Au début de l’année, des mouvements de contestation ont éclaté dans de nombreux pays arabes, mouvements présentés par le mainstream médiatique comme étant des soulèvements spontanés de populations qui souhaitaient s’émanciper de leaders vieillissants et corrompus. Ces évènements nous ont été décrits comme une variété de
révolutions traduisant l’aspiration des populations à la démocratie et leur désir d’entrer plain pied dans la modernité et le progrès.
Il y a un rapport tout à fait direct avec les évènements qui se sont produits en Eurasie lors de la décennie précédente. A l’époque le même mainstream médiatique avait également fait passer ces évènements pour des révolutions démocratiques de populations qui souhaitaient tourner le dos à leur passé soviétique pour adhérer à un système occidental synonyme de liberté, démocratie et de progrès.
Pour autant il est aujourd’hui établi que ces révolutions dites de couleur n’étaient pas des évènements anodins ni spontanés, mais bel et bien de réels coups d’état démocratiques, sponsorisés de l’extérieur et faisant partie d’objectifs géopolitiques très clairement établis, destinés à permettre à la puissance dominante actuelle (les Etats-Unis) d’asseoir sa maîtrise et son contrôle sur le continent eurasiatique.
Internet, non violence et influence occidentale
Les récents évènements qui ont frappé le monde arabo-musulman, sous le nom de printemps arabe, sont en grande partie des évènements dont le déclenchement à été activé de l’extérieur, comme les évènements qui ont frappé certains des états d’Eurasie (Ukraine, Serbie, Géorgie) dans le passé récent. Le manque d’organisation et l’état de relative faiblesse de certains états ont permis que ces révolutions aboutissent, mais cela n’a pas été possible partout, que l’on pense par exemple à la Biélorussie ou la Russie. Les mouvements du printemps arabe ont commencé en décembre 2010 en Tunisie avant de s’étendre à d’autres pays musulmans : Algérie, Jordanie, Mauritanie, Oman, Yémen, Arabie saoudite, Liban, Egypte, Syrie, Palestine, Maroc, Soudan, Djibouti, Bahreïn, Irak, Libye, Somalie et Koweït. Hors du monde Arabe, Chypre nord (partie turque) et l’Iran seront aussi concernés. Au total 22 pays seront touchés à des degrés divers par ces manifestations, qui dénoncent à la fois la dictature, la corruption, la pauvreté et les mesures d’austérité des gouvernements, ou encore la hausse des prix des produits alimentaires. Certaines de ces révolutions aboutiront à la destitution des leaders des états concernés (Tunisie, Egypte), d’autres à des guerres totales dans le pays concerné (Libye ou Yemen). Dans certains pays, les révolutions tourneront à l’affrontement entre clans (Syrie) ou encore à l’affrontement inter – confessionnel Chiites/Sunnites, comme c’est le cas par exemple à Bahreïn.
Enfin la situation de l’Egypte reste inquiétante puisque le pays semble rentrer dans une logique d’opposition entre un bloc laïque et un bloc islamique radical, en vue des
élections de cette fin d’année. En clair, 6 mois après le début de ces évènements, aucune révolution n’a concrètement débouché sur une amélioration de la situation si ce n’est au Maroc ou le roi a habilement consenti à quelques réformes constitutionnelles. Derrière le mirage de la démocratie, la plupart des pays concernés ont vu apparaitre des problèmes économiques nouveaux, et pour certains, le début de guerres civiles. Certaines grandes lignes se dégagent déjà et permettent de tirer quelques parallèles avec les révolutions de couleur qui ont eu lien en Eurasie.
Tout d’abord certains de ces mouvements se sont inspirés des méthodes et techniques de révolution non violentes utilisées par les groupes de jeunesse qui ont mené les révolutions de couleurs, que l’on pense par exemple à Otpor en Serbie ou Pora en Ukraine. Plus que cela, certains des leaders des révolutions arabes ont directement bénéficié des services de ces mouvements en étant formés par ces derniers, notamment en Serbie et cela depuis 2008, preuve que le mouvement est tout sauf spontané. Enfin, l’ombre de l’influence américaine, via la kyrielle d’ONGs qui avaient contribué à cofinancer les révolutionnaires (de couleur) est présente tout comme surtout l’influence géopolitique américaine, qui exerce une pression renforcée sur tout le monde musulman depuis le 11 septembre.
