à Moscou, la manifestation qui a eu lieu sur l’avenue Sakharov a réuni sans doute près de 50.000 personnes, soit plus que lors de la manifestation du 10 décembre. Encouragés par ce succès Moscovite, les organisateurs prévoyaient déjà l’Armageddon pour la rentrée 2012. Ceux-ci avaient réservé les emplacements du 10 et du 24 décembre pour la manifestation du 04 février. Le charismatique blogueur nationaliste-libéral Alexey Navalny, une des figures de ce mouvement de contestation, avait annoncé la couleur en affirmant avant le rassemblement du 4 février 2012: “La prochaine fois, nous allons faire descendre un million de personnes dans les rues de Moscou”.

 

Pourtant la réalité des manifestations de samedi dernier a été toute autre, puisque ce sont moins de 260.000 manifestants qui ont choisi de politiser activement leur samedi 4 février dans le pays, à travers une centaine d’événements. Cette journée du 4 février semble bien marquer le début de la campagne électorale pour les présidentielles. Contrairement à certains grands titres de la presse Française, la province n’a pas manifesté contre Poutine mais plutôt pour Poutine

 

Faisons un tour d’horizon des rapports de force à travers le pays, pendant ces manifestations du 4 février:A Koursk, 5.000 personnes ont défilé pour Poutine contre 7.000 à Briansk 7et 3.000 a Novgorod. Dans ces trois ville l’opposition n’a pas pu rassembler plus d’une 50aine de  personnes. A Voronej, 12.000 manifestants ont soutenu le pouvoir, l’opposition a rassemblé 1.000 personnes. A Tambov, 500 pour et 300 contre. A Nijni-Novgorod, 1.000 personnes ont réclamé des élections honnêtes. Vers la Volga, à Oulianovsk 5.000 personnes ont soutenu le premier ministre, l’opposition à elle rassemblé prés de 300 personnes. A Penza, le meeting pro-Poutine a rassemblé 3.000 personnes contre 300 pour l’opposition. A Saransk, 7.000 pro-Poutine ont défilé. Dans le centre du pays, A Kazan seuls 300 militants de l’opposition ont défilé. A Oufa en Bachkirie, un meeting de soutien à Vladimir Poutine a attiré environ 5.500 personnes, contre 800 pour celui de l’opposition. Dans l’Oural, à Iekaterinbourg: les pro-Poutine ont initié le mouvement un peu plus tôt puisque le 28 janvier de 6 à 7.000 manifestants avaient manifesté leur soutien à Vladimir Poutine. Les opposants à Vladimir Poutine ont eux rassemblé ce samedi 4 février près de 3.000 personnes dans la même ville. A Tcheliabinsk, 4.000 personnes ont défilé en soutien du pouvoir, contre 800 pour l’opposition. A Kourgan, seuls 4.000 pro-Poutine ont défilé alors qu’à Perm l’opposition a rassemblé 2.000 manifestants.En Sibérie, à Novossibirsk, l’opposition a rassemblé 1.500 personnes contre 3.000 le 10 décembre. A Kemerovo le meeting de soutien au pouvoir a rassemblé 1.000 personnes contre 300 pour le meeting d’opposition. A Omsk environ 6.000 personnes ont participé à une manifestation de soutien à Vladimir Poutine, alors que l’opposition a mobilisé 2.000 personnes. A Irkoutsk, l’opposition a rassemblé entre 300 et 400 personnes. A Kyzyl ce sont prés de 1.500 personnes qui se sont rassemblées en soutien du premier ministre. A Krasnoïarsk, 4.000 militants pro- Poutine ont manifesté contre 700 pour l’opposition.Le sud s’est faiblement mobilisé, à Krasnodar, 500 personnes ont défilé pour des élections honnêtes, 800 à Samara, 300 à Saratov et 1.000 à Rostov. Rostov ou prés de 4.000 partisans pro Poutine ont également défilé. A Astrakhan 4.000 manifestants ont soutenu le premier ministre, et 150 l’opposition. Enfin dans le Caucase, seulement 500 personnes sont descendues dans la rue, le plus gros meeting étant celui de soutien au premier ministre en Karachevo-Cherkessie, qui a réuni près de 350 participants. En Extrême-Orient, 3.500 personnes ont défilé à Petropavlovsk Kamtchatka en soutien de Vladimir Poutine, l’opposition n’ayant réuni que 200 personnes. L’opposition a également réuni 300 personnes à Khabarovsk. 50 à Magadan et 200 à Vladivostok, alors que 600 supporters du premier ministre ont manifesté à Birobidjan. Enfin 1.500 personnes ont manifesté en soutien du premier ministre en république de Komi, et plus d’un millier à Narïan-Mar la capitale du district autonome Nénet. A Blagoveschensk, 1.000 manifestants ont apporté leur soutien à Vladimir Poutine, alors que l’opposition réunissait environ 150 personnes. Les meetings d’oppositions étaient du reste souvent organisés par le parti communiste, le parti libéral-démocrate de Vladimir Jirinovski ou le parti d’opposition libéral Iabloko.(Sources: Ridus, Kommersant, Ria-Novosti et Kommersant).

