Récemment, l’un des derniers ministres gaullistes français, l’excellent Hubert Védrine, a donné une interview assez surprenante sur le portail Euractiv en affirmant que “L’Union européenne ne recevra jamais suffisamment de soutien public pour le fédéralisme et devrait donc abandonner l’idée d’un super-État inspiré des Etats-Unis”. En clair que les transferts de souveraineté nécessaires à la construction d’un état européen ne seraient vraisemblablement jamais acceptés par les états européens.
Le lendemain du jour ou cette interview a été publiée, une nouvelle Reuters annonçait que la chancelière Angela Merkel, s’exprimant lors d’une conférence organisée par la Deutsche Bank à Berlin, avait au contraire appelé les membres de la zone euro à “se tenir prêts à céder leur souveraineté pour surmonter la crise”.
Cette différence fondamentale de vision pour l’avenir de l’Europe arrive au moment ou une certaine tension, pour ne pas parler d’un désaccord fondamental, se fait sentir entre les deux moteurs de l’Europe que sont la France et l’Allemagne, puisque des hommes politiques français socialistes ont critiqué ouvertement la politique de la chancelière Angela Merkel qui ne se soucierait, selon eux, que de la “balance commerciale enregistrée par Berlin”.
Ce faisant, ces élus français ne faisaient sans doute qu’exprimer une idée qui se répand au sein d’une Europe en crise, Europe qui ressent bien que l’Allemagne défend surtout ses intérêts propres et nationaux, en payant juste ce qu’il faut pour une Union Européenne qui est aujourd’hui la principale destination de ses exportations. Les diverses crises grecque, espagnole ou chypriote ont accru le manque de confiance dans l’UE sous domination allemande et vraisemblablement porté lourdement atteinte à l’idée d’intégrer cette hyper structure qui présente des défauts de fonctionnement évidents, surtout sur le plan monétaire.
L’incapacité de l’UE à régler le problème de la crise des dettes publiques et la défiance des citoyens envers les mesures d’austérité destinées à sauver la monnaie unique devrait pousser cette structure supranationale à muter en profondeur. Sans cela, on peut penser que c’est sa disparition pure et simple qui est envisageable. Va-t-on vers l’exclusion de certains pays? Ou alors la création d’une UE à divers niveaux, alors qu’on parle déjà d’une possible zone monétaire euro à deux niveaux?
Les propos d’Hubert Védrine ne traduisent pas seulement les idées d’un courant Gaulliste et plutôt souverainiste, en France. Ils traduisent un courant d’idées qui se répand dans la majorité des états Européens, parmi ceux qui comprennent bien que l’Europe fait face à un blocage structurel: On ne voit pas naitre en Europe un authentique pole politique. L’absence d’Europe politique ne laisse sans doute aucune chance à la constitution d’une Europe puissance, qui trouverait sa place dans la constitution de blocs civilisationnels qui se met en place, dans le monde multipolaire qui prend forme.
L’échec patent de l’UE à se transformer en bloc politique souverain traduit probablement et paradoxalement la victoire tardive de ceux qui, en Europe, prônaient le souverainisme et/ou la constitution d’une Europe des nations, c’est-à-dire un projet bien différent du modèle fédéral et supranational prôné par le nouveau tandem Berlin-Bruxelles.
L’obsession inavouée des Etats européens à défendre l’Etat (national) est finalement un processus légitime et tout à fait similaire à celui que la Russie a connu, et continue de connaître. Les élites russes, n’ont eu de cesse, durant les 13 années qui ont suivi la désintégration de l’URSS, de reconstituer et de réaffirmer l’autorité et la souveraineté de l’Etat alors que durant la même période, les nations européennes opéraient le processus inverse, bradant leur souveraineté nationale à un organisme supranational qui n’amène aucune souveraineté supranationale de substitution.
Au sein des BRICS, et du reste de la grande majorité des états émergeants, la tendance lourde est pourtant la même qu’en Russie: l’heure est à l’affirmation, ou à la réaffirmation, de l’état et de la souveraineté nationale.
Le 21ieme siècle sera-t-il le siècle du retour aux concepts du 19ieme siècle, que l’on nous avait pourtant affirmé être définitivement sortis de l’histoire, à savoir états-nations et souveraineté? La Russie, incarnation Gaulliste du 21ième siècle, montrera-t-elle aux nations européennes le chemin du retour à la Souveraineté Nationale?