Interview donnée au nouveau média conservateur : https://conservativeenthusiast.com/
1- Pour nos lecteurs qui ne vous connaissent pas encore, présentez-vous.
“ Bonjour j’ai 44 ans, je suis marié, père de deux enfants et depuis 2008 j’habite à Moscou ou j’y dirige un cabinet de conseils en ressources humaines et recrutement.
Je suis connu sous mon nom de plume car depuis 13 ans j’ai pris de nombreuses prises de positions publiques sur la Russie et car j’anime un blog pour lequel j’ai écrit plus de 1.200 articles sur la Russie traduits en 10 langues.
Le blog traite de la Russie sur l’aspect géopolitique, politique, démographique, culturel, religieux et bien entendu traite de la guerre médiatique et de la désinformation dans les médias francais.
J’ai longtemps été, entre 2010 et 2016, un des blogueurs francais les plus réguliers de diverses agences de presses russes (RIA-Novosti, Voix de la Russie, Sputnik …).
J’ai beaucoup écrit de 2008 à 2016 avec de nombreux passages dans les médias francais, russes et autres et suis également l’auteur de 3 premiers ouvrages sur la Russie, le dernier étant : « un printemps russe » publié en 2016 aux éditions les syrtes, qui est une histoire de la Russie de 1991 à 2016.
Je me considère comme Frussien qui est un terme que j’ai créé et qui pourrait parfaitement devenir le label d’une nouvelle communauté de francais de Russie. Je me considère surtout comme un conservateur sur le plan moral, sociétal et civilisationnel mais comme un progressiste sur le plan scientifique et technique.”
2-: Racontez-nous un peu votre jeunesse, d’où venez-vous ? Quel a été votre parcours ?
“Je suis né dans le sud de la France et ai fait ma scolarité en Afrique, au lycée francais de Pointe Noire au Congo. Ma vie en Afrique était consacrée au sport, principalement le Surf qui était ma grande passion. Loin de métropole (ou je ne me rendais que l’été pour les vacances), je n’avais aucune conscience politique ou civilisationnelle.
Apres le bac je suis rentré en métropole étudier le droit et les langues slaves à Bordeaux et j’ai pu assister au cours de la grosse décennie qui a suivi, donc durant mes études, à la dégradation de la situation générale à Bordeaux et en France.
En 1999 je me suis engagé et impliqué dans l’humanitaire pour la Serbie et mes divers séjours sur place au cours des années qui ont suivi m’ont éveillé sur l’Est et grandement boosté l’envie de quitter la France et ses nouvelles réalités. C’est ce que j’ai fait à la fin de l’hiver 2008, mon départ définitif de France s’est du reste fait, par hasard, le jour de proclamation de l’indépendance du Kosovo, tout un symbole.”
3-: Quels sont vos projets déjà réalisés et vos succès passés ? Qu’est ce qui vous a amené à lancer vos projets ? Quelles sont les étapes qui vous y ont menées ?
“J’imagine que le premier des projets /succès est de fonder une famille et avoir la responsabilité d’une famille. Les enfants c’est ce qui permet de devenir réellement adulte.
Un autre a été de déménager en Russie. Déménager et s’intégrer en Russie est complexe. On ne trouve pas forcément rapidement ce qu’on pense y trouver, c’est un pays complexe et qui change très vite, il faut maitriser l’administration, le climat et 1.000 autres difficultés inattendues, mais il y a une contrepartie, habiter dans un pays libre et souverain et qui se développe, c’est une sensation qui donne de l’espoir.
Je crois que la Russie est apparue comme « un choix », tout simplement. Ensuite entreprendre, entreprendre c’est choisir d’être libre, de prendre des risques notamment dans un pays complexe comme la Russie ou on est à la merci d’événements extérieurs, imprévus et qui bouleversent l’écosystème économique. Pour entreprendre, il faut de la force, de la résilience, de la capacité de travail mais surtout il faut accepter d’assumer les conséquences de ses décisions et de ses actes.
Peu de gens le savent mais historiquement le mot entrepreneur dépend de l’univers de la chevalerie : le “chevalier entrepreneur” dans le roman courtois, est celui qui mène des actions héroïques de combat, visant à défendre une cause juste.”
4-: Pouvez-vous nous expliquer plus en détail en quoi consiste vos projets, votre démarche et pourquoi vous faites ce que vous faites ?
