Analyse dissonante des élections en Ukraine

Un peu moins de 900.000 voix voix séparent Viktor Ianoukovitch (48.95% et 12 480 053 voix), et Youlia Timoshenko (45.47% et 11 589 638 voix) mais c’est le premier qui a été élu président, au cours d’une élection, dont la transparence a été soulignée par tous les grands états et les principales instances internationales mais qui a surtout mis un terme au mythe de la « démocratie Orange ». Seule la ravissante Youlia (l’Evita Peron de la mer noire), malheureuse perdante, a quelque peu tardé à reconnaitre le choix de ce peuple qui l’avait pourtant généreusement soutenu en 2004, veillant dans le froid et la nuit sur la place centrale de Kiev. 
 
Orangisme, mauvaise gestion et dérives nationalistes
La gestion économique et politique des Orangistes n’a pas été brillante, aggravée il est vrai par la crise économique qui a très durement frappé le pays, comme le montre le graphique dessous sur l’évolution du PIB sur la période 2006-2009.  
 
Les brimades linguistiques à l’encontre de la minorité Russophone n’ont certainement pas contribué à favoriser leur implantation électorale à l’est du pays et le président sortant Viktor Iouchenko, héros de la démocratie et chouchou de l’Occident en 2004 (!), a réuni moins de 6% des suffrages et a choisi de décorer (entre les deux tours) la figure historique Ukrainienne de la collaboration nazie, Stepan Bandera, (dont les hommes ont tués plus de 100.000 Polonais pendant la seconde guerre mondiale). Il est d’ailleurs assez surprenant de n’avoir entendu aucun commentaire des démocraties Occidentales a propos de cette “émouvante cérémonie” de l’entre deux tours. Le premier ministre ayant alors affirmé que le président Ukrainien « crachait au visage de ses anciens sponsors». Logiquement, au second tour, les mouvements d’extrême droite Ukrainiens  ont appelé à soutenir le candidat Orange. 
 
Cet échec flagrant des Orangistes est à la fois électoral mais également financier, la crise ayant privé de crédits leurs principaux bailleurs de fonds, les stratèges des diverses ONGs qui pullulent dans les pays frontaliers de la Russie, Ukraine et Géorgie en tête. 
 
La victoire du candidat bleu n’est pas cependant une surprise totale pour tout commentateur initié, elle était même au contraire relativement prévisible. Un sondage de l’institut Ramsukov (pourtant affilié au parti du président défait) montre bien l’évolution forte des mentalités en Ukraine de 2005 (révolution Orange) à 2009 et le basculement “a l’est”. En 2009 un sondage durant l’été montrait que le gouvernement Orange d’Ukraine était le gouvernement avec le soutien populaire le plus faible au monde, 85% des Ukrainiens désapprouvant l’action de leur gouvernement. 
 
L’Ukraine plus unie qu’il n’y parait
Les élections de 2004 avaient dévoilées l’existence de deux Ukraines, la bleue (orientale, tournée vers la Russie) et l’orange (tournée vers l’Occident). Cette coupure n’est pas seulement politique et culturelle. Elle est aussi linguistique, les Ukrainiens « bleus » lorsqu’ils ne se considèrent pas comme Russes sont souvent Russophones voir parlent un dialecte local Ukraino-russe. Dans la partie Orange les populations sont Ukraïnophone (ou parlent un dialecte local Ukraino-polonais).
 
Les élections de 2010 ont quelque peu atténués cette coupure, comme le précise Jean Marie Chauvier, Ianoukovitch et son Parti remportent leurs plus grands succès dans les régions à majorité russophone de l’Est et du Sud : 90% à Donetsk (Donbass), 88% à Lugansk, 71% à Kharkov, 71% à Zaporojie, 73% à Odessa, 79% à Simféropol (Crimée), 84% à Sébastopol. Le leader « régionaliste » avait reçu l’appui du Parti Communiste et d’autres formations de gauche, en très net recul au premier tour.  Mais Ianoukovitch remporte également de substantiels succès dans l’Ouest ukraïnophone : 36% à Jitomir, 24% à Vinnitsa, 18% à Rovno, 41% en Transcarpatie…C’est seulement dans les régions de Galicie (Lvov, Ternopol, Ivano-Frankovsk), traditionnels bastions du nationalisme radical antirusse et antisémite, que ses scores sont les plus faibles : inférieurs à 10%. 
 
