Interview pour Le Nouveau Cénacle à l’occasion de la sortie de mon dernier livre Un printemps russe aux éditions Les Syrtes.
Nouveau Cénacle : L’École historique française aime analyser les phénomènes sur le long terme. Pour reprendre l’expression de l’économiste Jacques Sapir, le « retour de la Russie dans le jeu international » paraissait inévitable, tant sur le plan européen que sur le plan mondial. Comment expliquez–vous cependant l’image négative de la Russie dans le monde ?
Alexandre Latsa : Tout d’abord je souhaiterais nuancer votre affirmation. L’image de la Russie n’est pas négative partout dans le monde. La Russie a une bonne image en Asie, une relativement bonne image en Afrique et en Amérique du sud. Dans de nombreux pays musulmans arabes la Russie a une bonne image. Le pays a en outre une bonne image par exemple en Iran ou en Israël, ou résident de nombreux russophones. Enfin son image est même bonne dans certains pays orthodoxes d’Europe de l’Est tels que la Grèce, la Serbie ou Chypre.
L’image de la Russie est en réalité surtout négative en Occident, soit au sein du monde anglo-saxon et en Europe de l’Ouest. La raison principale est l’orientation politique des médias dominants des pays de cette zone occidentale qui est sous domination profonde (morale, culturelle, civilisationnelle, politique, militaire) des États-Unis. Ce processus de domination de Washington sur l’Occident est ancien, il a commencé en 1945 après la fin de la grande guerre civile européenne. Il s’est accentué à la fin de l’URSS lorsque la coalition occidentale (l’OTAN) s’est agrandie militairement et politiquement notamment au sein de l’ancien monde soviétique. Cette extension s’est sans surprise accompagnée d’un formatage mental et sociétal profond avec l’aide d’une extraordinairement adroite, subtile et diffuse propagande qui s’est appliquée à promouvoir le modèle civilisationnel, politique, économique et moral occidental – c’est à dire américain. Cela n’a été rendu possible que par une prise de contrôle totale des médias afin de créer une opinion dominante, « Mainstream ».
Au final les médias des pays de l’OTAN défendent l’OTAN tandis qu’ailleurs dans le monde (En Inde, en Chine, en Russie, dans les pays africains, en Amérique Latine …) seuls les médias financés ou soutenus par l’Occident ne défendent ce point de vue occidentalisant ! Mais la Chine, la Russie ou l’Inde n’ont eux pas, ou quasiment pas, de médias puissants et reconnus qui émettent dans la zone occidentale pour y défendre leurs points de vue.
Au final tandis que l’Occident prône son modèle ouvert et démocratique, c’est l’inverse qui se passe : les Chinois et les Russes ont accès à CNN mais les Français n’ont eux pas accès aux nouvelles russes ou chinoises. Ils sont enfermés dans le prisme médiatique et la vision du monde nord-américaine. La raison principale à cela est simple : le pôle américain qui maintient sous sa tutelle l’Occident craint plus que tout l’émergence de nouveaux modèles qui pourraient séduire les peuples européens et faire de l’ombre au modèle américain, et ainsi remettre en cause l’agenda des élites occidentales, de l’oligarchie et de cette hyperstructure que Zinoviev a si bien décrit.
« On peut imaginer qu’à l’avenir les choix de modèles de sociétés ne rapprochent de nouveau Moscou et l’Est de l’Europe par le ciment du conservatisme ».