Mistral Gagnant

Cet article à été publié originalement sur Ria Novosti

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Mistral Gagnant
Lorsque la Russie a rendu public son souhait d’acquisition de Bâtiments de Projection et de Commandement (BPC) Mistral, la France a répondu par l’affirmative. Rapidement pourtant, des voix se sont élevées, exprimant des réticences à cette transaction. Ces réticences émanaient d’Etats impliqués dans des contentieux plus ou moins importants avec la Russie (Géorgie, Etats Baltes) et qui craignaient un risque de déséquilibre de la sécurité régionale, crainte accrue par le conflit d’août 2008 dans le Caucase.

Pourtant il semble irréaliste d’imaginer que la Russie de 2010 ait des intentions agressives envers un pays européen et ces réticences ont été interprétées comme une possible crispation de Washington, embarrassé par une acquisition de matériel aussi sensible. Mais le cadre est sans doute plus large et concerne l’évolution des rapports de force sur les mers, et l’affaiblissement de la domination militaire et maritime américaine, acquise durant la guerre froide. Pour mieux cerner la situation, il convient de comprendre l’utilité des Mistral et regarder dans quel contexte global la Russie souhaite cette acquisition.

Les BPC sont des outils de projection, permettant de réaliser depuis la mer des opérations terrestres. Multi-fonctionnels, ils peuvent servir au débarquement de troupes, à la lutte contre la piraterie maritime ou encore à des actions humanitaires. Le Mistral, qui appartient à cette classe BPC, peut transporter jusqu’à 1200 hommes, 16 hélicoptères, jusqu’à 120 véhicules (dont des blindés), deux aéroglisseurs et des navettes de débarquement.

Le navire comprend en outre des canons, des batteries de missiles, des installations médicales, et un centre de commandement. La forte capacité de projection et de déplacement sur des théâtres d’opérations lointains que permet ce BPC est essentielle pour la Russie qui ne possède plus à ce jour de matériel équivalent, depuis le retrait des navires de type Rogov, au début de la décennie.

Durant la guerre froide, l’URSS ainsi que les régimes non alignés rechignaient à l’acquisition de porte-avions et porte-aéronefs, guidés par un non interventionnisme et un anti-impérialisme dogmatique, lorsque ce n’était pas pour des contraintes matérielles. Dès la fin de la guerre froide, le monde a connu une décennie de domination militaire américaine totale, acquise justement par cette capacité de déplacement et projection de forces militaires à l’autre bout de la planète. 20 ans plus tard, l’émergence de puissances régionales contribue à entraîner la planète vers un multilatéralisme qui fait que désormais de nombreux pays ont  des ambitions de présence sur les océans du globe.

Hormis les traditionnelles flottes Occidentales, la Russie, la Chine, le Brésil, la Corée du sud, la Turquie ou le Japon souhaitent se doter de porte-avions ou porte-hélicoptères, ce qui devrait permettre à tous ces Etats une réelle capacité d’intervention à l’autre bout du monde au milieu du siècle. La Russie via l’amiral Vladimir Vysotsky avait montré  son intérêt pour les BPC français lors du salon Euronaval de 2008, expliquant que la Russie se préparait à construire une flotte de porte-avions, prévue pour être opérationnelle vers 2060.

Le barrage des réticences diplomatiques contourné, et les “resets” entre la Russie, l’Amérique, et l’OTAN confirmés, l’année franco-russe tombait à point. Vladimir Poutine, en confirmant dès le milieu de l’année, lors d’une visite à Paris, que Moscou ne fournirait pas de missiles S-300 à l’Iran après le vote de sanctions par l’ONU, avait en outre réglé cette épineuse question.  Les différends entre les parties au contrat portaient sur deux points : les technologies afférentes, et le lieu de fabrication. La France souhaitait une vente sans technologie de pointe et qu’au moins deux bateaux soient fabriqués en France. La Russie, elle, conditionnait l’achat aux technologies liées et souhaitait acheter un seul navire, et faire construire les trois autres en Russie.

Si l’on semble plutôt se diriger vers la formule française pour la fabrication, le premier bateau devrait être livré avec la technologie de pointe liée, et notamment les dispositifs de calcul de conduite des opérations aériennes, essentiels pour le développement ultérieur des porte-avions. Récemment, Vera Chistova, vice-ministre de la Défense pour les moyens économiques et financiers, a confirmé que les dépenses pour l’achat ont été pré-intégrées aux budgets russes des trois prochaines années.

Côté français, Le directeur de la DCNS (fabricant militaire du Mistral) Pierre Legros, a lui indiqué que ces navires disposeraient des mêmes équipements que ceux de la marine française et que les seules différences seraient un pont d’envol renforcé pour accueillir les hélicoptères russes et une coque plus résistante pour pouvoir naviguer dans des eaux glacées. Quand au PDG de l’association des chantiers où devrait être fabriqué le Mistral, il a affirmé que le premier navire pourrait être construit fin 2013 et le deuxième en 2015. Les chantiers navals russes devant être en mesure de construire seuls les autres bâtiments dès l’année 2016.

Il est donc plausible, et souhaitable, que l’année franco-russe se termine par un accord commercial et politique majeur.  Pour le président français l’enjeu est de taille, sur un plan financier, le prix d’un bateau avoisinant les 500 millions d’euros, mais également sur un plan politique, afin de prouver que la ré-intégration de l’OTAN en 2009 n’a pas ôté toute souveraineté à la France. Du côté russe, l’acquisition est importante d’un point de vue militaire, mais aussi sur le plan géopolitique, la Russie se donnant ainsi pleinement les moyens d’atteindre l’objectif de la politique entamée en mars 2000 : rester une puissance de premier plan.

Amitié France-Russie un passé, un présent, un avenir

Chers lecteurs : le cercle Aristote organise un congrès le vendredi 03 décembre, de 10:00 à 19:30, au 63 bis rue de Varenne 75007 Paris.
Le congrès aura lieu dans les locaux de “l’Institut de la Démocratie et la Coopération“.

Interventions :
–10H00 – 10H30 : Introduction générale (Pierre-Yves ROUGEYRON, président du cercle)
–10H30 – 11H30 : Valérie HALLEREAU l’oeuvre d’Alexandre I. SOLJENITSYNE en FRANCE.
–11H30 – 12H30 : Viatcheslav AVIOUTSKIY La diarchie au sommet du pouvoir russe

PAUSE DEJEUNER

–13H30 – 14H30 : Xavier MOREAU Histoire et géopolitique franco-russe.
–14H30 – 15H30 : Marc ROUSSET L’axe PARIS-BERLIN-MOSCOU
–15H30 – 16H30 : Ekaterina NAROTCHNITSKAYA L’actualité de l’alliance Franco-Russe.
–16H30 – 17H30 : Romain BESSONNET La russophobie dans les médias français
–17H30 – 18H30 : David MASCREE Politiques et perceptions franco-russes
–18H30 – 19H00 : Conclusion générale (John Laughland, directeur des études de l’IDC)

9 intervenants de qualité, 9 raisons de vous y rendre !

Brève histoire de l’oligarchie en Russie

Xavier Moreau, de Realpolitik.tv a récemment publié sur ce site un éditorial consacré à l’oligarchie en Russie. L’article est clair et concis, je me permets de le publier avec l’autorisation de l’auteur.

Le mot oligarque symbolise à lui tout seul l’histoire de la Russie de ces vingt dernières années et nous le trouvons utilisé pour désigner tout et n’importe quoi. Ce terme qui, au milieu des années 90, était synonyme de puissance et était ouvertement revendiqué est aujourd’hui récusé par les grandes fortunes de Russie, tant il est lié aux pires heures de l’ère Eltsine.

L’oligarchie a fortement évolué tout au long de la période. Certains oligarques sont tombés dans l’oubli, d’autres ont fui ou sont en prison. Les plus pragmatiques se sont adaptés en renonçant à toute prétention politique, ce qui rend d’autant le terme inadéquat pour les désigner aujourd’hui. C’est Boris Berëzovski, l’éminence grise du Président Eltsine, qui popularise pour la première fois le terme en 1996, lors d’un entretien donné au “Financial Times”. Il qualifie ainsi lui-même les sept banquiers qui ont réuni leurs moyens afin de permettre à Boris Eltsine d’être réélu Président. La misère et l’anarchie dans lesquelles était plongée la Russie, rendait un deuxième mandat peu probable pour ce piètre gestionnaire. Ces sept banquiers prétendaient contrôler plus de 50% de l’économie russe. On les surnomma “semibankirschina”. Ce terme était l’adaptation contemporaine de celui de « Sémiboyarschina », les sept boyards qui trahirent le Tsar et livrèrent Moscou aux envahisseurs polonais en 1610. En 1996, il s’agit pour ces banquiers de sauver les actifs industriels, malhonnêtement privatisés pendant les premières années de l’ère Eltsine, d’un possible retour des communistes au pouvoir.

Après s’être enrichis en détournant les fonds publics, grâce à la complicité d’hommes politiques haut-placés, ces hommes d’affaires se sont ensuite emparés pour des sommes ridicules, de pans entiers du patrimoine industriel russe, notamment dans le secteur des ressources

naturelles. En ces temps troubles, pour assurer la sécurité physique du produit de leur prédation, ils s’associèrent avec les mafias qui avaient éclos un peu partout en Russie.

Ces mafias constituaient également des entités économiques disposant de liquidités considérable à un moment où celles-ci faisaient justement défaut, et où tout était à vendre. Le plus célèbre de ces mafieux fut Anatoli Bykov, qui prit part à la guerre de l’aluminium.

Boris Abramovitch Berëzovski, homme d’affaires russo-israélien, est le plus connu de ces oligarques. Sa fortune trouve son origine dans la vente frauduleuse des voitures produites par la société d’Etat AvtoVaz, plus connue en Europe sous le nom de LADA. Il parvient ensuite à se rapprocher de la “famille” Eltsine. Il s’empare alors d’actifs pétroliers et industriels, puis de la gestion de la compagnie Aéroflot, qu’il amène au bord de la faillite.
L’éditeur de la version russe du magazine “Forbes”, le russo-américain Paul Klebnikov, lui consacre un ouvrage très critique, « le parrain du Kremlin ». Sa liberté de parole lui vaut d’être assassiné le 9 juillet 2004 à Moscou. Le soutien ouvert de Paul Klebnikov à la politique de restauration de l’Etat de Vladimir Poutine explique que son assassinat a eu très peu d’écho en France, contrairement à celui d’Anna Politovskaïa deux ans après.

Vladimir Alexandrovitch Goussinski, est également un homme d’affaires russo-israélien. Sa fortune provient de la banque qu’il fonde en 1989, et de son alliance avec le maire de Moscou, Youri Loujkov. Il fonde le premier groupe de médias privé et regroupe ses activités au sein de «Média Most». Il livre à Boris Berëzovski un combat à mort au début des années 90, puis se réconcilie avec lui en 1996, afin de soutenir la candidature d’Eltsine. Il est un membre éminent du congrès juif mondial, et fonde avec Mikhaïl Friedman, le congrès juif russe. La crise de 1998 l’affaiblit durablement.

Vladimir Olegovitch Potanine, dont le poste au ministère du commerce extérieur, lui permet de s’enrichir considérablement et de créer son groupe financier, INTERROS, et sa banque, ONEXIM est un autre oligarque fameux. En 1995, il est le concepteur du système de prêts contre actions, qui permet aux banquiers d’acquérir à peu de frais des pans entiers de l’industrie russe. Pour quelques centaines de millions de dollars prêtés à l’Etat russe à la limite de la banqueroute, les oligarques s’emparent alors d’actifs qui en valent plusieurs milliards. Vladimir Potanine, grâce à ce système, s’empare de Norilsk Nickel.

