L’article original a été publié sur Ria-Novosti
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En octobre 2010, un grand quotidien français, réputé pour le sérieux de ses analyses internationales consacrait 6 pages à un dossier sur la démographie Russe. Le titre: “Quand la Russie disparaitra: enquête sur un désastre démographique” était posé en grosses lettres sur la photo d’un enfant à l’air hagard et aux mains sales, dont on ne sait trop s’il était en haillons ou pas. Un correspondant ayant vu la photo m’a demandé si c’était une photo colorisée datant du siège de Stalingrad. Le dossier analysait la période de déclin démographique que la Russie a connu après l’effondrement de l’Union soviétique et concluait que la population Russe devrait chuter à 80 millions d’habitants en 2050, le peuple Russe ayant plausiblement disparu en 2150.
Certes, l’effondrement politique, économique et institutionnel qui a suivi la disparition de l’URSS a contribué au déclenchement d’un désastre sanitaire et démographique sans précédent. En quelques années, l’espérance de vie s’est écroulée, et l’état sanitaire moyen s’est considérablement détérioré. La surconsommation d’alcool souvent frelaté, les empoisonnements liés et les suicides ont provoqué une explosion du taux de mortalité. Les maladies sexuellement transmissibles dont le sida, se sont développées, parallèlement à l’augmentation de la consommation de drogue. Mais surtout, alors que de plus en plus de Russes mourraient, de moins en moins naissaient. L’augmentation de la mortalité s’est accompagnée d’une baisse de la natalité. Face à la crise économique, l’avortement était souvent la seule solution pour beaucoup de femmes. Par ailleurs pour 1993 on a estimé que sur 1,6 millions de naissances, il y a eu près de 5% d’abandons d’enfants.
La démographie russe est un sujet complexe, certes alarmant, mais qui bien souvent est traité de façon excessivement pessimiste dans la presse étrangère. Par exemple il nous est annoncé dans cet article que la Russie perdrait 900.000 habitants chaque année, puis une carte du taux d’accroissement naturel des régions Russes datant de 2009 était agrémentée d’un commentaire expliquant qu’en 2007, le solde migratoire positif de la population russe ne compense pas l’accroissement naturel négatif. Tous ces chiffres mélangés semblent extrêmement inquiétants, mais la disparition annoncée de la population de la Russie ne tient pas compte de tous les paramètres de la situation. Reprenons: la population Russe est passée de 147,7 millions en 1990 à 141,9 millions en 2009, une diminution de 5,8 millions d’habitants en 19 ans, soit une baisse annuelle moyenne de 305.000 personnes. La population a donc diminué de 5,8 millions d’habitants malgré plus de 6 millions de naturalisations réalisées en 17 ans, de 1992 à 2009, soit une moyenne annuelle de 350.000. Les personnes naturalisées étaient principalement des Russes des ex-républiques de l’Union Soviétique, dont plus de 30 millions se sont retrouvés en 1991 hors des frontières de la Russie. Ainsi si l’on devait établir une moyenne de la diminution de la population Russe, elle s’établirait pour la période de 1990 à 2009 à environ 650.000 personnes chaque année.
La situation s’est considérablement aggravée après 2000. De 2001 à 2006, la population chute de 146,3 à 142,8 millions d’habitants, soit une perte de 3,5 millions d’habitants en 5 ans. Pour la seule année de 2005, la population a diminué de 780.000 habitants. Cette année catastrophique est également l’année ou l’Etat a lancé un programme national « santé » confié à Dimitri Medvedev, alors vice-Premier ministre en charge des projets nationaux et prioritaires. Destiné à relancer la natalité et faire baisser la mortalité, ce new-deal démographique a déjà eu des résultats assez consistants. Les chiffres sont parlants. En 1990, il y eut 2 millions de naissances et 1,7 millions de décès contre 1,2 millions de naissances et 2,1 millions de décès en 1999. Mais dès 2005, un mouvement de hausse de la natalité et de baisse de la mortalité s’est amorcé, mouvement qui se confirme aujourd’hui. En 2009, avec 1,76 millions naissances, 1,95 millions de décès, 100.000 émigrants et 330.000 naturalisations, la population russe a augmenté pour la première fois depuis 15 ans, de quelques 50.000 habitants. Le taux de fécondité de 1,9 enfant/femme en 1990, tombé à 1,1 enfant/femme en 2000 est remonté à 1,56 enfants/femme en 2009, soit un taux similaire à celui de l’Union européenne qui était de 1,57 enfants/femme en 2008.
Un autre volet du plan démographique a notamment pour objectif la diminution du nombre d’avortements. Bien que le nombre d’avortements ait diminué de 25 % entre 2003 et 2008, on en a tout de même recensé en 2008 1,234 million, pour 1,714 million de naissances la même année. La seconde partie du plan vise aussi la diminution du taux de mortalité. Il est axé sur le développement des hôpitaux et de l’accès aux soins, tout particulièrement dans le domaine des maladies cardio-vasculaires qui ont été la cause de plus de la moitié des décès en 2008. Désormais, il est prévu que la natalité dépasse la mortalité dès 2012 et qu’ainsi la population recommence à augmenter naturellement, sans besoin d’apport extérieur. L’espérance de vie est également encore trop basse, 66 ans contre 78 ans dans l’Union européenne, même si depuis 2005 elle a augmenté de 4 ans. Bien sûr, tout n’est pas réglé, loin de là. Egalement, la natalité actuelle est le fait des enfants qui sont nés dans les années 80, soit avant le déclin démographique. Lorsque la génération du déclin, moins nombreuse, sera en elle âge de procréer, la population devrait baisser mais également vieillir.
Quelle pourrait alors être la situation démographique Russe en 2030 ? Des prévisions démographiques sans aucun doute plus sérieuses que celles de certains journalistes ont été faites par le principal centre russe de statistiques, elles envisagent une population comprise entre 128 et 144 millions d’habitants en 2030, selon le taux de fécondité et l’immigration que connaitra le pays. La démographie est une science incertaine, et l’étude de la démographie russe d’après-guerre nous montre que la hausse du niveau de vie et la confiance dans l’avenir sont des facteurs essentiels dans ce domaine. La croissance économique actuelle de la Russie est donc certainement un point très positif, pour le “new deal démographique” en cours. En tout état de cause, nous sommes très loin de certaines prévisions catastrophistes, et en 2010, la Russie n’est pas dans une situation démographique pire que certains pays Européens. Une chose est sûre: contrairement à ce que pensent certains, non, la Russie ne disparaitra pas!