L’influence américaine se fait sentir également parce que l’Amérique est lancée dans une nouvelle forme de « grand jeu » contre la Russie et la Chine dans cette partie du monde. L’administration Américaine avait dès 2003 dévoilé un immense projet de total remodelage des frontières dans la région, projet qui porte le nom de “grand moyen orient”. Enfin, l’utilisation d’internet est un autre point commun de ces révolutions, on a parlé de révolution 2.0 tant l’utilisation notamment des réseaux sociaux a été l’un des fondements structurels du fonctionnement de ces mouvements. C’est en Tunisie que tout a commencé, mais c’est en Egypte que les liens et similitudes entre le printemps arabe et les révolutions de couleur d’Eurasie sont les plus évidentes.
Durant le printemps 2008, un mouvement appelé “mouvement du 6 avril” est créé en soutien aux ouvriers d’une ville industrielle, (El-Mahalla El-Kubra), qui planifiaient une grève le 06 avril de cette même année. La grève sera un succès et le président Moubarak devra se résigner à des hausses de salaires.Suite à ces évènements, les deux organisateurs du mouvement, Ahmed Maher et Israa Fattah seront emprisonnés. Mohamed Adel, le chargé de presse du mouvement du 06 avril sera lui envoyé en décembre 2008 aux États-Unis où il rencontre des parlementaires et des informaticiens qui le conseillent pour se protéger sur Internet. Cette structure déjà prête jouera un rôle fondamental dans les évènements de 2011 en Egypte. Un site du 06 avril va être créé, qui reprend avec beaucoup de similitudes la signalétique du poing levé qui est est le symbole des mouvements de jeunesse qui ont animé les révolutions de couleur, que l’on en juge ci dessous.
Et en Serbie lors de la révolution anti Milosevic :
La page Facebook du groupe egyptien « du 6 avril » comprend également ce poing levé. Par quel miracle?
Budapest – Belgrade – Doha – Le Caire
Les membres du comité du 06 avril ont raconté comment ils se sont rapidement trouvés en lien avec un site d’Egyptiens expatriés au Qatar appelé “l’académie du changement” et qui faisait notamment la promotion de la transformation des sociétés. Cette académie à rapidement fait la copie des méthodes et activités d’Otpor. Quel est le lien entre Otpor, Milosevic et le monde arabe? Un retour en arrière d’une décennie s’impose. Il faut rappeler que le mouvement de résistance Serbe Otpor a été créé, financé et dirigé à distance, depuis les Etats Unis, par diverses ONG comme Freedom House, l’Albert Einstein Institute ou encore l’Iri. Pour s’en convaincre il suffit de lire cette interview d’un des fondateurs de Otpor qui explique les liens très poussés entre l’administration américaine et leur jeune mouvement.
Pendant la décennie 2000, la police des frontières serbe a enregistré en quelques mois un flux inhabituel de jeunes serbes en visite dans le monastère serbe de Saint André, situé en Hongrie.
En fait, ces jeunes étaient tous attendus à l’hôtel Hilton de Budapest, où un colonel américain à la retraite, Robert Helvy, les a formés aux techniques les plus avancées d’actions non violentes, en se basant sur les doctrines de Gene Sharp. Milja Jovanovic, qui au nom d’OTPOR a reçu le prix Free your Mind de MTV, rappelle que l’Union européenne a fait la sourde oreille à leur demande d’aide : « envoyez un formulaire à Bruxelles, et vous recevrez une réponse dans 6 à 8 mois ». En revanche, en l’espace de deux semaines, les fonds nécessaires à l’ouverture de 70 bureaux du mouvement dans toute la Serbie étaient arrivés des Etats-Unis (sources). Conséquence du développement de cette toile révolutionnaire souterraine, les actions d’Otpor aboutiront à la chute du régime de Milosevic.
