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Mon précieux permis de résidence!

L’article original a été publie sur Ria Novosti.

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Un ami m’a téléphoné il y a quelques jours. C’est un français qui réside en Russie et qui ne travaille qu’en freelance, sans être salarié par une société locale. Il a diverses activités et est basé en Russie depuis de nombreuses années en utilisant des visas d’affaires. Il voulait savoir par quelle démarche commencer pour obtenir un permis de résidence. La question est d’actualité: Les visas d’affaires permettaient de résider en Russie de façon permanente jusqu’à novembre 2007, date à laquelle l’administration russe a appliqué aux ressortissants de l’Union Européenne un principe de réciprocité sur les conditions de séjour.

Explication: A plusieurs reprises pendant les dernières années, les autorités russes ont proposé aux autorités de l’UE une simplification réciproque des formalités de séjour pour les touristes et les travailleurs migrants, mais les autorités européennes ont fait la sourde oreille, c’est la racine du problème. Ainsi, depuis 2007, les visas d’affaires délivrés aux ressortissants de l’UE comportent une clause interdisant à leurs titulaires de résider en Russie plus de 90 jours d’affilée par tranche de 180 jours. Un casse tête pour nombre d’européens et aussi pour nombre de sociétés étrangères qui utilisaient jusque là cette méthode pour faire travailler des étrangers sans leur obtenir de permis de travail, afin de s’épargner dépenses et démarches administratives compliquées.
Le vote de cette loi en novembre 2007 et la crise financière en 2008 ont considérablement alourdi la situation des sociétés étrangères en Russie en les incitants soit à régulariser la situation de leurs salariés étrangers, soit à préférer l’embauche de russes. Conséquence: De plus en plus d’Européens choisissent de régulariser leur situation en Russie en devenant résidents permanents. Choix de vie (lire à ce sujet la passionnante interview de Guillaume Dubuis dans le dernier courrier de Russie) et/ou mariage, et/ou débouchés économiques sont souvent les raisons qui poussent nombre d’européens dans cette direction.
Permis de travail, permis de séjour, permis de résidence, visa d’entrée, visa de sortie, invitations, autorisations et enregistrement obligatoire représentent souvent un labyrinthe incompréhensible pour des étrangers qui ne sont pas encore russophones. De quoi s’agit-il et comment devient-on un résident dans ce nouveau far-est?
La méthode la plus simple est de venir en Russie avec un visa business de 3  mois renouvelable, afin d’y chercher/trouver  un travail. La société qui vous emploiera doit théoriquement avoir les quotas nécessaires, c’est-à-dire pouvoir vous obtenir une autorisation de travail en Russie (en tant qu’étranger). Cette autorisation de travail vous permet d’obtenir une invitation de travail, aboutissant à l’obtention d’un visa de travail et du permis de travail lié à ce visa. Ce permis est valable un an. Si vous l’obtenez vous poussez un “Ouf” de soulagement et ça y est vous pouvez désormais séjourner et travailler légalement sur le territoire de la Fédération de Russie pendant un an.
Petit détail important: l’enregistrement est fait par votre société et il est obligatoire. Attention, en cas de démission ou de licenciement, la société vous désenregistre et fait annuler votre permis de travail, vous ne gardez donc que le visa. Depuis peu, les spécialistes étrangers bénéficient de visas longue durée (3 ans) et ce afin de faciliter la migration professionnelle et l’installation d’étrangers qualifiés dans le pays.
Cette année de travail peut aussi bien se passer et si vous survivez à Moscou, vous pourrez sans doute y trouver une vie exaltante et passionnante et… L’amour bien sur! Les femmes russes sont réputées pour leur grande beauté et leur incroyable féminité et cette réputation n’est pas usurpée. L’amitié franco-russe étant ancienne, les Français ne sont pas les étrangers les plus mal vus, c’est la magie de la “French touch” qui opère! Vous voilà donc marié, titulaire d’un permis de travail et avec une envie de vous intégrer un peu plus dans ce grand pays qu’est la Russie, comment faire?
L’étape suivante est l’obtention d’un permis de séjour, appelé en russe le “разрешение на временное проживание“. Ce tampon dans le passeport vous autorise à séjourner sur le territoire de la Fédération de Russie pendant trois ans et de bénéficier d’un enregistrement pour les trois ans de validité du document. Ce visa de séjour comporte malgré tout quelques restrictions pour le franchissement des frontières. Tout d’abord il nécessite un visa de sortie (valide pour la durée du visa de séjour soit trois ans) et qu’il vous faut utiliser à chaque sortie du territoire russe. Ce visa nécessite également de remplir la carte de migration à chaque entrée sur le territoire russe, qui est en quelque sorte le document d’enregistrement de votre visa sur le territoire de la Fédération de Russie. Enfin je précise que ce permis de séjour ne vous attribue pas le statut de résident aux yeux de la loi russe.
Mais il vous permet d’obtenir un permis de travail valide pour trois ans, sans que celui-ci ne soit forcément lié à la société qui vous emploie. A partir de là, votre  statut professionnel s’apparente au statut des travailleurs de la CEI, et déjà il vous tire vers l’est et vous éloigne un peu de l’ouest. Vous glissez doucement vers une forme d’assimilation administrative, à vous de faire suivre, en parallèle, l’assimilation linguistique et culturelle. Un an après avoir reçu ce visa de séjour, il vous faudra faire votre déclaration de revenus et confirmer que vous avez bien passé au moins 180 jours sur le territoire de la fédération durant  l’année écoulée.
Le grand moment approche puisqu’avec ce justificatif, vous pouvez demander à passer à l‘étape suivante pour obtenir le permis de résidence ou “Вид на жительство“. Ce document confère le statut de résident, est valable cinq ans et est tout à fait original puisqu’il s’agit d’un véritable passeport pour étranger délivré par la Fédération de Russie, et non plus d’un simple tampon dans votre passeport. Ce sésame vous libère de quasiment de toute contrainte, vous n’avez désormais plus besoin ni de visa de travail, ni de carte de migration à l’entrée du territoire ni même de visa de sortie. Il vous faudra juste une fois l’an déclarer vos revenus. A titre professionnel, vous avez désormais un statut équivalent à celui d’un biélorusse sur le marché du travail. A titre administratif vous avez quasiment les droits d’un citoyen russe, hormis le droit de vote.
L’obtention de ces deux derniers documents peut se faire via des agences spécialisées mais également en direct au FMS (Service fédéral des migrations) de votre quartier, pour qui est suffisamment russophone et un tant soit peu aventurier. Contrairement à ce qui se raconte ici ou là, tout est faisable conformément à la loi, et sans payer aucun pot de vin à qui que ce soit. Pour autant la procédure peut comporter des rebondissements, des attentes imprévues et réserver des surprises inattendues, voire désagréables. Des difficultés qui devraient pouvoir amener certaines âmes sensibles à se cogner la tête contre les murs si ce n’est plus, pendant que les plus solides rongeront leur frein en prenant leur mal en patience, surtout après des heures et des heures d’attente en hiver dans des endroits pas forcément chauffés, et alors que la température avoisine les -20 degrés.
L’organisation postsoviétique de ce service des migrations, couplé à la relative dureté des fonctionnaires qui y travaillent (et  qui ont pour spécialité de demander en permanence des documents ne figurant pas sur les listes données au départ) sont à mon sens la plus solide expérience pour qui souhaite une intégration réelle dans le pays. La difficulté de dépôt du dossier confère une valeur quasi-sentimentale à ces documents, sans doute la première manifestation de l’intégration. Pourtant même après dépôt, l’angoisse vous saisit et ne vous lâche pas car on ne s’intègre pas en Russie sur un claquement de doigts, le pays n’est pas un hôtel et rien n’y est jamais définitivement acquis. Le pays est de plus victime de sa popularité et les demandes de travail, séjour et résidences sont de plus en plus nombreuses. J’ajoute qu’en étant marié vous êtes hors quotas, peu importe le nombre de demandes, le service des migrations les traitera, y compris la votre. Sans être marié, vous pouvez faire la demande d’obtention mais a titre d’exemple, un millier de permis de séjour trois ans sont délivrés à Moscou, alors qu’il y a entre 7.000 et 9.000 demandes par mois. Après réception de ce permis de résidence, renouvelable indéfiniment, vous êtes presque un citoyen de la Fédération de Russie. La seule étape qui peut vous rester est l’obtention de la nationalité russe. Pour en arriver là, il  vous faudra d’abord renier votre nationalité d’origine. Mais si vous en êtes déjà arrivé à ce point, c’est que vous n’avez sans doute plus besoin de mes conseils…

Vers l’Eurasie

L’article original a été publie sur Ria Novosti.