Mikhaïl Borisovitch Khodorkowski débute sa carrière comme membre influent du Komsomol de Moscou (organisation de jeunesse soviétique où étaient recrutées les futurs cadres du parti communiste). C’est grâce aux fonds de cette organisation et à ses liens avec le parti communiste, qu’il fonde sa banque, la MENATEP. Il s’empare ensuite des actifs de la compagnie Yukos grâce au système prêts contre actions.  La privatisation de Yukos est émaillée de nombreux assassinats et se fait au mépris le plus absolu du droit des actionnaires minoritaires, notamment étrangers. Le maire de Neftyougansk, où se trouve le plus gros actif de Yukos, et qui avait entrepris une grève de la faim pour obtenir le paiement des taxes dues à sa ville au bord de la ruine, est assassiné le 26 juin 1998, jour de l’anniversaire de Khodorkowski. Le chef de la sûreté de Yukos, Alexeï Pitchouguine, est toujours en prison pour ce crime. Ceux qui s’apitoient sur le sort de l’oligarque en pensant qu’il paie très cher des opérations financières feraient bien de s’informer sur les crimes de sang de l’ère Khodorkowski. Khodorkowski se lie avec les milieux d’affaires états-uniens et dépense sans compter auprès des agences de communication pour se construire une image positive, abusant les très complaisants médias occidentaux.

Mikhaïl Maratovitch Friedman reste encore aujourd’hui l’un des plus puissants hommes d’affaires russe. Avec son associé Piotr Aven, ministre du commerce extérieur au début des années 90, il fonde le groupe consortium “Alfa”, dont les fleurons sont la banque “Alfa” et la compagnie pétrolière “TNK”.

Vladimir Victorovitch Vinagradov privatise à son profit la banque d’état “Inkombank” en 1993. Il disparaît de la scène politico-économique après la banqueroute de sa banque, lors de la crise de 1998.

Alexander Pavlovitch Smolenski, condamné à l’époque soviétique pour divers trafics refait lui surface en créant la banque “Stolichny”. La privatisation à son profit de la banque d’état AGROPROM, lui permet de fonder “SBS AGRO”, première banque privée et deuxième banque de Russie. En 1998, la banque est emportée par la crise et ruine plusieurs millions de petits épargnants. Il perd alors toute influence politique, même s’il conserve sa fortune.

Ces sept banquiers ne sont pas les seuls hommes riches et influents de l’ère Eltsine, mais ce sont eux les “faiseurs de rois”. Ils ont construit leur fortune sur le triptyque “Tchénovnik” (responsable politique), mafieux, homme d’affaires. On trouve également dans les provinces russes, des oligarques locaux très puissants, ayant construit leur pouvoir sur la même base.

La crise de 1998 entraîne la disparition de deux des sept banquiers, Vinogradov et Smolenski. Une nouvelle génération apparaît alors sur les ruines de la Russie d’après la crise. Ils ont fait leur fortune dans les années 90 et sont alors au sommet de leur puissance. Ils sont plus jeunes que la première génération, mais ils lui sont très liés.

Les plus célèbres sont Mikhaïl Prokhorov, partenaire de Vladimir Potanine au sein de Norilsk Nickel, Roman Abramovitch lié à Boris Berëzovski, et Oleg Déripaska, homme-lige des frères Mikhaïl et Lev Tchernoï au sein de Russki Alumini. C’est également à cette époque que les hommes d’affaires commencent à prendre leur distance avec les mafieux qui les ont protégés.

Au début des années 2000, les oligarques se trouvent, comme en 1996,face au risque de retour au pouvoir des communistes. Même avec un contrôle quasi complet de la presse russe, les oligarques ont besoin d’un candidat crédible pour défendre leurs intérêts. Ils jettent leur dévolu sur un homme, dont la loyauté pour le Président Eltsine, leur laisse supposer qu’ils le manipuleront aussi facilement que le Président sortant. Porté par sa victoire en Tchétchénie, Vladimir Poutine est ainsi élu Président le 26 mars 2000. Mais pour les oligarques, c’est le début de la fin.

Après l’élection de Vladimir Poutine à la présidence en mars 2000, la grande question qui anime la presse occidentale est de savoir si le nouveau Président sera une marionnette entre les mains des oligarques. Etonnamment, plus Vladimir Poutine fera rentrer les oligarques dans le rang, plus il se sera la cible des attaques de cette presse, qui quelques mois auparavant, dénonçait leur emprise sur la Russie.
Le premier à faire les frais du changement de pouvoir est Vladimir Goussinski, dont les médias avaient attaqué Vladimir Poutine durant les élections. Il s’enfuit en Espagne, puis en Israël en juillet 2000. Le holding « Média-Most », criblé de dettes est démantelé et finit entre les mains du monopole gazier public, Gazprom. Ce même mois de juillet 2000, le Président Poutine convoque les oligarques pour leur annoncer les nouvelles règles auxquelles ils doivent se soumettre, s’ils ne veulent pas avoir à rendre compte de leurs multiples prédations. Ces règles sont au nombre de quatre :

  • Payer les impôts.
  • Arrêter l’évasion fiscale.
  • Réinvestir les profits des sociétés en Russie.
  • Enfin et surtout, ne plus faire de politique.

La plupart des oligarques sentent le vent tourner et se soumettent aux nouvelles règles. Deux des sept banquiers tentent pourtant de s’opposer à la volonté du nouveau Président. Le premier est Boris Berëzovski, l’ancienne éminence grise d’Eltsine, qui n’admet pas son déclassement. Mais Vladimir Poutine dirige désormais la Russie d’une main de fer. Il purge rapidement l’administration présidentielle, et sait qu’il peut compter sur le soutien des structures de forces. En 2001 Berëzovski est contraint de fuir à Londres. Il complote depuis la capitale anglaise et devient un ennemi juré du Kremlin. Il finance toutes les formes d’opposition à Vladimir Poutine, en Russie comme à l’étranger. Il soutient la prise de pouvoir de Mikhaïl Saakhachvili en Géorgie en 2003, puis la révolution orange en Ukraine en 2004. Il soutient le terroriste tchétchène Akhmed Zakaïev, réfugié également à Londres. Il promet régulièrement de grandes révélations sur Vladimir Poutine, sans que rien de concluant ne soit jamais publié. Il bénéficie en outre de la protection des services secrets anglais.

Le deuxième oligarque à ne pas accepter la nouvelle donne est Mikhaïl Khodorkowski. Les médias occidentaux, alimentés par les agences de communication américaines ont, à tort, attribué l’arrestation de l’oligarque à de prétendues ambitions politiques, et ont tâché d’en faire un nouveau Soljenitsyne. Khodorkowski tombe pour des motifs moins glorieux. A partir de 2003, Il se met à financer toutes les oppositions possibles à la Douma, des communistes jusqu’aux libéraux. Il espère ainsi former un groupe parlementaire lequel lui permettrait de bloquer la réforme fiscale qu’a entreprise Vladimir Poutine. Entre 2003 et 2004, la taxation des bénéfices des compagnies pétrolières russes est effectivement passée de 5% à 30% en moyenne. L’oligarque a également l’intention de faire entrer massivement des compagnies américaines dans l’actionnariat de Youkos, que ce soit Chevron ou Exxon. Enfin, il veut s’affranchir du monopole du transport des hydrocarbures de « Transneft » et construire avec les Chinois, un pipeline qui relierait directement ses forages à la Chine. Il est peu vraisemblable que Khodorkowski ait eu une ambition politique personnelle, il était trop intelligent pour ne pas savoir qu’il représentait tout ce que le peuple russe haïssait. La condamnation de Khodorkowski et de ses associés, extrêmement populaire auprès des Russes, marque réellement la fin du système oligarchique en Russie. Il semble en outre que Vladimir Poutine considère personnellement, que Khodorkowski doive payer pour les crimes de sang trop nombreux qui ont entouré la privatisation de Youkos, notamment celle du maire de Youganskneft, le jour de l’anniversaire de l’oligarque. C’est dans ce sens que Vladimir Poutine a comparé dernièrement la situation de Khodorkowski à celle d’Al Capone, ce mafieux américain, condamné non pas pour ses crimes de sang, improuvables, mais pour fraude fiscale.

L’exemple de Khodorkowski porte ses fruits, les conglomérats de matières premières paient désormais leurs taxes. Le Kremlin en profite pour remettre la main sur plusieurs actifs industriels. Ceux de Youkos passent sous le contrôle de la compagnie publique Gazprom en 2004. En 2005, Sibneft, la compagnie de Berëzovski puis d’Abramovitch est également rachetée par Gazprom et devient Gazpromneft.

Des sept banquiers de 1996, il n’en reste que deux. L’un des deux, Vladimir Potanine, a annoncé en février 2010, qu’il léguera sa fortune de plus de $5 milliards, à des œuvres de bienfaisance. Le second est Mikhaïl Friedman, dont on annonce la chute depuis plusieurs années sans qu’elle se soit produite pour l’instant. La jeune génération des Déripaska, Abrahmovitch ou Prokhorov a abandonné la politique au profit des affaires, des stations de ski et des clubs de football. De plus, la crise de 2008 a affaibli durement Déripaska, qui ne doit la préservation de son empire qu’au prêt de $4,5  milliards que lui accorde le gouvernement russe au travers de la VnechEconomBank.

Comme un signe des temps, Dimitri Medvedev et Vladimir Poutine ont annoncé le lancement d’une vague de privatisations, mais cette fois, elles rapporteront plus de $40 milliards à l’état russe, et permettront à des sociétés étrangères d’entrer dans le capital et la gestion de ces sociétés. Le temps des oligarques est désormais révolu, aucun homme d’affaire russe, si riche soit-il, n’a plus les moyens de faire élire le Président de la Fédération de Russie. Contrairement aux affirmations romanesques de Pierre Avril dans le Figaro, ceux qu’il appelle les « nouveaux oligarques » sont en fait des hommes d’affaires, qui sont certes très proches du gouvernement et en ont profité pour accroître leur fortune, mais n’influent pas sur les décisions politiques. Ce défi que Vladimir Poutine a réussi à relever, vaincre les oligarchies dont certaines l’avaient mené au pouvoir, est exactement le même qui se pose aujourd’hui à Viktor Ianoukovitch en Ukraine et… à Barack Obama aux Etats-Unis.

Xavier Moreau

Краткая история олигархии в России

Ксавье Моро (Xavier Moreau) недавно опубликовал на сайте Realpolitik.tv редакционную статью, посвященную олигархии в России. Статья ясная и лаконичная, я позволил себе, с разрешения автора, опубликовать ее в своем блоге.

Слово «олигарх» само по себе характеризует историю России последних двадцати лет, и мы видим, что сейчас оно используется для обозначения чего угодно. Этот термин, в середине 90-х бывший синонимом могущества и открыто отстаивавшийся, в настоящее время отвергается богатейшими людьми России, настолько он связан с худшими временами ельцинской эпохи.