 

Mais la grande question concernait la nature et l’importance de la mobilisation à Moscou et Saint-Pétersbourg. A Saint-Pétersbourg, la manifestation d’opposition n’a réuni que 3.000 personnes contre 4.000 le 24 décembre dernier, et 10.000 le 10 décembre. A Moscou sur la place Bolotnaya, là ou la manifestation du 10 décembre avait eu lieu, ce sont 50 à 60.000 personnes qui se sont rassemblées, soit sensiblement le même nombre que le 10 décembre dernier, ce qui laisse penser que l’opposition contestataire a fait le plein dans la capitale. Sur l’avenue Sakharov, la seconde manifestation n’a attiré que 150 personnes, sur les  30.000 qui étaient attendues. Par contre un meeting de soutien à Vladimir Poutine a réuni plus de 100.000 personnes sur le mont de la victoire (voir photos ici et un film la à partir de 1:10). Cette manifestation se voulait une manifestation conservatrice, pour un pouvoir fort et sur le thème: “nous avons quelque chose à perdre”. Les différents orateurs et organisateurs du meeting (Serguey Kourganian, Maksim Shevshenko, Nikolaï Starikov, Tatyana Tarassova, Alexandre Douguine, Michael Leontiev…) ont insisté sur la nécessité pour la Russie de se préserver de la peste orange, tout en appelant à des élections honnêtes.
Quelles conclusions peut-on tirer de cette journée de manifestation?

 

1/ Tout d’abord que l’opposition contestataire qui défile depuis le 04 décembre ne peut plus désormais prétendre représenter la voix du peuple puisque de nombreux rassemblements populaires ont eu lieu dans de nombreuses villes du pays, en faveur d’un Vladimir Poutine qui vient tout juste de rentrer en campagne présidentielle.

 

2/ En l’espace d’une semaine, le front contestataire s’est totalement fissuré. Non seulement il n’a  plus le monopole de la rue, mais il est désormais évident que le pays réel s’est réveillé et va faire entendre sa voix. Les partis politiques sont mobilisés pour la campagne présidentielle.

 

3/ Le front d’opposition contestataire qui a rassemblé tant des mouvements libéraux, nationalistes, d’ultra-gauche, anarchistes, tiers-mondistes, monarchistes que des membres de la société civile n’a pas créé de mouvement unifié. Sans programme et sans candidat, ce  front né pendant les manifestations de décembre 2011 semble être amené a disparaître à très court terme, surtout lorsque certains des leaders politiques (notamment extrémistes de gauche) appellent publiquement a une révolution orange en Russie, ce que la très grande majorité des russes ne souhaite pas.