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La semaine dernière, j’ai écrit une tribune dans laquelle je soutenais que l’Europe de l’ouest aurait intérêt à sortir du giron atlantiste pour construire une alliance économique et politique avec le bloc euro-oriental en création autour de l’alliance douanière Russie/Biélorussie/Kazakhstan. Il me semble que pour une union européenne endettée, en panne d’élargissement, et très dépendante sur le plan énergétique, cette orientation pourrait apporter de nouveaux marchés à l’exportation, la sécurité énergétique, un potentiel de croissance économique important et aussi une vision politique nouvelle. Suite a la publication de ce texte, un de mes lecteurs, David, m’a envoyé le commentaire suivant : “j’ai du mal à saisir ce que ton union eurasienne pourrait faire avec l’UE (…) Tu vois l’Europe aller jusqu’au Kazakhstan”?

La question de David est fondamentale, à mon avis. La première réponse que j’ai envie de lui faire est la suivante: L’Europe n’est pas que l’UE, dont la dernière vague d’élargissement date de 2004, et sachant qu’aucune autre vague d’élargissement n’est à ce jour sérieusement envisagée.  L’espace européen compte 51 états, et l’UE n’en est qu’à  27 membres. L’UE n’est à mon avis en rien une finalité, mais une étape dans la construction d’une grande Europe continentale, allant de Lisbonne a Vladivostok, une Europe par nature eurasiatique puisqu’étalée géographiquement en Europe et en Asie.
Les discussions sur les limites de l’élargissement de l’UE ont amené à des contradictions: La Russie ne serait pas européenne peut on souvent lire, alors que généralement pour les mêmes commentateurs, l’Ukraine, la Biélorussie ou la Turquie devraient à contrario  intégrer l’Europe. Il faudrait en effet expliquer en quoi la Russie ne serait pas européenne, si l’Ukraine, la Biélorussie ou encore la Turquie le sont. Aujourd’hui, ni l’UE à 27 en état de quasi banqueroute, ni la Russie seule n’ont cependant la force et les moyens de pouvoir faire face aux géants que sont l’Amérique sur le déclin, ou les deux grands de demain, l’Inde et surtout la Chine, quasi-assurée de devenir la première puissance mondiale au milieu de ce siècle. La Russie comme les états européens de l’ouest sont donc aujourd’hui et chacun de leur côté engagés dans une politique de création d’alliances afin de renforcer leurs positions régionales, et leur influence globale. 

 

Après l’effondrement de l’Union Soviétique, l’extension vers l’est de l’union européenne semblait inévitable. Cette extension, accompagnée d’un élargissement de l’OTAN, s’est faite dans un esprit de confrontation avec le monde post soviétique. Mais la renaissance de la Russie ces dernières années et le choc financier de 2008 ont lourdement modifié la situation. La crise financière terrible que connaît l’union européenne est sans doute la garantie la plus absolue que l’UE ne s’agrandira plus, laissant certains états européens sur le seuil de la porte, Ukraine en tête. Andrei Fediachine le rappelait il y a quelques jours: “En cette période de crise, peu de puissances européennes veulent penser à une éventuelle adhésion à l’UE d’un autre pays pauvre de la périphérie orientale (…l’Ukraine…) Qui plus est l’extension à un pays de près de 46 millions d’habitants qui connaît constamment une crise politique et économique”. 

 

Quand à la Russie, membre à part de la famille européenne, il serait bien naïf de penser que sa reconstruction ne se fasse pas via une consolidation maximale des relations avec les états de son étranger proche, c’est-à-dire dans l’espace post soviétique, et dans une logique eurasiatique.
Alors que l’Europe de l’ouest sert actuellement de tête de pont à l’Amérique, qui lui impose un réel bouclier de Damoclès avec le bouclier anti-missile, il est grand temps d’envisager une collaboration entre l’Europe et l’espace post soviétique et de s’intéresser à ce qui se passe à l’est, autour de cette nouvelle union douanière animée par la Russie. La semaine dernière a d’ailleurs été riche en événements de très grande importance. La récente condamnation de l’égérie de la révolution orange à sept ans de prison a sans doute contribué à éloigner un peu plus l’Ukraine de l’union européenne et la rapprocher un peu plus de l’union douanière animée par la Russie.
Pendant que le président russe se trouvait la semaine dernière en Ukraine, l’union européenne annulait une rencontre avec le président ukrainien alors même que les discussions concernant la création d’unezone de libre échange avec l’Ukraine étaient en cours. Au même moment les 11 états de la CEI (l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Biélorussie, le Kazakhstan, le Kirghizstan, la Moldavie, l’Ouzbékistan, la Russie, le Tadjikistan, le Turkménistan et donc l’Ukraine) ont signé un accord sur la création d’une zone de libre échange.
Le même jour le Premier ministre Mykola Azarov a affirmé que l’Ukraine réfléchissait désormais a une adhésion à l’Union douanière Russie-Bélarus-Kazakhstan, ne jugeant pas contradictoire la potentielle appartenance a ces deux zones de libre échange.
Plus à l’est, c’est de Moscou qu’est venu la plus forte onde de choc puisque le premier ministre Vladimir Poutine a annoncé la plausible constitution d’une union eurasienne a l’horizon 2015. Le premier ministre a du reste rappelé que la coopération dans le cadre de la Communauté économique eurasiatique (CEEA) était la priorité absolue pour la Russie. Ce projet d’union eurasienne s’appuie sur l’Union douanière en vigueur avec la Biélorussie et le Kazakhstan, et a laquelle peuvent adhérer tous les Etats membres de la Communauté économique euro-asiatique. Le Kirghizstan (union douanière) etl’Arménie (union eurasienne) ont du reste déjà affirmé leur soutien à ces projets d’intégration eurasiatique.
L’organisation en cours, au centre du continent eurasiatique n’est pas qu’économique ou politique, mais également militaire, avec la création en 2001 d’une structure de collaboration militaire eurasiatique: l’organisation de la coopération de Shanghai. Cette organisation comprend 6 membres permanents que sont la Russie, la Chine, le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan. L’Inde, l’Iran, la Mongolie et le Pakistan sont des membres observateurs, tandis que le Sri Lanka et la Biélorussie ont le statut de partenaires. L’OCS rassemble donc aujourd’hui 2,7 milliards d’habitants.
Cette année, c’est l’Afghanistan qui a demandé le statut d’observateur tandis que la Turquie (seconde puissance militaire de l’OTAN) à demandé elle à adhérercomplètement a l’organisation. Des états arabes comme la Syrie ont l’année dernière également manifesté leur intérêt envers la structure. On peut aujourd’hui légitimement se demander quand est ce que des états européens choisiront d’adhérer à l’OCS, pour compléter cette intégration continentale.

Cette évolution globale traduit le glissement inéluctable vers un monde multipolaire qui ne sera plus sous domination occidentale. Pour les européens de l’ouest, il est temps de regarder vers l’est et leur continent.

Le nouveau pôle eurasiatique, qui s’organise autour de la Russie, est probablement le plus prometteur.

Bataille pour la survie de l’Europe

L’article original a été publie sur Ria Novosti.

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“Ce siècle doit être un siècle américain. Dans un siècle américain, l’Amérique a la plus forte économie et la plus forte armée du monde. Dieu n’a pas créé ce pays pour être une nation de suiveurs. L’Amérique n’est pas destinée à être sur un pied d’égalité avec plusieurs puissances mondiales d’importance comparable. L’Amérique doit guider le monde, ou quelqu’un d’autre le fera.”

