Réflexions sur les rêves de l’Est du continent

Ukrainian Parliament elections campaign

Cette année 2014 a commencé, c’est le moins que l’on puisse dire sur le plan de l’actualité, sur les chapeaux de roues. La question ukrainienne est dans beaucoup de cercles de pensée, de milieux politiques, apparue comme une nouvelle question yougoslave, au cœur de la question plus large elle de l’Europe. Sur mon humble page Facebook, des discussions au sujet de la situation en Ukraine et des conséquences pour l’Europe ont dépassé les 400 commentaires, prouvant ainsi la grande sensibilité de ces thématiques mais aussi et surtout l’apparence de nouvelles lignes de fractures.

 

Au sein d’une certaine gauche sociale-démocrate, européiste et pro américaine, on se réjouit de la situation qui démontre que l’Union de Bruxelles séduit toujours plus à l’Est. Même son de cloche à droite et au centre ou, me racontait récemment un initié, on pense qu’il faut désormais aller de l’avant et penser au futur, c’est-à-dire que l’Ukraine doit rejoindre la famille européenne.

A l’extrême gauche institutionnelle, on hésite. Bien sûr, l’entrée dans une UE en crise signifie toujours plus de soumission à la banque, mais l’image des oligarques de l’Est (russes, ukrainiens ou biélorusses) apparaît comme une vision démoniaque d’un capitalisme autoritaire et d’Etat, fort peu soucieux des travailleurs et des droits de l’homme. Enfin, ne parlons pas du spectre nationaliste qui inquiète dans ces milieux d’une façon bien évidemment supérieure à la moyenne.

Pour beaucoup de nationalistes en France, les Ukrainiens sont un peu les Croates d’hier. Des peuples fiers, démontrant une volonté nationale forte et un souhait d’indépendance et d’émancipation face à leurs anciens colonisateurs soviétiques, russes. Le fait que les émeutiers les plus actifs soient en grande partie des révolutionnaires radicaux de droite n’est pas pour aller à l’encontre de cette appréciation de la situation.

Au sein de ces diverses familles de pensée, peu sont ceux qui se prononcent sincèrement contre une entrée de l’Ukraine dans l’Europe afin que ce pays ne se condamne pas à une destinée à la grecque plutôt qu’à l’allemande.

Parmi ceux là, nombreux sont ceux qui souhaitent l’intégration de l’Ukraine au sein de l’Union Eurasiatique russo-centrée afin de créer un pôle à l’Est du continent, destiné à faire contrepoids à l’Union de Bruxelles qui est souvent jugée, avec raison il me semble, comme la filiale européenne des Etats-Unis. Cette relativement saine pensée, qui converge avec l’émergence d’un monde à plusieurs pôles, ou multipolaire, passe cependant souvent outre certaines réalités de terrain.

En discutant avec un ami de la vie au sein des émergeants, nous parlions du Brésil et de la Russie qui sont deux pays que nous connaissions (même si la Russie peut être considérée comme un re-émergeant plus qu’un émergeant), nous en sommes arrivés aux mêmes conclusions sur les difficultés communes premières que ces pays présentaient pour des Francais que nous étions, ces pesanteurs russes dues tant à l’histoire qu’à la taille du pays ou à son fonctionnement structurel, voir organique.

Bien sûr, beaucoup de Français croient en la Russie et ont ce « rêve russe » pour citer le politicien Aymeric Chauprade. Je ne peux que leur donner raison en ce sens que la Russie est sans doute le dernier pays globalement européen au sein duquel l’histoire semble être encore ouverte. Au XXIème siècle, le Far-est sibérien est en outre malgré tout bien plus civilisé que ne l’était le Far-ouest américain du XIXième siècle, même si incontestablement il y fait beaucoup plus froid.

Ce rêve russe est aussi souvent celui de gens qui, de la Russie et la vie à l’Est de la grande Europe, ne connaissent que des séjours touristiques ou de cours reportages journalistiques sur un monde. Une zone du monde qui serait selon eux libéré des pesanteurs occidentales. Les séjours de courte durée, s’ils permettent de s’extirper de ces pesanteurs du pays d’origine, ne permettent par contre pas de pleinement ressentir les pesanteurs locales, qui pourtant existent, ni donc de bien comprendre les réalités locales et les frustrations sociales créées. Sans grande surprise, ces erreurs de ressentis et d’interprétation sont donc génératrices de nombre d’erreurs d’appréciation de la part de commentateurs qui appréhendent aussi sans doute d’une façon trop binaire les relations Est/Ouest, comme on apu le voir récemment avec la crise en Ukraine.

Ces frustrations locales, majoritairement socio-économiques, sont sans doute en grande partie les ferments du succès des révolutions de couleur qui ont frappé les pays voisins de la Russie lors de la précédente décennie, pays voisins privés d’un décollage économique équivalent. Tous les pays de la région n’ont pas il est vrai la chance d’avoir un Poutine pour diriger la barque.

Les masses populaires qui ont défilé dans les rues de Tbilissi, Kiev ou Belgrade n’en avaient sans doute pas tant après leur imposant voisin russe que contre leurs élites politiques du moment (peu importe lesquelles du reste) jugées responsables de situations économiques déplorables et incapables de tracer un projet d’avenir clair, rassurant les gens quant à leur futur proche, sur le plan économique. Il est facile pour des professionnels de faire descendre dans la rue des pères de famille trop pauvres ou des retraités sans pensions, en Ukraine comme ailleurs du reste.

En se privant volontairement d’une idéologie et de la mise en valeur d’un modèle clair et attrayant, la Russie s’est sans doute involontairement mise en position de faiblesse au sein de son étranger proche et donc du monde russe et russophone qui est lui au contact de l’Europe. Un défaut de modèle sans doute et de communication certainement comme trop souvent. Il faut donc espérer que les élites russes tirent les leçons des événements actuels en Ukraine.

Alors que beaucoup pensaient les révolutions de couleurs comme un processus mort et enterré, on ne peut que tirer la conclusion que la révolution orange/brune que connaît l’Ukraine actuellement, n’est que la dernière variante d’un processus coloré né il y a maintenant prés de 15 ans, au cœur des Balkans, et qui continue de se répandre comme une métastase sur les périphéries russes.

 

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