Олигархия значительно эволюционировала в течение всего периода. Некоторые олигархи забыты, другие бежали, либо сидят в тюрьме. Более прагматичные приспособились, отказавшись от всех политических требований, что делает термин «олигархи» неадекватным для их сегодняшнего описания. Это Борис Березовский, серый кардинал президента Ельцина, впервые использовал термин «олигархи» в 1996 году в интервью Financial Times. Он сам так назвал семь банкиров, которые объединили свои ресурсы, позволившие Борису Ельцину быть переизбранным на президентский пост. Нищета и анархия, в которые погрузилась Россия, делали второй срок этого плохого управленца маловероятным. Эти семь банкиров утверждали, что контролируют 50% российской экономики. Их называли «семибанкирщина». Этот термин был современной адаптацией термина «семибоярщина», обозначавшего семерых бояр, которые предали царя и сдали Москву польским захватчикам в 1610 году. В 1996 году речь шла о сохранении этими банкирами промышленных активов, нечестно приватизированных в первые годы ельцинской эпохи, от возможного возвращения к власти коммунистов.

Обогатившись на расхищении государственных средств, благодаря соучастию высокопоставленных политиков, эти бизнесмены затем за смешные суммы овладели большей частью российского промышленного достояния, особенно в сфере природных ресурсов. В эти смутные времена для обеспечения физической безопасности плодов их хищничества, они присоединились к мафии, которая расцвела по всей России.

Эта мафия включала также хозяйствующие субъекты, которые располагали существенной ликвидностью в период, когда ее просто не доставало, и когда все было на продажу. Самым известным из этих бандитов был Анатолий Быков, который принимал участие в алюминиевой войне.

Борис Абрамович Березовский, русско-израильский бизнесмен, является самым известным из этих олигархов. В основе его состояния лежит мошенническая продажа автомобилей, произведенных государственной компанией «АвтоВАЗ», более известной в Европе под именем LADA. Затем он сумел сблизиться с «семьей» Ельцина. Затем он овладел нефтяными и промышленными активами, затем компанией «Аэрофлот», которую он привел на грань банкротства.

Редактор русской версии журнала «Форбс», американец русского происхождения Пол Хлебников посвятил ему весьма критическую книгу «Крестный отец Кремля». Свобода слова стоила ему жизни, он был убит 9 июля 2004 в Москве. Открытая поддержка Полом Хлебниковым политики Владимира Путина по восстановлению государства объясняет, почему его убийство получило так мало откликов во Франции, в отличие от убийства Анны Политковской два года спустя.

Владимир Александрович Гусинский также русско-израильский бизнесмен. Его состояние происходит из основанного им в 1989 году банка и союза с мэром Москвы Юрием Лужковым. Он основал первую частную медиа-группу, и консолидировал свою деятельность в «Медиа-Мосте». Он объявил Борису Березовскому войну, затем в 1996 году примирился с ним для поддержки кандидатуры Ельцина. Он является видным членом Всемирного еврейского конгресса, и основал с Михаилом Фридманом русско-еврейский конгресс. Кризис 1998 года его существенно ослабил.

Владимир Олегович Потанин, должность которого в министерстве внешней торговли позволила ему значительно обогатиться и создать финансовую группу «Интеррос» и свой банк ОНЭКСИМ, также является известным олигархом. В 1995 году он был разработчиком системы «кредиты взамен акций», позволившей банкирам задешево получить целые отрасли российской промышленности. За несколько сотен миллионов долларов, предоставленных взаймы российским государством, находящимся на грани банкротства, олигархи овладели активами, которые стоили многие миллиарды. Владимир Потанин, благодаря этой системе, получил «Норильский никель».

Михаил Борисович Ходорковский начал свою карьеру как влиятельный член московского комсомола (организации советской молодежи, из которой набирались будущие лидеры коммунистической партии). Именно благодаря средствам этой организации и ее связям с коммунистической партией, он основал свой банк «Менатеп». Затем он овладел активами компании «ЮКОС» благодаря системе «кредиты взамен акций». Приватизация «ЮКОСа» сопровождалась многочисленными убийствами и абсолютным презрением к правам миноритарных акционеров, в том числе иностранцев. Мэр Нефтеюганска, где находится самый крупный актив «ЮКОСа», который начал голодовку, чтобы добиться оплаты налогов, полагающихся его городу, находящемуся на грани разорения, был убит 26 июня 1998, в день рождения Ходорковского. Начальник службы безопасности «ЮКОСа» Алексей Пичугин по-прежнему находится в тюрьме за это преступление. Тем, кто сочувствуют судьбе олигарха, думая, что он дорого платит за финансовые операции, не мешало бы узнать о кровавых преступлениях эпохи Ходорковского. Ходорковский связывается с деловыми кругами Америки и не считая расходует средства в рекламных агентствах для создания положительного имиджа, злоупотребляя снисходительностью западных СМИ.

Михаил Маратович Фридман остается и сегодня одним из самых могущественных российских бизнесменов. Со своим деловым партнером Петром Авеном, министром внешней торговли в начале 90-х, он основал консорциум «Альфа», самым ценным из которого являются банк «Альфа» и нефтяная компания ТНК.
Владимир Викторович Виноградов приватизировал государственный банк «Инкомбанк» в 1993 году. Он исчезает с политико-экономической сцены после банкротства его банка во время кризиса 1998 года.

Александр Павлович Смоленский, осужденный в советские времена за различные махинации, поправил свои дела, создав банк «Столичный». Приватизация государственного банка «Агропром», позволяет ему основать «СБС Агро», первый частный банк и второй банк в России. В 1998 году банк был уничтожен кризисом и разорил миллионы мелких вкладчиков. Смоленский теряет политическое влияние, но сохраняет состояние.
Эти семь банкиров не были единственными богатыми и влиятельными людьми эпохи Ельцина, но это они «делали короля». Они построили свои состояния на триптихе: чиновник, мафиози, бизнесмен. В российской провинции есть местные очень влиятельные олигархи, построившие свою власть на той же основе.

Кризис 1998 года привел к исчезновению двух из семи банкиров, Виноградова и Смоленского. Новое поколение появляется на развалинах России после кризиса. Они сделали свои состояния в 90-х годах и находятся на пике своего могущества. Они моложе, чем первое поколение, но они с ним очень тесно связаны.
Самые известные из них ― это Михаил Прохоров, партнер Владимира Потанина в «Норильском никеле», Роман Абрамович, связанный с Борисом Березовским, и Олег Дерипаска, вассал братьев Михаила и Льва Черных в «Русском алюминии». Кроме того, в тот период бизнесмены начинают дистанцироваться от охранявшей их мафии.

В начале 2000-х олигархи, как и в 1996 году, оказались перед лицом угрозы возможного возвращения к власти коммунистов. Даже почти полностью контролируя российские СМИ, олигархов нуждались в надежном кандидате для защиты своих интересов. Они остановили свой выбор на человеке, чья лояльность по отношению к президенту Ельцину позволяла им предположить, они будут манипулировать им столь же легко, как уходящим президентом. Благодаря победе в Чечне, Владимир Путин был избран президентом 26 марта 2000 года. Но для олигархов это стало началом конца.
После избрания Владимира Путина на президентский пост в марте 2000 года, западную прессу главным образом занимал вопрос, будет ли новый президент марионеткой в руках олигархов. Удивительно, но чем больше Путин лишал олигархов их привилегированного положения, тем больше он становился объектом нападок прессы, которая несколькими месяцами ранее отрицала их господство над Россией.

Первым пострадавшим от смены власти стал Владимир Гусинский, СМИ которого атаковали Владимира Путина во время выборов. Он бежал в Испанию, затем в июле 2000 года ― в Израиль. Холдинг «Медиа-Мост», обремененный долгами, был разделен и, в конце концов, оказался руках государственной газовой монополии «Газпром». В том же июле 2000 года президент Путин созывает олигархов, чтобы объявить им новые правила, которым они должны подчиниться, если они не хотят отвечать за свои многочисленные нарушения. Этих правил четыре:
Платить налоги.
Прекратить обход налогового законодательства.
Реинвестировать прибыли в российские предприятия.
И, наконец, не заниматься политикой.

Большинство олигархов почувствовали, что ветер изменился, и подчинились новым правилам. Два из семи банкиров, тем не менее, пытаются противостоять воле нового президента. Первым стал Борис Березовский, бывший серый кардинал Ельцина, который не признал понижения в ранге. Но Владимир Путин руководит Россией железной рукой. Он быстро очищает президентскую администрацию, и знает, что может рассчитывать на поддержку силовых структур. В 2001 году Березовский вынужден бежать в Лондон.

Из английской столицы он затевает заговоры и становится заклятым врагом Кремля. Он финансирует все формы оппозиции Владимиру Путину в России и за рубежом. Он поддерживает захват власти Михаилом Саакашвили в Грузии в 2003 году и «оранжевую революцию» на Украине в 2004. Он поддерживает чеченского террориста Ахмеда Закаева, также укрывшегося в Лондоне. Он регулярно обещает крупные разоблачения Владимира Путина, однако ничего убедительного никогда не было опубликовано. Кроме того, он пользуется защитой британских спецслужб.

Вторым олигархом, не принявшим новые условия, стал Михаил Ходорковский. Западные средства массовой информации, подпитываемые американскими агентствами по общественным связям, несправедливо отнесли арест олигарха на счет предполагаемых политических амбиций, и постарались сделать из него нового Солженицына. Ходорковский пал по причинам менее славным. С 2003 года он принялся финансировать всю возможную оппозицию в Думе, от коммунистов до либералов. Он надеется сформировать парламентскую группу, которая позволила бы ему блокировать налоговую реформу Владимира Путина. Между 2003 и 2004 годами налогообложение нефтяных компаний России увеличилось в среднем с 5% до 30%. Олигарх планирует также массово ввести американские компании, будь то Chevron и Exxon, в акционеры «ЮКОСа».

Наконец, он хочет освободиться от монополии «Транснефти» на транспортировку нефти и построить вместе с китайцами нефтепровод, непосредственно связывающий его буровые с Китаем. Маловероятно, что у Ходорковского были личные политические амбиции, он был слишком умен, чтобы не знать, что он олицетворял собой все, что русский народ ненавидел. Приговор Ходорковскому и его соратникам, чрезвычайно популярный среди россиян, на самом деле означал конец олигархической системы в России. Кажется также, что Владимир Путин лично полагал, что Ходорковский должен заплатить за кровавые преступления, окружающие приватизацию «ЮКОСа», в том числе убийство мэра Нефтеюганска в день рождения олигарха. Именно в этом смысле Владимир Путин недавно сравнил ситуацию Ходорковского с Аль Капоне, этим американским мафиози, осужденным не за кровавые преступления, недоказуемые, но за уклонение от уплаты налогов.

Пример Ходорковского принес свои плоды, предприятия, добывающие полезные ископаемые, стали платить налоги. Кремль этим воспользовался, чтобы наложить руку на многие промышленные активы. Активы «ЮКОСа» попали под контроль государственной компании «Газпром» в 2004 году. В 2005 году «Сибнефть», компания Березовского, а затем Абрамовича, была выкуплена «Газпромом» и стала «Газпромнефтью».

Из семи банкиров 1996 года осталось только два. Один из них, Владимир Потанин, объявил в феврале 2010 года, он завещает свое более чем пятимиллиардное состояние на благотворительность. Второй ― Михаил Фридман, падение которого предсказывалось в течение многих лет, но которое так и не случилось. Молодое поколение Дерипаски, Прохорова и Абрамовича отказалось от политики в пользу бизнеса, лыжных курортов и футбольных клубов. Кроме того, кризис 2008 года серьезно ослабил Дерипаску, который обязан сохранением своей империи кредиту в 4,5 миллиарда долларов, предоставленному ему правительством России через «Внешэкономбанк».