 

Ces propos agressifs et militaristes n’ont pas été tenus par un pasteur évangéliste extrémiste, ni par un élu d’un parti d’extrême droite marginal sur la scène politique américaine, mais par Mitt Romney, l’un des principaux candidats à l’investiture républicaine pour l’élection présidentielle américaine de  2012. Dans le même discours, Mitt Romney a parlé de la Chine, qui veut devenir une “superpuissance” et de la Russie, “dirigée par un homme qui croit que l’Union soviétique était le bien et non le mal”. Mitt Romney n’en reste pas là, il souhaite aussi “intensifier les relations des États-Unis avec leurs alliés, dont Israël et la Grande-Bretagne, renforcer l’opposition américaine à l’arme nucléaire iranienne, renouer avec la défense antimissile, accélérer la construction de navires de guerre, pour passer de 9  bâtiments par an à 15, et intensifier les efforts diplomatiques au Moyen-Orient”.
Tout un programme pour ne rien changer! Si des propos équivalents avaient été tenus par Vladimir Poutine ou par le président Chinois Hu-Jintao, peut on imaginer quelle aurait été l’hystérie du Main-Stream médiatique occidental? Se rappelle-t-on par exemple de l’hystérie qui a suivi et poursuit encore Vladimir Poutine pour une phrase mal interprétée (volontairement?) sur les conséquences tragiques pour des millions de russes de la chute de l’Union Soviétique?
Il est intéressant de comparer par ailleurs ces principes inchangés de la droite américaine avec d’autres courants d’idées à propos du patriotisme, en Russie et au sein de l’Union Européenne. La Russie au contraire de l’Amérique ne verse pas dans la désignation d’ennemis planétaires, mais comme dans tous les pays a forte croissance du monde d’aujourd’hui (comme la Chine, l’Inde, le Brésil ou l’Afrique du sud…) l’identité nationale et le patriotisme n’y sont ni bannis, ni même mal vus. En Russie le patriotisme est le socle fondamental du maintien de l’unité du pays et désormais presque tous les partis politiques de Russie jouent la carte patriotique pour rester en accord avec la pensée populaire dominante. J’ai souvent souligné  le fait que Russie Unie était un parti politique centriste et conservateur, qui insiste sur l’identité multiple du peuple russe et sur l’unité des Russies dans une fédération solide.
Récemment, le nationaliste Dimitri Rogozine (ambassadeur de Russie auprès de l’Otan) a également pris position pour Vladimir Poutine. De même, le parti libéral-démocratique et nationaliste de Vladimir Jirinovski est depuis une quinzaine d’années un acteur majeur de la scène politique russe. Enfin, plus  récemment encore, c’est le puissant parti communiste de Russie qui a pris des positions nationalistes assez inattendues, en publiant un programme axé sur la renaissance de la Russie, de l’âme russe et des traditions russes. Cette effervescence patriotique traduit bien une tendance lourde en Russie: “le patriotisme est  l’idéologie de base actuellement en Russie”, comme le rapportait l’ambassadeur de France Jean de Gliniasty lors d’une audition au sénatfrançais en octobre dernier.
L’Union Européenne est sur ce sujet aux antipodes de l’Amérique républicaine ou de la Russie de Russie-Unie. En son sein, il y a beaucoup d’hésitations sur ces sujets. L’Union Européenne fait figure de grand corps mou, sans réel organe politique souverain, et qui dénonce de façon un peu obsessionnelle tous les partis jugés populistes, c’est-à-dire qui auraient des prétentions politiques, comprenez une volonté de préservation des identités nationales, ou des idées de souveraineté et d’indépendance vis-à-vis de la tutelle américaine et de la logique militaire de l’Otan. Ainsi, dans l’Union Européenne de 2012, le patriotisme et la religion (refus d’inscription dans la constitution européenne de l’héritage chrétien comme fondement historique et culturel de l’Europe) sont vus avec méfiance, et l’union reste avant tout économique et commerciale. L’idée d’un patriotisme européen à inventer est fortement contrariée par l’idéologie dominante, mondialiste, qui interdit pour l’instant toute réelle souveraineté politique européenne et par la même probablement toute capacité à répondre énergiquement à la crise actuelle.
Les situations de ces trois blocs liés par des intérêts économiques croisés sont donc très différentes. Les Etats-Unis sont encore et toujours l’hyper-puissance dominante, mais une hyper-puissance qui se trouve, selon Erik Kraus, “au bord du chaos et dans une situation similaire à l’empire romain au 4ème siècle, ou à l’URSS de 1989”. La Russie vit elle son printemps post soviétique. Elle  se reconstruit, elle est déjà un acteur actif du monde actuel et elle essaie de contribuer activement à la construction d’un monde multipolaire car il est désormais fort probable que le monde unipolaire et américano-centré qui a émergé après la chute de l’URSS va céder la place à une structure multipolaire. De son côté, l’Union Européenne s’interroge sur son endettement et se cherche un avenir.
Or la question de la transition et surtout de l’architecture du monde après la chute de l’hyper-puissance est désormais posée et est cruciale pour les vieilles nations européennes de l’ouest, empêtrées dans une situation sociale et économique plus qu’instable. Empêcher le démembrement de la monnaie européenne, revenir à des politiques budgétaires raisonnables, créer une direction politique, donner à l’Union Européenne une souveraineté dans le monde qui se dessine, c’est la tache des dirigeants européens et de plus en plus de citoyens doutent foncièrement que ceux-ci puissent y parvenir.
En parallèle, une autre Europe semble émerger plus à l’est, en Eurasie, avec l’union économique et politique de la Russie, du Kazakhstan et de la Biélorussie. Ce bloc euro-eurasien (que devrait sans doute à court terme rejoindre une Ukraine dont on ne peut que douter qu’elle n’intègre une Union-Européenne exsangue) pourrait constituer un nouveau pôle de puissance. Pour une Europe occidentale dynamique, ce pourrait être dans l’idéal un partenaire vital tant sur le plan politique qu’économique et un tremplin vers l’Asie. Mais il faudrait sans doute pour cela que les dirigeants de l’Union Européenne prennent rapidement les mesures nécessaires pour éviter le naufrage, comme les élites russes surent le faire à un moment ou le pays était proche d’une faillite économique totale,  il y a de cela seulement 14 ans.

les 20 ans du CUF

L’article original a été publie sur Ria Novosti.

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Lundi dernier, j’étais à Moscou dans un des quartiers que je préfère. Je sortais juste du métro Trubnaya et j’allais traverser la place du même nom quand j’ai eu la surprise de recevoir un appel téléphonique de Marek Halter. Une vraie surprise, j’ai d’abord cru à un canular: Je ne le connaissais pas et je ne savais pas qu’il avait mon numéro de portable, ou que quelqu’un le lui avait transmis. Il  souhaitait juste me rappeler que le collège universitaire de France en Russie fêtait ses 20 ans le lendemain, et qu’il était important qu’un maximum de gens en soient informés parce que cet évènement est un symbole important du dialogue franco-russe.

