Category Archives: Ria Novosti

La guerre des grands ensembles, de Kiev à Erevan

Les dernières semaines ont laissé apparaître quelques grandes tendances concernant les choix politiques des élites de deux pays: l’Ukraine et l’Arménie.

Au début du mois dernier les élites arméniennes ont en effet annoncé que le président du pays avait accepté que son pays rejoigne l’Union douanière, actuellement composée de la Russie, de la Biélorussie et du Kazakhstan afin de contribuer, en tant qu’état, à la formation d’une union économique eurasiatique. Ce choix eurasiatique, annoncé par le président arménien à Moscou, est du reste conforme au choix des citoyens Arméniens qui seraient près de 67% à être favorables à l’adhésion de leur pays à l’Union eurasiatique. Aussitôt, l’UE a réagi avec beaucoup de fermeté par le biais du ministre lituanien des Affaires étrangères Linas Linkevicius qui a affirmé que: “Si l’Arménie décide de rejoindre l’Union douanière, cela veut dire qu’elle ne pourra pas signer d’accords de libre échange avec l’Union européenne” et qu’on ne pouvait “faire partie des deux organisations en même temps”.

L’Ukraine, quand à elle, semble être pour l’instant sur le chemin de poursuivre son intégration vers l’Ouest et l’Europe. Le gouvernement ukrainien a en effet approuvé mercredi 18 septembre et à l’unanimité un projet d’accord d’association avec l’Union Européenne. Le président Ukrainien, souvent vu comme le candidat russophile après sa victoire contre la candidate orange aux dernières élections présidentielles, ne s’avère pas si pro-russe que beaucoup l’ont pensé. Il est aussi visiblement sorti de la position équilibrée qui était la sienne, lui qui souhaitait transformer l’Ukraine en une sorte de pont entre l’Union Européenne et l’Union Douanière. Moscou a aussi réagi avec fermeté en affirmant par la voix de son premier ministre Dimitri Medvedev que: “La signature de l’accord d’association entre l’UE et l’Ukraine fermera à Kiev l’entrée dans l’Union douanière“. Continue reading

Valdaï et la question de l’identité de la Russie

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La semaine dernière j’ai eu le plaisir de participer à un débat télévisé, c’était une table ronde sur la question de l’image de la Russie à l’étranger. La question était de savoir si les russes méritaient leur mauvaise image à l’étranger ou s’ils étaient victimes d’une image négative fabriquée et véhiculée par les médias notamment.

Le débat à très rapidement dévié sur le fait de savoir s’il fallait ou non se préoccuper de l’image de la Russie et des russes à l’étranger et surtout sur ce que sont les russes et la Russie. La question de l’identité nationale reste, dans la Russie de 2013, une question essentielle et les nombreuses discussions du club Valdaï à ce sujet viennent de le prouver.

La Russie est un pays dans lequel se côtoient énormément de peuples et de religions et des cultures totalement différentes. La Russie est européenne, slave et orthodoxe mais également asiatique, touranienne et musulmane. Elle est un pays tout à la fois nordique et méridional, et de l’Ouest comme de l’Est de l’Eurasie.

A cette immense variété culturelle et géographique, il faut ajouter qu’en Russie se côtoient tant le 19ième, que le 20ième ou le 21ième siècle. Il est donc bien difficile de définir ce qu’est aujourd’hui un russe moyen et le regard que l’étranger porte sur un russe ou un russien, ou peut être sur les russes et les russiens.

La Russie sort de trois épreuves historiques fort différentes n’ayant en commun que leur violence et la destruction de la morale et de l’identité qu’elles ont généré: la période monarchiste autoritaire (le tsarisme qui toléra l’esclavage jusqu’au début du siècle dernier), la période soviétique qui contribua a la création d’un homme nouveau (l’homo soviéticus) au prix de la destruction de l’identité religieuse et nationale et enfin la période postsoviétique et libérale, qui en une grosse décennie seulement, est arrivée à  détruire la Russie sur le plan moral, sanitaire et démographique.

