Pourquoi Vladimir Poutine?

L’article original a ete publié sur le site de RIA-Novosti
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Récemment ma mère a croisé une de ses amies dans le rayon fromage du supermarché de la capitale dans laquelle elles résident toutes les deux.   Cette amie est une française d’environ soixante ans, catholique et d’un bon niveau social. Elle a beaucoup voyagé, surtout en Europe et c’est une personne plutôt ouverte d’esprit. Celle-ci donc, croisant ma mère, lui demanda la chose suivante: “ce n’est pas trop dur pour ton fils en Russie avec Poutine”?

 
L’homme vient justement de fêter ses 60 ans dimanche dernier. Soixante ans c’est seulement deux ans de plus que François Hollande ou François Fillon, et 3 ans de plus que Nicolas Sarkozy. Pour un homme politique européen c’est convenable. Pourtant Vladimir Poutine a déjà derrière lui une carrière politique impressionnante: deux mandats de président et un de premier ministre, soit déjà 12 ans à la tête du plus vaste pays du monde, désormais sixième économie de la planète.


Son anniversaire est passé relativement inaperçu en Russie, mais asuscité nombre de commentaires venimeux dans la presse française, qui apar exemple qualifié son anniversaire de célébration à la nord Coréenne, au seul motif que des mouvements de jeunesse russe auraient célébré  l’évènement en lui offrant une vidéo et en organisant ici ou là quelques démonstrations de soutien. Diantre!Il est vrai que l’homme ne laisse pas indifférent, en Russie commeailleurs. Mais n’en déplaise à certains commentateurs et/ou journalistes étrangers, Vladimir Poutine a fêté son anniversaire avec sobriété, en famille, et par ailleurs sa côte de popularité reste très élevée en  Russie. Pour «l’indice de confiance du peuple russe», il reste  clairement le numéro un parmi tous les hommes politiques du pays. Après  12 ans à la tête de l’état, malgré l’usure politique naturelle et inévitable, malgré deux guerres et une crise financière, malgré surtout une incroyable pression géopolitique, politique et médiatique, VladimirPoutine est toujours là et semble plus solide que jamais. Après avoir été élu pour la troisième fois à la présidence du pays avec 63% des voix au premier tour, il bénéficie toujours d’une popularité supérieure à celle de tout homme politique européen même au lendemain de sonélection. Un sondage confirmait récemment que sa côte de popularitérestait stable autour de 50% alors qu’une femme russe sur cinq se dit même prête à l’épouser.

 
De toute évidence, le soutien dont il dispose au sein de la population russe est inversement proportionnel à la gêne qu’il suscite et à l’incompréhension à laquelle il fait face en Occident. Souvent, ses manières brusques et son franc parlé populaire lui sont reprochés, et force est de constater que le style Poutine est à 1.000 lieues de celui des énarques français par exemple, tout autant que de celui des fonctionnaires de la commission européenne. Jamais le patron de la Russie ne s’est en effet encombré de phrases incompréhensibles ou d’un style trop formel. Il est sportif et le montre, comme par exemple Jorg Haider à son époque, et tout comme les présidents Américains, il n’hésite pas à monter à bord d’un avion de chasse. Jamais enfin le président russe n’hésite à se montrer tel qu’il est, torse nu et biceps saillants, que ce soit au fin fond de la nature russe ou encore en sportswear lors d’une fête de jeunes militants de groupes de jeunesses  patriotiques. Bien sur cette communication est organisée à la perfection, mais elle semble bien coller au personnage: Vladimir Poutine est fondamentalement un homme de terrain, ce que ne sont plus les dirigeants de l’Union Européenne, qu’il s’agisse des politiques ou des  hauts fonctionnaires.
 
Récemment, une de mes amies, une jeune femme Turque qui réside en Russie depuis longtemps, me disait la même chose d’Erdogan, qu’elle remerciait en quelque sorte d’avoir redonné de la fierté et de la dignité aux Turcs. “Nous ne sommes plus à genoux à supplier pour devenir ce que nous ne somme pas… Notre avenir est en orient” me disait-elle. Je ne peux m’empêcher de comparer cette réflexion avec le tropisme “Est” qui gravite depuis longtemps dans les pensées des élites russes. Un tropisme économique certes, mais également sans doute et de plus en plus fondamentalement civilisationnel, accentué par la crise systémique de l’occident. Cette similitude d’orientation entre les deux pays s’accompagne d’ailleurs d’une similitude de style de gouvernance mais aussi de principe. Vladimir Poutine, comme du reste les dirigeants des BRICS, de la Turquie ou du Venezuela placent la souveraineté (politique et économique) comme la clef de voute de leur “gouvernance”. Pour quelles raisons?
 