Как знамение времени, Дмитрий Медведев и Владимир Путин объявили о начале новой волны приватизации, но на этот раз она принесет более 40 миллиардов долларов российскому государству и позволит иностранным компаниям войти в капитал и в управлении этими предприятиями. Время олигархов в настоящее время закончилось, ни один российский бизнесмен, каким бы богатым он ни был, не имеет больше средств влиять на избрание президента России. Вопреки романтическим утверждениям Пьера Авриля в Le Figaro, те, кого он называет “новыми олигархами”, на самом деле являются бизнесменами, которые, безусловно, очень близки к правительству, и которые пользуются этой близостью для увеличения своего состояния, но не оказывают влияния на политические решения. Этот вызов Владимир Путин сумел преодолеть, победив олигархов, некоторые из которых привели его к власти, точно такую же задачу предстоит разрешить сегодня Виктору Януковичу на Украине и … Бараку Обаме в Соединенных Штатах.

Перевод : Уголин

Россия как пример успешной многокультурной модели?

Чтобы понять всю глубину различий, нам нужно обратиться к основополагающей модели Европы, большинство государств которой формировались на основе единственной нации, и России, империи составленной путем постепенной ассимиляции многих народов.
На существующий сплав народов оказали большое влияние волны переселения представителей русского этноса на евразийском континенте: в XVIII веке преследуемые за отказ принять церковную реформу Никона староверы были сосланы Екатериной II в Сибирь, куда они принесли светоч европейской культуры; в XIX веке на восток отправили и вдохновленных западными идеями молодых дворян-декабристов; на острие покорения востока находились и российские казаки. В сталинскую эпоху переселенные народы и узников ГУЛАГа миллионами отсылали на стройки в удаленные регионы.
(…..)
Одним из лучших примеров сосуществования народов России является Татарстан. Его нынешнее лицо, сформированное богатой на конфликты историей, не помешало ему стать полностью интегрированным в Федерацию мусульманским регионом. «Татарское ярмо», которое висело на шее российского государства в течение трех веков, оказало сильнейшее влияние на будущее обоих народов. Даже сегодня в Москве можно встретить огромное множество людей с татарскими корнями. После захвата Казани при Иване Грозном Татарстан стал образцом добрососедского существования татарского и русского этносов, которые составляют соответственно 43% и 38% населения этой республики. Хиллари Клинтон даже обращалась к ее бывшему президенту Минтимеру Шаймиеву по вопросу «межкультурной толерантности». Ислам в Татарстане и многих других регионах страны (например, Башкирии) не изменил самосознания этих народов, которые считают себя россиянами. Это европейский ислам, по выражению Шаймиева.

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L’effondrement de l’empire du Mal

 A l’occasion du 20ieme anniversaire de la chute de l’URSS, Fabrice Fassio m’a transmis ce texte interessant intitulé ‘ L’effondrement de  l’empire du Mal’:
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En 1990, Boris Eltsine proclamait l’indépendance de la Russie qui, dorénavant, ne ferait plus partie de l’Union soviétique. A la surprise générale, se fracturait un pays que le président Ronald Reagan avait, quelques années auparavant, surnommé « l’empire du Mal ». Cet événement majeur de l’histoire contemporaine a fait couler beaucoup d’encre mais, vingt ans plus tard, il n’a toujours pas été compris. Comprendre un phénomène d’une telle ampleur et d’une telle complexité exige une approche théorique de la société communiste. Cette théorie existe et a été élaborée dans les années 1970-1980 par le sociologue et logicien russe : Alexandre Zinoviev. Dans cet article, je vous propose un bref aperçu de l’analyse zinovievienne de la crise du communisme réel.

Communisme et capitalisme
Selon le sociologue russe, la société communiste (1) est née et s’est développée en Russie durant les décennies postérieures à la Révolution d’Octobre et s’est ensuite étendue à d’autres pays de la planète. Elle diffère profondément de la société capitaliste (2) qui s’est formée, il y a deux cents à deux cent cinquante ans, en Europe occidentale et dans une partie de l’ Amérique du Nord, peuplée de colons européens. Les rapports (relations) spécifiques de la société capitaliste sont des rapports professionnels, régissant l’organisation du travail, et des rapports marchands, ayant le profit pour objectif. Ces relations ne deviennent dominantes que lorsqu’un certain nombre de conditions sont remplies : la propriété privée des moyens de production, des travailleurs vendant leur force de travail à un employeur, des capitaux prêts à être investis dans une affaire lucrative etc. Une fois ces conditions remplies, ces rapports étendent peu à peu leur emprise à l’ensemble du corps social, reléguant à l’arrière-plan des relations d’une autre nature.

A l’instar du capitalisme, note Alexandre Zinoviev, le communisme est un système, c’est-à-dire une manière de faire vivre les hommes ensemble, de génération en génération. Selon le philosophe russe, les rapports spécifiques du communisme réel sont des rapports sociaux structurant les grandes collectivités humaines (3) : la division des hommes en chefs et subordonnés, la hiérarchie des chefs, le commandement et la subordination, le pouvoir du groupe sur l’individu etc. Ces relations sociales existent dans tous les ensembles humains, y compris dans les pays occidentaux, mais ne deviennent dominantes que lorsqu’un certain nombre de conditions sont remplies : la nationalisation des moyens de production, une gestion centralisée de la vie de l’ensemble social, une économie et une culture complexes etc. Dans les années 70, élaborant sa théorie sociologique de la société communiste, le philosophe russe avait établi l’inéluctabilité de l’existence de crises au sein des systèmes sociaux. Ce dernier point est absolument essentiel pour le sujet qui nous intéresse.

Le concept de crise
Les sociétés sont des organismes vivants composés d’un grand nombre d’individus et d’associations d’individus, or tous les organismes vivants traversent des situations critiques et sont sujets à des maladies. Dans le domaine des grandes sociétés humaines , ces situations critiques diffèrent en fonction des rapports fondamentaux qui régissent l’organisme social. C’est la raison pour laquelle la crise de la société capitaliste est de nature économique, alors que celle de la société communiste est de nature sociale et se manifeste par une profonde désorganisation des différentes sphères de l’organisme. Selon le philosophe russe, afin de comprendre l’essence de la crise du communisme, il est important d’établir une distinction entre deux facteurs : les causes et les conditions de la crise. Dans ses ouvrages consacrés à ce thème (4), le philosophe explique que les causes les plus profondes de la crise d’une société communiste résident dans une accumulation de dérogations à la norme, engendrées par les tendances mêmes qui génèrent le fonctionnement normal de cette société. Quant aux conditions de la crise, elles consistent en un ensemble de facteurs tels que l’existence d’autres pays, une politique gouvernementale, une catastrophe naturelle etc. Ces conditions favorisent l’action des mécanismes d’une crise, accélèrent ou bien, au contraire, bloquent l’éclatement d’une crise. C’est ainsi que la politique de la nouvelle équipe mise en place à Moscou en 1985 joua un rôle essentiel dans le déclenchement de la crise qui mûrissait depuis des années au sein de la société soviétique. Je reviendrai plus tard sur ce point. A la différence des conditions qui peuvent changer ou disparaître avec le temps, les causes d’une situation critique sont les compagnons de route de l’organisme social durant toute son existence. Si des sociétés communistes se développent dans le futur, elles seront sujettes à des mécanismes générateurs de crises, semblables à ceux qui ont provoqué une situation critique au sein de la société soviétique à la fin de l’ère Brejnev.
La théorie zinovievienne constitue un puissant éclairage en direction de l’avenir.

Les causes
Dans ce chapitre, je propose au lecteur un exemple destiné à illustrer ce que je viens de dire. Selon les règles juridiques de la société communiste, tout individu adulte capable de travailler doit être rattaché à une cellule reconnue par l’Etat (une usine, une exploitation agricole, un bureau etc.) ; en échange du travail fourni, notre homme reçoit de la cellule un salaire et bénéficie d’un certain nombre d’avantages. Telle est la norme. En revanche, un individu qui parvient à survivre sans travailler dans une organisation reconnue par l’Etat est une dérogation à la norme. Dans une société communiste parfaite (idéale, abstraite), où n’existerait aucune dérogation à la norme, (5) tous les citoyens en âge de travailler seraient rattachés à une cellule et n’obtiendraient des revenus et des avantages qu’en échange de leur travail. Dans la réalité de la vie quotidienne, l’idéal de rattachement de la totalité des citoyens à une cellule agit comme une tendance dominante : la majorité des citoyens gagnent effectivement leur vie en travaillant dans des organisations reconnues par l’Etat. Toutefois, au travers de nombreux canaux, la société offre la possibilité à des individus de survivre sans être rattachés à une cellule. A l’époque de Léonid Brejnev, le nombre de ces individus, officiellement dénommés « parasites », s’était notoirement accru, engendrant une forte tendance à échapper au travail obligatoire. D’une façon plus générale, Alexandre Zinoviev note que, à la fin de l’époque brejnévienne, ce phénomène d’accumulation des dérogations à la norme s’était renforcé dans plusieurs domaines de la vie soviétique : le pouvoir de l’idéologie officielle (le marxisme-léninisme) sur les esprits s’était affaibli, des mafias s’étaient constituées au niveau de la direction des républiques et de l’Etat central, le contrôle des instances planificatrices sur les entreprises de production de biens et de services avait diminué, manipulations comptables et fraudes avaient augmenté dans le secteur économique etc.
En résumé, les innombrables petits ruisseaux constitués par les dérogations à la norme se sont joints pour former un fleuve puissant : celui de la tendance à la crise.

Une première condition
Parmi les conditions majeures qui se sont « superposées » aux mécanismes internes générateurs de la crise, il convient de citer la guerre froide et la perestroïka gorbatchévienne. Arrêtons-nous un peu sur cette période que les historiens ont nommée : la guerre froide, et qui s’est étendue de 1945 jusqu’au début des années 90. Durant toutes ces années, l’Union soviétique, sortie victorieuse d’une terrible guerre qui s’est déroulée en grande partie sur son sol, va vivre au rythme d’une tension caractérisée par l’existence de deux blocs antagonistes. Cette tension entre les deux grandes puissances se manifeste dans de nombreux domaines : la sphère de l’économie, celle de l’idéologie, le monde des services secrets, les guerres locales, la constitution de zones d’influence etc. A ce propos, Alexandre Zinoviev explique que les points forts et les points faibles des deux systèmes ont joué des rôles différents à des moments différents. Durant les années 1950-1960, l’Union soviétique développe une prodigieuse puissance militaire et fait preuve d’un impressionnant activisme au niveau international, favorisant la diffusion du communisme dans les moindres recoins de la planète. Cette capacité qu’ont les dirigeants d’une société communiste de concentrer toutes les ressources du pays vers un but précis est justement l’un des points forts du communisme et cette première période de la guerre froide est plutôt favorable à l’URSS et à ses alliés. Cependant, dans les années 1970-1980, l’Occident commence à dévoiler ses propres atouts, en particulier sa supériorité dans les domaines économique et technologique. Durant ces années, la situation change aussi sur le plan idéologique. Arrêtons-nous sur ce dernier point de façon à comprendre comment s’est opérée la « fusion » entre causes et conditions de la crise.
Dans les années 70-80, le modèle soviétique fait l’objet d’une très forte attaque de la part des médias occidentaux ; soviétologues, sociologues, politiciens et journalistes imposent peu à peu l’idée selon laquelle communisme et capitalisme représentent une division du monde en deux parties : un immense Goulag (un empire du Mal) d’un côté, et une démocratie parée de toutes les vertus, de l’autre. L’idéologie occidentale ne se contente pas d’exercer son action sur les esprits des Occidentaux mais pénètre à l’Est par les canaux les plus divers. Jeans, musique rock, appareils sophistiqués accessibles à tous et films fabriqués aux Etats-Unis offrent une image séduisante de l’Ouest et font partie du processus d’occidentalisation au même titre que l’extrême valorisation de la démocratie parlementaire et du capitalisme, pudiquement rebaptisé : libéralisme. Vers la fin de l’ère brejnévienne, note Alexandre Zinoviev, l’idéologie occidentale exerçait une action corrosive sur les différentes couches de la société soviétique en général, et sur les couches supérieures en particulier. Causes et conditions de la crise idéologique se sont donc entremêlées en un inextricable écheveau : si l’influence occidentale pénétrait si facilement les esprits des citoyens du bloc de l’Est, c’est bien parce que l’idéologie soviétique avait perdu une partie de sa puissance, laissant en quelque sorte la place vacante. Des phénomènes tels que la rupture avec la Chine communiste ou la naissance de l’eurocommunisme contribuent aussi à affaiblir l’Union soviétique. A l’époque où Mikhaïl Gorbatchev et son équipe accèdent aux plus hautes instances du pouvoir soviétique, il est clair aux yeux de beaucoup que le plateau de la balance commence à pencher très nettement du côté occidental.