Le réveil russe auquel nous assistons depuis 2000 sur le plan économique et politique pose deux questions essentielles : qu’est ce qu’être russe aujourd’hui, et comment fonder une identité russe saine pour le siècle. La Russie Tsariste ne différenciait les citoyens que selon leurs rangs, pendant que l’Union Soviétique jouait la carte transnationale et citoyenne. Dans les années 90, la Russie faisait face à une situation complexe: assurer une pacifique transition du modèle politique (de l’URSS à la fédération de Russie) tout en évitant que l’éclatement territorial ne crée des conflits sur des bases territoriales, ethniques, religieuses ou simplement identitaires. Continue reading

La guerre en Syrie: une guerre pour l’énergie?

1314566-1730036Alors que la guerre en Syrie continue, le Mainstream médiatique, qui s’acharne sur l’Etat syrien, oublie de façon récurrente de rappeler l’un des aspects les plus essentiels de ce conflit: l’aspect énergétique et notamment gazier. Ce facteur explique que le soutien actif de la Russie a pour but non pas de protéger la personne de Bashar el-Assad, mais avant tout d’éviter l’effondrement du régime syrien, car cet effondrement voulu de l’extérieur serait un élément géopolitique d’un dispositif bien plus large et assez directement dirigé contre elle.

Lorsque la Russie commence à relever la tète à compter des années 2000, elle devient en effet le principal obstacle au plan de prise de contrôle énergétique des voies énergétiques liant l’Europe et l’Eurasie via les Balkans que les stratèges américains ont programmé et entamé via notamment la guerre en Serbie en 1999.

L’Amérique et l’Union Européenne vont alors chercher par tous les moyens à diversifier l’approvisionnement des pays européens pour réduire leur potentielle dépendance envers Moscou. C’est le début du projet de gazoduc Nabucco, aujourd’hui quasiment abandonné, qui consistait à permettre l’alimentation de l’Europe en gaz produit en Azerbaïdjan et au Turkménistan, via un itinéraire qui aurait traversé la Turquie et évité la Russie tout en contournant la Grèce. Autour de ce projet, il y avait un  plan géopolitique américain très ambitieux: Transformer l’allié Turc en pivot central d’un grand moyen orient à remodeler et aussi en un centre régional de transit énergétique entre les Balkans et le moyen orient. Continue reading

Quelques réflexions sur les résultats de l’élection municipale anticipée de Moscou

637275831625-869503863727.pngMoscou a donc voté et les résultats sont sans doute mi figue mi raisin, tant pour le Kremlin que pour l’équipe de campagne d’Alexeï Navalny.

Les résultats définitifs sont désormais connus, le maire actuel a remporté l’élection au premier tour avec 51,37% des voix, l’opposant blogueur Alexeï Navalny a lui récolté 27.24%, le candidat communiste 10,69%, le candidat de l’opposition libérale Iabloko 3,51% des voix, le candidat du parti nationaliste LDPR 2,86% et enfin le candidat du parti Russie Juste 2,79%.

Plusieurs enseignements peuvent être tirés de ce scrutin.

Tout d’abord la très faible participation (32%) qui a fortement avantagé le candidat Navalny dont les électeurs, plus militants et motivés, se sont fortement mobilisés. Malgré l’enjeu et une excellente campagne de terrain, ce dernier n’a pour autant réussi à mobiliser que 630.000 électeurs, bien loin du réservoir de 868.000 voix que le Candidat Prokhorov avait obtenu à Moscou lors de l’élection présidentielle de 2012. Ce Ghetto quantitatif / électoral de l’opposition dite libérale reste stable a Moscou depuis 1999 si l’on pense par exemple aux 510.0000 voix de Serguey Kirienko (ex-Premier ministre) ou les quelques 500.000 voix d’Alexandre Lebedev en 2003.