Après le changement de régime en Serbie, Otpor mutera pour devenir Canvas, une sorte de Think-tank d’activistes qui promeut la démocratie. L’institut s’affirme aujourd’hui financé en majorité par Slobodan Djinovic, co-fondateur d’Otpor et ami de Srdja Popovic qui a monté après la chute du régime une entreprise de télécommunication en Serbie. Canvas affirme avoir déjà fait des interventions (séminaires, formations, trainings) dans 37 pays à travers le monde et affirme aussi ne travailler qu’avec des groupes dont l’histoire est non-violente.
Canvas a par exemple refusé de coopérer avec le Hamas et le Hezbollah, et soutiendrait assez activement des opposants d’Iran, du Zimbabwe, du Venezuela, du Belarus, de Birmanie et, plus récemment, de Tunisie et d’Egypte. Comme l’affirme Srdja Popovic : « Gandhi a mis trente ans pour faire tomber le régime. Nous avons eu besoin de dix ans. Les Tunisiens l’ont fait en un mois et demi, et les Égyptiens en 19
jours. C’est un blitzkrieg démocratique».
Canvas participe encore publiquement à des ateliers financés tant par l’OSCE, que les nations unies ou encore l’association Freedom House. Lorsque Otpor à rendu publique cette aide Américaine après la chute de Milosevic, beaucoup de membres se sont estimés trompés et ont quitté le mouvement, qui n’a plus aujourd’hui que 5 employés, consultants en révolutions et qui facturent leurs interventions, en informant l’administration américaine. Comme le précise le fondateur de Canvas : « à l’époque, toute l’opposition à Milosevic était aidée par l’Amérique ». Aujourd’hui la liste publique des sponsors de l’organisation ne laisse pas de doutes quand à son orientation Mais revenons à l’académie du changement qui est basée au Qatar.
Comme le reconnaîtra un de ses membres du nom de Basem Fathy, l’académie travaille avec différents mouvements arabes progressistes, reçoit des financements direct des Etats-Unis, et se concentre sur la protection des droits de l’homme et la surveillances des élections dans divers pays . Le fait que cette académie soit installée dans un pays Islamique, mais allié des Etats Unis n’est pas une surprise, pas plus que son domaine d’activité. Lors des évènements en Serbie ayant abouti à l’effondrement du régime de Milosevic, l’un des déclencheurs de la révolution de rue avait été le fait que les résultats de l’élection avait été parasités par des annonces émises par un institut de contrôle des élections, le Cesid.
Un dispositif similaire existe pour le monde Arabe, totalement financé par l’ONG américaine NED, il s’agit de la plateforme U-Shahid. Contactés via Facebook, les membres de l’académie basée au Qatar ont donc répondu positivement à la demande de leurs concitoyens et les ont mis en relation avec Otpor/Canvas. Deux responsables d’Otpor, Srdja Popovic et Ivan Marovic leur ont ensuite fourni des documents de travail.En juin 2009, Canvas, le centre de formation à la révolution non violente créé par Otpor, a organisé un colloque sur l’Egypte. Le chargé de presse du mouvement du 06 avril, Mohamed Adel, a même été envoyé en stage pour deux semaines à Belgrade accompagné de la blogueuse Esraa Abdel Fattah. Ils n’étaient pas seuls, ils ont rejoint àBelgrade d’autres jeunes arabes, Égyptiens, Tunisiens, Algériens ou Marocains, notamment, venus en Serbie pour assister aux formations organisées par l’institut Canvas. Par ailleurs, des responsables du centre international pour les conflits non violents ont dispensé des formations sur le terrain en Egypte à des militants et blogueurs, en les formant aux méthodes de révolutions non violentes et en distribuant le manuel de Gene Sharp avec ses 198 actions non violentes, que vous pouvez consulter sur le site de l’Albert Einstein Institute.
C’est à cette époque que le manuel de Gene Sharp à été traduit en Arabe et a commencé à circuler sur la toile (source), il aurait été téléchargé plus de 17.000 fois en Egypte durant les évènements anti Moubarak. Voir également ici et la les manuels d’action et de manifestations de rues traduits en Arabe. Al-Jazzera a réalisé un documentaire extrêmement instructif sur cette révolution organisée qui a frappé l’Egypte.