Le courrier de Russie, bien loin des âneries de Juliette Rabat a fait une
interview intéressante de Jon Hellewig.
Pour lire une biographie complète de Jon Hellewig c’est
ici.
Ce dernier est également l’auteur du livre “
All is art” (2007), qui traite dans une première partie “des pratiques sociales et de l’interprétation des sentiments, ainsi que de la concurrence démocratique”. La seconde partie traite de “l’essence de la démocratie” et la Russie sert de point de référence, le lecteur pourra ainsi comprendre pourquoi le président Poutine est un homme avec de bonnes références démocratiques.
Quadrilingue russe, anglais, suédois et finlandais (sa langue maternelle), Jon Hellevig avoue parler aussi un peu français… après un bon verre de rouge ! « La Russie était dans une situation d’après-guerre » affirme-t-il lorsqu’il évoque son arrivée à Moscou en 1992. Et, malgré le « miracle » des deux décennies suivantes, le co-fondateur du cabinet d’avocats Hellevig Klein Usov Partners (HKU) considère que les défis les plus importants restent, aujourd’hui, à relever.
Le Courrier de Russie : Qu’est-ce qui a vraiment changé depuis votre arrivée ?
Jon Hellevig : Tout a changé. Quand j’ai débarqué pour la première fois à Moscou, on manquait de tout. À chaque fois que vous alliez dans un restaurant, vous vous retrouviez confronté à des pratiques étranges, et tout se négociait. Les rayons des magasins étaient vides. La situation, au début des années quatre-vingtdix, était digne des mauvaises blagues que l’on a tous entendues sur l’Union soviétique. Et c’est un vrai miracle d’avoir atteint, en 2010, un tel niveau d’offre de produits et de services. Nous revenons de très loin.
LCDR : Pourquoi êtes-vous venu en Russie ?
J. H. : La Russie est un pays avec lequel la Finlande a toujours eu des relations privilégiées, en raison, bien sûr, de sa proximité. L’ouverture à l’économie de marché signifiait, pour nous, de nouveaux débouchés, et il était parfaitement naturel d’y envisager un avenir. Mon idée, quand je suis arrivé, était de devenir consultant. Mais je me suis rapidement rendu compte que les affaires se géraient trop différemment ici pour que je puisse conseiller qui que ce soit. J’ai donc d’abord travaillé comme directeur financier d’une joint venture russo-américano-finlandaise. Et cette expérience m’a permis de mieux appréhender un système russe qui était encore, en fait, le système soviétique.
LCDR : Mais aujourd’hui, près de vingt ans après la chute de l’Union soviétique, le système n’a plus rien à voir.
J. H. : Détrompez-vous ! J’ai dit que tout avait changé, c’est vrai, mais fondamentalement, la culture économique est toujours façonnée par les pratiques de l’administration soviétique. Et elle n’évolue, malheureusement, pas beaucoup. Même lorsque le pouvoir décide d’instaurer une nouvelle loi, et même lorsque la loi est bonne – comme la loi antimonopole, qui est plus que nécessaire –, elle est appliquée dans une structure qui reste soviétique, et la bureaucratie l’emporte finalement sur la volonté de changement. La bureaucratie est un véritable fardeau pour ceux qui viennent faire des affaires en Russie.
LCDR : Cette situation est intéressante, en tout cas, pour des sociétés de conseil comme la vôtre…
J. H. : Vous savez, j’ai une haine viscérale de la bureaucratie. Notre travail n’est pas de conseiller nos clients pour qu’ils se plient à toutes les procédures – ce qui est d’ailleurs impossible – mais de trouver des solutions limitant au maximum les risques. On pourrait penser que toutes ces formalités administratives nous arrangent, en nous permettant de gagner notre pain. Mais en réalité, si l’appareil bureaucratique ne pesait pas si lourd sur la croissance, plus d’entreprises viendraient s’installer en Russie. Ce qui représenterait pour nous plus de travail à valeur ajoutée.
LCDR : Cette conjoncture est-elle propre à la Russie ?
J. H. : La bureaucratie n’existe pas qu’en Russie. L’administration est très présente dans d’autres pays d’Europe, en Chine également. Mais pas omniprésente comme ici. La bureaucratie en Russie est culturelle. C’est un héritage d’avant la Révolution, lié à l’influence de la Prusse, puis de soixante-dix ans d’Union soviétique. La Russie fait aujourd’hui face à trois difficultés fondamentales qu’il lui faut surmonter pour devenir une économie compétitive : l’infl ation, la corruption et, surtout, la bureaucratie. Le gouvernement a pris à bras le corps le problème de l’infl ation, il commence à s’attaquer à celui de la corruption, mais il n’a pas encore pris conscience de la nécessité de combattre le fléau bureaucratique.
LCDR : Vous affirmez que le phénomène est culturel : est-il vraiment possible de le combattre ?
J. H. : Il ne s’agit peut-être pas de changer la culture, mais au moins de l’orienter différemment. Il revient aujourd’hui au gouvernement de donner le cap. Et définir ce cap suppose, avant tout, d’identifier le problème. Les dirigeants en ont aujourd’hui la capacité, mais ne sont pas disposés à le faire, pour la simple et bonne raison que la question ne leur a même pas traversé l’esprit.
LCDR : Comment attirer leur attention ?
J. H. : Je le ferais avec joie si on m’en donnait l’opportunité, mais je ne suis franchement pas certain que je serais entendu !
LCDR : Dans le contexte cauchemardesque que vous venez de décrire, pourquoi tant d’entreprises étrangères continuent-elles d’investir en Russie ?
J. H. : Parce qu’il y a toujours de nombreuses opportunités et d’importants profits à réaliser. Les choses commencent à changer. Loin d’être, à l’heure actuelle, un marché mature, la Russie a, en tout cas, franchi une première étape qui consiste à pouvoir satisfaire les besoins des consommateurs. Le challenge de la décennie à venir ne se situe plus à ce niveau. Le défi, à présent, est celui de l’efficacité. Si l’on compare la Russie à une entreprise, il lui faut désormais faire évoluer sa culture d’entreprise. La Russie doit devenir « consumer oriented ».