L’article original a été publie sur Ria Novosti.
* Les lecteurs de RIA-Novosti savent depuis le 05 octobre 2011 que la ville Russe de Perm s’est lancée dans un projet assez inattendu: devenir la capitale européenne de la culture. Cette semaine, interview avec l’un des principaux acteurs de ce projet: le ministre de la culture de la région de Perm, Alexandre Protasevitch.
Alexandre Protasevitch bonjour, pourriez vous vous présenter a nos lecteurs? Bonjour, oui bien sur! J’occupe actuellement le poste de Ministre de la culture, de la jeunesse et des communications dans la région de Perm. Perm est une ville située à 1.200 km à l’Est de Moscou. Mes fonctions consistent en fait principalement à diriger les institutions culturelles régionales en y implémentant les initiatives culturelles mais aussi à m’occuper de la culture des différentes entités régionales, soit prés de 2.644 entités territoriales dont 25 villes et 30 bourgs de type urbain.
Pourriez-vous nous parler un peu plus du projet de faire de PERM une capitale européenne de la culture? D’où est né ce projet et quel y est votre rôle, en tant que Ministre de la culture de la région de Perm? Le projet de désignation de villes en tant que capitales européennes de la culture est une initiative de l’Union Européenne qui a plus de 20 ans. Cela consiste à honorer une ville par ce titre pour une durée d’un an. Ce beau programme nous a séduit par sa capacité à mettre en valeur une ville en tant que centre d’attraction culurelle.Nous avons étudié les expériences de plusieurs villes post-industrielles qui ont porté ce titre, les avantages économiques et touristiques que les villes ont connus grâce à ce programme nous ont parus réellement saisissants. Après avoir échangé avec mes homologues de villes jumelées avec Perm comme Duisburg en Allemagne et Pecs en République tchèque je me suis sérieusement mis en tête de tenter cette compétition. L’idée a été soutenue par le gouverneur du Krai de Perm mais également par toute son équipe.
Si vous sentez que Perm peut devenir une capitale européenne de la culture, cela veut donc dire qu’à vos yeux Perm est une ville européenne. Ou se situe d’après vous la frontière réelle de l’Europe? La ville de Perm est une ville millionnaire en habitant qui se situe géographiquement et culturellement en Europe. C’est ici que le soleil se lève en premier en Europe, c’est ici que l’art et les valeurs européennes sont réunis dans des fleurons tels que le ballet classique de l’Opéra de Perm, et sa célèbre école chorégraphique, le centre Diaghilev et son festival annuel organisé dans sa maison natale ou encore la collection unique de peintres occidentaux et de sculptures en bois de la Galerie d’Art de la ville. Durant toute son histoire la région de Perm a été une sorte de terre d’accueil pour de nombreux éléments-phares de la culture russe et occidentale pourtant mis en danger par les rouages de l’histoire : c’est par exemple dans la région de Perm que Pasternak a rédigé en partie son “Docteur Jivago” et c’est des habitants de Perm que Tchekov a tiré ses principaux personnages du roman “Les trois sœurs”. Même Jules Verne a séjourné à Perm quelques temps pour décrire la ville dans son roman “Michel Strogoff”. Sans parler des nombreuses influences dans l’architecture, les musées ou encore les universités. Donc non seulement Perm est géographiquement en Europe mais elle l’est aussi en Europe dans l’âme de ses habitants, imprégnés par la culture européenne.
Quels sont d’après vous les atouts de Perm pour être une capitale européenne de la culture sachant que cette ville était pourtant jusqu’à récemment une ville militaire, industrielle et donc relativement fermée? Notre ville est en effet longtemps restée fermée aux occidentaux car elle était un centre du complexe militaro-industriel soviétique. Cette concentration industrielle a malgré tout permis l’attrait de nombreux scientifiques et spécialistes du monde universitaire, qui y avait trouvé des conditions de travail intéressantes pour exercer leurs recherches. C’est justement ce public exigeant intellectuellement qui était devenu les principaux amateurs d’art dans la région. L’implication de la population dans la vie culturelle a donc toujours été forte dans la région et c’est encore le cas aujourd’hui. L’infrastructure s’y prête il est vrai assez bien car dans la région il y a plus de 10 théâtres, 60 musées, 850 bibliothèques et plus de 900 associations. C’est également une région historiquement multiculturelle, plusieurs ethnies y cohabitent depuis le Moyen Age – aussi bien les tatars venus de Mongolie que les peuples finno-ougriens. La région connaît donc une longue histoire réussie de cohabitation culturelle et religieuse. Le fait d’avoir été une ville fermée a finalement produit l’effet inverse de celui qu’on pourrait attendre : une forte préservation du patrimoine et la concentration d’un potentiel de gens pour agir, participer et s’intéresser au monde extérieur.
Le mois dernier a eu lieu a Perm le festival des nuits blanches, pourriez vous nous présenter cet événement? Il s’agit d’un festival sur un mois, que nous avons lancé afin de réunir les 59 festivals déjà existants, le tout dans une sorte de concentré des arts vivants absolument unique pour l’instant en Russie.Le festival a été inauguré pour la première fois l’année dernière et a été une belle réussite avec beaucoup de visiteurs dont de nombreux touristes de régions voisines mais aussi des centaines de bénévoles. Le festival se veut une plateforme d’expression et d’échange interculturel et commence à faire parler de lui à l’international. Cette année par exemple des Mexicains ont investi pour pouvoir y être représenté.
