Ces très étranges coutumes de la Russie d’autrefois

Se noircir les dents

Anna Krouglova, années 1920, à Kimry, région de Tver

Anna Krouglova, années 1920, à Kimry, région de TverMAMM/MDF/russiainphoto.ru

Ce qui serait aujourd’hui source de confusion, était considéré comme un signe de statut social dans l’ancienne Russie. Nous parlons ici des dents noires. Cette coutume était bien connue dans le pays depuis le XVIIe siècle, sous le règne d’Alexis Ier, le deuxième tsar de la dynastie Romanov, et elle a perduré jusqu’au début du XIXe. Les nobles, les marchands et les paysans riches se noircissaient délibérément les dents avec du charbon de bois, tandis que les classes moins aisées essayaient de les imiter. Cette mode existait en même temps que celle des sourcils noirs et épais, du visage pâle et des joues rouges. « Leurs visages, cependant, étaient considérablement gâtés par l’utilisation de céruse et de fard, ainsi que par des dents absolument noires, à l’imitation des marchandes de la ville qui avaient cette mode à l’époque », mentionne l’écrivain Mikhaïl Saltykov-Chtchedrine dans son ouvrage Pochékhonié d’autrefois (1888).

Il y a plusieurs versions de la raison pour laquelle cela était pratiqué. Selon la première, cela avait pour but de cacher la différence entre des dents saines et malsaines. Il était impossible de blanchir les dents à cette époque, le blanc de céruse à base de mercure utilisé alors ne faisait que détruire l’émail (d’où des dents noircies). Il était donc plus facile de rendre toutes les dents noires et de déclarer qu’il s’agissait d’une nouvelle mode.

Cadre issu du film Morozko, 1964

Cadre issu du film Morozko, 1964Alexandre Rou/Studio de cinéma Maxime Gorki

La deuxième version avance que les dents noires étaient un indicateur direct de richesse. Elles étaient naturellement noires pour ceux qui pouvaient s’offrir du sucre extrêmement cher – leurs dents étaient gâtées par la carie. Tous les autres coloraient donc délibérément leurs dents avec du charbon de bois pour faire croire qu’ils pouvaient eux aussi se permettre de boire du thé avec du sucre.

Lire aussi : Ces traditions qui rendaient les tsars et leur famille malades 

Conclure des marchés au bania

Bania Egorov, à Saint-Pétersbourg, 1907

Bania Egorov, à Saint-Pétersbourg, 1907Archives de Leonoro Karel/russiainphoto

Le bania (sauna traditionnel russe) était un lieu sacré pour le peuple russe : outre la purification directe du corps, l’on y baptisait les enfants, l’on y arrangeait les mariages, l’on y soignait les maladies, l’on y pratiquait des rites païens avant le christianisme, etc. Ainsi, même pour une question aussi importante que les accords commerciaux, l’on ne pouvait faire sans lui. Le bania privé était un élément important de la propriété des marchands.

Les commerçants établissaient des relations d’affaires dans d’autres lieux – autour d’une tasse de thé, en voyage, dans les églises (dans leurs sous-sols l’on y trouvait souvent des ustensiles commerciaux), au théâtre, etc. Le bania, quant à lui, était la dernière étape de la transaction. C’était un nouveau niveau de relation commerciale. Le partenaire était invité au sauna à la dernière étape du contrat, où les détails pouvaient être convenus dans une atmosphère informelle, ou simplement pour cimenter la relation personnelle.

Bania sibérien dans la région de l'Altaï

Bania sibérien dans la région de l’AltaïViktor Sadtchikov/TASS

Il y avait aussi un autre aspect – c’était une façon de tester la force et la résistance de son partenaire, de « sonder » son caractère. La coutume d’inviter un partenaire commercial au bania existe encore de nos jours.

Conserver et cacher ses cheveux et ongles

Jeune fille démêlant ses cheveux, par Pavel Dessiatkov, 1840

Jeune fille démêlant ses cheveux, par Pavel Dessiatkov, 1840Galerie Tretiakov/Domaine public

Le fait que les cheveux et les ongles coupés doivent être bien cachés et en aucun cas jetés n’est aucunement mentionné dans les saintes écritures et les sources religieuses orthodoxes. Cependant, en Russie, de nombreuses superstitions y étaient associées. Les gens croyaient que les sorciers, à l’aide de cheveux ou d’ongles, pouvaient jeter une malédiction sur leur propriétaire. C’est pourquoi l’on avait peur de les jeter. On croyait que les cheveux et les ongles étaient les « porteurs » de l’énergie d’une personne et la reliaient au monde des esprits.