 

4/ Les manifestants anti-Poutine se seraient sans doute bien passés de l’encombrant soutien du terroriste Dokou Oumarov, qui a appelé a une trêve des attentats en Russie contre les civils russes, car ceux-ci manifestent contre Vladimir Poutine.

 

5/ La société civile russe tant décriée a montré sa capacité à se mobiliser et à défiler sans incidents. Pour autant, on est loin de la mobilisation incroyable qui a accompagné la ceinture de la vierge en décembre dernier, et qui a mobilisé 3 millions de russes à travers tout le pays.
6/ Mention spéciale a l’agence AP qui a réussi a comptabiliser 20.000 manifestants a la manifestation pro-Poutine, et enfin au Parisien qui illustre la manifestation d’opposition avec des photos de la manifestation pro-Poutine, ce qui a valu au journal une pleine page dans la presse russe 🙂

Travailler en Russie

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Dans les pays occidentaux, les jeunes diplômés ou non diplômés qui cherchent du travail se trouvent confrontés à des difficultés de plus en plus importantes. Dans la plupart des pays de l’OCDE, le chômage est à un niveau élevé et en augmentation, que l’on pense à la France, l’Irlande, l’Espagne ou la Grèce, sans oublier les USA… Dans la plupart de ces pays, on constate que l’immigration est de plus en plus contrôlée et de plus en plus difficile, ce qui montre l’inquiétude des gouvernements face à l’avenir, au chômage  et à la situation sociale. Dans tous ces pays, pour ceux qui veulent partir, le rêve d’aller chercher du travail dans un autre pays occidental (Amérique, Irlande, Angleterre) s’est lentement effrité et si le Canada et l’Australie restent des zones d’immigration économique, les conditions d’accession au marché du travail et à la résidence y sont de plus en plus difficiles. Ainsi, ceux qui souhaitent venir travailler en Russie sont de plus en plus nombreux.

En Russie, la situation est particulière. Le chômage baisse, la croissance économique se poursuit, et il y a un manque de main d’œuvre dans certains secteurs. Les autorités commencent à lutter sérieusement contre l’immigration clandestine, mais en même temps, elles cherchent à encourager l’immigration définitive, dans le cadre d’une planification démographique qui se met progressivement en place. De l’extérieur de la Russie, il est difficile de comprendre à quel point les flux de populations étrangères sont importants dans le pays.
J’ai déjà parlé dans une autre tribune du très grand nombre d’étrangers qui émigrent vers la Russie et ceux-là ne sont pas des émigrants fantômes. Selon les chiffres officielsdes contrôles aux frontières  pour l’année 2010, ce ne sont pas moins de 13.6 millions d’étrangers qui sont entrés sur le territoire de la fédération de Russie. 65%  de ces 13,6 millions d’étrangers étaient des hommes et 35% des femmes. Bien sur tous ces étrangers ne sont pas restés en Russie et 9,7 millions d’entre eux sont ressortis du pays. Le gros des étrangers entrants pour l’année  2010 venait d’Ukraine (21% des entrées soit 2.856.000 personnes), devant l’Ouzbékistan (14% des entrées soit 1.906.000 personnes), Kazakhstan (10% soit 1.306.000 personnes), le Tadjikistan (7% soit 952.000 personnes), l’Azerbaïdjan (6% soit 816.000 personnes) et la Moldavie (680.000 personnes). Ces six pays du monde postsoviétique ont totalisé à eux seuls près de 8,5 millions d’entrées. Au 31 décembre 2010, les services d’immigration estimaient qu’un peu plus de sept millions d’étrangers se trouvaient sur le territoire de la Russie, tout du moins légalement. Bien sur l’oblast de Moscou à lui seul a attiré près de 2,4 millions d’étrangers.