“Mes projets aujourd’hui sont simples : élever mes enfants, prendre soin de ma famille, continuer à vivre en Russie, à Moscou sans aucun doute et écrire bien sûr …
D’un point de vue plus créatif ou politique en effet si je puis dire, je relance en effet mon blog DISSONANCE après une pause de près de 4 ans sur le thème ; « journal d’un Frussien ». L’objectif est de continuer à parler de la Russie et y expliquer ce qui s’y passe, quelles évolutions connait le pays et à quel point la Russie est sous de nombreux aspects un laboratoire à ciel ouvert et probablement un modèle politique pour survivre au siècle en cours et à ses grands défis.
J’ai également en projet de publier un quatrième ouvrage, le second en Français, dans 12 ou 18 mois.”
5-: Quelles sont vos principales sources d’inspiration, vos influences et vos références ?
” J’ai plutôt pas mal lu. Tant de la pensée politique que philosophique que de l’analyse géopolitique, des romans … Depuis quelques années je lis moins par manque de temps surtout, je me contente de littérature russe, classique et moderne mais également les penseurs non-occidentalistes russes que ce soit Berdiaev, Tchaadaïev, Gumilev mais aussi Sourkov par exemple.
Aussi quelques auteurs francais comme Houellebecq par exemple.
Et aussi de la science-fiction.
Plus je vieillis et en tant que Frussien vivant en Russie en 2021, moins j’ai de modèles, de sources d’inspirations ou autres. Je pense que les modèles historiques, les réflexions historiques ne sont plus d’actualité.
Nous ne reviendrons plus jamais à ce qui a été. Plus jamais.
Il faut plutôt bâtir de nouveaux modèles, de nouvelles pensées, de nouveaux algorithmes politiques avec de nouvelles logiques adaptées au monde moderne. Il faut être rationnel. Et surtout sortir des regrets historiques, du « avant c’était mieux » ou des fuites en avant vers des raccourcis simplistes et rassurants.
Il faut prendre en compte les nouvelles dynamiques historiques vertigineuses en cours. Je crois que peu de gens se rendent bien compte de ce qui est en train de se passer et des bouleversements gigantesques et historiques en cours. Nous sommes dans le siècle du grand basculement démographique et civilisationnel ; dans le monde post-occidental ; dans le monde de la génétique et de la technoscience, dans le monde de la Data, de l’intelligence artificielle, d’une nouvelle page de la conquête spatiale …Ce qui se passe est vertigineux et les prochaines décennies seront sans doute impitoyables.
J’observe donc et tente de comprendre les ressorts, les raisons des évènements et surtout, surtout de porter un regard rationnel sur le monde.”
6-: Qu’est-ce que le conservatisme selon vous ? Et pensez-vous qu’il est important aujourd’hui ?
“Pour Nicolas Berdiaev « le sens du conservatisme n’est pas d’empêcher d’aller de l’avant vers le haut, mais d’empêcher de reculer et de retomber dans le chaos obscur et l’état primitif ».
Je crois que c’est la meilleure définition que j’ai lue et j’ajoute qu’elle permet parfaitement un binôme en adéquation avec la science et la technique. La science et la technique sont des moyens selon moi de permettre au conservatisme de continuer à exister.”
7-: Que pensez-vous du contexte actuel de la société en Europe ? Et à l’échelle du monde ?
“Je pense que depuis les évolutions profondes, les tendances lourdes s’accélèrent.
Nous vivons encore dans le monde issu de 1945, ce monde est en train de mourir. Il meure car il repose sur une architecture basée sur la domination de l’Occident et notamment de l’Amérique qui en est le cœur. Cette pax-americana est en train de se fissurer.
Clairement, une pax-asiatica avec un cœur Chinois est en train d’émerger et la transition entre ces deux écosystèmes sera vraisemblablement douloureuse et complexe.
L’Europe est dans la pire des situations. Elle est une entité politique non aboutie, une entité civilisationnelle non affirmée et son alignement dogmatique sur les prises de positions américaines font d’elle une simple chambre d’enregistrement des décisions de Washington.
En outre elle est victime d’un choc migratoire colossal qui a commencé il y a un demi-siècle et qui, logiquement et en s’accélérant sur le demi-siècle à venir, couplé à l’effondrement de la natalité des populations autochtones, pourrait définitivement transformer l’Europe, du moins de l’Ouest, en Eurafrique tandis qu’à l’est c’est l’Eurasie qui émerge. L’Europe paye et va payer très cher la médiocrité, la lâcheté, l’incompétence et la soumission de ses élites politiques.