Comment réagissent les habitants de Perm à ce projet? Se sentent-ils concernés, voir intéressés? On sait, et vous savez, qu’il y a tellement de choses à faire en Russie, est ce que ce projet est d’après vous essentiel? Un des objectifs du Ministère régional de la culture de Perm consiste à implémenter les initiatives culturelles au sein de la population afin que les gens puissent avant tout profiter de la très large offre culturelle disponible. Depuis trois ans nous avons également lancé un autre challenge plus tourné vers les idées de co-création et de coparticipation. Inspiré de programmes européens et internationaux comme Agenda 21 et Creative cities, mais également de travaux de chercheurs de nos universités dans le domaine du développement urbain, nous avons mis l’accent sur l’initiative civile dans nos directives culturelles en appelant les gens, artistes, représentants de la vie associative à participer activement, à soumettre leurs projets et aussi à répondre aux nombreux appels d’offres et aux divers concours. Ainsi nous avons été nous-même surpris pas les propositions venus de municipalités et
villages parfois très lointains dans la région ou des gens ont montré leur volonté de joindre notre initiative afin de mettre la culture en avant du développement régional. Cela a porté ces fruits: nous avons rendu officiel un projet “Région de Perm, territoire de la culture” qui consiste à mettre en lumière chaque année une ville de notre région, ville qui doit passer une rude compétition interrégionale afin de défendre son projet de développement culturel et touristique pendant un an.
Je crois que cette année a eu lieu pour la première fois la fête de la musique à Perm, il s’agit d’un concept popularisé en France, dans les années 80, comment cela s’est il passé? La fête de la musique est un beau projet que nous avons mis en place à Perm depuis quelques temps déjà en collaboration avec l’Alliance Française. Cette année plusieurs groupes français ont participé et ont attiré beaucoup de spectacteurs sur une des scènes spécialement conçues au sein du festival “Les Nuits blanches”.
Quels sont d’après vous les atouts essentiels de Perm pour devenir capitale européenne de la culture? Le principal atout est notre enthousiasme quant à la coopération et l’échange avec les pays de l’UE. Nous menons de près un grand travail d’élaboration scientifique de nos initiatives culturelles et avons déjà constitué des groupes de travail réunissant aussi bien les personnalités de la ville que les politiciens et les représentants de la société civile. Nous sommes la première région russe à avoir ouvert une représentation à Bruxelles, auprès des Institutions européennes, qui s’occupe de la communication de nos initiatives aux états-membres de l’UE. Nous travaillons aussi pour dynamiser l’intérêt des habitants envers les questions relatives au développement culturel et la transmission de valeurs communes. Je souhaite préciser que l’infrastructure globale de la ville est prête pour accueillir un événement de telle ampleur. Les liens étroits que nous avons établis avec d’autres capitales européennes de la culture se sont également pour nous une source de confiance.
Pensez vous que la relative mauvaise image de la Russie a l’étranger pourrait porter un préjudice a ce projet?
Je pense qu’il existe plutôt de freins juridiques : à ce jour par exemple seules les villes de pays-membres de l’UE ont théoriquement droit de participer au programme de capitale européenne de la culture. Mais le 20 juillet 2012 la Commission Européenne va approuver une nouvelle base juridique quand à la participation de pays tiers à la compétition pour le titre de Capitale Européenne de la culture, notamment pour la Russie. Initialement ouverte à tous les pays, une décision de 2006 précise en effet que seules les villes situées dans les Etats-membres de l’UE peuvent porter ce titre honorifique. Or l’intitulé de cette imitative existante depuis plus de 25 ans est Capitale européenne de la culture et non pas Capitale de l’Union Européenne.Par ailleurs je pense qu’il serait dommage de se fier aux stéréotypes du passé, alors qu’il faut plutôt penser aux valeurs communes pour un avenir commun. Nous sommes prêts à un dialogue sans préjugés et je crois qu’il serait temps d’oublier les démons du passé pour passer à un autre stade de coopération. Nous consacrons par exemple beaucoup d’importance à la révision de faits historique, via l’histoire riche de notre région. En ce sens les efforts que nous avons faits pour préserver le musée du Goulag Perm-36 ou pour organiser des rencontre annuelles d’historiens autour de l’histoire soviétique nous ont permis de dépasser certains préjugés et nous souhaiterions communiquer cette expérience aux pays-membres de l’UE. Seul le dialogue peut nous aider à mieux nous comprendre, et la culture est en ce sens le plus beau des moyens de communication.
Avez-vous un dernier mot à dire aux lecteurs francophones de RIA-Novosti?
Je voudrais remercier les lecteurs de RIA-Novosti et les inviter à visiter notre région : 2 h en avion ou une journée en transsibérien et vous découvrirez une des plus belles régions européennes cachées dans les collines de l’Oural. Une région ou les innovations européennes cotoient la nature intacte de la région la plus orientale de l’Europe.