 

Il faut préciser qu’a ces immigrés légaux, s’ajoutent des immigrés illégaux, très nombreux si l’on en croit les dernières estimations synthétisées par mon collègue Hugo dans une de ses récentes tribunes: “En juillet 2010, Dimitri Medvedev affirmait que 4 millions de travailleurs se trouvaient en situation irrégulière en Russie. Des associations de défense des droits de l’homme évoquent cinq à sept millions de personnes, dont la majorité se trouverait dans la région de Moscou. Selon la police moscovite, la capitale compterait à elle seule 500.000 immigrés illégaux, principalement originaires d’Asie centrale et des républiques caucasiennes (hors fédération de Russie)”. Une grande partie de ces clandestins vient des pays d’Asie centrale (hors Kazakhstan qui fait partie de l’union eurasiatique) et ces migrants constituent le gros des troupes des gaustarbeiters, ce nouveau lumpenprolétariat. Par exemple, pas moins de 580.000 citoyens kirghizes, soit un dixième de la population de ce pays centre-asiatique, résideraient en Russie, dont une infime partie d’entre eux de façon légale. Pour cette raison sans doute, le pouvoir russe a récemment indiqué vouloir durcir les lois sur l’immigration clandestine et obliger les migrants légaux à passer des tests de langue, d’histoire et de droit russe, et ce afin de rationaliser les flux migratoires.

 

Mais les citoyens de l’espace postsoviétique ne sont pas les seuls à émigrer en Russie, les Européens de l’ouest sont également de plus en plus nombreux à choisir la destination russe. C’est l’Allemagne qui est en tête en Europe puisque pas moins de 482.000 Allemands sont entrés sur le territoire de la Fédération de Russie en 2010! Il ne s’agit pas de 482.000 immigrants bien sur, mais la bonne santé des relations économiques entre les deux pays encourage l’expatriation des Allemands.

 

Pour ceux qui viennent travailler en Russie pour le compte d’une multinationale, la voie est toute tracée. Mais pour ceux qui veulent tenter leur chance à titre individuel, c’est plus difficile: le cadre légal est compliqué, la situation parait confuse, les indices donnés sont opaques et l’expatriation reste angoissante. A première vue, la Russie n’a rien de rationnel. Il est difficile de se faire une idée du marché du travail russe.
En 2010 le salaire moyen en Russie se montait à environ 22.700 roubles nets (soit 570 euros), avec certaines disparités régionales comme on peut le constater ici. A titre de comparaison, le salaire mensuel net moyen se monte en Pologne à 610 euros, en Roumanie à 325 euros, en Bulgarie à 310 euros, en Chine à 300 euros, et en Ukraine et Biélorussie à 250 euros. L’objectif que la Russie a fixé est d’atteindre dans les 3 ans est un salaire moyen de 800 euros, 800 euros étant déjà aujourd’hui le salaire moyen à Saint-Pétersbourg.  Je précise qu’en Russie on parle de salaire moyen déclaré, quand encore souvent, une partie du salaire ne l’est pas. On parle aussi toujours de salaires nets, impôts et charges sociales déjà déduits, ce qui signifie que les valeurs réelles sont plus élevées que les chiffres donnés. Comme Saint-Pétersbourg, Moscou est sans doute la meilleure façon d’arriver sur le marché du travail, pour la simple raison que la région de Moscou représente 20% du PIB du pays, mais aussi parce que la plupart des grandes sociétés internationales y sont représentées. Par exemple, on dénombre en Russie près de 400 sociétés françaises et 4.000 sociétés allemandes qui ont presque toutes des représentations à Moscou.

 

Les fortes perspectives de croissance de l’économie russe pour les prochaines années et le dynamisme du marché intérieur font de la Russie une zone à très fort potentiel pour les sociétés européennes, surtout depuis que la crise a profondément grippé la croissance de la zone euro. Le salaire moyen à Moscou est de 43.000 roubles nets (1.040 euros) mais pour des jeunes spécialistes les salaires sont à des niveaux “européens” et le taux de chômage y est quasi nul, 1% par rapport à 6,3% pour le taux moyen en Russie. Quand aux possibilités de trouver du travail, la région de Moscou offre une situation idéale.