Une seconde condition
La politique nouvelle, mise en place par la direction soviétique à partir de 1985, est évidemment une condition majeure de la crise du communisme. Sous les vivats des dirigeants et des médias occidentaux, cette politique va plonger le pays dans la désorganisation la plus totale. Cette condition diffère de toutes les autres en ce sens qu’elle a joué le rôle d’un « détonateur » mettant le feu aux poudres et transformant la tendance à la crise en crise bien réelle. Dans ses ouvrages consacrés aux événements qui sont survenus en URSS à partir de 1985, Alexandre Zinoviev note que Mikhaïl Gorbatchev et son équipe n’avaient pas sciemment l’intention de plonger le pays dans le chaos ; bien au contraire, les velléités réformistes de la nouvelle direction étaient destinées à renforcer l’Union soviétique tout en séduisant l’Occident mais, dans une société mûre pour la crise, une « avalanche » imprévue d’événements transforma très rapidement l’équipe au pouvoir en marionnettes incapables de maîtriser un processus que ladite équipe avait pourtant enclenché. Selon le philosophe russe, la direction soviétique était donc animée des meilleures intentions du monde, mais son action a plongé des millions de citoyens du bloc de l’Est dans le chaos et ravalé la Russie au rang de puissance moyenne. Si un tel phénomène n’a rien d’exceptionnel dans l’histoire de l’humanité, il n’en constitue pas moins une nouvelle preuve que les rues de l’enfer -cet autre empire du Mal- ne sont pavées que de bonnes intentions.

Un exemple de politique gorbatchévienne
Dès 1985, la nouvelle direction soviétique met en place une politique de transparence (glasnost), de liberté de création et de réhabilitation de la vérité historique. Le pouvoir gorbatchévien se donne pour but de rétablir la vérité concernant l’histoire de l’Union soviétique, de prendre ses distances avec ses prédécesseurs et de mériter les éloges des Occidentaux. Les autorités soviétiques réhabilitent des victimes du stalinisme, autorisent la publication d’œuvres interdites ainsi que l’évocation d’événements qui, hier encore, étaient passés sous silence. Le nouveau pouvoir ne ménage pas non plus ses critiques envers la direction brejnévienne, accusée de conservatisme ; des dissidents célèbres, qui avaient été contraints de s’exiler en Occident, obtiennent le droit de rentrer au pays et de s’exprimer librement. Commence alors en Union soviétique un processus d’autoflagellation et de dénigrement de toute l’histoire du pays. Le passé soviétique ne consisterait qu’en une litanie de trahisons et de crimes et le marxisme-léninisme ne mériterait que le mépris. Beaucoup de Soviétiques n’accordent plus aucune valeur aux affirmations de l’idéologie soviétique concernant le capitalisme et perçoivent en revanche les idées provenant d’Occident comme de sacro-saintes vérités. « L’avenir radieux de l’humanité » aurait donc bien été construit mais … à l’ouest du rideau de fer. En pratique, la politique de glasnost et de réhabilitation de la vérité historique amplifie la crise de confiance des Soviétiques envers le système communiste et l’idéologie officielle, apportant ainsi sa contribution à l’explosion sociale.

Les manifestations de la crise
Cette explosion sociale se manifeste, entre autres formes, par une profonde désorganisation de la vie quotidienne et par une tendance à la désintégration au niveau de la société tout entière. Déclarations anti-communistes, grèves, manifestations et mouvements de foule envahissent le devant de la scène sociale et deviennent monnaie courante. Beaucoup de contestataires ne sont plus rattachés à une quelconque cellule ; mécontents de l’ordre existant, ces protestataires défilent dans les rues et forment le fer de lance de mouvements revendicatifs. A un niveau élevé de la hiérarchie sociale, certains personnages haut placés comprennent très vite quel parti tirer de foules sensibles à la démagogie ; la décomposition de la société communiste permettra à ces individus de satisfaire leurs ambitions personnelles et nombre d’entre eux deviendront les chefs des unités territoriales issues de l’éclatement. Le phénomène de désorganisation de la vie quotidienne se double d’un processus de désintégration du bloc soviétique. Ce dernier point est particulièrement intéressant du point de vue sociologique. L’existence de grands rassemblements humains comptant des millions d’individus est caractéristique de l’époque contemporaine ; au sein de tels ensembles, existent des tendances à la désintégration du tout et à la formation de groupes autonomes. La crise de la société communiste décuple la force de ces tendances séparatistes qui ébranlent avec une extrême violence deux ensembles pluriethniques : l’Union soviétique et la Yougoslavie, ce pays des Balkans né après la première guerre mondiale. Les événements tragiques qui surviendront en Yougoslavie durant la dernière décennie du vingtième siècle trouvent leurs racines dans la crise du communisme réel : l’éclatement du pays et la désorganisation sociale raviveront d’anciennes blessures inter-ethniques que l’on croyait guéries et en susciteront de nouvelles. Le proverbe affirmant que les chevaux ne se mangent entre eux que lorsque l’avoine vient à manquer dans l’écurie, garde toute sa force lorsqu’il s’agit de groupes humains vivant au sein d’une entité soudainement en proie à une violente secousse. Au début des années 90, la crise atteint son paroxysme et frappe le cœur de l’empire du Mal : la Russie.
Boris Eltsine, haut fonctionnaire de l’Union soviétique et membre du parti communiste, proclame l’indépendance de la Russie dont il prend la tête. L’ancien membre suppléant du politburo de l’Union soviétique promet aux dirigeants occidentaux de rompre avec l’odieux passé communiste et d’adopter le système occidental. Les Soviétiques plaisantent : nous détruisons le communisme sous la direction … des communistes.

Une contre-perestroïka ?
En Union soviétique, beaucoup de gens comprennent que le pays s’enfonce dans une catastrophe qui fait le jeu des puissances occidentales. La perestroïka s’achève en katastroïka (6), comme l’avait prédit Alexandre Zinoviev, ce théoricien majeur de la société communiste que les médias occidentaux commencent à mettre à l’écart. Le philosophe a longtemps pensé qu’une contre-perestroïka, seul moyen de sortir de la crise, pourrait avoir lieu dans son pays. Quelle forme aurait donc revêtu cette contre-perestroïka ? Il est impossible de répondre à cette question sans prendre en compte la nature du communisme réel. La société communiste est une société de fonctionnaires, dominée par les rapports de commandement et de subordination. Un pays communiste sans Etat fortement développé est aussi impensable qu’une société capitaliste sans argent, sans circulation de capitaux et sans profit, or la crise de la société communiste a fortement ébranlé le pouvoir étatique. La direction du pays a perdu le contrôle de la société dirigée et, à l’intérieur même du système de direction, les règles normales de fonctionnement ont été mises à mal. Beaucoup de Soviétiques comprennent que le seul moyen de sortir de la crise est de restaurer la puissance de l’Etat.
La direction gorbatchévienne elle-même, effrayée par l’ampleur du bouleversement social, essaye de reprendre en main le système administratif soviétique composé d’un nombre gigantesque d’institutions et d’organismes. Comme Joseph Staline l’avait fait en son temps, Mikhaïl Gorbatchev tente de mettre en place un appareil de pouvoir personnel chapeautant l’appareil du Parti, d’où la volonté de renforcer les pouvoirs du « président »(7), c’est-à-dire de lui-même. Alexandre Zinoviev explique que ces manœuvres de la direction soviétique ne relèvent pas de la volonté subjective de Gorbatchev et de ses amis, mais sont l’unique façon de sortir le pays du marasme dans lequel il est plongé. Si ce super pouvoir personnel avait été mis en place, il aurait permis au « président » et à son équipe de reprendre en main l’appareil du Parti dans un premier temps, puis l’appareil d’Etat tout entier dans un deuxième temps, mais cette contre-perestroïka n’est pas menée à son terme. Mikhaïl Gorbatchev, oscillant sans cesse entre son désir de plaire aux Occidentaux et la volonté de reprendre en main le pays, finit par être évincé par Boris Eltsine qui engage définitivement la Russie sur la voie de l’occidentalisation.
L’empire du Mal éclate de toutes parts et le soir du 8 décembre 1991, date officielle de la mort de l’Union des républiques socialistes soviétiques, le président Ronald Reagan, enfin rasséréné, peut dormir paisiblement sur ses deux oreilles.

Quelle occidentalisation ?
L’effondrement de l’empire du Mal et de ses alliés provoque un gigantesque bouleversement sur le continent européen. Le destin de tous ces pays, hier intégrés dans un même bloc, va dorénavant diverger. La République démocratique allemande (RDA), par exemple, est purement et simplement annexée par l’Allemagne de l’Ouest, membre du camp occidental, qui s’empresse de restructurer l’ancienne zone socialiste en vendant les entreprises de l’Est au secteur privé. Les citoyens de l’ex-RDA auront dorénavant le droit de manifester librement dans la rue, celui de voter pour le député de leur choix ainsi que la possibilité de faire leurs achats dans d’énormes supermarchés regorgeant de marchandises, mais ils perdront le travail léger et garanti, les loyers symboliques, la gratuité des soins et de l’enseignement, la vie au sein des collectifs d’entreprise, l’insouciance du lendemain et autres avantages du socialisme réel. S’ensuivra « l’ostalgie » (8), la nostalgie du mode de vie communiste. Le cas allemand est cependant bien particulier. En effet, s’il existe une Allemagne de l’Ouest capable de verser des allocations et des aides aux chômeurs provenant de l’ancienne zone socialiste, il n’existe pas de Pologne ou d’ Union soviétique de l’Ouest. La situation de la Russie, désormais gouvernée par « des réformateurs » désireux d’effacer toute trace de socialisme, est bien différente de celle de l’ancienne République démocratique allemande.
Dans ses ouvrages consacrés à la société communiste (9), Alexandre Zinoviev explique que l’économie d’un pays socialiste est gérée par des principes autres que ceux de l’exigence de profit ou de rentabilité ; cette économie a pour mission, par exemple, de fournir du travail à l’ensemble de la population. Avant l’effondrement du pays, la quasi-totalité des entreprises appartenaient au secteur public et les instances planificatrices géraient la vie économique. Sous la direction des « réformateurs » dorénavant installés au Kremlin, s’opère un véritable bradage des entreprises publiques ; un certain nombre d’entre elles deviennent la propriété d’individus extrêmement riches (les « oligarques ») liés au pouvoir d’Etat. Le chômage fait son apparition, le niveau de vie d’une large partie de la population baisse, des firmes occidentales s’établissent dans le pays et le dollar circule librement comme monnaie d’échange. Les Soviétiques plaisantent une nouvelle fois : les communistes nous mentaient toujours, sauf lorsqu’ils affirmaient que le capitalisme … c’est encore pire. Nec plus ultra de l’occidentalisation : la démocratie parlementaire s’installe dans les murs du Kremlin, mais de quelle démocratie s’agit-il exactement ?