Beaucoup de lecteurs savent qui est Marek Halter. Cet intellectuel et homme public français est très connu en France. En tant que romancier,  il s’est distingué en publiant de nombreux ouvrages qui mettent en scène l’histoire du peuple juif.  Par contre, peu de gens savent que la relation de Marek Halter avec la Russie est très ancienne. Pendant la deuxième guerre mondiale, il a du fuir la Pologne en compagnie de ses parents, pour se réfugier à Moscou puis à Kokand, une petite ville de la république socialiste soviétique d’Ouzbékistan. En 1945, alors que Marek Halter avait 9 ans, il aura le “privilège” de participer au 9 mai à Moscou et d’offrir des fleurs à Joseph Staline.
La relation de Marek Halter avec la Russie ne s’est pas arrêtée là. En 1991, c’est-à-dire juste après l’effondrement de l’URSS, il a créé deux collèges universitaires francophones en Russie, l’un à Moscou, et l’autre à Saint-Pétersbourg. De quoi s’agissait-il, à l’époque?  “Marek Halter a eu l’idée qu’on pourrait incarner la Perestroïka et le changement  d’humeur en URSS par une invitation systématique de chercheurs, de professeurs, d’écrivains, d’artistes, pour que les Russes entendent de nouvelles voix auxquelles ils n’étaient pas habitués” rappelle l’historien Marc Ferro. Le Collège Universitaire Français de Moscou est un établissement public et gratuit, soutenu en France par le Ministère des Affaires Étrangères et Européennes, le Ministère de l’éducation Nationale, le Ministère de l’enseignement Supérieur et de la Recherche et des universités françaises partenaires. Il délivre une formation et un diplôme en deux ans dans différentes disciplines comme le droit, l’histoire, la sociologie, la littérature ou encore la philosophie. Le site internet du CUF, comme on l’appelle à Moscou, apprend au lecteur que “l’établissement a été fondé en 1991 à l’initiative de l’académicien et prix Nobel russe Andrei Sakharov et de l’écrivain et homme public français Marek Halter (…) mais aussi qu’il a été conçu pour être un espace d’ouverture, d’excellence et d’échange”.
Aujourd’hui l’établissement fonctionne grâce à une coopération fructueuse entre la faculté Lomonossov de Moscou (MGU) et dix établissements français  d’enseignement supérieur parmi lesquels Assas  et la Sorbonne. Le C.U.F. comprend deux sections: une  francophone et une russophone. Le diplôme francophone est reconnu par les universités partenaires en France. Le Collège Universitaire Français est aujourd’hui dirigé par Guillaume Garetta. D’après lui: “Le Collège est un enfant de la Perestroïka car il reflète exactement ce que Mikhaïl Gorbatchev a voulu faire: ouverture à l’Ouest, fin de la censure, échanges académiques et intellectuels. C’est un projet qui s’inscrivait parfaitement dans un projet politique plus large”.
Les  3, 4 et 5 octobre dernier, le CUF à donc fêté ses 20 ans dans la joie et la bonne humeur, sous le haut patronage de Monsieur Nicolas Sarkozy, président de la République Française et de Monsieur Dmitri Medvedev, président de la Fédération de Russie. Parmi bien d’autres, ont assisté aux cérémonies: Mikhaïl Gorbatchev, Victor Sadovnitchi, recteur de l’Université d’Etat de Moscou, Jean de Gliniasty, ambassadeur de France en Russie,  Marek Halter bien évidemment, mais aussi nombre d’étudiants du dit Collège.
Le courrier de Russie a publié des témoignages d’anciens élèves du CUF. On peut  y lire que pour certains, l’établissement a été une porte d’entrée vers la France, via la langue française. Tout autant que le haut niveau d’éducation et la possibilité de bénéficier de diplômes reconnus, c’est sans doute en grande partie par ces échanges humains, surtout entre jeunes étudiants, que les peuples français et russes apprendront à mieux se connaître, et à mieux se comprendre. Depuis longtemps, les échanges universitaires ont été une des pierres de voûte de l’Europe en construction. Nul doute que des réalisations comme le collège universitaire français de Russie font partie des outils permettant à nos peuples de mieux se comprendre, et à la France de se faire connaitre en Russie comme un acteur incontournable dans les réalités européennes. Cette collaboration franco russe au sein du CUF  montre toute son importance, maintenant que des projets industriels de grande dimension associent en Russie des entreprises françaises et des entreprises russes. Cette collaboration est une nécessité pour faire face à la mondialisation incontrôlée et chaotique que connait notre planète. Elle est aussi une contribution à la création d’une grande Europe pacifique de l’Atlantique au Pacifique. Comme le  rappelait  déjà Marek Halter pendant l’année croisée franco-russe: “Il n’y aura pas d’Europe en tant que puissance politique et économique dans le monde face à ces nouveaux géants que sont l’Inde, la Chine, le Brésil, l’Amérique ; sans la Russie. Donc, l’Europe a besoin de la Russie, et la Russie a besoin de l’Europe”.

Perm ville de culture

L’article original a été publie sur Ria Novosti.

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Pour beaucoup de Français et pour beaucoup d’européens de l’ouest, la Russie reste un pays méconnu, voire inquiétant et dont beaucoup doutent de la capacité à devenir “moderne, européen et stable”, sur le modèle imaginé par les démocraties occidentales. La crise économique dans les pays occidentaux à secoué ceux qui avaient ces préjugés, et les perspectives économiques paraissent aujourd’hui plus attrayantes en Russie que dans nombre de pays d’Europe de l’ouest.

 
On commence à s’en rendre compte et de plus, l’objectif primordial pour la Russie de s’ouvrir sur le monde devient de plus en plus lisible et crédible.. Pour autant, hormis Moscou et Saint-Pétersbourg qui sont devenues des villes touristiques, il reste de nombreuses villes encore peu connues en Russie, c’est le cas de Perm. Cette  ville compte un peu plus d’un million d’habitants avec l’agglomération, elle se trouve à environ 1.200 kilomètres à l’est de Moscou, juste avant la chaine de l’Oural. Beaucoup de français savent que Michel Strogoff, membre du régiment des courriers du Tsar et personnage créé par Jules Verne, est passé à Perm avant de franchir l’Oural et de poursuivre sa route vers Irkoutsk. Pour beaucoup de Français  l’Oural reste assimilé à la frontière symbolique de l’Europe, puisque cette chaîne de montagnes correspond à sa frontière géographique. On se souvient des appels du général de Gaulle qui souhaitait une Europe de l’Atlantique à l’Oural. Pourtant, en y regardant de plus près, on constate que les villes russes qui sont derrière l’Oural ne sont pas moins russes ou moins européennes que celles de la partie ouest du pays.
 
Mais revenons à Perm, ville fondée par Pierre le Grand en 1723, bien que le village de Perm soit mentionné dès le milieu du 17ème siècle. La ville est située au pied des monts Oural et elle est traversée par une rivière assez importante, la Kama. Plus loin vers le sud, la Kama rejoint la Volga qui poursuit sa route vers la mer Caspienne. Dans l’histoire russe, l’Oural n’est pas seulement la frontière géographique entre l’Europe et l’Asie. C’est  également le point de départ de l’expédition du cosaque Ermak, mandaté par les Stroganoff pour lever une armée afin de vaincre les Tatars, de l’autre côté de l’Oural. Cet évènement historique important, daté de 1575, permettra de développer plus tard la conquête de l’est, puis de la Sibérie jusqu’au Pacifique. Si Perm est relativement méconnue à l’étranger, ce n’est pas le cas en Russie. Jusqu’à très récemment, elle faisait partie de ces “villes fermées” secrètes, prestigieuses, interdites aux étrangers et même aux russes, qui devaient demander une autorisation pour y pénétrer. A l’époque de l’URSS, il y avait dans ces villes fermées soit des bases militaires, soit des usines du complexe militaro-industriel ou des écoles secrètes. A Perm, cette époque a laissé des traces, et la ville dispose d’un équipement  industriel et culturel important, supérieur à celui de ses voisines de l’Oural que sont Ekaterinbourg ou Chelyabinsk. L’économie de la ville bénéficie en outre de la richesse du sous-sol
de la zone. La compagnie pétrolière Lukoil est très présente à Perm, elle extrait et transforme l’or noir de la région. Sans doute grâce à son passé de ville fermée, de ville militaire et industrielle, Perm a conservé un système éducatif très dense. Il comprend sept universités, trois écoles militaires et également de nombreux instituts de recherche scientifique. Cette densité culturelle se retrouve également dans l’amabilité de ses habitants, que chaque visiteur de la ville ne pourra que constater. Les gens de Perm sont très ouverts,  plus calmes que les Moscovites, et tournés vers l’incroyable beauté de la nature dans l’Oural.Au bord de la Kama, les quais sont encore en cours de modernisation.

En ville, on retrouve le même mélange architectural que dans d’autres villes russes. Des bâtiments de style stalinien restaurés ou en attente de restauration, des maisons bien plus anciennes, et des immeubles ultra modernes. Sur l’autre rive, face au centre ville, les nouvelles villas au bord de l’eau témoignent bien du formidable boom économique que la ville à connu ces dernières années.

 
 
Mais on remarque aussi à Perm une particularité dans la décoration de la ville, visiblement orientée “art moderne”. Au centre, sur l’avenue Lénine, juste devant l’hôtel Oural, trône un énorme et magnifique ours en bronze, symbole de Perm. L’ours fait face à un bâtiment assez surprenant, de type stalinien mais surplombé par de drôles de personnages, rouges et sans têtes à l’extérieur du bâtiment, et dotés de têtes à l’intérieur. Il s’agit du bâtiment du ministère de la culture de la ville! Les personnages ne sont pas seulement déroutants et inattendus, ils contrastent avec l’austérité que dégage habituellement un bâtiment administratif de style soviétique traditionnel.
A Perm, le visiteur aura la  surprise de pouvoir trouver d’autres monuments inattendus, qu’il s’agisse par exemple d’une porte en bois à l’entrée de la ville ou d’une grosse pomme verte croquée devant la grande bibliothèque, en plein centre ville. 
 
 
Ces étonnants éléments d’art moderne ne sont pas là par hasard, la ville a un projet ambitieux: postuler et devenir prochainement capitale européenne de la culture.
 
