Cela fait 3 mois aujourd’hui que la Russie a entamé son opération spéciale en Ukraine.
Avant
Personne clairement n’avait prévu que la situation se développe de la façon dont elle s’est développée et personne n’avait prévu une réaction russe d’une telle dimension. Personne n’avait prévu que trois mois plus tard nous en soyons la.
Personne et peut être même pas la puissance qui avait envisagé une intervention russe le 16 février 2022 car, tout simplement, elle savait que l’armée ukrainienne allait déclencher les hostilités dans le Donbass, un déclenchement d’hostilité qui allait entraîner une réponse russe.
Ce scénario terrible d’une intervention russe était envisagé en tout dernier recours par les élites russes et sans doute un peu plus depuis que les autorités ukrainiennes il y a un an avaient clairement et publiquement établi et mis en place un plan de dés-occupation (!) de la Crimée et des républiques autonomes du Donbass, de façon militaire si nécessaire.
Le tout dans un contexte d’aide américaine permanente et accrue depuis 2014.
La fureur des combats dans le Donbass actuel et la présence de dizaines de milliers de soldats Ukrainiens qui y affrontent les forces russes et les combattants des républiques de LDNR est sans doute un indicateur clair que oui : les troupes ukrainiennes y étaient stationnées, en masse.
Comme l’a très bien démontré l’excellent Jacques Baud, la hausse de l’Intensité des activités militaires ukrainiennes au début 2022 étaient également et malheureusement, sans aucuns doutes, les prémices d’une nouvelle opération spéciale de Kiev contre le Donbass, beaucoup plus massive cette fois que celle de 2014 lancée déjà par Kiev contre le Donbass.
Les mensonges récurrents du président Zelensky et les inutiles va-et-viens de responsables politiques européens sans aucuns pouvoirs ni aucune autorité ne pouvaient rien changer au blanc-seing obtenu par les autorités ukrainiennes, du seul centre de pouvoir et de décision réel qui se situe à Washington, bien loin de l’Europe.
Cela fait pourtant huit ans que la Russie tente de ne jouer que la carte diplomatique et demande “juste” le respect des accords de Minsk qui n’impliquaient finalement que, si l’on prend les points essentiels :
- L’organisation d’une décentralisation des pouvoirs, par la mise en application d’une loi ukrainienne (loi sur le statut particulier), accordant de manière temporaire l’autonomie (et non l’indépendance) locale des Oblasts de Donetsk et de Lougansk.
- De procéder au retrait du territoire ukrainien des formations armées et du matériel militaire illicites, ainsi que des combattants irréguliers et des mercenaires.
- Faire respecter tout cela par l’OSCE.
Etait ce si catastrophique pour l’Ukraine ?
La Russie n’est pas tombée dans un piège, mais elle s’est sans doute faite acculer et contrainte d’agir. Elle aurait pu n’intervenir que dans le Donbass, mais les élites russes ont pris une décision Historique et Maximaliste.
Une décision audacieuse qui vise à inverser le cours de l’histoire des 17 dernières années et a vu l’Ukraine devenir une anti-Russie et la nouvelle tête de pont de l’OTAN pour attaquer la Russie via des opérations militaires contre certain de ses propres citoyens, les citoyens du monde russe.
Une anti-Russie dont le président en vigueur, Petr Poroshenko, en 2014, appelait à mener une guerre d’extermination économique contre les populations russophones en ces termes : “Nous aurons du travail – ils n’en ont pas. Nous aurons des retraites – ils n’en ont pas. Nous soutiendrons les gens – les enfants et les retraités – ils n’auront aucun soutien. Nos enfants iront dans des écoles et des jardins d’enfants, et les leurs seront assiégés dans des sous-sols . Ce sont des bons a rien et c’est comme cela que nous gagnerons cette guerre”
Toute ressemblance avec les propos récents d’un ministre français est un pur hasard 😉
Une anti-Russie ou, en 2014, les activistes du Maidan ont par exemple mis le feu à un bâtiment rempli de civils russophones, entraînant que 42 personnes meurent, certaines brûlées vives et d’autres abattues à l’arme à feu tandis qu’elles tentaient de s’enfuir par les fenêtres, dont des enfants. Un massacre que la télévision française avait tenté d’attribuer aux groupes armés russes à l’époque …
Ce n’est pas la Russie qui s’est fait piéger, c’est l’Ukraine, qui est tombée dans le piège terrible d’une guerre fratricide contre ses propres citoyens russophones et contre la Russie.