Une remarque symétrique s’impose pour les résultats de Ioulia Timochenko. Majoritaire à l’Ouest (de 85 à 88% dans les régions galiciennes, 81% à Lutsk, 76% à Rovno, 71% à Vinnitsa, mais seulement 51% en Transcarpatie), elle remporte également des succès remarquables à l’Est (29% à Dniepropetrovsk, 34% à Kherson, 22% à Kharkov). Les 29% à Dniepropetrovsk ne sont pas le fruit du hasard : Ioulia en est originaire, et le clan industriel de cette région est rival de celui de Donetsk que domine Ianoukovitch. Comme quoi, là non plus, le clivage « est-Ouest » ou « Russophones contre ukraïnophones ne joue pas. La ville de Kiev se partage entre 65% pour Ioulia et 25% pour Viktor Ianoukovitch, alors que cette capitale est très majoritairement russophone. Le leader de l’Est industriel et ouvrier n’y est pas reconnu par une bourgeoisie et une « classe moyenne » pourtant très attachée à la langue et à la culture russes. 
 
 
Enfin la percée du 3ième homme Sergueï Tiguipko montre bien que la lassitude des électeurs envers cette scission et l’intérêt que porte une grande partie d’entre eux à une éventuelle 3ième voie.
 
 
L’Ukraine nouvelle, pont entre l’est et l’ouest
Pourtant contrairement à ce que beaucoup de journalistes ou commentateurs ont affirmé, le résultat des élections en Ukraine ne traduit pourtant pas du tout un retour de l’Ukraine dans le giron Russe ou une quelconque résurgence impériale Russe qui serait un danger pour l’Ouest. Bien au contraire, la victoire bleue affirme la position de l’Ukraine comme nation périphérique de la Russie, sur la « route vers l’Europe » mais également comme « partenaire de nouveau fiable » pour la Russie. La position de Ianoukovitch de tendre la main à l’ouest et à l’est ne fait que confirmer la situation économique réelle du pays (afflux de capitaux Russes) mais également son besoin de capitaux Européens pour moderniser le pays et faire face au problèmes économiques aggravés depuis l’été 2008. A ce titre l’Ukraine de Ianoukovitch pourrait se retrouver dans la position d’un « pont » entre l’Europe et la Russie et non plus d’un fusible dirigé par Washington pour déstabiliser les relations Euro-Russes (guerre du gaz, conflits de pipelines etc.). La volonté du nouveau président de faire ses deux premiers voyages à Bruxelles et Moscou devrait rassurer les chancelleries Européennes mais également le Kremlin quand à la création du cartel énergétique Ukraino-Russe mais également du maintien de la flotte Russe en Crimée ou son opposition à ce que l’Ukraine rejoigne l’OTAN.  

Comme l’a précisé le président Ukrainien lors de son investiture : ” L’Ukraine poursuivra l’intégration avec l’Europe et les pays de l’ex-URSS en tant qu’Etat européen n’appartenant à aucun bloc … L’Ukraine sera un pont entre l’Est et l’Ouest, une partie intégrante de l’Europe et de l’ex-URSS en même temps, l’Ukraine se dotera d’une politique extérieure qui nous permettra d’obtenir un résultat maximum du développement des relations paritaires et mutuellement avantageuses avec la Russie, l’UE, les Etats-Unis et autres pays qui influencent le cours des événements dans le monde“. (source de l’extrait).
L’élection de Ianoukovitch semble donc ancrer l’Ukraine entre Bruxelles et Moscou, mais l’éloigner de Washington et cette ligne « globale » semble être souhaitée par le peuple Ukrainien, au début de l’année, un sondage du Kiev post montrait que 60% des Ukrainiens souhaitaient l’intégration à l’UE, 57% sont contre l’intégration à l’OTAN et seuls 7% voient la Russie comme un état hostile, 22% souhaiteraient un état unique Russie-Ukraine (Source : Johnson Russia List 2010 issue 34 number 2).
 
Ianoukovitch, un « poutine ukrainien » pour la presse Occidentale ?
 