En effet, en mars de cette année, une délégation de la Région de Perm présidée par Boris Milgram (vice-premier ministre de la région de Perm)
et Alexandre Protasevitch (vice-ministre de la culture de la région de Perm) a participé aux audiences publiques du programme “Capitale
européenne de la culture” organisées par la commission européenne. Pendant mon voyage à Perm, j’ai pu parler avec Alexandre Protasevitch.
C’est un esprit ouvert sur l’Europe et qui fourmille d’idées pour sa ville. C’est lui qui a soutenu la mise en place dans les rues de cette forme d’art moderne public.
 
Le spectacle est surprenant et contraste fortement avec l’image que l’on pourrait avoir d’une ville universitaire et industrielle de l’Oural. Je reviendrai à Perm, il y a mille choses à découvrir dans cette ville et dans les premiers contreforts de l’Oural, et ne serait-ce que pour repousser un peu plus les frontières de la vraie Europe. Les Permiens, comme me l’a rappelé Alexandre Protasevitch, se sentent Européens et à Perm on dit même que l’Europe va non pas de l’Atlantique à l’Oural mais de l’Oural à l’Atlantique! Alors, pourquoi ne pas faire de Perm, la “plus à l’est”, pour le moment, des capitales européennes de la culture?

Ce sera donc Vladimir

L’article original a été publie sur Ria Novosti.

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La grande nouvelle de la semaine est le dénouement de l’intrigue présidentielle russe, intrigue enfin résolue pendant le 12ème congrès du parti Russie Unie, qui s’est tenu les 23 et 24 septembre à Moscou. Alors que le pays se prépare à des élections législatives en décembre prochain, et à une élection présidentielle en mars 2012, le suspense était resté fort: lequel des deux supposés prétendants au trône, Dimitri Medvedev ou Vladimir Poutine, allait on voir se présenter. L’intrigue a provoqué beaucoup de suppositions. Des commentateurs avaient même  décelé une certaine tension entre les deux hommes. Dimitri Medvedev nous disait-on était de toute façon “plus libéral” et “plus moderne” et donc bien mieux disposé à l’égard de l’ouest. Influencé par un entourage plus souple, celui-ci aurait pu/du imposer sa candidature en prenant ainsi de cours Vladimir Poutine, et contraindre ce dernier soit à accepter cet affront, soit à se présenter contre son poulain, faisant ainsi exploser l’unité du tandem.


Les tensions entre les deux hommes s’étaient soit disant manifestées sur des dossiers de politique extérieure, notamment la Libye. Pour beaucoup, le clan Medvedev serait à l’origine du lâchage de Kadhafi, alors que les “Poutiniens” regrettaient de ne pouvoir s’opposer à l’ouest impérialiste. Tout cela s’est pourtant avéré faux. L’énigme est résolue, le tandem n’a pas explosé, et il n’a même pour ainsi dire jamais paru plus solide. En mai dernier, dans une précédente tribune intitulée “Vladimir ou Dimitri, j’avais expliqué que le scénario de la brouille entre les deux hommes était improbable et que les tensions concernaient sans doute plus probablement leurs entourages respectifs.
Il est en effet bien clair pour tout analyste lucide que l’amitié et la confiance politique entre les deux hommes est forte et ancienne. Beaucoup ont oublié qu’il y a 11 ans, en 2000, c’était déjà Dimitri Medvedev qui dirigeait le comité électoral de Vladimir Poutine, pour sa toute première élection présidentielle. Il est vrai que l’analyse était difficile à cause de la multiplication des rumeurs et des hypothèses. Récemment encore, des intellectuels libéraux proches de Medvedev, comme par exemple Igor Iourgens de l’institut Insor ne faisaient pas mystère de leurs opinions: Dimitri Medvedev avait déjà pris la décision de se représenter, et une ré-élection de Vladimir Poutine était “ce qui pouvait arriver de pire pour le pays”. L’opposition libérale a tenu le même discours après ce retour annoncé de Vladimir Poutine à la tête de la Russie. Ce retour ne fait pas que des heureux, même au sein de Russie Unie. C’est le cas par exemple pour Arkadi Dvorkovitch, adjoint du président Medvedev, qui a affirmé qu’il n’y avait “aucune raison de se réjouir” du retour de Poutine. Il assurait aussi récemment que Dimitri Medvedev avait déjà décidé de briguer un second mandat présidentiel, preuve que l’information n’avait pas  filtré même dans les cercles les plus proches du pouvoir, et preuve aussi que la liberté de ton au sein de Russie Unie est importante. A contrario, le ministre des finances actuel, Alexei Koudrine, réputé proche de Vladimir Poutine, à affirmé qu’il refusait de travailler dans un futur gouvernement Medvedev, reprochant à ce dernier d’être trop dépensier et de vouloir trop gonfler le budget militaire (à 3% du PIB). Celui-ci a donc été démissionné par le président Medvedev.
D’autres enfin pensaient à l’émergence organisée en sous main d’un troisième homme: Le milliardaire Michael Prokhorov, que certains ont surnommé “le golden boy”. Celui ci se présentait en effet comme un candidat à la fois anti-corruption et libéral mais sans excès. C’est un homme d’affaire talentueux à l’origine par exemple du projet industriel e-mobile. On a imaginé qu’il était un projet du Kremlin (initié par le cercle de Medvedev) destiné à ancrer un “bipartisme politique” en Russie, et ainsi tempérer le quasi monopole de Russie unie. Pourtant l’illusion n’a pas duré, Michael Prokhorov a été démis de ses fonctions de  dirigeant du parti Pravoe Delo qu’il avait créé. Il n’a cependant pas exclu de se présenter aux élections présidentielles et par la même il enlève toute possibilité à un éventuel courant libéral, de pouvoir espérer des résultats conséquents, tant cette opposition libérale de droite est divisée et politiquement  peu consistante.
Le retour de Vladimir Poutine comme président avec vraisemblablement Dimitri Medvedev comme premier ministre est un scénario qui était prévu de longue date d’après les dires de ce dernier. Au final, cet accord traduit la solidité du tandem, et rassure la grande majorité des russes, contrairement à ce que pense une majorité d’analystes étrangers. L’inversion des rôles, couplée à la création du nouveau front populaire devrait sans doute permettre à Russie Unie de garder une courte majorité aux législatives de décembre, la popularité toujours très élevée de Vladimir Poutine l’assurant sans doute de gagner la présidentielle de 2012 sans encombre. Celui-ci sera donc sans doute président de la fédération de Russie de 2012 à 2018. En 2018, il aura théoriquement régné 14 ans, soit autant que François Mitterrand en France (1981 – 1995).
Alors que la situation économique semble se dégrader en Europe et aux Etats-Unis et que le monde devient plus incertain que jamais, la possibilité pour la Russie de garder un “homme fort” aux commandes est sans doute un privilège enviable pour beaucoup de pays européens.
Cette tribune est la suite de la tribune “Vladimir ou Dimitri”.

Rostov la douce

L’article original a été publie sur Ria Novosti.

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Des lecteurs m’ont demandé à quoi ressemblent les villages et les petites villes russes. J’ai donc décidé de passer beaucoup de temps à explorer la Russie des petites villes pendant les prochains mois. Celles de l’Anneau d’or peut être, mais surtout des villes beaucoup moins touristiques et plus éloignées de la capitale, comme par exempleBlagovechtchensk en Extrême-Orient ou je me rendrais bientôt. Ces voyages donneront lieu à des tribunes et bien sûr à des reportages photographiques sur la Russie d’aujourd’hui, qui seront transférés sur mon site. (J’ai du reste déjà commencé à le faire.)

 

Récemment, je suis allé visiter Rostov Velikii, dans l’oblast de Iaroslavl. C’est à environ 200 kilomètres au nord est de Moscou. Cette toute petite ville (moins de 35.000 habitants) n’est pas la plus caractéristique des petites villes russes car elle est un lieu touristique célèbre et on y voit  donc à longueur d’année une quantité de touristes, étrangers bien sûr mais surtout russes.

