Les émeutes de Birioulevo ont été suivies d’un terrible attentat dans le sud du pays, perpétré par une femme kamikaze visiblement originaire du Daguestan.
Sans trop de surprises, ces deux événements ont fait resurgir les tensions ancestrales entre Moscou et le Caucase du nord, c’est-à-dire entre la capitale politique de Russie et sa région possédant l’islam le plus turbulent, et sans doute le plus politisé. Pour certains analystes américains à tendance néoconservatrice, la Russie devrait se transformer en quasi-califat (A muslim Russia?), puisque selon eux les minorités musulmanes du Caucase seraient très prolifiques (les femmes tatares auraient en moyenne six enfants et les femmes tchétchènes dix enfants, assure l’auteur) au contraire des populations russes de souche. Pour d’autres, comme l’analyste d’opposition libérale Ioulia Latynina, pas de doute: Moscou devrait se transformer en Mosкvabad d’ici une vingtaine d’années.
Comme toujours, la réalité est bien plus nuancée.
Les autorités de la capitale viennent de reconnaître que la ville comprendrait quelque 3,5 millions d’étrangers (dont 60% d’Asie centrale) sur 14 millions d’habitants, soit 25% de la population, sans compter les clandestins qui seraient entre 1 et 3 millions, ce qui amènerait à un total compris entre 30 et 40%. Cette arrivée massive de populations étrangères contribue dans une large mesure aux bouleversements que connaît la capitale ces dernières années et pourtant, seules 18% des naissances de la capitale seraient dues aux migrants.
Une analyse du taux de fécondité par région de Russie permet de voir qu’en 2009, seule la Tchétchénie a affiché un taux de fécondité important (3,34), les Tchétchènes représentant toutefois seulement 1% de la population totale de Russie. En 2009, tous les autres sujets de la Fédération ayant enregistré un taux supérieur à deux étaient des zones non musulmanes, mais bouddhistes ou ayant des majorités issues de minorités asiennes.
Une analyse de la part des naissances des “zones en majorité ou quasi-totalement musulmanes” (par exemple trois régions du Caucase du nord comme la Tchétchénie, l’Ingouchie et le Daghestan) permet de constater que ces trois républiques ont connu 104.598 naissances en 2010 sur un total de 1.788.948 naissances à l’échelle fédérale, soit un peu moins de 6% du total des naissances en Russie.
Une analyse du total des naissances issues de toutes les régions musulmanes de Russie (du Caucase et de la Volga) entre 2006 et 2012 (rappelons que les Russes ethniques constituent un solide tiers de la population du Tatarstan et un quart de celle de Bachkirie) permet de constater que le nombre total des naissances de ces républiques est assez stable et ne constitue toujours que 13 à 14% du total de l’ensemble des naissances à l’échelle de la Russie. Depuis 2011, leur part du total des naissances tend même à diminuer.
Historiquement, l’islam est présent au cœur de l’Eurasie depuis le VIIIe siècle dans le Caucase du nord (actuel Daguestan via les conquêtes arabes). Un premier Etat musulman avait lui vu le jour dès le début du Xe siècle via notamment l’Etat des Bulgares de la Volga qui embrassèrent l’islam et dont la capitale, l’actuelle Kazan, fut bâtie près de 150 ans avant Moscou. Cet “islam de souche” présent en Russie a récemment fait dire au président Poutine que l’islam était un “élément indissociable” de la culture russe permettant l’édification d’une “civilisation unique en son genre, unissant l’Est et l’Ouest, l’Asie et l’Europe”. L’Eglise orthodoxe vient du reste de rappeler la nécessité de sauvegarder les “traditions et coutumes islamiques qui font partie intégrante de l’histoire russe” et de rappeler le “rôle joué par la communauté musulmane dans la préservation des valeurs morales de la société “.
Le pouvoir russe prend du reste très au sérieux les relations interethniques et interreligieuses et s’est fixé comme objectif primordial de maintenir la concorde entre les religions et la paix civile. Il pourrait difficilement en être autrement, sachant que la Russie comprendrait entre 15 et 20% de musulmans (c’est-à-dire des croyants ou des citoyens appartenant à des peuples majoritairement musulmans), même si en réalité moins de 10% des Russiens se revendiquent comme musulmans avant d’être citoyens de la Russie. La majorité des musulmans de Russie sont musulmans culturellement plus que religieusement, notamment dans les régions centrales de Russie que sont le Tatarstan ou la Bachkirie, du reste les plus grandes régions musulmanes de Russie du point de vue numérique.
En 2012, la Russie a créé un Conseil consultatif pour les relations interethniques et cette année, le président russe a appelé à mettre en place un système de suivi des relations interethniques dans les entités de la Fédération de Russie pour prévenir les conflits éventuels, conflits dont les autorités locales seront désormais tenues pour responsables.
Le président russe a en outre rappelé que les conflits interethniques et religieux en Russie n’étaient pas nouveaux, bien au contraire et qu’il y a déjà 225 ans, les autorités avaient du reste instauré en Russie une Assemblée spirituelle de la loi mahométane.
A quelques semaines seulement des Jeux olympiques d’hiver de Sotchi, et alors que la tension dans le Caucase russe risque de s’accroître parallèlement à l’évolution de la situation en Syrie, Vladimir Poutine a aussi appelé à lutter contre l’islam politique et sa manipulation par des forces étrangères. On ne saurait être plus clair.