Quelle démocratie ?
Durant toutes ces années de la guerre froide, l’Occident a renforcé son idéologie qui, au fil du temps, est devenue une arme puissante dont l’action s’est exercée des deux côtés du rideau de fer. Ce renforcement s’est effectué en structurant l’idéologie autour de plusieurs thèmes. C’est durant cette période, par exemple, qu’est apparue l’idée selon laquelle la démocratie parlementaire est un mode de gouvernement valable pour tous les temps et pour tous les peuples.
Les années passant, cette idée a acquis la force d’un axiome. Dans ses écrits consacrés à la société occidentale (10), Alexandre Zinoviev souligne que la démocratie parlementaire est un type de pouvoir intrinsèquement lié à la structure des Etats-nations ; le philosophe ajoute que, contrairement à ce qu’affirme l’idéologie occidentale, ce type de pouvoir n’est pas transposable sous tous les cieux et à toutes les époques. Sur le continent américain, la démocratie parlementaire s’est construite en même temps que se développait une économie capitaliste et que naissait une nation nouvelle : les Etats-Unis. Lors d’un voyage sur le nouveau continent, un sociologue hors pair, Alexis de Tocqueville, avait d’ailleurs pressenti la force potentielle de cette jeune nation qui se construisait sous ses yeux. Afin d’approfondir le sujet qui nous préoccupe, répertorions d’abord quelques termes couramment associés à l’expression « démocratie parlementaire » : élections libres, séparation des pouvoirs, partis politiques, élus du peuple, régimes présidentiel ou parlementaire. Arrêtons-nous ensuite sur le cas des principaux partis politiques présents sur la scène d’un pays occidental contemporain. Ces partis sont le produit d’une longue histoire et représentent des couches et des catégories sociales bien précises ; ils ont évolué avec le temps et ont acquis aujourd’hui une grande expérience de la relation avec le pouvoir d’Etat auquel ils fournissent des cadres. A l’heure actuelle, ces partis politiques sont devenus des éléments majeurs de la structure du pouvoir d’un pays occidental. Qu’y a-t-il de tout cela dans la Russie issue de la fragmentation de l’empire du Mal ?
Une multitude de partis ont certes poussé comme champignons après la pluie durant la période gorbatchévienne, mais ils ne reposaient sur aucune base historique et ne représentaient aucune couche sociale. La Russie n’a pas de tradition dans ce domaine que les Occidentaux nomment : la vie politique. Le parti communiste de l’Union soviétique n’était pas un parti politique au sens occidental du terme, mais l’axe central d’un pouvoir d’Etat fortement hiérarchisé dont la fonction était de gérer la société tout entière. A ce propos, Alexandre Zinoviev souligne que l’Etat a joué un rôle essentiel dans l’histoire de la Russie, dès le début de l’existence de ce pays, et que le communisme représente en quelque sorte le couronnement de la tendance russe à l’étatisme. A l’évidence, n’existe dans l’actuelle Russie qu’une caricature de démocratie parlementaire, élément d’une occidentalisation imposée par les vainqueurs de la guerre froide.

Un lièvre avec des cornes
Alexandre Zinoviev utilise (11) l’expression : « un lièvre avec des cornes », afin de qualifier la Russie issue de l’éclatement de l’empire du Mal. Cette Russie nouvelle serait un hybride social de même qu’un lièvre avec des cornes serait, s’il existait, un hybride biologique. Que cela signifie-t-il ? Selon le philosophe russe, la société qui s’est formée dans les années postérieures à l’effondrement de l’Union soviétique n’est pas l’aboutissement d’une évolution sociale naturelle, mais résulte pour une large part d’une occidentalisation forcée du pays consécutive à la défaite de la Russie pendant la guerre froide. Cette société nouvelle est constituée d’un assemblage d’éléments disparates, en particulier : l’occidentalisation, la résurrection du passé ainsi que l’existence de tendances au communisme. Ces facteurs divers engendrent des situations qui semblent paradoxales à l’observateur de la Russie actuelle. Illustrons ce qui vient d’être dit par un exemple.
A l’évidence, la constitution d’un large secteur économique privé en Russie est un pas en direction de l’occidentalisation du pays. A l’opposé de cette tendance, la volonté du Kremlin de reprendre en main de grandes entreprises russes appartenant au secteur énergétique est très clairement la manifestation d’un retour à une politique économique de type soviétique. Dans le domaine idéologique et religieux, la situation paraît elle aussi très complexe. En accordant leur soutien au christianisme orthodoxe, les autorités russes manifestent leur intention « d’enterrer » définitivement le marxisme-léninisme, mais aussi leur volonté de promouvoir le nationalisme russe et de ressusciter des éléments du passé tsariste dont fait partie l’orthodoxie. Au sujet de cette dernière, Alexandre Zinoviev note que la « renaissance » de la religion en Russie est une opération organisée par le pouvoir ainsi que par la hiérarchie ecclésiastique et qu’elle ne repose sur aucune assise populaire. En résumé, plusieurs facteurs hétéroclites de différentes origines forment à l’heure actuelle l’ossature de cet étrange animal qu’est un lièvre avec des cornes. Le philosophe explique enfin qu’il est difficile de prédire la durée de vie de cet organisme social hybride dont la qualité principale, aux yeux des dirigeants occidentaux, est de constituer un rempart protégeant la Russie d’un retour à la norme communiste.
L’empire du Mal s’est donc effondré à la suite d’une profonde crise intérieure et d’un coup de poing donné par l’Ouest qui vivait depuis 1945 sous la menace d’un conflit dangereux pour sa survie. Utilisant très adroitement la situation critique que traversait l’Union soviétique dans les années 80, les Occidentaux ont déclenché une attaque contre le communisme.
Affaiblir le système social d’un pays signifie affaiblir ce pays lui-même. Cette attaque a été couronnée d’un succès inespéré : l’empire du Mal en proie à une violente crise interne s’est effondré à la façon d’un château de cartes. Les conséquences de cet écroulement furent nombreuses et diverses. Arrêtons-nous un instant sur ce dernier point. En modifiant en profondeur les rapports entre les principaux acteurs de notre planète, l’écroulement du bloc de l’Est mit fin à une époque née au sortir de la seconde guerre mondiale. La guerre froide s’éteignit d’elle-même sans se transformer en un terrible conflit armé qui aurait ensanglanté une grande partie de l’humanité. La chute de l’empire du Mal eut aussi pour effet d’ouvrir grande la voie à l’épanouissement d’une période nouvelle caractérisée par la domination, à l’échelle mondiale, d’un autre empire que le président Ronald Reagan, j’en suis convaincu, n’aurait pas hésité une seule seconde à surnommer … l’empire du Bien. (12)

Fabrice Fassio
Manille, septembre 2010
NOTES
(1) socialisme réel, société de type soviétique
(2) société occidentiste, occidentaliste (selon le terminologie d’A.Zinoviev)
(3) afin de désigner ces rapports, le philosophe utilise les termes : collectifs, communaux ou communautaires.
(4) je pense en particulier à : Perestroïka et contre-perestroïka (en français), la Katastroïka (en français), La caida del imperio del mal (en espagnol), Il superpotere in URSS (en italien).
(5) dans son étude de la société communiste, Alexandre Zinoviev utilise les procédés logiques du passage de l’abstrait au concret, que Karl Marx avait déjà utilisés dans Le Capital .
(6) néologisme conçu par A.Zinoviev à partir des mots : perestroïka (reconstruction) et katastroph (catastrophe)
(7) en mars 1990, Mikhaïl Gorbatchev est devenu président de l’Union soviétique.
(8) terme formé à partir des mots allemands : « ost »(l’est) et « nostalgie » (la nostalgie)
(9) je pense en particulier à : Le communisme comme réalité, Perestroïka et contre-perestroïka.
(10) l’Occidentisme (en français), La supra-société globale et la Russie (en français). Je n’ai pas pris connaissance de La fourmilière globale (en russe).
(11) Postsoviétisme (en russe), Un lièvre avec des cornes (en russe)
(12) dans cet article, j’ai adopté la façon relativement récente d’écrire avec une seule majuscule : Union soviétique, Union des républiques socialistes soviétiques.

БЕЛГРАД – «ГОРДОСТЬ» ДЛЯ ЕВРОПЫ?

Первая попытка гей-парада в 2001 году завершилась кровавой бойней, когда тысячи патриотов напали на несколько сотен демонстрантов-гомосексуалистов и охранявших их сотрудников полиции. В то время, через два года после войны в Косово и бомбардировок НАТО, причинами насилия и недовольства называли незрелость всего сербского общества, и накопившуюся за десятилетие югославского распада негативную энергию. Однако вторая попытка гей-парада, в прошлом году, спустя семь лет, не смогла даже состояться и была тихо отменена властями, которые не чувствовали себя в состоянии защитить 300-400 манифестантов, несмотря на готовность выделить впечатляющие силы полицейского развёртывания: более 7 000 человек, в том числе из антитеррористических подразделений. Полиция опасалась более, чем 15 000 контр-манифестантов, которые могли бы залить город огнем и кровью, как это имело место во время акций протеста после провозглашения независимости Косово в 2008 году. Несмотря на эти риски, «прозападное» правительство Бориса Тадича пообещало, что в 2010 году парад будет.
Заручившись этим обещанием, в это воскресенье, 10 октября 2010, около 300 манифестантов (добрая половина из которых была иностранцами, в основном, из других стран ЕС), защищённые 6 000 полицейских и вертолетами, устроили на несколько часов «парад» в центре Белграда. Накануне сербское православное движение «Двери» провело восьмитысячную мирную демонстрацию против гей-парада. В день парада протесты были уже не такими мирными. Шесть-семь тысяч молодых патриотов устроили на улицах сербской столицы беспорядки и столкновения с полицией. Насилие достигла такой интенсивности, что полиции, чтобы восстановить контроль над ситуацией, пришлось использовать броневики. Результаты белградского гей-парада 2010: один миллион евро ущерба, 150 раненых и более 250 арестованных. При этом 85% граждан Сербии по-прежнему против проведения гей-парадов, и лишь 11% – нет. Таким образом, можно задаться вопросом: а что же побуждает сербское государство делать всё, чтобы этот парад состоялся? Учитывая, что Сербия уже подала свою заявку на вступление в Европейский Союз в декабре 2009 года и ожидает вскоре статуса «официального кандидата на вступление».

Ответ, очевидно, стоит искать всё же в другом месте, и связан он с политической обстановкой в Сербии в течение многих лет. Несколько последних политических событий кажутся весьма значительными для стоящей перед Сербией дилеммы: «Косово или ЕС». После провозглашения вердикта Международного Суда (МС), которые признали одностороннее провозглашение независимости Косово в 2008 году не противоречащим международному праву, сербский парламент принял проект резолюции в адрес Европейского союза, которая признаёт, что Белград «отказывается утверждать незаконность независимости Косово». На прошлой неделе тот же парламент принял резолюцию «осуждающую» преступления, совершенные против сербов и в отношении граждан Сербии во время конфликтов, которые разрушили бывшую Югославии в 1990-х годах, но «осуждаются» только жертвы воздушных ударов НАТО с марта по июнь 1999 года.