Le transport en Marshutka depuis Moscou (ces micro-autobus qui sillonnent la capitale ou relient les villes entre elles) est une solution économique et vraiment déroutante, comme parfaitement illustrée ici. La route (Iaroslavskoe Chossee puis la route M8) qui va de Moscou à Iaroslavl en passant par Rostov est de relativement bonne qualité, bien que très chargée. Cela démontre bien que le problème des routes de Russie n’est peut être plus un problème si récurrent. Les quelques 200 kms en Marshutka rappellent cependant à quel point si les routes ne sont donc pas toutes mauvaises, les mentalités au volant en Russie laissent parfois à désirer. La douzaine de passagers pourtant tous russes n’a du reste pas supporté les accélérations, les embardées et les multiples coups de volant de notre chauffeur (qui conduisait en tongs). Un des passagers, Nikolaï, qui partait en week-end chez lui à Iaroslavl a en effet simplement régurgité son diner du soir sur sa voisine, qu’il ne connaissait du reste pas encore. Ne me demandez pas comment, mais sitôt l’information transmise au chauffeur, celui-ci a pilé, arrêtant l’autobus sur la bande d’arrêt d’urgence de la route afin de nettoyer tout ça, ce qu’il réussit à faire en un temps record, et d’une façon que je n’arrive toujours pas à m’expliquer. L’arrivée à Rostov 3 heures et demi plus tard, dans la nuit, marque tout de suite une rupture avec la bruyante capitale. On voit dans la nuit que la ville est déserte, peu illuminée et calme.

“Qu’y a-t-il à voir à Rostov?” vont me demander beaucoup de lecteurs pas ou peu familiarisés avec les quelques petites villes touristiques russes autour de Moscou, dont celles de l’anneau d’or. Tout d’abord la ville est située au bord d’un lac qui porte le nom de lac noir. Il est très profond et très sombre à cause du tapis de boue de plusieurs mètres qui tapisse le fond. A cause de ce caprice de la géologie, il est théoriquement formellement interdit de s’y baigner. La ville est l’une des plus anciennes de Russie, puisqu’elle est déjà citée dans de vieux textes russes datant du 9ème siècle. Avant même l’arrivée des premières tribus slaves, la région de Rostov, autour du lac, était occupée par un peuple Finno-ougrien, les Mériens. Cet héritage Finno-ougrien se retrouve notamment dans les incroyables motifs colorés (voir ici et la) autour des fenêtres des maisons en bois. Des types de motifs que l’on retrouve aussi dans le grand nord russe enCarélie ou l’héritage Finno-ougrien est encore plus marqué.

Rostov Velikii est aujourd’hui un centre touristique mais également un important lieu de pèlerinage. La ville est enroulée autour d’un magnifique Kremlin central qui date de la fin du 17ème siècle et comprend 5 églises et 2 cathédrales dont la cathédrale de l’assomption avec son  beffroi et ses 13 immenses cloches. Le Kremlin vaut vraiment la visite, tant pour la beauté des églises que pour l’incroyable atmosphère qui y règne. Pouvoir se poser un moment dans un petit café orthodoxe ou des sœurs servent du Kvas et des pirojkis  maison est un moment inoubliable. Le monastère Spaso-Yakovlevsky est la seconde merveille à voir à Rostov. Le monastère est situé un peu à l’extérieur de la ville et accessible à pied ou en bateau. Le plus agréable est de le rejoindre en taxi-bateau, dont un certain nombre sont parqués au bord du lac et attendent les clients. Pour 3 ou 4 euros il est possible de se faire déposer devant le monastère après une ballade autour de l’ile centrale du lac. Le monastère a été fondé au 14ème siècle, c’est aussi l’endroit ou sont célébrés les mariages de cette petite ville. La ferveur et la simplicité des croyants qui viennent prier et se recueillir est très émouvante, surtout pour un français dont le pays est aujourd’hui reloativement dénué de toute spiritualité. Les fidèles orthodoxes se signent à genoux devant le tombeau de Dimitri de Rostov.
Un week-end à Rostov, si proche de Moscou, c’est une impression de sortir du temps, accentuée par de petits détails. Par exemple croiser au bord du lac une famille de gitans tout droit sortis d’un film de Kusturica, le fils à vélo et le père à cheval, pendant que la mère attache tranquillement sa sympathique chèvre devant l’embarcadère! On passe le temps à observer les gens qui marchent le long du lac, tantôt des locaux, tantôt des touristes en groupes suivant leurs guides. Quand la nuit tombe Rostov prend une autre dimension, les maisons en bois sont peu éclairées et le côté petite ville russe d’autrefois se fait encore plus sentir. Je ne m’explique pas pourquoi la ville est littéralement occupée par des milliers de corbeaux noirs dont la présence n’est pourtant pas dérangeante. “Vous avez bien fait de venir l’été” m’a dit la dame qui tenait l’hôtel ou je me suis arrêté, “l’hiver après 16 heures il n’y a plus personne dans les rues”. Il faut signaler que le manoir Pleshanov, à Rostov Velikii, peut servir de point de ralliement. Le restaurant bar est ouvert 7 jours/7, 24 heures/24, tout comme l’ensemble sauna/piscine du manoir. La gastronomie des restaurants de la ville mériterait une tribune à elle seule, avec surtout le menu du restaurant du dit manoir qui fait 63 pages comme dans certains restaurants de province en France. On y trouve un grand nombre de plats traditionnels russes, mais aussi toutes sortes de fondues ou encore de la cuisine européenne et asiatique. La cuisine proposée est l’une des meilleures, sinon la meilleure que j’ai pu goûter en Russie.

Un week-end ensoleillé à Rostov suffit pour décompresser totalement de Moscou. Pour les touristes étrangers, la ville est facilement accessible depuis la capitale. (A ceux qui ne veulent pas conduire ni se faire de frayeurs, je conseille le train plutôt que la marschutka). C’est un bon endroit pour respirer l’ambiance d’un petit morceau de Russie hors du temps.

Le 21ème siècle, siècle de l’Arctique?

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L’article original a été publié sur Ria Novosti.
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Très prochainement aura lieu à Arkhangelsk, dans le grand nord russe, la deuxièmeédition du forum international “Arctique, territoire de dialogue”, organisé par la Société géographique de Russie. Pour la majorité arctique rime avec pôle nord c’est à dire une zone glaciale, peuplée d’ours blancs et de manchots, avec une faible présence humaine. 
Pour  d’autres, plus initiés (dont sans doute bon nombre de lecteurs de Ria Novosti) l’Arctique est au contraire  un formidable théâtre  d’opérations, avec un potentiel minier important. C’est également une zone de rivalités entre grandes puissances, préfigurant la bataille pour l’énergie que connaîtra sans doute ce siècle. Cette tension autour du pôle nord n’est pas totalement nouvelle. Durant la guerre froide, soviétiques et américains considéraient l’Arctique comme passage le plus court pour observer l’autre mais aussi comme passerelle géographique en cas d’interventions militaires. Pour Jean Claude Besida, l’Arctique est devenu à ce moment là une “interface géopolitique entre puissances”. 

Après la chute de l’URSS et la fin de la guerre froide, les pays riverains de l’Arctique (Russie, Canada, Norvège, Danemark, Etats-Unis) ont constitué trois organisations de coopération régionale destinées à promouvoir la collaboration entre les états ayant des intérêts dans  la zone: Le conseil des états de la mer Baltique en 1992, La Coopération de Barents en 1993 et enfin Le Conseil de l’Arctique en 1996. Auparavant, en 1982, la convention des nations unies sur le droit de la mer avait été signée à Montego Bay, mais elle n’est entrée en vigueur qu’en 1994. Ce timide réchauffement des relations s’est accompagné d’un réchauffement climatique aux conséquences majeures pour la planète.La fonte des glaces devrait en effet s’accélérer durant ce siècle, puisque depuis 1979 la superficie de glace en Arctique a diminué de 20%, et qu’elle devrait encore diminuer de 50% d’ici 2100. Cette fonte des glaces ouvre des perspectives économiques et stratégiques majeures, via le développement de routes commerciales maritimes bien plus courtes, plus rentables et plus sûres, entre l’Occident et l’Asie. 

Deux variantes principales existent, la route du nord qui longe les côtes de la Sibérie et la route du nord ouest qui passe à travers le grand nord Canadien. En outre, on estime qu’un quart des réserves mondiales non encore découvertes de pétrole et de gaz se situent en Arctique. La région est également très riche en minerais divers (nickel, fer, phosphates, cuivre, cobalt, charbon, or, étain, tungstène, uranium ou argent). Enfin L’Arctique comprend également les plus vastes réserves d’eau douce de la planète. Le retour de la Russie dans le concert des puissances internationales a considérablement changé la donne dans la région Arctique. En effet, si les relations entre la Russie et les puissances du nord se sont timidement et diplomatiquement réchauffées, il reste que tous les Etats concernés ainsi que les états au statut d’observateur comme la France sont membres de l’OTAN, sauf la Russie.