 

Si vous souhaitez tenter votre chance en tant que francophone en Russie, sachez qu’il y encore très peu de Français en Russie : environ 8000, dont 6.600 enregistrés de façon permanente. Les français sont principalement à Moscou, mais également dans la circonscription Nord-Ouest (400), dans le pôle industriel de Kalouga (120), dans la région de Rostov-Krasnodar (100 personnes) et enfin dans l’Oural principalement à Iekaterinbourg (40 personnes).
Enfin sachez que Monster n’est pas le site de recherche d’emploi principal en Russie, il vaut mieux consulter le célèbre site hh.ru! Vous pouvez vous y inscrire et tenter votre chance en mettant votre CV en ligne, face  aux dizaines de milliers d’offres d’emploi  qui s’y trouvent … Bonne chance en Russie!

Pour une opposition Made in Russia

L’article original a été publié sur Ria-Novosti
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Les élections présidentielles approchent, et la politique intérieure russe est un thème qui est revenu de façon assez récurrente au sein des analyses et tribunes récentes de RIA-Novosti. C’est aussi l’un des thèmes les plus discutés sur l’internet russe, surtout depuis décembre 2011. Récemment Maria Selina se demandait si une nouvelle vague d’émigration aurait lieu et elle en déduisait très adroitement que les manifestations de décembre 2011 pourraient théoriquement rassembler le cortège de ceux qui, rejetant le système politique russe, pourraient choisir de faire leurs bagages. Mes lecteurs le savent, j’ai couvert les manifestations de décembre et publié des photos et des textes qui ont donné lieu à des débats enflammés sur le sujet. Bien sur la position d’étranger qui commente la scène politique russe n’est pas très confortable, mais néanmoins un regard extérieur et comparatif a parfois son intérêt. 
 
Lors de discussions sur Facebook, Marina (une jeune franco-russe d’une 30aine d’années, trilingue, étudiante en MBA) a résumé les raisons pour lesquelles elle était descendue dans la rue pour protester contre le régime. Elle m’a écrit: ” la scène politique en Russie est bloquée car le parti de Poutine ne laisse pas de possibilités de développement à d’autres partis “. Marina souhaite “l’apparition de nouveaux partis, forts et jeunes et ne plus vivre avec un seul parti dominant comme Russie-Unie”. Elle dénonce aussi le “multipartisme de façade” qui règne en Russie car pour elle “les partis d’opposition sont des vieux partis dirigés par des esprits soviétiques, pour lesquels les gens votent sans conviction, seulement afin de ne pas voter pour Russie-Unie”.


 
Cette revendication m’a entrainé dans une foule de réflexions et je ne peux m’empêcher en tant qu’étranger de tenter une comparaison avec la France. Que constatons-nous en France ? Certes une alternance existe depuis quelques décennies entre deux courants, représentés par les deux partis dominants. Mais ces deux vieux partis de centre droit (UMP) et de centre gauche (PS) présentent ils réellement des différences idéologiques fondamentales face aux contraignantes exigences supranationales de Bruxelles? Est-ce qu’on peut rêver en France, comme Marina en Russie, de “l’apparition de nouveaux partis, forts et jeunes” ? Est-ce cela “une scène politique non bloquée”? Pouvoir voter non pour un mais pour deux partis qui ne savent pas gérer l’économie française, qui ont presque le même programme et les mains totalement liées par 30 ans de mauvaise gestion préalable, qui est de leur fait? Ont-ils la moindre marge de manœuvre face aux déficits abyssaux qu’ils ont créés ? En France, des partis considérés comme plus ou moins anti système comme le Front national ou le Parti de Gauche sont tenus à l’écart de la gouvernance par de subtils mécanismes politiques. Par conséquent les représentations à l’assemblée ne sont pas non plus totalement proportionnelles, ni justes. En France aussi on choisit au premier tour et on élimine au second, cela veut dire qu’au final on ne vote pas forcement pour un parti mais contre un parti. C’est ce qu’a écrit Marina pour la Russie : “Le vote pour certains partis est principalement un vote contre Russie-Unie”. Ce rêve d’une opposition digne de ce nom est intéressant. Le but d’une opposition est de porter une politique alternative à celle en vigueur. 


