Divine Carélie
“Alexandre, tu passes le Nouvel an avec nous?”, m’ont demandé mes proches amis dans le courant du mois de décembre. J’avais une autre idée: passer les fêtes dans le Nord, à Petrozavodsk, capitale de la Carélie.
C’est à 1.000 kilomètres de Moscou, en direction de la mer Blanche, l’endroit où je passe le plus de temps, en dehors de la capitale. On y croise encore peu de touristes francophones et pourtant cette destination mérite le voyage pour ceux qui recherchent le dépaysement et des impressions nouvelles.
La République de Carélie, grande comme 1/3 de la France métropolitaine, n’est peuplée que de 680.000 habitants. Elle représente l’exemple de l’unité la plus décentralisée possible au sein de la fédération de Russie puisqu’elle a le statut de république, comme la Tchétchénie ou le Tatarstan. Les républiques russes sont des entités très autonomes, ayant leurs constitutions, leurs présidents et même parfois leurs langues officielles. Mais contrairement aux autres républiques russes, toutes fondées sur des peuples minoritaires ayant un territoire et des spécificités tant culturelles que religieuses ou linguistiques, en Carélie c’est le peuple indigène qui y est minoritaire. Les Caréliens ethniques représentent en effet moins de 10% de la population, les Russes ethniques plus de 76% et les Ukrainiens et Biélorusses 8%. La décentralisation y est donc uniquement politique, institutionnelle et non basée sur des principes ethno-religieux. Cette particularité donne à la République de Carélie une personnalité assez unique en Russie. La population de Carélie est donc très majoritairement slave orthodoxe, mais il y a aussi de nombreux Finlandais qui représentent près de 2% de la population de la République. A Petrozavodsk, on a l’habitude de dire que l’influence finlandaise est présente dans la gastronomie, dans le calme et dans le civisme des Caréliens, notamment au volant de leur voiture ou encore dans leur attachement parfois excessif à la propreté et à la nature.
Petrozavodsk, la capitale de la République, avec moins de 268.000 habitants fût construite par Pierre le Grand en 1703, lors de la grande guerre du Nord qui opposa la Russie à une coalition germano-scandinave. La ville était à l’origine bâtie autour d’une usine qui fabriquait des canons. Maintenant, elle est tournée vers son lac, le lac Onega, l’un des deux plus grands d’Europe avec son cousin, le lac Ladoga. Cette immensité d’eau calme est difficile à imaginer, on pourrait y plonger toute la Corse et il resterait de la place. L’été, des bateaux de croisière énormes s’arrêtent à Petrozavodsk. Ils vont de Saint-Pétersbourg à Moscou en traversant les lacs et en suivant le réseau de canaux gigantesque créé à l’époque soviétique. Dans la ville, le bord du lac est une promenade dans la verdure l’été et une piste de ski de fond l’hiver. En ville on trouve des bâtiments de style stalinien, mais aussi des hôtels de qualité, des centres commerciaux et un nouveau complexe hospitalier ultramoderne. Dans le centre, le réseau Wifi est accessible quasiment partout. Dans les restaurants on peut déguster une cuisine typiquement carélienne, délicieuse, composée notamment de poissons grillés et salés ou de viande de renne, d’élan ou d’ours, accompagnée de sauces aux baies de Carélie.
La République de Carélie avec ses 60.000 lacs, ses 27.000 rivières et son territoire recouvert à 85 % par la forêt donne l’impression d’être entièrement verte et bleue. Sur cette terre d’eau et de verdure, ce qui frappe le visiteur c’est avant tout le calme, la sérénité et l’absence d’agitation qui y règnent. La Carélie est une riviera du nord, sans frasques, sans touristes bruyants, sans excès, une immense réserve d’air pur avec une nature préservée. Il faut rouler et sortir de la ville pour arriver à de petits villages composés de maisons et d’églises bariolés de couleurs vives, villages régulièrement visités par des ours, loups et lynx. Les pêcheurs du coin ne s’y trompent pas, ils emportent une carabine quand ils vont à la pêche aux truites saumonées.
L’hiver c’est une tout autre affaire, l’hiver carélien est réellement froid car venté et très humide. C’est un froid glacial, blanc, immaculé, polaire. La moto neige remplace le 4×4, les lacs sont gelés et dans le port de Petrozavodsk les bateaux de transport de bois sont figés dans la glace. Cette glace pourtant n’arrête pas les pêcheurs, qui bravent le froid et la neige au profit de leur activité préférée. Dans le centre-ville de Petrozavodsk les habitants sont toujours aussi calmes et chaleureux, bien qu’emmitouflés dans des combinaisons de ski en polaire, pour se protéger.
Le patriarche de toutes les Russies Alexeï II avait dit avant sa mort que le nord de la Russie était son cœur spirituel. On comprend mieux cette phrase après être allé en bateau, sur le lac Onega, de Petrozavodsk à l’île de Kiji. Cette traversée révèle toute la majesté de la nature en Carélie. En été seulement, le bateau de type Comèta file à 30 nœuds et il faut presque une heure et demie pour atteindre l’île. L’apparition des bulbes des églises, à l’horizon, au milieu d’une nature qui semble sans fin est simplement indescriptible. L’île de Kiji, ce chef-d’œuvre de l’art religieux, est connue pour ses deux églises entièrement en bois, assemblées sans clous, vis ni aucune pièce métallique. Cet ensemble paroissial est inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO. Le visiteur francophone sera agréablement surpris de pouvoir entendre le prêtre orthodoxe de l’île, le père Nicolas, s’exprimer dans un français parfait.
Si je devais conseiller où aller à un étranger qui visite la Russie pour la première fois, je lui conseillerais la Carélie. L’influence finlandaise procure un aspect très européen à cette république pourtant si russe, mais qui a su préserver son identité régionale. Le renouveau récent de cette identité régionale, qui n’entre absolument pas en conflit avec l’identité fédérale russe est sans doute un modèle pour l’Union Européenne au sein de laquelle l’agencement des relations entre régions, euro-régions, Etats et institutions européennes sont souvent délicates.