Un analyste français, Xavier Guilhou (par ailleurs spécialiste de la Syrie) a mis le doigt au cours d’une émission radio sur ces différences  fondamentales entre Vladimir Poutine ou Recep Erdogan et la majorité des dirigeants européens: les premiers sont en quelque sorte pour lui des combattants et des guerriers, les seconds absolument pas. Bien sur on peut se dire que cela n’a aucune importance et que des leaders politiques transparents, hauts fonctionnaires, vont pouvoir tranquillement faire face aux enjeux incroyables des prochaines années, mais on peut aussi sincèrement en douter. Regardons les choses en face: le printemps arabe laisse place à un hiver Salafiste, la Russie voit fatalement son flanc sud devenir plus instable, que ce soit dans le Caucase ou en Asie centrale, et cette instabilité devrait s’accentuer avec le départ prochain des troupes occidentales d’Afghanistan. Avec la crise financière en surplus je crois qu’il y a des raisons de comprendre l’inquiétude des élites russes. Cette prévisible instabilité explique peut être, et sans doute, le retour de Vladimir Poutine pour ce mandat présidentiel, en lieu et place de Dimitri Medvedev.
 
Si j’avais été avec ma chère mère dans le rayon fromage français de se supermarché, je pense que c’est en gros ce que j’aurais répondu a cette amie “éclairée”. Je lui aurais dit qu’on peut être plutôt content qu’un capitaine aguerri tienne le gouvernail Russe car s’il faut de la force et de l’autorité pour diriger cette machine chaotique qu’est la Russie, il faut aussi beaucoup d’énergie pour maintenir harmonie et cohésion au sein des russiens. Mais surtout, on peut légitimement penser qu’un “combattant” soit plus apte à diriger un pays, lorsque celui-ci fait face a des défis historiques, ce qui dans les prochaines années devrait être le cas non seulement de la Russie, mais également de la majorité des pays du continent.

6 thoughts on “Pourquoi Vladimir Poutine?

  1. Anonymous

    En effet, la vision de la Russie est en France est toujours aussi caricaturale, vous avez raison.

    Par contre sur l’orientation eurasiatique de la Russie et ses perspectives je suis de plus en plus sceptique. En effet:

    – la Russie a 80% de sa population à l’Ouest, et la plupart de ses échanges économiques avec l’UE. La Chine est son premier client mais l’UE et de très loin son premier fournisseur, surtout en matière énergétique.

    – à court terme (5 ans) ça ne peut pas changer faute d’infrastructures nécessaires pour exporter gaz et pétrole des lieux d’extraction (pour l’instant en plus tous plus proches de l’Europe) vers l’Asie du SE. Des progrès sont ponctuels vers le Japon ou la Corée, mais je ne vois pas une grande alliance énergétique se faire avec la Chine vu les nombreuses ambiguïtés de la relation russo-chinoise.

    – à moyen terme (10 ans) il sera trop tard, ce mouvement d’arrimage de la Russie à l’Europe occidentale sera sans doute devenu irrémédiable, surtout vu la dynamique démographique russe (hausse en Russie d’Europe, baisse en Russie d’Asie). Les Russes peuvent bien se prétendre “Asiates et Scytes aux yeux bridés” comme disait le poète Blok, ils sont bien de culture européenne ( langue indo-européenne, religion chrétienne, Europe et Occident principal adversaire, allié et champ de bataille depuis Ivan le Terrible). Dire que la Russie est un pays asiatique est une illusion d’optique géographique, j’exagère mais à peine.

    – une ostpolitik russe visant à développer l’Est du pays pourrait-elle changer la donne? Elle aurait sûrement des effets positifs pour l’Asie et la Sibérie, mais pas pour la classe d’entrepreneurs née dans les années 1990 et arrivée à la prosPérité dans les années 2000à St-Pétersbourg, Kazan, Nijni Novgorod, mais aussi dans les villes plus petites style Voronej, Koursk ou Novgorod, qui aura du mal à être compétitive face aux produits asiatiques vu le handicap de la distance.

    – on a en plus du mal à voir des progrès concrets de l’intégration tant de l’Asie centrale que de façade asiatique de la zone Asie-Pacifique (le sommet de l’APEC de Vladivostok a été pour certains comme Inozemtsev dans Ogonyok de rappeler le poids économique de la Russie dans la zone), à la seule exception de l’Union douanière, qui ne concerne que le seul Kazakhstan, pays très spécifique dans la région, et dont on oublie trop souvent de dire qu’elle concerne aussi la Biélorussie, à l’Ouest de la Russie donc.

    Je constate sur ce point un décalage entre le discours et la réalité. je connais moins la Turquie mais j’observe que les Turcs émigrent en Europe, y font l’essentiel de leurs affaires (ils négocient même leur entrée à l’UE!) et qu’ils achètent leur gaz à la Russie, européenne aussi si l’on partage les constats faits plus hauts.

    Didier

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  2. Alexandre LATSA

    Bonjour DIDIER, merci de votre commentaire.

    Attention l’UE est fournisseur et client (en énergie).

