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Russie : un état des lieux (interview pour POLEMIA)

« Tout le monde en Occident pense que la Russie est une station à essence géante, et rien d’autre. C’est une erreur colossale. »

À en croire médias et politiques occidentaux, deux ans après le lancement de son “Opération militaire spéciale” en Ukraine, la Russie est au bord du gouffre. Qu’en est-il réellement ? Pour en parler, nous donnons la parole à Alexandre Latsa, bien connu de nos lecteurs. Entrepreneur français installé à Moscou depuis 2008, il dresse pour Polémia un état des lieux aussi fidèle que possible de la situation sur place.

Bonjour Alexandre Latsa, nous sommes heureux de vous retrouver. Quelle est la situation en Russie en ce début mars 2024 ?

La Russie vient au cours de derniers 24 mois de traverser une séquence historique absolument unique dans l’histoire, séquence historique qui va sans doute entrainer une modification en profondeur de l’ordre mondial établi en 1991, unipolaire et dominé par l’Occident collectif.

La Russie a déclenché en février 2022 une opération militaire spéciale en Ukraine qui la voit indirectement affronter l’OTAN sur le plan militaire via le proxy ukrainien, proxy sous perfusion occidentale et qui a reçu une aide financière, militaire et logistique absolument colossale.

Elle affronte aussi l’Occident collectif dans une guerre économique sans précèdent, faisant face à près de 20.000 sanctions destinées à étouffer son économie. Et pourtant…

Sur le terrain militaire, la Russie vient de faire face à près de 7 mois de contre-offensive ukrainienne sur l’année 2023 mais c’est elle qui accumule les victoires militaires : Soledar et Bakhmut en 2023 et Avdeevka en 2024.

Sur le plan économique, son économie s’est avérée beaucoup plus solide qu’attendu, puisque l’année 2022 a vu son PIB diminuer de « seulement » 2,5% tandis qu’en 2023 elle a connu une croissance économique de 3,5% et que le FMI annonce une croissance d’au moins 2,6% sur 2024, on sera sans doute bien au-delà de 3%.

Comment expliquer cette résilience économique russe ?

Tout le monde en Occident pense que la Russie est une station à essence géante, et rien d’autre. C’est une erreur colossale.

La Russie est un pays qui s’est énormément réindustrialisé durant les 15 dernières années et le complexe militaro-industriel et l’industrie en général sont en pointe ; il faut savoir que la part de l’industrie dans le PIB russe est de 26% en Russie, soit le double de la France.

L’industrie de défense a créé quelques 500.000 emplois depuis le début de la guerre tandis que la Russie produit aujourd’hui environ 2,7 millions d’obus par an alors que l’effort des 27 pays de l’UE porteraient la capacité de production annuelle du bloc entre 1,5 million et 1,7 million cette année (source).

Une autre chose est que les fondamentaux économiques, politiques et humains de la Russie sont sains : le pays n’a pas de dette, l’État est riche et puissant, car la chaine de fonctionnement (présidence, chambres basses et haute, gouvernement, régions, pouvoirs locaux etc..) est unie et coordonnée. La verticale du pouvoir, tant décriée en Occident, s’est avérée efficace pour prendre des mesures radicales et efficaces rapidement.

Enfin la population est d’un niveau global élevé, la Russie est le pays au monde qui produit le plus d’ingénieurs par habitant. La Russie produit 450.000 ingénieurs par an avec ses 145 millions d’habitants tandis que les Etats-Unis produisent eux 250.000 ingénieurs par an avec 320 millions d’habitants, et la France 40.000 ingénieurs par an avec 69 millions d’habitants.

Quelle est l’ambiance en Russie aujourd’hui ?

Le début de l’opération militaire spéciale a été une surprise pour tout le monde et dans les premières semaines, c’est la stupeur qui a prévalu en Russie, et une relative inquiétude du fait des vagues de sanctions.

L’automne a été source d’angoisses au sein de la société avec l’échec des négociations, la mobilisation, les retraits tactiques de l’armée russe de Kherson et Kharkov etc. Les sondages montraient que la société russe fin à la sortie de l’été 2022 était dans un stress profond.

Puis sur la fin 2022, courant 2023 et en ce début 2024, la situation s’est largement améliorée, avec la prise de conscience que :

  1. le conflit allait durer
  2. l’économie tenait parfaitement le choc.

Aujourd’hui la Russie a un chômage quasiment nul, il est de 2,9% et inférieur à 1% dans les grandes villes. Cela entraine une surchauffe de l’économie qui manque de main d’œuvre, pénurie aggravée par le fait que des centaines de milliers d’actifs « potentiels » sont sur le front et d’autres hors de Russie.

Au global, la situation est la résignation positive : les russes sont assez soudés derrière leur élite politique en ayant bien compris que le conflit pouvait durer mais que l’économie de leur pays ne s’effondrait pas.

Qu’en est-il de la situation réelle du business européen en Russie ?

Les entreprises étrangères sont tombées dans le piège de la moraline médiatique et ont opté en règle générale pour 3 scénarios :

  • Faire profil bas et rester.
  • Quitter la Russie, généralement en cédant a des repreneurs locaux avec de lourdes pertes financières (l’exemple de Renault).
  • Annoncer quitter le marché, mais en rebrandant leur filiale ou alors en fournissant le marché russe via d’autres pays.