Avec leur statut de futurs propriétaires des routes commerciales, Russie et Canada ont décidé d’affirmer activement leur souveraineté sur la région. Lors d’une mémorable expédition en 2007, la Russie a planté son drapeau au fond de l’océan Arctique en utilisant des bathyscaphes. A l’époque, la presse anglaise avait comparé cette expédition aux premiers pas de l’homme sur la lune en 1969 en termes de témérité et de performance technologique. Mais au delà de la prouesse technique, l’expédition a montré l’importance que les autorités russes accordent à cette zone. Si l’Arctique ne représente que 1,5% de sa population, la région compte déjà pour 11% de son PIB et 22% de ses exportations. Enfin, 75% des habitants de l’Arctique sont russes.

La Russie a aussi la frontière arctique la plus longue. Par conséquent une militarisation de l’Arctique est en cours. Elle est alimentée par les cinq nations qui ont des revendications sur la région: États-Unis, Canada, Russie, Danemark et Norvège. Plus récemment, la Grande-Bretagne, la Finlande et la Suède ont également rejoint le débat sur  l’Arctique. Symbole de cette démonstration dissuasive occidentale, les manœuvres militaires Nanook qui ont lieu dans le cadre de l’OTAN tous les étés. Chaque année le nombre de participants et la quantité de matériel impliqué sont en hausse. Cet été par exemple, 100 militaires étrangers se sont entrainés avec plus d’un millier de soldats canadiens. En 2008, les entrainements étaient basés sur le scénario d’un état envahissant l’Arctique. Il est légitime de se demander à quel état les organisateurs pensaient, sachant encore une fois que le seul état Arctique non membre de l’Otan et n’ayant donc pas participé à ces manœuvres est la Russie.

Flotterait-il un parfum de nouvelle guerre fraîche entre russes d’un coté, et américano-canadiens de l’autre? La Norvège vient d’annoncer un projet visant à établir un commandement arctique interarmées, une force de réaction arctique et un renforcement de la base aérienne de Thulé pour la partager avec ses alliés de l’OTAN.
Le Canada, pour sa part,  a récemment décidé de développer les effectifs et le matériel de ses brigades arctiques. Quand à la Russie, elle revendique clairement sa souveraineté sur une bonne partie de la dorsale sous marine Lomonossov. Certains officiels affirmaient déjà en 2008, tel le général Vladimir Chamane, que “le pays devait être prêt à faire la guerre en arctique si nécessaire”. Cette année a vu la création de deux nouvelles brigades arctiques pour contribuer à la protection des intérêts nationaux russes dans la région. Mais par ailleurs, la Russie affirme vouloir faire de l’Arctique un territoire de dialogue et écarte par avance tout risque de conflit dans cette zone du monde. Récemment, l’influent premier ministre Vladimir Poutine a rappelé que: “La sécurité et les intérêts géopolitiques de la Russie sont liés à l’Arctique”. Enfin en dehors des Etats Unis, riverains de l’Arctique via l’Alaska, d’autres pays plus lointains ont manifesté récemment des visées sur l’Arctique: La Chine ou encore l’Iran.

Routes commerciales du futur, exploitation des richesses minières, l’Arctique va sans doute faire l’objet de tractations compliquées et de nouveaux rapports de force entre puissances. Pour les européens, le filtre Otan et nord-américain ne semble pas le plus conforme à leurs intérêts. En effet un équilibre en Arctique n’est pas concevable sans la Russie. En outre, à l’heure ou le moyen orient multiplie les signes d’instabilité, et alors que le besoin en énergie va augmenter durant le siècle, le rapprochement avec la Russie semble plus que jamais utile. C’est ce qu’a laissé entendre l’ambassadeur français pour l’Arctique Michel Rocard: “La Russie est une puissance arctique disposant de nombreux atouts (expérience, matériel…) pour assurer le développement de la route commerciale arctique”.
Russes et européens ont sans doute l’occasion de faire ensemble de l’Arctique un territoire de paix et de dialogue, et d’utiliser ces richesses ensemble, afin de renforcer leurs positions dans le monde.

Révoltes arabes: diplomatie 2.0?

L’article original a été publie sur Ria Novosti.
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Alors que les évènements en Libye ont visiblement définitivement basculé avec la chute du leader libyen Mouammar Kadhafi, tous les regards sont désormais braqués sur la Syrie de Bachar el-Assad. Durant les sept premiers mois de l’année 2011, face au printemps, puis à l’été arabe, la diplomatie russe a souvent semblé hésitante alors que de
nombreux observateurs s’attendaient  à des positions tranchées, dans la continuité d’une certaine ligne diplomatique bien éprouvée.

 
Bien au contraire, la Russie a eu une position attentiste et prudente, dans laquelle il n’a pas été facile de discerner une quelconque ligne directrice. L’affaire libyenne a même provoqué un début de confusion dans la diplomatie russe: en effet, le premier ministre russe en mars dernier avait assimilé l’opération militaire occidentale en Libye a une croisade alors que  le président avait déclaré dès le lendemain que le terme de croisade était inadapté et inacceptable. Nombre de spécialistes et  bservateurs, à ce moment là, ont imaginé que c’était le début des hostilités entre les deux hommes en vue de l’élection présidentielle russe de 2012, mais également l’apparition  au grand jour de deux courants d’idées qui pourraient s’affronter, au cœur du pouvoir russe. Le jour suivant, le porte-parole du Kremlin avait affirmé que les propos du président Medvedev n’étaient  pas destinés au premier ministre mais qu’il s’agissait d’une réponse à une déclaration du guide libyen qui avait aussi accusé les occidentaux de mener une croisade contre son pays.
Pour autant, l’absence d’utilisation du droit de veto par la Russie, au moment de la résolution  1973 de l’ONU est un fait concret, qui a été interprété comme un replacement diplomatique de la Russie. Aujourd’hui,  alors que la Syrie, considérée comme proche de Moscou, est face à une situation chaotique, et que certains leaders politiques ont déjà affirmé que le pays est le suivant sur la liste, que pourrait-il se passer ? Quelle pourrait être la position de la Russie en cas de vote d’une résolution de l’ONU contre le régime syrien ? Plus globalement quelles conclusions peut-on tirer des prises de position diplomatiques russes récentes à propos des évènements  dans le monde arabe?
Tout d’abord il faut écarter ce mythe selon lequel il y aurait une liste d’Etats autoritaires destinés à subir des révolutions démocratiques inévitables, certaines de renverser les pouvoirs en place. Le mécanisme des révolutions organisées (révolutions de couleurs) qui ont eu lieu en Eurasie, puis plus récemment en Tunisie ou en Egypte par exemple, n’a pas réussi partout. Un certain nombre d’états politiquement et économiquement solides n’ont pas succombé aux manifestations de masse et aux désordres organisés, que l’on pense à la Russie, à la Biélorussie, à l’Iran,  au Venezuela ou encore à la Chine. Par ailleurs, il faut remarquer que les révolutions qui ont eu lieu en Tunisie et en Egypte  ont rapidement débouché sur des problèmes économiques importants et n’ont pas encore livré de résultats clairs en matière de gains démocratiques. Mais les évènements en Libye ou en Syrie n’ont plus rien à voir avec ces mécanismes de tentatives de révoltes non violentes. Il s’agit de rebellions organisées, militarisées (par plusieurs puissances occidentales dans le cas de la Libye), et  basées sur des oppositions tribales, ethniques, ou  religieuses. La diversité des situations a faitque la Russie n’est pas le seul Etat à faire preuve de prudence face aux évènements qui secouent le monde arabe.
La Russie avait voté la résolution 1970 de l’ONU (embargo sur les armes).  Elle était opposée au vote de la résolution 1973, mais s’est abstenue plutôt que de faire veto. En agissant ainsi, la Russie ne s’est pas du tout isolée comme l’a très bien noté note l’analyste Eugene Ivanov. Au contraire, elle a rejoint un  groupe d’abstentionnistes, composé de la Chine, de l’Allemagne, du Brésil mais également de l’Inde.  Une ligne BRIC élargie à l’Allemagne, moteur de l’Europe. Cette coïncidence entre les positions de la Russie et de l’Allemagne est un fait nouveau et intéressant,  surtout au moment ou la France s’alignait sur les positions anglo-saxonnes et guerroyait aux cotés de l’Angleterre, puis de l’Otan.
Bien sur la personnalité du guide Libyen, indéfendable sur la scène internationale a surement incité les états qui étaient opposés à l’intervention militaire, comme la Russie ou la Chine, à ne pas prendre position plus fermement. Pour la Russie, la perte financière potentielle sur les contrats engagés avec le gouvernement Kadhafi n’a
visiblement pas justifié de froisser une partie de la communauté internationale avec laquelle la Russie est en négociations sur des sujets très sensibles, comme l’entrée dans l’OMC ou le bouclier anti-missiles en Europe. En outre les représentants de l’opposition libyenne viennent d’affirmer qu’ils envisageaient de coopérer avec les pays industrialisés, y compris la Russie et la Chine, au nom de la renaissance et du redressement de la Libye.
La Syrie est sans doute un autre cas de figure. Pendant le mois d’août, la Russie et la Chine se sont opposées au vote de la résolution proposée par le conseil des droits de l’homme. Mieux la Russie est à l’origine d’une nouvelle résolution, soutenue par le groupe BRIC, ce qui montre qu’elle entend ne pas être écartée du dossier Syrien.