Il est symptomatique de voir à quel point la presse anglo-saxonne a critiqué les résultats de l’élection, l’égérie Kremlinophobe du Moscow Times, Youlia Latynina allant même jusqu’à expliquer le résultat des élections comme logique, les électeurs pauvres étant tentés par des votes Poujadistes (« letting poor people vote is dangerous »). Pas de chance pour elle, la carte électorale montre bien que c’est la partie la plus riche d’Ukraine, la plus industrielle qui est majoritairement « bleue » et pro Russe. 
 
 
 
Autre critique plutôt surprenante du résultat des élections, l’oligarque en exil Boris Berëzovski qui s’est fendu d’un commentaire des plus insultants (Uk / Ru), après avoir affirmé qu’il avait soutenu et financé la révolution orange.  

L’Ukraine au cœur de l’Eurasie.  

Le 1er janvier 2012 entrera en vigueur l’Espace économique commun Russie-Biélorussie-Kazakhstan impliquant la liberté de circulation des capitaux et des travailleurs. L’Ukraine est fortement invitée à s’y joindre ou, du moins, à s’en rapprocher. Les Russes insistent sur « l’intérêt pour l’Europe » d’encourager la formation de ce nouveau « marché commun » opérant une sorte de trait d’union entre les parties orientales (principalement la Chine) et occidentale (Union Européenne) de l’Eurasie.   

On peut se poser la question de savoir si le futur du continent ne se dessine pas également via la création de ces deux «zones», celle Occidentale de Bruxelles et celle Eurasiatique de Moscou. Une scission entre ces deux Europes, l’Occidentale, et l’Orientale reprenant la délimitation territoriale telle que le définit le projet de sécurité Européenne proposé par la Russie qui définit dans son point 10 la zone de Vancouver à Vladivostok comme séparée en deux, avec une partie qualifiée d’Euro-Atlantique et l’autre partie qualifiée d’Eurasiatique. 
 
Pour l’heure comme le souligne l’expert Michael Averko, la tentative d’installer le nouveau mur entre les Europes à Kiev a échoué. L’impatience de l’OTAN et son extension à l’est forcenée, ou ses différentes actions militaires anti Serbes ont finalement contribué à involontairement et indirectement améliorer l’image de la Russie.

10 thoughts on “Analyse dissonante des élections en Ukraine

  1. Anonymous

    L’auteur n’a pu s’empêcher de traiter les Ukrainien de l’ouest (nationalistes) comme le sont les Russes, Les Chinois, et tous les peuples qui veulent conserver leur identité, de …antisémites! Il y en a; mais pas plus qu’ailleurs, je suis originaire de cette région. Ce sont les manipulateurs du KGB (FSB) qui veulent diaboliser les Héros de la guerre qu’ils ont menée contre le NKVD avec peu de moyen et pas de soutien jusqu’en 1953!

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  2. Alexandre LATSA

    L’auteur a voulu montrer les incohérences de :

    – l’UE qui soutient les orangistes soutenus par l’extrême droite Ukrainienne …

    – L’extrême droite qui soutient les mêmes candidats que la CIA ou l’UE ..