 
Une opposition nouvelle et crédible en Russie devrait d’abord être identifiable, surtout quand à la teneur de son projet pour le pays, démontrer une aptitude à exercer le pouvoir, s’imposer par des élections,  et pas seulement s’opposer au pouvoir via des déclarations et des manifestations de rues.  La difficulté de s’opposer constructivement à Vladimir Poutine, d’après Viktor Loupan, est que “ce dernier est à la fois de gauche, de droite, patriote, libéral, nationaliste et mondialiste. Pour s’opposer ne serait-ce qu’à une position centriste, il faut une solide culture politique et une plateforme idéologique inébranlable. Pour devenir une véritable force politique, il faut du temps et de la patience. (…) Regardez : Mitterrand commença à s’opposer à de Gaulle en 1958 et ne parvint au pouvoir qu’en 1981”. 


 
Je ne suis pas seul à penser que les hommes et femmes politiques doivent avant tout défendre les intérêts nationaux et les citoyens de leurs pays. Je n’ai pas non plus de partis qui me satisfassent dans mon pays, la France, mais pour autant je ne sais pas ce que je penserais (et ce que penseraient mes concitoyens) si des immixtions étrangères palpables étaient constatées dans le processus politique et électoral du pays comme c’est le cas en Russie. Comme le rappelait la journaliste du courrier de Russie Clémence Laroque, le nouveau visage de la diplomatie américaine en Russie s’appelle Mike MacFaul . Ce nouvel Ambassadeur a toujours affiché ses positions en faveur d’un rétablissement des relations russo-américaines après l’ère Bush, mais il est également “considéré comme un spécialiste des révolutions de couleur”. Doit-on voir un lien avec les manifestations de décembre dernier et celle de février prochain? Ou avec les accusations de financement d’opposants actifs (Nemtsov ou Navalny) par des ONGs  américaines? Ou plutôt un lien avec cette bien curieuse invitation des représentants de l’opposition russe à l’ambassade américaine de Moscou le 17 janvier dernier, soit seulement 3 jours après la nomination de cet ambassadeur en Russie? 


 
Peut-on imaginer par exemple en France le Front National être reçu par l’ambassadeur de Russie pour se plaindre de ne pas avoir de députés? Ou Jean-Luc Mélenchon (Parti de Gauche) être reçu par l’ambassadeur  de Chine après avoir organisé des manifestations à Paris? Que penseraient les citoyens et électeurs français? J’ai publié récemment une tribune à propos de ce projet “national-démocrate” qui cherche à rassembler les deux courants que sont le courant libéral et le courant nationaliste modéré, et qui pourrait avoir émergé des manifestations de décembre dernier. Pour l’analyste russe Dimitri Olchansky les manifestations ont en effet traduit l’opposition d’un pan minoritaire de la société (qualifié de “population européenne”) avec le pan majoritaire de la société (qualifié de “population archaïque”). Pour lui, cette opposition devrait entraîner l’émergence d’une idéologie nationaliste dominante, avec tous les risques que cela comprend. Pour lui Russie-Unie serait donc aujourd’hui une sorte de valve de sécurité, dont la tache principale serait de garder le pouvoir et de déverrouiller progressivement certains blocages psychologiques de la société russe, en accompagnant une subtile libéralisation du système. Ainsi, Dimitri Olchansky conclut:” plus longtemps Poutine conservera le pouvoir, plus on aura de chances de voir la société russe évoluer de façon paisible et harmonieuse. Les nationalistes finiront de toute façon par prendre le pouvoir, c’est inévitable. Mais plus tard ce jour arrivera, plus ils seront civilisés”. 