Aujourd’hui la ligne officielle russe est celle du soutien au pouvoir Syrien. Ce soutien de la Russie à  la Syrie est interprété de diverses manières. Fidélité à un allié de longue date, ou désir d’éviter une déstabilisation de la région, Liban et Israël compris.

Pour autant, en Libye comme en Syrie, la Russie a envoyé ses représentants discuter des le début avec l’opposition. Toujours pendant  le mois d’août le président russe a fermement incité le leader Syrien à réformer le système politique du pays, emboitant ainsi le pas à la Turquie (un allié de longue date de la Syrie et de la Russie) mais aussi à ligue arabe, qui a également fermement condamné la répression excessive des manifestations. Cet alignement sur les prises de position de la ligue arabe montre que Moscou est sorti du dogmatisme postsoviétique de défense systématique des leaders historiques, en étant prête à collaborer avec une certaine ligne médiane et modérée,
représentée par la  ligue arabe.
Traduction de cette récente politique pragmatique développée par les autorités russes dans la région: La turbine de la centrale nucléaire de Bouchehr (construite par la Russie) en Iran a été testée avec succès mardi 23 août. Dans le même temps ou presque, Téhéran  a affirmé  soutenir l’initiative russe de relance des négociations entre l’Iran et les grandes puissances du groupe 5+1 sur le programme nucléaire controversé de Téhéran, négociations pourtant dans  l’impasse depuis de nombreux
mois.

20 ans deja

L’article original a été publie sur Ria Novosti
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La Russie vient la semaine dernière de célébrer un anniversaire peu banal. En effet, le vendredi 19 août 2011 était le 20ème anniversaire du putsch de Moscou. Cet évènement anodin pour beaucoup de Français, surtout pour les jeunes, a pourtant eu une importance capitale. Non seulement l’échec du putsch a scellé le destin de l’URSS mais il a aussi également accéléré  l’apparition de la nouvelle Russie.
L’URSS connaissait depuis 1985 et l’élection du président Gorbatchev des réformes assez radicales, qui devaient transformer l’Union soviétique. Ces réformes, plus connues sous le nom de Perestroïka, ne suscitaient pas l’adhésion d’une aile dure et conservatrice au sein de la société et notamment au sein du puissant parti communiste. En outre, les agitations nationalistes dans diverses républiques soviétiques faisaient craindre à cette même aile conservatrice des velléités d’indépendance dans ces républiques, qui auraient fatalement porté atteinte à
l’intégrité territoriale et politique de l’Union Soviétique.

Le 19 août 1991, ils décidèrent donc de démettre de force le président Gorbatchev en organisant un putsch militaire, notamment pour empêcher la signature d’un traité qui annonçait à leurs yeux la fin imminente de l’URSS. Le putsch était coordonné notamment par le responsable du KGB Vladimir Krioutchkov, le ministre des Affaires intérieures (MVD) Boris Pougo et le ministre de la Défense Dimitri Iazov. Ce fameux 19 août, des blindés envahissent la capitale russe et Guennadi Ianaïev est nommé président par intérim. Le soir même, le président français François
Mitterrand donne une interview
dans laquelle il reconnait un peu rapidement et à mi-mots la réussite du coup d’état et le nouveau pouvoir Soviétique. Mais en Russie Boris Eltsine (alors président du soviet suprême, l’équivalent du parlement de
l’URSS) devint, un peu malgré lui, le symbole de la résistance à ce Putsch.

Finalement la tentative de coup d’état n’a duré que trois jours, les heurts entre manifestants et militaires ont fait trois morts, ce qui est finalement très peu. Moscou a frôlé une catastrophe. Aux yeux de la population, Boris Eltsine est devenu l’homme fort et providentiel du pays. Moins de six mois plus tard, en décembre, les Ukrainiens votent pour leur indépendance, immédiatement reconnue par la Russie. L’URSS est dissoute de facto, remplacée par la CEI et Boris
Eltsine devient le 25 décembre 1991 le premier président de la jeune et démocratique fédération de Russie, après la démission de Michael Gorbatchev. Une page de l’histoire est tournée.

La disparition de l’URSS survint en décembre 1991 alors que pourtant le 17 mars de la même année, un  référendum avait été organisé pour savoir si les peuples soviétiques voulaient maintenir l’Union en tant qu’entité. Le “oui“
s’était imposé à 76%, malgré le boycott des états baltes, de la Moldavie, la Géorgie et l’Arménie. Les scores d’adhésion les plus élevés furent atteint en Azerbaïdjan, au Kazakhstan, en Biélorussie et au Kirghizstan. Sans surprise, la Biélorussie et le Kazakhstan sont aujourd’hui déjà membres de l’union douanière avec la Russie, alors que le Kirghizstan prépare actuellement son adhésion.
Le cas de l’Ukraine est intéressant puisque si 70% des votants soutinrent le maintien de l’URSS en mars 1991, ils furent 90% à voter pour l’indépendance du pays le 1er décembre 1991. Ce total basculement des votes ne peut que faire penser au basculement électoral que le pays a connu en soutenant majoritairement un président ouest-orienté en 2005,
pour ne lui attribuer que 5% des voix 5 ans plus tard et réélire un président est-orienté. Le pays semble encore aujourd’hui toujours chercher sa voie et sa place entre l’Europe de l’ouest et la Russie et se montre du reste très frileux face au projet d’union douanière avec la Russie.

En Russie, les opinions restent partagées, à propos de ce brusque changement de régime et de système, qui s’est produit il y a 20 ans. 58% des Russes interrogés en avril dernier affirment encore regretter la disparition de l’URSS, mais ils étaient 75%  en 2000. Enfin pour 40% des Russes interrogés ces événements ont été tragiques pour le peuple et le pays et seulement 10% les interprètent comme une victoire de la démocratie, bien loin de interprétation qui est faite de ces événements à l’ouest. Alors pourquoi ces sentiments contrastés puisque la Russie a surmonté les terribles conséquences des deux dernières crises économiques qu’elle a du affronter en 1998 et 2008, que l’état est enfin reconstruit et que les grandes inquiétudes des années 90 ont disparu?

Il est évident que les Russes, malgré le redressement rapide du pays, ont une forme de nostalgie de l’empire soviétique et du statut de grande puissance qui était celui de l’URSS. Cette envie de retrouver une Russie-puissance (un peu comme on parle d’Europe puissance) existe dans le peuple comme dans ses élites. Le manifeste du parti dominant Russie-Unie dans le préambule de son manifeste se définit comme “Le parti du succès de la Russie, le parti du redressement de tout le pays contre des adversaires qui ne lui ont laissé qu’une place humiliante dans le monde contemporain“. Pour beaucoup de Russes, toutes générations confondues, les inégalités inévitablement créées par le
capitalisme libéral de type occidental sont un fait nouveau, qui n’existait pas sous l’URSS. Malgré la hausse des revenus en cours, une partie importante de la population (16%) vit encore sous le seuil de pauvreté et se sent laissée pour compte dans ce récent développement économique du pays.

Voilà sans doute le grand défi auquel fait face le pouvoir politique russe actuel: Faire en sorte que le développement
économique de la Russie bénéficie à toute la population. Il s’agit aussi d’empêcher l’émergence de foyers de contestations sociales trop importants, qui pourraient avoir des répercussions sociales et électorales. Le mieux être de toute la population est une condition indispensable pour prétendre au statut de grande puissance, statut
auquel la Russie aspire en ce début de 21ème siècle.