Le pouvoir central peut lui savourer une nouvelle victoire au premier tour d’un de ses candidats mais cette fois il s’en est fallu de peu qu’un second tour ne soit nécessaire. Le maire élu aura donc peu mobilisé et obtenu dans la capitale 1.193.178 voix, à comparer aux 1.994.300 voix obtenu par Vladimir Poutine à l’élection présidentielle de 2012. Continue reading

Quelques réflexions sur l’élection municipale anticipée de Moscou

193631258Le 8 septembre aura lieu l’élection municipale à Moscou. Il s’agit d’une élection de première importance pour la Russie tant sur le plan intérieur que pour l’image de la Russie à l’étranger.

Moscou, capitale politique et économique du pays, est entrée dans la difficile période de transition qui a suivi la période soviétique en étant gouvernée de 1992 à 2010 par le célèbre Iouri Loujkov, figure politique de la période Eltsinienne. Nommé par Boris Eltsine en 1992 suite à la démission du maire de l’époque dont il était l’adjoint, Iouri Loujkov sera élu en 1996 (95 % des suffrages) et réélu en 1999 (69,9 % des suffrages). A cette époque, beaucoup pensent que Iouri Loujkov, très proche du premier ministre de l’époque Evgueny Primakov, pourrait remplacer le président Eltsine, ce qui n’arrivera finalement pas. En 2003, il est encore réélu à la tête de Moscou avec 75 % des suffrages et il s’éloigne totalement de la vie politique fédérale pour se concentrer sur son royaume qu’est devenu la capitale Moscovite.

En 2004, le président russe Vladimir Poutine avait supprimé les élections aux postes de gouverneurs de région et les élections à la mairie de Moscou et de Saint-Pétersbourg pour accentuer le contrôle de l’état, et donc la sécurité nationale. Pendant cette période le pays était visé par de nombreuses attaques terroristes que l’on pense par exemple aux deux avions détruits par des commandos suicides (à Toula et Rostov), aux attentats dans les stations de métro de Kashirskoe Shossee et Rijskaya à Moscou, aux attaques en Ingouchie, au terrible attentat de Beslan ou encore aux prises d’otages de Mineralnye Vody ou à l’assassinat du président Tchétchène, Kadyrov père. Continue reading

La Serbie à la croisée des chemins?

9273762-drapeau-de-la-serbie-sur-fond-blanc-grosAprès l’euphorie de très courte durée qui a accompagné, en 2000, la révolution de couleur ayant provoqué le départ, l’emprisonnement et l’élimination du président Milosevic, la Serbie s’est retrouvée totalement coupée en deux, sur le plan politique. Les résultats des élections qui ont marqué la décennie qui a suivi traduisaient bien cette coupure entre deux visions de la Serbie, celle du bloc patriotique, et celle de la normalisation avec l’Union Européenne.

Les thèses du bloc patriotique se sont heurtées aux pressions des occidentaux. En même temps toutes les tentatives de conserver de bonnes relations avec l’UE tout en maintenant la souveraineté territoriale serbe sur le Kosovo ont échoué. Ceci a abouti à ce que le pays élise par défaut et par dépit en septembre 2012 un président d’union nationale, issu du bloc patriotique de l’ancien système, dont le parti avait également remporté les élections législatives de mai 2012.

Cette nouvelle direction politique serbe pourtant issue du bloc patriotique fait, curieusement, la promotion de l’entrée de la Serbie dans l’Union européenne. Elle a permis que soit adopté le 26 avril dernier un accord en vue d’une normalisation des relations de la Serbie avec le Kosovo, sous l’égide de l’UE. Le texte, qui unifie notamment les institutions serbes du Kosovo avec les institutions albanaises du Kosovo ôte donc toute souveraineté de Belgrade sur les premières et a été soutenu par une très large majorité de la chambre des députés serbe, puisque sur 203 députés présents, 173 se sont prononcés pour, 24 contre et six se sont abstenus. Continue reading

Vers le retour de l’Etat nation?

16Récemment, l’un des derniers ministres gaullistes français, l’excellent Hubert Védrine, a donné une interview assez surprenante sur le portail Euractiv en affirmant que “L’Union européenne ne recevra jamais suffisamment de soutien public pour le fédéralisme et devrait donc abandonner l’idée d’un super-État inspiré des Etats-Unis”. En clair que les transferts de souveraineté nécessaires à la construction d’un état européen ne seraient vraisemblablement jamais acceptés par les états européens.