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  3. Anonymous

    Analyse dans l’ensemble équilibrée et honnête.
    Quelques remarques dissonantes cependant:
    -“Brimades linguistiques”?Certes,la politique linguistique de Iouchtchenko n’a pas toujours été menée avec le tact et la prudence nécessaire (dans les médias audiovisuels par exemple).Mais faut-il reprendre pour autant purement et simplement les cris d’orfraie réguliers de la partie russe.Rappelons que la nation titulaire du pays , c’est à dire les Ukrainiens ethniques,s’est vue imposer un long processus derussification.L’Ukrainien s’est vu nié dans son existence et infériorisé.Ces stéréotypes négatifs sont encore bien ancrés dans les consciences de beaucoup d’Ukrainiens.La langue russe reste encore hégémonique dans de nombreux secteurs de la vie ukrainienne (économie, secteurs scientifiques, médias, armée).Question:combien d’écoles ukrainophones en Russie pour une population de 4 millions de personnes au bas mot qui n’ont pas toutes le Russe comme langue maternelle ?
    -Bandera “collaborateur des nazis”:l’antienne éculée d’une rhétorique antifasciste et d’une reductio ad hitlerum à laquelle mon cher Alexandre, vous succombez trop souvent pour les besoin de la cause. Il est regrettable et fâcheux que pour contrebalancer la propagande russophobe de certains médias occidentaux,les autorités russes aient choisi de reprendre purement et simplement le langage et les contrevérités de l’agit-prop soviétique,cela au mépris des acquis de l’historiographie non partisane de ces dernières décennies.L’Organisation des nationalistes ukrainiens, en particulier la branche révolutionnaire de Stepan Bandera, a effectivement été tentée de jouer la carte allemande de 1938 à juin 1941.Ils ont été soutenus par certains secteurs de la Wehrmacht et les services secrets militaires (Abwehr) pour créer les deux bataillons de la légion ukrainienne en 1940-41(Nachtigall et Roland).la tant décriée et diabolisée Armée Insurrectionnelle ukrainienne (UPA) a lutté contre les forces allemandes et les Polonais (notamment en Volhynie),puis contre les Soviétiques (principalement les formations du NKVD, voire les partisans, en évitant au maximum les contacts avec l’Armée rouge qu’ils savaient constituée de nombreuses unités composées d’Ukrainiens).Autre contrevérité régulièrement reprise sur RIA Novosti et ailleurs, l’amalgame entre les nationalistes ukrainiens de l’UPA, les bataillons de police de la Wehrmacht et la division SS Galicie levée par les nazis dans le Gouvernement général: les responsables de l’OUN-R dont Bandera se sont vigoureusement élevés contre toute forme de soutien à cette initiative allemande.Il est facile de juger rétrospectivement des choix effectués à l’époque dans un pays que sa situation géopolitique a souvent contraints à effectuer des choix funestes ( accords de Pereiaslav en 1654 avec la Russie, contre les Polonais par exemple !).
    Quant à jouer sur ce registre de “tu as été un collaborateur de nazis”, on peut se demander si la politique du généralissime Staline,ne peut être considéré comme telle: qui a livré par exemple des milliers de Juifs et de communistes allemands aux hitlériens entre 1939 et 1941 ? Qui a entretenu la machine de guerre allemande à l’Ouest par la livraison massive de matières premières stratégiques ?
    -La presse occidentale sur ces élections: je pense l’avoir assez bien décortiquée et le lecteur intéressé et anglophone pourra juger sur pièce en se rendant sur le site du Kyiv post par exemple. Je l’ai trouvé, à rebours des exemples isolés que vous avez signalés, étonnamment mesurée et équilibrée dans l’ensemble.
    Mes encouragements,Alexandre, pour la poursuite de votre travail de rééquilibrage de l’information sur la Russie, mais, de grâce, gardez-vous de tomber parfois à votre tour dans le travers inverse d’un manichéisme outrancier et simplificateur.
    Pascal LASSALLE

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  4. Anonymous

    DANS LE DISCOURS DE YAKOUNOWITCH CITE PAR L’ AUTEUR IL TRANSPARAIT LE LA PATTE DU DONNEUR D’ORDRE de Moscou.

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  5. Anonymous

    NOTRE AMI LATCHA A DIT QUE JAVAIS DIT QU’IL Y AVAIT DES ANTISEMITES EN UKRAINE ET IL PRECISE QU’IL Y EN A BEAUCOUP, J’AI SEULEMENT DIT QU’ IL Y EN AVAIT AUSSI – MALHEUREUSEMENT – UN PEU PARTOUT ET PAS SEULEMENT EN UKRAINE.

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  6. Anonymous

    Vous vous trompez M. Latsa! l’alternance ne fait que confirmer que la révolution a apporté du changement! Certes la situation économique s’est dégradée, mais la qualité de la gestion d’une équipe est un autre débat que celui de la mise en place d’une réelle concurrence politique. La révolution orange eu été un échec si le pouvoir issu des manifestations n’avait fait que répéter les mêmes fraudes et manoeuvres anti démocratique. Car Yusshenko a été élu démocratiquement suite à la réorganisation du second tour. Il n’a pas satisfait, il a été viré. C’est le fonctionnement même du système démocratique!

    Banlair

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