Tripoli-Damas…Paris?

L’article original a été publié sur Ria-Novosti
*
Il y a tout juste un an, seulement 48 heures avant le début des bombardements en Libye, j’écrivais un article intitulé “les enjeux de la bataille pour Tripoli”.
En substance le texte soulevait la question des motivations de
l’offensive occidentale en Libye mais aussi de ses conséquences
potentielles, tant pour le pays que pour la stabilité dans la région.
L’article citait le spécialiste en géop
olitique Evgueny Satanovski qui
conseillait à la Russie de ne surtout pas s’ingérer dans les affaires
intérieures de la Lybie, mais plutôt de consacrer tant ses ressources
que son énergie au développement de la Russie. Il semblerait que
celui-ci ait été entendu par le président Medvedev, qui ouvrit sans
doute involontairement la porte à l’intervention militaire occidentale
en Libye. On sait ce qu’il advint, après 7 mois de bombardements, le
régime de Mouammar Kadhafi détruit et ce dernier assassiné, après avoir
été capturé par le Conseil National Libyen, la structure de coalition de
ses opposants. Un an plus tard, on est loin des rêves de démocratie de
la coalition occidentale.

La situation en Libye n’est pas apaisée, loin
de là, et le renversement du régime libyen par cette méthode a
probablement créé plus de problèmes qu’il n’en a résolus. La Libye
devrait voir la Charia devenir sa loi fondamentale et l’Est du pays est
en état de quasi sécession. Les grandes villes sont toujours le théâtre
d’affrontements sporadiques entre partisans de l’ancien régime, et
diverses milices du nouveau pouvoir. Les vidéos répugnantes de
travailleurs « noirs » (libyens ou étrangers originaires d’Afrique) martyrisés ont en outre fait le tour de la planète.

Le temps passe, et la rhétorique de la libération et de la
démocratisation continue. Aujourd’hui c’est la Syrie qui est sous le feu
médiatique occidental, alors que chacun se demande si une intervention
militaire occidentale n’est pas de plus en plus probable, sur le modèle
libyen. Pourtant il y a, au nom de la démocratie, quelque chose
d’extraordinairement subversif et pervers dans ce qui se passe
actuellement et que certains qualifient encore de Printemps Arabe.
Jusqu’à maintenant, l’onde de choc qui frappe les pays arabes et aboutit
à des renversements de pouvoir prend deux formes bien différentes.
La première variante se manifeste sans trop de violences meurtrières,
et prend la forme de rassemblements et de soulèvements populaires comme
cela fut le cas en Tunisie ou en Égypte. Très logiquement, les
échéances électorales qui ont découlé de ces manifestations ont vu la
prise de pouvoir des partis religieux, les peuples montrant ainsi
clairement qu’ils ont plus confiance dans leur clergé que dans des
hommes politiques corrompus et autoritaires. Quel est donc l’intérêt des
occidentaux (s’il y en a un) à provoquer la mise en place de régimes
islamistes?
La seconde variante de ces soulèvements est moins pacifique, les
opposants au régime choisissant la lutte armée, avec le soutien (moral,
médiatique et logistique) des occidentaux. Le fait que les rebelles
syriens soient infiltrés par des combattants islamistes radicaux
salafistes, voire proches d’Al-Qaïda comme ceux qui ont combattu en
Libye est passé sous silence. Le fait que des armes soient livrées par
divers canaux à ces mêmes combattants radicaux, avec les risques
évidents engendrés, ne fait curieusement pas la une du
mainstream-médiatique occidental.
Il y a un autre aspect important de ces événements dans le monde
arabe qui est occulté. Les états concernés (visés?) par ces
renversements de pouvoir sont maintenant des états non alignés du monde
musulman chiite. Qu’est ce que cela veut dire? Les démocraties
occidentales font bloc avec la “ligue arabe” (sous contrôle de l’Arabie
Saoudite et du Qatar, les deux seuls états wahhabites) contre des états
comme la Syrie ou l’Iran. Ce faisant, les états occidentaux contribuent
directement à l’extension de l’islamisme le plus radical et ils
encouragent par ailleurs (peut être volontairement ?), un conflit inter
religieux entre musulmans Sunnites et Chiites, conflit qui se développe
lentement. Très curieusement lorsque des manifestations de civils
Chiites ont eu lieu, par exemple à Bahreïn, et ont été violemment
réprimées avec l’aide de l’armée saoudienne, cela n’a pas entrainé de
protestations en occident. On ne peut qu’être surpris par un tel système
à deux poids et deux mesures.
Lorsque la guerre contre l’Islamisme radical et contre Al-Qaïda a été
déclenchée en 2001, des opérations militaires de grande envergure ont
été lancées en Afghanistan et en Irak. Les Talibans ont été
provisoirement chassés du pouvoir (ils y reviennent peu à peu) et l’Irak
est devenu l’épicentre du conflit Sunnite-Chiite alors même qu’aucune
arme de destruction massive n’a été découverte dans ce pays. Le 11
septembre 2001, ce ne sont pourtant pas des iraniens, des syriens ou des
libyens qui ont contribué à tuer 3.000 citoyens américains. Sur les 19
terroristes impliqués, 15 étaient saoudiens et 2 émiratis. Je parlais
plus haut de l’Arabie Saoudite et du Qatar, et si les liens entre ces
deux pays et les États-Unis sont bien connus de tous, ceux de la France
avec l’Arabie Saoudite le sont moins, l’hexagone étant pourtant le principal fournisseur
européen d’armes du royaume Saoudien. Quand au Qatar, le journal
“l’expansion” décrivait récemment les très forts investissements de ce
pays en France sous le titre: “le Qatar rachète la France“.
L’article mentionnait notamment les investissements faits dans les
banlieues françaises, pour y promouvoir “la diversité culturelle et
religieuse via le soutien aux petites entreprises des quartiers
défavorisés musulmans” via un fonds d’investissement créé fin 2011. Y a
t-il un lien avec cette première et étonnante rencontre à Bagnolet au mois d’octobre 2011 et qui appelait à un printemps arabe en France?
Il est donc difficile de décrypter le but des ingérences de la France
et de ses alliés occidentaux dans le monde arabo musulman. Les projets
de démocratisation en Tunisie, en Egypte et en Lybie n’ont pas donné les
résultats attendus, l’occupation de l’Afghanistan et de l’Irak non
plus. En Irak, l’intervention militaire a permis au bloc chiite de venir
au pouvoir, mais la coalition occidentale fait maintenant le jeu des
sunnites en Syrie, avec l’appui de l’Arabie Saoudite et du Qatar. De
plus, il y a maintenant une menace sérieuse d’affrontements inter
religieux entre musulmans dans la région, et toutes ces révolutions
paraissent avoir favorisé l’implantation de certains mouvements
terroristes.
Les assassinats de Toulouse et de Montauban devraient apparaître pour
la France tout comme pour un certain nombre d’états occidentaux comme
un avertissement quand à leurs politiques extérieures, mais aussi
intérieures. Au lieu de rêver à une révolution du genre printemps
démocratique en Russie, les stratèges occidentaux devraient peut être
examiner avec soin les positions intelligentes de la diplomatie russe au
moyen orient, ainsi que le fonctionnement du modèle multiculturel russe.

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