Ce n’est pas la Russie qui s’est fait piéger mais l’Europe, tombée elle dans le piège américain des sanctions et de la guerre économique, piège terrible que je dénonçais déjà en mai 2014 sur France 24.
Pendant
On me demande souvent comment les gens en Russie vivent cette opération spéciale.
Après la stupeur des premiers jours et l’inquiétude des disons les deux premières semaines, les choses sont revenues à une forme de nouvelle normalité.
Alors que les quelques quelques 7.300 sanctions imposées a la Russie devaient détruire l’économie russe, affamer son peuple et le faire réagir contre ses élites politiques, c’est exactement l’inverse qui s’est produit.
Les contre mesures politiques et économiques russes ont, sur ces trois premiers mois, amortis considérablement le choc des sanctions tant sur le plan de la vie de tous les jours, que sur le plan moral et psychologique.
Les russes ont rapidement repris le dessus sur leurs inquiétudes bien compréhensibles et ont refait bloc, derrière leur pays, leur armée et leurs élites.
Il est difficile d’Occident de comprendre l’incroyable complexité de ce dossier que les médias français ne sont pas capables d’expliquer, ni comprendre, ni de prés, ni de loin, et que surtout ils ne souhaitent pas expliquer pour ne pas porter atteinte au scénario narratif anti-russe en cours de création en Occident et qui verra sans doute l’anti-russisme et la russophobie devenir une idéologie politique a part entière, dans certains pays de l’OTAN.
La Russie voit cette opération spéciale Z comme une opération vitale et existentielle.
On pourrait tenter de l’imager en la comparant à l’opération d’un chirurgien qui voudrait sauver un patient malade en lui ôtant une tumeur contagieuse.
C’est tout le sens de la démilitarisation et de la dénazification qui vise à protéger en urgence la partie du corps du patient la plus exposée actuellement à la tumeur : l’est et le sud, soit le monde russe d’Ukraine.
Mais ce monde russe n’est pas menacé dans son existence que, provisoirement, par quelques dizaines de milliers de militaires et radicaux, du moins jusqu’à ce que l’opération Z règle ce premier problème définitivement.
Ce monde russe, pour les russes, est menacé de façon globale par un anti-monde russe dont l’Ukraine est devenue la pointe la plus orientale suite à sa profonde mutation entamée en 2005, par la première révolution de couleur, la seconde étant le Maidan en 2014.
La Russie n’est pas en guerre contre l’Ukraine ni contre les Ukrainiens mais estime et comprend que le dispositif militaire, politique et civilisationnel dont l’OTAN est l’ADN et l’ossature, se sert de la gouvernance artificielle ukrainienne pour la menacer et l’attaquer.
Il est acquis en Occident de penser que l’Occident a gagné la guerre froide avec l’effondrement de l’URSS et que c’est tout.
Pourtant la disparition du monde soviétique n’a pas signifié la disparition du monde russe, dont la sève a continué à couler et circuler, par delà les frontières du nouveau monde post-soviétique.
L’opération Z n’est pas comme le disent nombre d’experts français une guerre de territoire ou de ressources dont la Russie ne manque pas, non c’est une grosse erreur d’analyse. L’opération Z est un acte civilisationnel pour la Russie, qui vise à repousser l’anti-monde russe et pour le droit et la justice historique des russes à exister et vivre en paix au sein du monde russe.
Après
Il est impossible de savoir quelles seront les conséquences économiques à court, moyen et long terme d’un tel niveau de sanctions car aucun pays au monde n’a jamais vécu une telle situation et une telle expérience.