 
Pour ceux qui rêvent de la disparition du pouvoir de Russie-Unie, la seule solution crédible serait sans doute l’apparition d’une opposition non déstabilisante pour le pays, bien sur compétente, mais et surtout “Made in Russia”. Certainement pas une opposition issue du passé ni une opposition financée par l’étranger. Mais une telle opposition peut elle éclore à quelques semaines des élections présidentielles?  La scène politique russe est plus passionnante que jamais.


Russie: l’idéologie nationale-démocrate devient manifeste

L’article original a été publié sur RIA-Novosti

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Des lecteurs français se sont étonnés de voir, sur les photos des manifestations de décembre 2011, à Moscou, à la fois des mouvements dits nationalistes, et des sympathisants de mouvements dits libéraux, puisque par essence ces idéologies sont théoriquement totalement opposées sur la scène politique. Plusieurs m’ont demandé ce que représente l’opposition anti Poutine qui a manifesté. Cette question est fondamentale, si on veut comprendre les évolutions politiques qui se dessinent dans la Russie d’aujourd’hui. La recomposition de la scène politique russe et le multipartisme existant au sein de la démocratie dirigée russe, font de la fédération un alien parmi les systèmes politiques européens.
A la fin de l’année 1999, le président Eltsine démissionne et s’efface au profit de son nouveau premier ministre Vladimir Poutine. Son ascension sera organisée par les oligarques d’Eltsine, et en septembre 1999, un nouveau parti centriste à été créé, le parti “Unité”. Ce parti était destiné à permettre l’accession de Vladimir Poutine au pouvoir. Unité fait face, à l’époque, à 15 autres structures dont principalement le Parti Communiste, le “Parti Libéral Démocrate” (étatiste-nationaliste), et le parti “Notre patrie-la Russie” dirigé par le puissant maire de Moscou Iouri Louzkov et par Evgueny Primakov. Aux législatives de 1999, Unité obtient 23.32% des voix, contre 24,29% pour le parti communiste et 13,39% pour le bloc de Louzkov et Primakov. L’opposition libérale (Iabloko et l’union des forces de droite) obtient près de 14%. La présidentielle de mars 2000 voit la victoire de Vladimir Poutine, qui jouit du soutien des leaders du bloc “Notre patrie la Russie”. En avril 2001, “Unité” et “Notre patrie la Russie” fusionnent pour créer un seul parti: Russie-Unie. Durant les 8 ans qui ont suivi sa création, le parti Russie Unie ne s’est pas défini une idéologie ou une orientation politique spécifique. Pendant cette période, Russie Unie s’est considéré comme le parti de  la reconstruction et de la restauration de l’état. Ce n’est qu’en 2009 lors du 11ème congrès du parti que la ligne idéologique du parti a été définie, à savoir le conservatisme russe. Cette ligne idéologique a été adoptée par les trois clubs ou courants qui composent Russie unie: le courant Social-conservateur, le courant Libéral-conservateur et le courant Étatique-patriotique.  On peut donc qualifier Russie-Unie de parti centriste et conservateur. Russie-unie est le parti de gouvernance principal en Russie et son poids électoral est devenu le plus important. Autour de Russie Unie qui gouverne, l’échiquier politique ne s’est pas organisé de manière linéaire, de l’extrême gauche à l’extrême droite, comme par exemple en France, mais plutôt en cercles concentriques.