Всё ещё не интегрированная в ЕС и уже почти потерявшая Косово, Сербия в настоящее время пребывает в тяжёлой экономической ситуации, с 20%-ной безработицей и средней заработной платой в 320 евро. Правительство констатирует спад своей популярности – менее 22% в настоящее время, притом, что президента Тадича поддерживают только 45% членов даже его собственной партии. С другой стороны, «оппозиция» спокойно ждет. До недавнего времени в политическом отношении она представляла собой относительно патриотический блок, благодаря Сербской радикальной партии (СРП). Её лидер Воислав Шешель добровольно сдался Международному трибуналу по Югославии в 2004 году. Скоро он должен выйти оттуда (если не повторит судьбу Слободана Милошевича), так как суд до сих пор не в состоянии доказать какой-либо его ответственности за вменяемые ему в вину преступления. В 2007 году СРП даже стала первой политической партией в Сербии, официально враждебной ЕС и открыто пророссийской. Это стало причиной раскола в радикальной партии в 2008 году, приведшего к созданию Сербской прогрессивной партия (СПП), которая, наоборот, поддерживает интеграцию Сербии в ЕС и отношения с правящей коалицией, что позволяет ей оттягивать часть консервативно-патриотического электората.

С другой стороны, сербские власти очень хорошо знакомы с силой и взглядами «националистических групп» на улицах. Они, устроив спонтанные демонстрации, обеспечили падение режима Милошевича в октябре 2000 года. Некоторые из этих молодых людей, фанаты «Црвены Звезды» (прим. пер.: Delije – название многочисленной группировки (организации) болельщиков белградского футбольного клуба, в переводе – «герои») представляют собой тот же контингент, из которого лидеры сербского военизированного ополчения набирали своих бойцов. Ныне обвиняемые в имевшем место в воскресенье насилии, называемые западными СМИ «неонацистами», они в 2000 году были награждены прозападным сербским радио В-92 за «мирное разоружение полицейского участка»! Прошло десять лет и те же националисты выступают против независимости Косово и против правительственного курса на интеграцию в ЕС, которую считают противоречащей традиционным ценностям сербов.

Структурированные и взаимосвязанные, они становятся серьёзной политической силой, развитой и сильной, с разнообразной деятельностью, множеством сочувствующих и механизмами самофинансирования. У правительства нет контроля над ними и нет, в условиях огромного недоверия со стороны населения, возможности бороться с ними, разве только тотальными репрессиями. Именно поэтому часть лидеров патриотических организаций были арестованы заранее (как, например, Младен Обрадович, лидер «Образа», которого могут приговорить к 12 годам тюремного заключения «за насильственные действия»), или находятся за границей (как Миса Вачич и Игор Маринкович, лидеры «Наших-1389»). Маринкович дал в субботу 16 октября интервью, поясняя методы полицейской борьбы с такими как он, вплоть до пыток и принуждения к даче ложных показаний и самооговорам.

А президент между тем заявил, что «борьба с этими экстремистами – ключевой приоритет для страны, особенно важный для евроинтеграции, так речь идёт о борьбе с фашистами».
Как и год назад, парламент вскоре усилит «борьбу с насилием», чтобы пресечь деятельность «организованной преступности и экстремистских групп, угрожающих безопасности граждан и собственности». В то же время в сербской прессе началась кампания, указывающая, что источники финансирования сербских патриотов находятся в России. В столкновениях сербских фанатов с итальянской полицией после квалификационного матча «Евро-2012» обвинены главари мафиозных банд, занимающихся наркотраффиком и заинтересованные в политической дестабилизации в Сербии. Пропагандистская кампания, призванная сделать «патриотов», «мафию» и «насилие» синонимами, также использует тему убийства в 2003 году бывшего либерального премьер-министра Зорана Джинджича. А вице-министр Италии по иностранным делам Альфредо Мантика, как по заказу, в ходе визита в Белград заявил, что «акты насилия в ходе гей-парада в сербской столице и в Генуе могут стать препятствием вступлению Сербии в Евросоюз», и что «определённые силы, враждебные вступлению Сербии в ЕС, стараются подорвать этот процесс».

Это, пожалуй, главная причина проведения гей-парада в Белграде. Помимо того, чтобы потрафить могущественному гей-лобби в Брюсселе, преследуется цель дать повод для дискредитации, компрометации и нейтрализации всех сил, сколько-нибудь способных поднять дискуссию перед лицом возможного признания независимости Косово в ходе присоединения к ЕС. В интервью РИА «Новости» исполнительный директор вашингтонского «Центра Никсона» Пол Сандерс (Paul Saunders) сказал: «Сербия может войти в ЕС и без признания независимости косовской провинции». Можно даже представить, что медленность процессов евроинтеграции списывается на противодействие оппонентов власти, скрывая её собственную некомпетентность и ошибки. Конечно, у изолированной Сербии вряд ли есть иной выход. Многие хотят евроинтеграции, и это было подтверждено последними выборами, а сербское правительство, кажется, сыграло все возможные карты в попытках противодействовать признанию независимости Косово правовым путём. Но что Сербия получает взамен?

Её экономика всё ещё не оправилась от бомбардировок самолётами тех стран, с которыми теперь Сербия хочет объединится в ЕС. Альфредо Мантике можно было бы напомнить, что в ведущей стране ЕС Франции обычным делом являются уличные беспорядки, а в самой Италии нередко насилие на футбольных стадионах. Потеря Сербией Косово, похоже, станет окончательно «официальной» прежде, чем она вольётся в семью Брюсселя. На таком фоне гей-парад – не главная новость, но возможно это первая акция, направленная на то, чтобы выявить ту часть сербского общества, которая не пойдёт на компромисс. После чего испытать арсенал средств (демократических и не очень, включающих прикормленную полицию), которыми можно было бы противодействие этой части сербского общества нейтрализовать.

Belgrade une pride pour l’Europe ?

Je le retranscris en Francais ci-dessous :

 

La première tentative de gay-pride en 2001 s’était transformée en bain de sang puisque des milliers de patriotes avaient sauvagement agressé la petite centaine de manifestants homosexuels présents, ainsi que les policiers présents, totalement débordés par tant de violence, d’énergie et de détermination. A l’époque, la violence et le mécontentement populaire avaient été mis sur le compte d’une immaturité totale de la société serbe, deux ans après la guerre du Kosovo et les bombardements de l’OTAN, et au sortir d’une décennie de désintégration Yougoslave.


Pourtant la seconde tentative de gay-pride, l’année dernière, soit sept ans plus tard, n’a même pas pu avoir lieu, le rassemblement ayant sagement été annulé par les autorités qui ne se sentaient pas capables de protéger les quelques 300 à 400 manifestants attendus, cela malgré un déploiement policier absolument incroyable. plus de 7.000 hommes, dont des unités anti-terroristes. La police avait craint que plus de 15.000 contre-manifestants ne mettent la ville à feu et à sang, comme ça a été le cas lors des manifestations après l’indépendance du Kosovo en 2008. Malgré tous ces risques, le gouvernement ” pro-occidental ” de Boris Tadic avait promis que la parade 2010 aurait lieu. Tenant parole, ce dimanche 10 octobre 2010, près de 300 manifestants (dont une bonne moitié d’étrangers, principalement d’autres pays de l’UE), protégés par 6.000 policiers et des hélicoptères, ont donc ” paradé ” quelques heures à Belgrade centre, la veille 8.000 personnes du mouvement Orthodoxe Serbe ” Dveri ” avaient défilés pacifiquement pour dénoncer la tenue de cette parade. Le jour de la parade à été moins calme. En effet, entre 6 et 7.000 jeunes patriotes ont affronté les forces de l’ordre et semé le chaos dans les rues de la capitale serbe. Les violences ont atteint une telle intensité que les blindés ont dû intervenir pour que la police reprenne le contrôle de la situation.

Bilan de cette gay-pride 2010. un million d’euros de dégâts dans la ville, 150 blessés et plus de 250 interpellations. Pourtant 85% des Serbes sont toujours ” opposés ” à la tenue d’une gay-pride, et seulement 11% se déclarent pour. On peut dès lors se demander ce qui ” pousse ” l’Etat serbe à tout faire pour que se tienne cette parade, alors même que la Serbie à déjà déposé sa candidature d’adhésion à l’Union Européenne en décembre 2009 et devrait se voir octroyer très prochainement le statut de ” candidat officiel à l’adhésion “.

La réponse est manifestement à chercher ailleurs, et à mettre en lien avec la stabilité politique en Serbie des prochaines années. En effet, plusieurs événements politiques récents sont hautement significatifs de la direction que semble prendre la Serbie dans le dilemme. ” Kosovo ou UE “. Dans la foulée de la déclaration de la Cour internationale de justice (CIJ) qui a reconnu la déclaration unilatérale d’indépendance du Kosovo en 2008 comme n’ayant pas violé le droit international, le parlement serbe à adopté le projet de résolution de l’Union européenne qui implique que Belgrade ” renonce à évoquer l’illégitimité de l’indépendance du Kosovo “. La semaine dernière, ce même parlement a voté une résolution ” condamnant ” les crimes commis contre les Serbes et contre les citoyens de la Serbie pendant les conflits qui ont déchiré l’ex-Yougoslavie dans les années 1990, mais qui ” déplore ” seulement les victimes des frappes aériennes de l’Otan de mars à juin 1999 menées contre la république Fédérale de Yougoslavie. Alors que l’intégration à l’UE n’est pas encore validée et le Kosovo déjà presque perdu, la Serbie se situe aujourd’hui dans une situation économique plus que dramatique, avec 20% de chômeurs et un salaire moyen de 320 euros. Le gouvernement voit sa côte de popularité décliner, inférieure à 22% aujourd’hui, le président Tadic ayant le soutien d’à peine 45% des membres de son propre parti.

De l’autre côté, ” l’opposition ” attend tranquillement que la pression monte. Politiquement, le bloc patriote était relativement fédéré via le Parti Radical Serbe (SRS) du moins jusqu’en 2008. Le Parti Radical Serbe est même devenu en 2007 le premier parti politique de Serbie, hostile à l’UE et ouvertement Pro-Russe, il mettait en danger l’intégration de la Serbie dans l’UE. Son leader, Vojislav Seselj, s’est volontairement rendu en 2004 au TPI d’où il devrait prochainement sortir (si il ne connaît pas le sort de Slobodan Milosevic) le tribunal n’ayant jusqu’à présent pu prouver sa quelconque responsabilité dans les accusations qui lui sont reprochées. Pour cette raison sans doute, en 2008 une scission au sein du Parti Radical éclate, aboutissant à la création du Parti Progressiste Serbe (SNS), qui soutient au contraire l’intégration de la Serbie dans l’UE et transige avec le bloc au pouvoir lui permettant ” si ” besoin, de canaliser une partie de l’électorat patriote/conservateur.