Le lendemain du jour ou cette interview a été publiée, une nouvelle Reuters annonçait que la chancelière Angela Merkel, s’exprimant lors d’une conférence organisée par la Deutsche Bank à Berlin, avait au contraire appelé les membres de la zone euro à “se tenir prêts à céder leur souveraineté pour surmonter la crise”.

Cette différence fondamentale de vision pour l’avenir de l’Europe arrive au moment ou une certaine tension, pour ne pas parler d’un désaccord fondamental, se fait sentir entre les deux moteurs de l’Europe que sont la France et l’Allemagne, puisque des hommes politiques français socialistes ont critiqué ouvertement la politique de la chancelière Angela Merkel qui ne se soucierait, selon eux, que de la “balance commerciale enregistrée par Berlin”. Continue reading

Euramérique, Eurorussie ou Eurasie?

185571428Récemment, le site Atlantico a publié un échange de réflexions fort intéressant entre Alexandre Del Valle et Alexandre Melnik sur les perspectives viables pour l’Occident. Les deux Alexandre, qui n’ont de commun que leurs prénoms, prônent deux voies différentes et opposées pour la réaffirmation de l’Occident puissance: l’Alliance continentale Europe-Russie ou l’alliance transatlantique Europe-Amérique.

Cette thématique semble prendre une importance croissante au fur et à mesure que les relations Russie-USA se détériorent, que l’Europe s’enfonce dans la crise et que la Russie regagne stratégiquement des positions, réaffirmant ainsi peu à peu sa position de grande puissance. La même semaine, le site Europe-Israël publiait lui un article intitulé: La morale change de camp, article très élogieux envers Vladimir Poutine et envers la politique russe dans le monde musulman, présentant une Russie devenue la protectrice des minorités, notamment chrétiennes. Le site prenait en exemple les manifestants de la place Tahrir qui dénonçaient l’alliance entre Etats-Unis et Frères musulmans et appelaient la Russie à s’impliquer dans la révolution égyptienne. Continue reading

Guerre de l’information: vers la bataille des blogueurs?

timthumb.phpRécemment une nouvelle a fait du bruit dans la presse française: le Kremlin aurait décidé d’engager des blogueurs en Russie pour contrer l’opposition sur les réseaux sociaux et aussi afin de contrôler et canaliser certaines discussions sur Internet. Pour beaucoup de lecteurs une telle nouvelle devrait vraisemblablement signifier le contrôle accru du pouvoir russe sur Internet (le Runet) mais aussi une façon d’étouffer l’opposition dans le seul terrain médiatique qui lui reste: Internet.

Pourtant cette nouvelle n’en est pas vraiment une. Continue reading

Khodorkovski, analyse d’une intoxication médiatique

1817435_3_c9b9_mikhail-khodorkovski-en-2004_21922e4d68985682f57a2efa05e31369Alors que la Russie est en pleine perestroïka, un jeune militant communiste, membre actif des komsomols, se reconvertit à l’économie de marché en créant en 1985 un café coopératif aux fins d’importations de cognacs bas de gamme et autres produits occidentaux manquant en Russie de l’époque.

En 1989, il fonde la première banque privée du pays (Menatep) et seulement six ans plus tard, en 1995, s’empare de la société pétrolière Ioukos au moment de la privatisation des entreprises russes. L’acquisition de Ioukos se fait de façon vraisemblablement discutable puisque les deux seuls acheteurs autorisés à entrer en lice pour cette acquisition sont des compagnies détenues majoritairement par la banque Menatep.

En 1996, on retrouve ce jeune milliardaire au sein d’un groupe formé par les sept banquiers et hommes d’affaires les plus influents de Russie. Ces derniers vont en utilisant leur très forte influence dans la sphère publique russe (économie, médias…) soutenir et permettre la réélection de Boris Eltsine contre son opposant communiste Guennadi Ziouganov. Continue reading