Au centre, le cercle Russie Unie avec ses courants internes. Autour, un “premier cercle” est constitué de partis qui pratiquent l’opposition non systématique et qui ont une solide assise électorale en Russie. Le parti communiste qui est comme son nom l’indique un parti de gauche, étatiste et nostalgique de l’Union Soviétique. Plus à droite de l’échiquier politique, le Parti Libéral-Démocrate est un parti nationaliste, étatiste et qui défend un patriotisme plus ethnique, panrusse. Enfin récemment un parti étatiste et patriote de gauche, Russie-Juste, a fait son apparition. Il est une sorte de pendant de centre gauche de Russie-Unie. Ces partis ont un point commun: ils défendent une forme de patriotisme fédéral, post-impérial et non ethnique, un patriotisme pan-Russien. Le parti communiste et Russie Juste ont beaucoup progressé aux dernières législatives, au détriment de Russie Unie. Bien que faisant partie de l’opposition, ils forment avec Russie Unie une sorte de cercle global de gouvernance. 

Enfin un “cercle extérieur” d’opposition existe, qui rassemble une série de partis qui comprend à la fois des partis radicaux extrémistes, tout comme des partis libéraux. Certains ont parfois été présents aux échéances électorales des 15 dernières années. Ce cercle extérieur comprend aussi des mouvements non organisés en partis politiques. C’est précisément ce troisième cercle hétéroclite qui s’est exprimé politiquement dans la rue en décembre dernier. C’est ainsi qu’on a pu voir dans le rassemblement du 4 décembre 2011 à la fois les partis libéraux, l’extrême droite, ainsi que divers mouvements de la société civile, d’orientations plutôt libérale. Les manifestations de décembre dernier ont été cela dit coordonnées par des partis libéraux  d’opposition dont le poids électoral est passé de 14% aux élections législatives de 1999, à 4% en 2003, 1,56% en 2006 et 3,43% en 2011. Ces partis ont en général une vision ouest-orientée (pro-occidentaux). Des mouvements radicaux extrémistes de droite, et dans une moindre mesure de gauche ont aussi joué un rôle important, via le front de gauche ou les radicaux de l’ex DPNI, un mouvement d’extrême droite aujourd’hui interdit. 


Le charismatique blogueur Navalny est une fusion intéressante de ces différents courants. Ancien militant d’Iabloko (parti d’opposition libéral) cela fait plusieurs années qu’il tente de bâtir des ponts entre libéraux et nationalistes puisqu’en tant que membre d’Iabloko il avait rédigé un manifeste nationaliste et s’était défini comme un “nationaliste-démocrate”. Cette idéologie nationale-démocrate concerne donc l’opposition libérale mais également une frange nationaliste, créant ainsi une sorte de coalition Orange-brune. Un parti Nazdem (National-démocrate) a même fait son apparition fin 2010, prônant notamment la coopération avec l’OTAN ou encore la sécession du Caucase. Le point commun de ces mouvements? Leur grande proximité avec l’étranger, Navalny tout comme l’opposition libérale ayant été régulièrement accusés d’être financés de l’extérieur, notamment  par le département d’état américain. Des preuves ont récemment mis en évidence la réalité de ces accusations.  Pour autant cette idéologie “nationale-démocrate” n’est pas nouvelle. En 2005 déjà l’analyste Dimitri Kondrachov affirmait déjà qu’à la suite du renforcement de l’influence américaine et de l’idéologie de droite dans la politique de l’UE, la doctrine Brezinski (affirmant que la Russie doit être “refoulée à la périphérie est de l’Eurasie”) allait trouver des soutiens en Europe de l’ouest. En effet les pays de la vieille europe comme la France et l’Allemagne (jugés trop favorables à a la Russie), devaient désormais être refoulés a la périphérie ouest de l’Eurasie”, dans  l’arrière-cour de la nouvelle Europe, régie par ”l’idéologie nationale-démocrate”. 


Peut-on parler d’émergence d’un courant politique national-démocrate d’opposition comme résultat principal des évènements politiques de décembre dernier?
La question reste posée.