A une autre échelle, le pouvoir serbe sait très bien la puissance et la détermination des ” groupes nationalistes ” de rue. Ceux-ci ont contribué de façon assez spontanée aux manifestations qui ont abouti à la chute du régime Milosevic en octobre 2000. Certains de ses jeunes, les supporters ” Delije ” ont même composé le vivier dans lesquels les chefs de guerre serbe recrutaient leurs miliciens. Principaux responsables des heurts de dimanche, et que la presse nous présente aujourd’hui comme des ” néo-nazis violents, ils ont pourtant reçu un award de la radio serbe pro occidentale B-92 en 2000 pour avoir désarmé pacifiquement un poste de police ! Les temps changent, et en une décennie ces ” nationalistes ” ont fait du nouveau gouvernement leur cible, refusant la perte du Kosovo et la politique pro Européenne engagée, jugée incompatible avec les valeurs traditionnelles serbes. Murissant, ils se sont politiquement structurés, développés et renforcés, devenant de véritables mouvements politiques, avec des moyens très importants, de nombreux soutiens et des modes de financements autonomes. Sur eux le gouvernement n’a absolument aucune emprise ni aucun moyen de contrôle si ce n’est une répression totale, féroce et une discréditation publique. Or c’est exactement le cas, la plupart des responsables d’organisations patriotes ont soit été préventivement arrêtés (comme Mladen Obradovic, leader de Obraz qui risque jusqu’à 12 ans de prison en vertu de la nouvelle loi sur la violence) ou sont en fuite comme Misa Vacic et Igor Marinkovic, de l’association Nashi-1389. Ces derniers ont donné samedi 16 octobre une interview de leur ” cavale”, expliquant le très haut niveau de détermination de l’Etat à les responsabiliser politiquement suite aux événements, et ce par tous les moyens. violences policières et pressions policières à faire des fausse déclarations. Le président l’avait annoncé. la lutte contre cette violence était la “priorité essentielle du pays, plus importante même que l’intégration européenne, car la violence mène au fascisme”.

Comme il y a un an, le Parlement va donc renforcer la loi anti ” violences ” afin d’éradiquer le ” crime organisé et l’activité des groupes extrêmes et d’autres organisations qui essaient de menacer la sécurité des citoyens et de la propriété “. Dans le même temps, une campagne de presse a commencé à dire que les financiers des mouvements patriotes serbes étaient en Russie (ici et là). Mieux, la semaine qui a suivi, des heurts opposant de hooligans serbes aux policiers italiens lors d’un match de qualification de l’Euro 2012 ont été suspectés d’être financés par des chefs de bande mafieuses, spécialisés dans le trafic de drogue, et ce afin de déstabiliser l’Etat serbe. Cette campagne de PR assimilant ” patriotes ” à ” mafias ” et ” violence ” est destinée à refaire surgir le spectre de l’assassinat du premier ministre libéral Zoran Djindjic en 2003. Le lendemain des événements, comme par enchantement, le vice-ministre italien des Affaires étrangères Alfredo Mantica affirmait en visite à Belgrade que. ” les incidents survenus lors de la Gay Pride et les violences de Gênes peuvent entraver l’adhésion de la Serbie à l’Union européenne ” et que ” certaines forces hostiles à l’adhésion de la Serbie à l’UE essaient de faire tout leur possible dans le but de saper ce processus “.

Voilà sans doute le réel but de la tenue de la gay-pride, si très officiellement, il s’agit de satisfaire aux exigences du très puissant lobby-gay de Bruxelles, officieusement pour l’Etat serbe, il s’agit avant tout de discréditer, museler, voire neutraliser au maximum les forces de contestations éventuelles qui pourraient tout simplement ” refuser ” certains décisions politiques cruciales pour la Serbie, au tout premier plan desquels une éventuelle obligation de reconnaissance du Kosovo pour joindre l’UE. Comme l’a déclaré à RIA Novosti le directeur exécutif du Centre Nixon à Washington, Paul Saunders. ” la Serbie ne pourra intégrer l’UE et encore moins l’OTAN sans reconnaître l’indépendance de la province du Kosovo “. On peut même imaginer que la lenteur de l’intégration soit mise sur le dos des opposants au pouvoir, le pouvoir serbe masquant ainsi son incompétence et sa mauvaise gestion globale. Bien sûr, la Serbie, isolée, n’avait que peu d’autre porte de sortie. L’orientation Européenne a été souhaitée et confirmée par le peuple lors des dernières échéances électorales et l’Etat serbe a joué toutes les cartes légales pour tenter de ” sauver ” le Kosovo, mais qu’à t’il obtenu en échange ?

Le pays ne s’est pas remis de la destruction de son économie par les bombes des pays de l’Union Européenne, qu’elle prétend aujourd’hui intégrer. Cette même union qui ” joue ” avec l’intégration de la Serbie pour des faits divers. Il faudrait sans doute rappeler à Alfredo Mantica que les pays phares de l’UE, comme la France, sont régulièrement victimes d’émeutes urbaines, ou comme l’Italie, de troubles dans leurs stades de football. Enfin et surtout ce qui guette la Serbie est la perte ” officielle ” du Kosovo, perte qui semble donc se profiler bien avant d’avoir rejoint la famille de Bruxelles. Il est dès lors facile de comprendre que la gay-pride est un élément mineur de l’actualité, mais bien sans doute la première convulsion d’une population Serbe qui pourrait tout simplement refuser les involutions en cours, quel qu’en soit le prix à payer, et les moyens nécessaires, notamment un basculement politique total, par voie démocratique ou non.

Alexandre Latsа

Журналисты спорят о комиссионных Медведева и Саркози от продажи «Мистралей»

Полемика журналиста Александра Лацы, ведущего блог «Диссонанс. Другой взгляд на Россию», с основателем интернет-проекта Réseau Voltaire Тьерри Мейссаном – журналистом, чьи провокационные публикации регулярно появляются в российских изданиях правого толка. Доводы Мейссана и ответы Лаца размещены в блоге «Диссонанс. Другой взгляд на Россию».

Этим летом портал Réseau Voltaire начал довольно резкую информационную кампанию против президента России Дмитрия Медведева, заявив, что правящий тандем раздирает конфликт по поводу будущих президентских выборов, которые пройдут в России в 2012 году. Я уже писал по этому вопросу в июне и сейчас хотел бы поподробнее рассмотреть эти обвинения и показать, насколько они, как мне кажется, лишены смысла.

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Réseau Voltaire: «Президент Франции Николя Саркози заявил 23 июля сотрудникам верфей STX в Сен-Назере, что они построят для России два корабля класса «Мистраль». (…) По словам французского лидера, его российский коллега уже принял решение по контракту, «детали» которого, однако, все еще были предметом переговоров. Иначе говоря, договор еще не подписали. А в Москве это заявление вызвало ярость Владимира Путина. Премьер-министр попытался вмешаться в дело и поручил переговоры своему заместителю Игорю Сечину. На самом же деле его задача состояла в том, чтобы сделать невозможным заключение задуманного президентами Франции и России соглашения. (…) По утверждению осведомленного московского источника, Медведев договорился с Саркози о существенных «комиссионных» (порядка 8% от общей стоимости контракта), благодаря которым Медведев смог бы оплатить свою предвыборную кампанию против своего «старого друга» Путина, а Саркози получил бы возможность профинансировать свое переизбрание».

Лаца: Вопросом вертолетоносцев изначально занимался Владимир Путин, причем вовсе не из стремления к гипотетическим «комиссионным» (которые, кстати говоря, сегодня стали уже практически обычным делом в любой сделке по продаже оружия такого масштаба): он хотел сломать запрет на приобретение технологий made in nato, а также дать начало процессу покупки иностранных технологий с целью создания авианосного флота к середине века. То есть по этому вопросу в тандеме нет абсолютно никаких трений, и оба лидера совместно работают на подписание этого договора, который, кстати, является очень хорошим предзнаменованием, так как в значительной степени отвечает интересам НАТО и укрепляет сотрудничество Франции и России. Добавлю также, что покупка военной техники за границей, в том числе в странах НАТО не является для России чем-то новым: так, Москва, например, уже приобрела израильские беспилотники, официально заявила об углублении своего военно-технического сотрудничества с Францией и собирается закупать военное оборудование за границей, в том числе в США.

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Réseau Voltaire: «В Думе некоторые сторонники Владимира Путина выступают за отставку Дмитрия Медведева. Среди своих причин они называют его вину в некоторых аспектах этого дела. Как ни странно, он не стал лишать российского гражданства одного из американских агентов во время прошедшего 9 июля обмена, что противоречит Конституции страны».

Лаца: На самом деле обмен шпионами был дестабилизирующей провокацией с американской стороны, которая подняла скандал неделю спустя после конструктивного визита президента России в июне 2010 года. Цель всей операции определенно состояла в том, чтобы задушить в зародыше перспективу стабильных двухсторонних отношений, которые серьезно смущали некоторых американских стратегов. Любопытно видеть, что многие по-прежнему говорят о так называемых «российских агентах» в США, хотя в России «американские» шпионы сегодня никого особенно не интересуют. Президент Медведев даже принял решение об освобождении 19 человек, которых подозревали в шпионаже. Кроме того, тысячи сбежавших за границу россиян, которых разыскивает государство, также не лишились своего гражданства. Почему? По той простой причине, что это запрещается в 3 параграфе 6 статьи Конституции страны: «Гражданин Российской Федерации не может быть лишен своего гражданства или права изменить его». Более того, глава государства даже лично вручил награды некоторым из этих «шпионов».

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Réseau Voltaire: «Раздираемая конфликтом президента и премьер-министра Россия упускает исторический шанс усилить влияние на Ближнем Востоке. Российская элита не смогла выработать собственную стратегию в этом регионе, когда была такая возможность, а сейчас не в состоянии этого сделать. По мнению Тьерри Мейссана, Москва обездвижена. (…) Россия парализована конфликтом на самом верху. В действительности, кажется, происходит именно это: тандем  Медведев-Путин медленно деградировал, и отношения между ними резко трансформировались в братоубийственную войну». (…)

«Определенно, больше всего удивляют проволочки относительно иранской ядерной программы. Конечно, верно, что иранские торгаши не перестают набивать цену за строительство АЭС в Бушере.
Но Кремль постоянно бросает то в жар, то в холод. Дмитрий Медведев ведет переговоры с Западом и уверяет его в своей поддержке при голосовании по санкциям Совбеза. А в это время Владимир Путин говорит иранцам, что Россия их не оставит без защиты, если они играют в честную игру. Возникает вопрос, не распределили ли оба руководителя роли в зависимости от того, с кем имеют дело, и не поднимают ли таким образом ставки. Или не парализована ли Россия конфликтом на самом верху. В действительности, кажется, происходит именно это: тандем  Медведев-Путин медленно деградировал, и отношения между ними резко трансформировались в братоубийственную войну».

Лаца: Мне кажется, это ошибочные интерпретации. Наоборот, решение «блокировать» продажу С-300 вкупе с решением продать ракеты «Яхонт» Сирии свидетельствует о сбалансированной ближневосточной политике России. Россия совершенно не парализована, и сомнения Москвы относительно продажи С-300 являются вполне осознанными. Вообще я сильно сомневаюсь в том, что в тот или иной момент не произошло передачи технологий, учитывая долгое присутствие России в Иране. Можно даже себе представить, что система, которую, как утверждает Иран, он разрабатывает сейчас – делается по российским лекалам. Несколько месяцев назад иранское агентство утверждало, что «Иран имеет в распоряжении четыре ракеты для систем С-300, две из которых были ему проданы Белоруссией. У какой страны куплены две других ракеты, остается неизвестным». Бред или реальность?

И, наконец, как это подчеркивает блестящий аналитик Дмитрий Бабич, слова Ахмадинежада о том, что его российский коллега «стал посланником врагов Ирана», участвуя в так называемой кампании, целью которой являлось «запугать персидское государство в интересах еврейского», относятся к июню 2010 года. И это предшествует разрыву контракта с Россией по поставкам С-300. Так кого нужно после этого винить в разрыве отношений?

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