Mais tout cela ne peut pas masquer une dure réalité : la Russie est un grand marché et la place de ces entreprises occidentales qui baissent la garde sera reprise par des acteurs d’autres pays : Chine, Turquie, Inde ou Iran par exemple. Ces processus sont, du reste, déjà visibles en Russie.

Vous avez créé un service qui s’appelle la RUSPATRIATION, de quoi s’agit-il ?

Depuis quelques années, on constatait en Russie une forte tendance à la hausse de l’immigration d’Occidentaux vers la Russie. Les motivations sont principalement économiques mais aussi idéologiques : la Russie est clairement devenue le bastion du conservatisme et un pays qui ne suit pas la détérioration sociétale que connait l’Occident.

Le déclenchement de l’Opération militaire spéciale, de façon inattendue, a accentué cette volonté d’immigration vers la Russie. Malgré tout le scenario narratif mis en place dans l’espace médiatique occidental, un nombre croissant de gens, en Occident, semble comprendre que cette confrontation va accélérer la défaite de l’Occident, pour paraphraser le titre du dernier livre de l’excellent Emmanuel Todd.

Par conséquent j’ai créé un dispositif d’accompagnement à l’émigration en Russie : la “Ruspatriation“. Ce dispositif est destiné aux étrangers (principalement francophones) qui souhaitent lier leur destin avec celui de la Russie, que ce soit ceux qui ont un intérêt personnel pour la Russie, ceux qui souhaitent voyager et découvrir le pays, ceux qui travaillent avec la Russie et des russes et bien entendu tous ceux qui pensent à déménager pour venir vivre et travailler en Russie.

Nous accompagnons nos clients sur le plan touristique, linguistique, économique, juridique, professionnel, migratoire, immobilier etc.

Est-ce facile de venir en Russie aujourd’hui ?

Si l’on parle de venir visiter la Russie, oui le pays est totalement ouvert et les autorités ont même grandement facilité l’obtention des visas en 2023 en instaurant un “E Visa” pour les citoyens de 55 pays et notamment des pays non amicaux ; également il y a des suppressions de visas pour les ressortissants de divers pays donc oui la Russie est plus accessible depuis le début de l’opération militaire spéciale.

S’il s’agit de venir s’installer en Russie pour y résider, il y a diverses façons de procéder ; mais le plus complexe pour les Européens aujourd’hui est clairement la recherche d’emploi, dans le contexte de départ des entreprises européennes : pour travailler en Russie en 2024 : il faut parler russe !

Source

Interview pour RTL “on défait le monde”

Interview pour RTL ; “on défait le monde” du 04 janvier 2023.

La version texte de RTL ci-dessous

Depuis 20 ans, Alexandre vit entre Moscou et Petrozavodsk, une petite ville du nord de la Russie, située à 900 kilomètres de la capitale. Ce Français, qui travaille dans les ressources humaines, nous parle de son quotidien depuis le début du conflit ukrainien, en février 2022. Un quotidien bouleversé ? “Quasiment rien n’a changé”, répond-il. Enfin si (un peu) quand même pour celui qui vit (très) loin de la zone de guerre. Ici, “on parle peu de ce conflit.”

“Il n’y a plus de vols vers l’Europe. C’est très pénalisant. Il faut partir en effet partir en bus de Finlande ou des Pays Baltes“, explique-t-il. L’homme évoque également la “hausse du prix des pièces de voiture”, notamment parce que “des marques ont quitté le marché.” Avec la mise en place, en parallèle, d’un “gros marché noir principalement d’Asie, et surtout de Chine”.

“Globalement, on trouve quasiment de tout”

Si dans les premières semaines du conflit, “les prix ont subi une forte inflation”, depuis “les choses se sont remises en place. Globalement, la substitution s’est très rapidement mise en place”. 

Sur les produits alimentaires, “85% de la population russe consomme locale, donc ne manque de rien.” Les classes moyennes ++ et urbaines des grandes villes ont un peu changé leur mode de consommation. Ils se rapatrient vers l’Asie, le Moyen-Orient, la Turquie. On a du foie gras biélorusse qui vient de France. Les produits de beauté viennent de Dubaï, de Corée… Il y a des remplacements de marques. Mais globalement, on trouve quasiment de tout”.

Sur le plan économique, “les sanctions n’ont pas eu d’effet aujourd’hui, car le pays est trop gros. Les boites asiatiques sont peu parties, ont pris des parts de marché. Les Turcs rentrent en force, les Émiratis aussi. On a beaucoup de marchés périphériques qui sont en train de prendre la place des européens. Ce qui atténue la politique de sanctions occidentales”. 

Malgré le départ des boites occidentales, il y a-t-il une crise économique ? “Les gros employeurs, comme McDoIkea, ont cessé leur activité mais ils continuent de payer les salaires. Et les boites qui, au bout de six-sept mois de gel d’activité, ont décidé de dire stop, ont donné des packages incroyables. Par exemple, Total a donné douze mois de salaire aux employés.” Surtout, “ces boites ont très souvent cédé leur structure locale au management russe. Ce dernier reprend ainsi la structure locale, change le nom tout en gardant le staff. Le chômage n’est donc pas monté”, avec un “taux d’environ 4%“.