Il est plausible que 2022 et 2023 soient des années difficiles pour la Russie et que le grand réajustement économique soit bien plus complexe et difficile qu’il n’y paraisse aujourd’hui.
La Russie de ce printemps 2022, est sur ce point, un laboratoire à ciel ouvert.
Il ne fait plus aucun doute que la Russie gagnera, même s’il est aujourd’hui difficile d’imaginer la forme de cette victoire sur le plan militaire et politique.
La Russie devra gagner tout simplement car une victoire est pour elle une question existentielle.
Il ne fait plus non plus aucun doute que le monde de l’après opération Z sera un nouveau monde.
Les conséquences de cette opération militaire seront sans doute aussi fondamentales et totales que celles qui ont résultées de la disparition de l’URSS.
Une nouvelle architecture mondiale apparaîtra, avec de nouveaux équilibres et déséquilibres, de nouvelles alliances et de nouvelles zones d’influences, une grande reconfiguration qui pourrait, pourquoi pas, voir un retour des blocs et une opposition entre un bloc Occidental, plus américano-centré que jamais, et un bloc Eurasio-asiatique, autour du tandem Moscou / Pékin.
Le retour des Blocs, comme entre 1945 et 1991 ?
Dans ces deux mondes, des visions quasi diamétriquements opposées sur l’histoire, le présent et le futur se sont développées, des visions et des conceptions qui ne sont plus compatibles.
Le cœur de cette grande reconfiguration sera sans doute la grande rupture entre la Russie et l’Ouest qui a commencé avec le printemps de Crimée en 2014.
Une grande rupture totale et systémique : politique, économique, morale et civilisationnelle.
Une grande rupture qui est la manifestation la plus parfaite des incroyables prédictions de l’ancienne éminence grise du Kremlin, Vladislav Sourkov, qui annonçait au printemps 2018 que la Russie allait rentrer dans une nouvelle ère qu’il qualifiait ainsi :
« L’annexion de la Crimée représente l’achèvement du voyage épique de la Russie vers l’ouest, le terme de ses nombreuses tentatives infructueuses d’être incorporée dans la civilisation occidentale, de s’apparenter avec la “bonne famille” des peuples européens et que désormais, Moscou devrait assumer sa « solitude géopolitique ».
Moscou, le 25 mai 2022
Grandissime ! Merci Latsa 🙂
La Russie n’est pas en guerre contre l’Ukraine ? Ah ben ça alors ! Les villes rayées de la carte à coup de bombardements, vous appelez ça comment ?
Non bien sur et aucune ville n’est du reste rayee de la carte.
Les villes sont fortement endommagees car les troupes ukrainiennes se cachent visiblement au milieu des civils et notamment comme a Odessa…
Vous avez remarque que les immeubles y sont brules a partir du 3ieme / 4ieme etage uniquement ?
Bizarre non ?
Absolument excellent état des lieux de la situation passé , actuelle et à venir (espérons !)
l’inutilité de l’Otan (plus du tout adaptée) et la main-mise des USA sur l’Europe géographique , ainsi que les “Diktats” de ces derniers sur l’U.E. (par le non-respect de la signature de 2 de ses principaux membres dans les “Accords de Minsk” ) + le complet fourvoiement de l’UE refusant d’être une force politique indépendante et constructive …
espérons que la situation ne passe pas à un conflit mondial …et que les pays de l’Otan prennent conscience qu’ils sont seuls à avoir un tel désir de domination sur les autres pays du monde !
Toute la question est de savoir si le tandem sino-russe est si solide, le modèle de société chinois étant plus proche de Davos que le du modèle russe. Et la solidité des organisations telles l’OTSC, les BRICS et autres partenaires des Russes face aux pressions US. Il va falloir jouer serré!
Bonjour Morgan 🙂
Et oui c’est LA question avec celle de la substitution des exportations d’Europe vers ailleurs sur les prochaines années …
Pour l’instant l’Asie soutient la Russie bloomberg.com/news/articles/2022-05-26/russia-has-record-oil-volumes-at-sea-as-cargoes-shift-to-asia