La procédure suivante était par conséquent respectée : les cheveux et les ongles, après avoir été coupés, étaient soit cachés dans l’endroit le plus secret, soit brûlés, ou encore enterrés profondément.

Lire aussi : Comment chassait-on les sorcières en Russie? 

Envoyer de la nourriture à ceux qui n’ont pas pu vous rendre visite 

Noce dans une famille boyarde, par Constantin Makovski, 1883

Noce dans une famille boyarde, par Constantin Makovski, 1883Musée Hillwood de Washington/Domaine public

En Russie, il existait une étiquette des invités, qui régissait strictement la relation entre hôtes et convives, l’ordre dans lequel la nourriture était servie et la disposition des invités à table.

Par exemple, les invités distingués et riches étaient accueillis sous le porche, et ceux au statut social plus modestes étaient invités directement à la table et y étaient attendus. Les repas étaient servis très différemment de ceux d’aujourd’hui : les tourtes étaient servies en premier, suivies des plats de viande ou de poisson, du gibier, tandis que la soupe venait en dernier. Une pause suivait, après laquelle les invités étaient conviés à des « desserts » – du thé avec des sucreries sous forme de fruits secs, de baies ou de miel.

Oukha [soupe traditionnelle au poisson] de Demian, par Andreï Popov, 1856

Oukha [soupe traditionnelle au poisson] de Demian, par Andreï Popov, 1856Musée Russe/Domaine public

La nourriture ne pouvait en outre être refusée, cela était perçu comme une insulte. Plus intéressant encore, même ceux qui avaient été invités, mais n’avaient pu venir, ne pouvaient échapper aux mets proposés. Selon l’étiquette russe, il fallait en effet envoyer de la nourriture à un tel invité directement chez lui pour ne pas l’offenser.

Faire « cuire » les enfants

Photographie d’archives

Un ancien rituel était pratiqué pour les enfants malades ou faibles, dont l’essentiel consistait à l’attacher à une pelle et à l’enfourner trois fois dans un poêle chaud. Le rituel était associé à la « purification par le feu » païenne, et l’on croyait que le feu bannissait toute affection du corps. En même temps, l’enfant était souvent badigeonné de pâte.

L’ethnographe Vassili Magnitski décrit le rituel dans son ouvrage Matériaux pour l’explication de l’ancienne foi tchouvache : « Voici comment, par exemple, ils traitaient la cachexie des enfants. L’enfant malade était placé sur une pelle recouverte d’une couche de pâte, puis recouvert de pâte par-dessus, ne laissant qu’une ouverture pour la bouche. Après cela, le guérisseur mettait trois fois l’enfant dans le four sur les charbons ardents ».

Ensuite, selon les recherches d’un autre ethnographe, Piotr Denissov, l’enfant « était jeté de la pelle à travers un collier d’épaule jusqu’au seuil, où un chien mangeait la pâte le recouvrant ». Pendant toute la procédure, des incantations étaient par ailleurs récitées.

Dans certains endroits, même un enfant en bonne santé pouvait être « cuit » de la sorte pour le rendre plus fort. Néanmoins, en règle générale, on le faisait aux enfants qui étaient sur le point de mourir. Parfois, un enfant décédait d’ailleurs pendant le rite, mais l’on considérait alors que sans cette procédure il n’aurait eu aucune chance de survie non plus.

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3 thoughts on “Ces très étranges coutumes de la Russie d’autrefois

  1. Massabielle

    Merci beaucoup pour l’ Histoire de toutes ces traditions ancestrales ….la superstition sur les cheveux et les ongles existe aussi en France !….

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  2. Francis Geerinckx

    J’ai comme l’impression que vous trouvez l’inspiration dans le site Russia Beyond. ))
    https://www.rbth.com/

    J’y suis abonné depuis des années…

    Bonne continuation !

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