    La Turquie a 5% de sa pop en Europe et prétend la rejoindre, donc le fait que 80% de la pop de Russie soit dans sa partie européenne ne pose pas de problèmes en soi, la Russie de l’ouest n’est pas plus ou moins russe, pas plus ou moins eurasiatique que la pop. de Sibérie. Le Caucase et la Kalmoukie sont bien dans la partie européenne de la Russie…

    La Russie est définitivement un pays européen (ce que j’écris depuis 2008) mais cela ne signifie pas que son avenir en tant que pays européen soit dans l’UE.. De la même façon pour nombre de nations européennes du reste a mon avis, mais c’est un autre débat.
    Idem pour la Turquie qui ne souhaitent du reste plus (ou de moins en moins)a adhérer a l’UE.

    Je note que si on regarde la situation aujourd’hui, elle peut etre différente demain, si les pôles de croissance économiques sont en Asie, il est évident que la Russie pourrait bien plus facilement se tourner vers l’Asie et pourquoi pas agrandir l’union eurasiatique a des nations tant européennes qu’asiatiques.

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  3. Anonymous

    Client et fournisseur pour l’UE, oui.

    Oui bien sûr, c’est une possibilité et je n’ai pas dit que la Russie ne devait pas s’intéresser au développement de la Sibérie ou au renforcement de ses relations avec l’Asie centrale ou l’Asie du SE.

    L’adhésion à l’UE n’est pas non plus indispensable pour développer les relations Russie/UE, fondées sur un accord aujourd’hui à l’évidence obsolète puisque datant de 97. C’est ce à quoi le MID et la Commission européenne doivent travailler, j’imagine.

    Mais le fait est que la réorientation de la Russie vers l’Asie, si elle doit se faire, prendra vingt ans, et sera forcément limitée: peupler et industrialiser la Sibérie coûtera bien plus cher que développer la Russie centrale. Ca se fera sur la longue durée, et ce ne sera donc pas le produit d’une stratégie politique mais d’une évolution historique sur trente ou quarante ans. Que Dieu nous prête vie pour que nous puissions être témoins de changements que j’espère positifs!

    Sur le pantouranisme du peu que j’en sais les Turcs en sont un peu revenus, même si évidemment les parentés linguistiques et culturelles (encore qu’elles doivent être pas mal cachées par les strates historiques des uns et des autres, qui ne coïncident pas!) facilitent l’expansion économique et culturelle turque, la région est encore loin d’être leur chasse gardée, 20 ans après la fin de l’URSS.

    Didier

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  4. Abdel

    Bonjour Monsieur Latsa,
    Je découvre votre blog et je vais le mettre en marque page .
    Vous vivez en Russie et votre témoignage est débarrassé de la propagande anti-russe.
    Le site DeDefensa parle « d agression douce » contre la Russie :
    http://www.dedefensa.org/article-de_la_russie_l_urss_et_retour_27_08_2012.html
    http://www.dedefensa.org/article-qu_est-ce_que_l_allemagne_va_faire_de_son_pussy_riot__25_08_2012.html
    Le site DeDefensa vous cite au sujet de la demographie russe :
    http://www.dedefensa.org/article-la_situation_d_mographique_de_la_russie_sortie_de_crise_01_09_2012.html
    L´auteur du site pense que la Russie est un pays « structurant » tandis que les pays du Golfe et le BAO (bloc americano-occidentale ) est « déstructurant » : non-respect des souverainetés, créateurs de désordre .
    La politique etrangere de la Russie fait qu´elle devient un acteur majeur aux Moyen-Orient :
    http://www.dedefensa.org/article-l_encercleur_encercl__20_10_2012.html
    Meme l Irak negocie plus de 4 milliards de dollars d armement avec la Russie !
    http://www.dedefensa.org/article-russie-irak_armements_et_acc_l_ration_de_l_histoire_12_10_2012.html
    Sinon, au sujet de Poutine, une vidéo est célèbre en France. On voit Poutine sermonnait des propriétaires d usines (dont Oleg Deripaska) qui souhaite fermer une usine. Les internautes le comparent à la réaction de nos politiciens face aux fermetures d’usines :
    http://www.youtube.com/watch?v=14JH5-Tia5k&feature=player_embedded

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  5. jb

    Bonjour Alexandre, ce lien à l’attention de l’amie de votre mère vers une émission plutôt objective sur la Russie, ce qui est rarissime dans les médias français comme vous le savez. Cette radio n’a malheureusement qu’une écoute confidentielle parce que libre et non-subventionnée. Cela explique que l’amie de votre mère subit, comme l’écrasante majorité des français, une information des médias français subventionnés (tv/radio/papier) qui eux colportent la propagande étasunienne donc anti-russe à longueur d’année. Cdlt, jb.

    http://www.radiocourtoisie.fr/6779/libre-journal-dyves-marie-laulan-du-24-octobre-2012-la-russie-aujourdhui/

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