La crise du Covid a permis de bien entrevoir cette tendance, quand on voit l’incapacité des nations occidentales et sud-américaines, et donc du monde chrétien à faire face et la supériorité de gestion des civilisations bouddhistes, confucianistes, taoïstes … Sur la longue durée, vraisemblablement c’est l’Asie qui gagne, Chine en tête.
8-: Si vous deviez donner 5 éléments sur lesquels tout français devrait sérieusement travailler au niveau individuel, lesquels seraient-ils ?
” La première serait de se bâtir une vraie culture de famille, c’est un projet à longue durée qui implique beaucoup d’efforts.
Rien ne marche sans efforts donc développer une culture forcenée de travail.
Ensuite de se cultiver et rester up-to-date, savoir ce qui se passe dans le monde, hors de France et du monde de Bruxelles.
Ensuite continuellement se former, apprendre, se monter en compétences … Apprendre des langues et maitriser la technique, notamment les outils informatiques. Enfin s’extraire de son microcosme, s’extraire de sa tribu, de ses certitudes, de ses biais et se remettre en question en prenant de la distance et surtout en sortant des cadres politiques existants qui sont déjà totalement stériles, obsolètes mais aussi et surtout stérilisants.”
9-: Pouvez-vous nous partager votre ressenti sur la jeunesse d’aujourd’hui ?
“J’ai quitté la France depuis 13 ans donc je suis un peu coupé de la jeunesse française mais au fait des réalités qui sont les siennes.
Je crois que la jeunesse en Europe aujourd’hui est de plus en plus divisée entre les jeunes européens qui n’en peuvent plus et les jeunes européens qui ont lâché prise.
Deux blocs qui se font face et devraient continuer à se faire face dans l’avenir.
La jeunesse russe si l’on parle d’elle évolue plutôt bien.
Bien sur on vit différemment à Moscou que dans les petites villes, dans la Russie slave et européenne on vit différemment que dans les républiques ethniques et religieuses etc.
Mais globalement les Russes n’ont jamais aussi bien vécu, d’un point de vue historique. Ils n’ont jamais été aussi riches et libres. La jeunesse russe est plutôt conservatrice, elle vote plutôt Poutine ou nationaliste et l’attrait aveugle et excessif vers l’Europe de l’Ouest a diminué au rythme de la fréquence des voyages de cette même jeunesse russe dans les grandes capitales européennes.”
10-: Beaucoup de jeunes français cherchent à renouer avec leur héritage, quel est le meilleur moyen selon vous d’y parvenir ?
“Renouer avec l’histoire de France passe bien entendu par la connaissance de l’histoire et de la culture française.
Mais renouer avec l’héritage Français lorsque la France n’est plus la France, lorsque le peuple Français est menacé de pure disparition sur son propre territoire me parait utopique.
On peut bien sur transformer le musée France, mais je pense que malheureusement l’exil est la seule solution, ou plutôt le seul choix.”
11-: Quels sont les principaux dangers qui menacent la civilisation européenne selon vous ?
“Je crois et maintiens que le principal problème est démographique. Cet effondrement démographique qui a de multiples causes arrive dans une séquence historique qui voit une explosion démographique au sud, en Afrique, et un début de pression migratoire qui va inévitablement s’accélérer et modifier en profondeur l’Europe sur le plan civilisationnel.
Ensuite je crois que le problème est politique et que l’Europe se meurt de ses élites. La médiocrité des élites françaises depuis des décennies si l’on compare aux élites chinoises, russes, coréennes japonaises est absolument terrible. C’est inexplicable comment on a pu en arriver là. Les élites françaises d’aujourd’hui valent à peine mieux que les élites ukrainiennes.
Enfin le problème est précisément civilisationnel. Les processus de déconstructions nationales et d’intégrations européennes ne se sont pas accompagnés d’une dynamique de resserrement civilisationnel mais au contraire d’un ressenti que c’était plutôt une étape vers le village global. Je pense donc qu’il fallait plutôt affirmer la civilisation européenne, sans concession.”
12-: Quels sont les principaux espoirs et leviers qui permettraient de surpasser ces menaces ?
“Si on prend l’exemple de la France, je ne sais pas si sauver la France est encore possible, dans ce sens que les principaux ennemis de la France aujourd’hui sont les francais eux-mêmes.
Je crois que pour sauver la France il faudrait avant tout une rupture totale avec les structures de gouvernance actuelle issus du monde de mai 68, des élites coincées dans le logiciel de 1945 qui ont détruit la souveraineté de notre pays et l’amènent vers la guerre.
Il faudrait aussi l’arrivée au pouvoir d’une nouvelle élite, pragmatique mais surtout qui se destine à sauver notre pays, et ce à n’importe quel prix. En termes plus clairs et pour les initiés, permettre l’instauration d’une démocratie souveraine et d’une authentique verticale du pouvoir afin de sauver la France.
A titre de comparaison la Russie était proche de disparaitre dans les annees 90 et Alexandre Prokhanov a résumé ce moment russe en ces termes : « L’État, cette grande substance secrète de l’histoire russe qui en 1991 bascula dans le gouffre et fut réduite en cendres, s’est relevé, lentement, sûrement, de plus en plus rapidement, inébranlable et invincible dans son mouvement ascendant. Car en lui agit le destin. Et cet État a choisi Poutine pour conduire le processus historique en Russie. Ce n’est pas lui qui construit l’État, c’est l’État qui le construit. »
Il faudrait donc que ne rejaillisse cette substance visant à reconstruire le processus historique national francais. Mais comment faire ?
Ensuite d’un point de vue individuel il faut que les européens s’imposent la mission de vouloir survivre et par conséquent décident de faire des enfants pour que des européens vivent en Europe dans 20 / 30 / 40 ans sans être minoritaires chez eux ?.”
13-: Quels sont les personnalités, auteurs, initiatives ou organisations qui paraissent dignes d’intérêts aujourd’hui selon vous ?
“Vladimir Poutine est de toute évidence un De Gaulle moderne, mais russe.
La gouvernance chinoise est juste extraordinaire sur la longue durée et c’est Un et sinon LE modèle : le parti communiste chinois crée des élites brillantes, qui se succèdent sans baisser en qualité, et qui travaillent dans la longue durée historique dans la même direction.
Apres il y a pleins de gens brillants, conscients, éveillés, mais ils vivent une terrible solitude politique avec peu de partis politiques ou d’associations dignes de ce nom. Une solitude politique et un isolement civilisationnel.”
14-: Y a-t-il un sujet qui vous paraît délaissé aujourd’hui ou que vous considérez ne pas voir suffisamment dans les médias ou le débat public ?
“Si on parle de la télévision française je ne la regarde plus depuis 10 ans, ça m’évite d’avoir à subir Hanouna ou BFM.
Si les francais prennent plaisir à se faire intoxiquer par leurs journalopes c’est leur problème. Le niveau du débat public en France et de la production télévisuelle et culturelle française ne mérite même pas qu’on en parle, ce qui est inquiétant c’est comment les francais ont pu se faire abrutir à ce point pour le subir sans rien dire.
Je crois que fondamentalement les questions civilisationnelles, identitaires et démographiques sont les grands absents du débat et à dessein.
En Russie c’est moins le cas, on parle de quasiment tout dans les médias.”
15-: Pouvez-vous nous donner un livre, un film et une musique qui selon vous vous représentent, ou auxquels vous tenez ?
“Ce qui me vient à l’esprit c’est Interstellar comme film et comme allégorie du grand départ ; Je tente de ne plus regarder que de la SF pour ne penser qu’au futur. Et je crois fondamentalement à la conquête spatiale, sujet sur lequel les conservateurs sont totalement à la ramasse.
Comme musique ces temps-ci je réécoute beaucoup M83. C’est francais après tout
Les livres il y en a tellement. Et en même temps si peu car beaucoup de ce qui s’est écrit vieillit mal. Un livre … Je pense par exemple à « Pourquoi la Grèce ? » de Jacqueline de Romilly.”
16-: Que pensez-vous pouvoir apporter à quelqu’un qui vous découvre ?
“J’espère de le persuader qu’on peut penser hors des logiciels préinstallés et obsolètes. Et sortir des cadres idéologiques stérilisants.
Et l’inciter à penser Russie.
A ce titre, dans le cadre de mes activités professionnelles liées aux Ressources Humaines en Russie j’ai développé un module réaliste destiné à préparer l’expatriation de façon pratique en Russie que je fais depuis 2015 et qui fonctionne.”
17-: Quels sont vos projets à l’avenir ? Dans les prochaines semaines et mois, à court terme, mais également votre vision long terme.
“Je vais continuer à beaucoup, et de plus en plus, écrire sur la Russie.
Publier un livre sous 12 / 18 mois.
Enfin je réfléchis à une chaine YouTube pour commenter l’actualité russe.”
18-: Où peut-on vous suivre ? Sur quel média ou réseau êtes-vous le plus actif ?
Il y a tout d’abord mon blog http://alexandrelatsa.ru/
Et Twitter: https://twitter.com/alexandrelatsa
19-: Un mot pour la fin ?
Salutations de Moscou !