La carte MIR : élément de la souveraineté bancaire russe

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Les nouvelles sanctions américaines contre la Russie ont fait réapparaître le risque d’une escalade pouvant potentiellement aboutir, en cas de tension maximale, à une déconnexion totale de l’ensemble des banques de Russie des systèmes internationaux de cartes VISA et MASTERCARD.
A ce titre une déconnexion partielle a eu lieu en mars 2014 auprès de 5 banques lors des événements d’Ukraine (dont SMP Bank, Sobinbank, Bank Rossiya) ainsi que les opérations sur le sol de Crimée pour toutes les banques.
Cela montre la capacité des Etats-Unis à prendre des mesures ciblées aussi bien territorialement que sur certaines banques, Visa et Mastercard étant des sociétés américaines.
A titre de réponse, dès l’été 2014 les autorités russes ont lancé le projet du Système National des Cartes de Paiements appelle NSPK (Nationalnaya Systema Platyojnikh Kart) grâce auquel une carte bancaire nationale portant le nom de MIR est rattaché, MIR signifiant « paix » ou « monde » en russe.
Quel est l’objectif des autorités russes avec la mise en place de ce système ?

STRATPOL : Bonjour, tout d’abord qu’est-ce que MIR ?
Alexandre Latsa : Il s’agit d’une carte bancaire, fonctionnant sur tout le territoire russe, permettant de retirer de l’argent dans n’importe quel distributeur ainsi que de régler des achats en points de vente partout en Russie et payer sur des sites de commerce reliés aux banques présentes sur le sol de la Fédération de Russie.
Point important : le plastique de la carte, la puce, tout comme le protocole de cryptage de la puce sont à 100% de fabrication russe

STRATPOL : Quel est l’intérêt concret pour la Russie de disposer d’une carte de paiement nationale, propre ?
Alexandre Latsa : Un système national des cartes permet de pallier à une potentielle déconnexion des systèmes internationaux de Cartes Visa et Mastercard en assurant ainsi la continuité de toutes les opérations cartes sur le sol de la Fédération de Russie, Crimée inclue.
Techniquement il s’agit d’un système informatique dont les serveurs et les opérations de fonctionnement régulier des cartes rattachées sont assurés par la Banque Centrale de Russie.
Non seulement la Carte MIR est reliée au système informatique du NSPK, mais les opérateurs Visa et Mastercard ont accepté eux aussi d’y rattacher leurs cartes émises par l’ensemble des banques situées en Fédération de Russie. Or, ça n’était pas garanti dès le départ… Et l’Etat russe a du les informer d’une énorme caution à payer en cas de refus de connexion au NSPK. Ne restait alors que l’option de se connecter… Ou bien de quitter la Fédération de Russie ! Ce que Visa et Mastercard n’ont pas fait.
D’un point de vue technique ces décisions de rattachement ont été effectives pour Visa et Mastercard dès le mois de Mai 2015. Le fonctionnement en Crimée a alors été automatiquement rétabli à la même date pour les cartes Visa et Mastercard.
Autrement dit, en cas de déconnexion totale des banques russes des systèmes informatiques Visa et Mastercard, les cartes Visa et Mastercard distribuées par les banques situées en Fédération de Russie continueront à fonctionner normalement sur le sol de la Fédération de Russie, en plus de la carte MIR bien évidemment.
Mieux encore : les filiales russes des sociétés Visa et Mastercard paient désormais des droits au système NSPK pour bénéficier du fonctionnement opérationnel de leurs cartes émises en Russie.

STRATPOL : Concrètement, quand ce système MIR fonctionnera de façon complète ?
Alexandre Latsa : Le système informatique du NSPK fonctionne déjà et permet de remplir toutes les opérations cartes sur le sol de la Fédération de Russie. Les cartes MIR fonctionnent dans plus de 190 000 distributeurs de billets et 1,8 millions de terminaux de paiements dans les Points de vente et d’achat, soit la quasi-totalité du réseau russe.
En 2 ans, plus de 25 millions de cartes MIR ont déjà été distribuées à travers la Russie depuis décembre 2015, date officielle du lancement de la 1ere carte MIR, ce qui est un rythme de distribution très rapide. Elles représentent déjà autour de 10% de l’ensemble des cartes en circulation en Russie et l’objectif est de doubler ce ratio avant fin 2018.

STRATPOL : Dans quels pays et sous quelles conditions est-ce que MIR fonctionnera ? Quels sont selon vous ses avantages et ses faiblesses ?
Alexandre Latsa : Au-delà de l’aspect politique et systémique, l’avantage pour l’utilisateur réside dans le coût et les frais de la carte qui sont inférieurs à ceux des Cartes Visa et Mastercard émises en Russie. Il s’agit donc d’une carte idéale pour verser les salaires au sein des entreprises ou encore les pensions de retraite, ou tout simplement pour une utilisation régulière en retraits et paiements locaux.
La Carte MIR va devenir un acteur majeur sur le marché des cartes en Russie, apportant ainsi une concurrence saine à l’oligopole Visa/Mastercard qui va devoir proposer aux clients des tarifs plus compétitifs…
Toutefois, MIR a comme désavantage de ne pas être utilisable aujourd’hui à l’étranger, ni sur un site internet relié à une banque située en dehors de Russie. C’est la limite du système qui est conforme à son principe de départ d’être une carte nationale au même titre que China Union Pay, le système national des cartes de paiement Chinois.
Mais le développement à l’international de la carte est lancé a l’instar de « China Union Pay », puisque le NSPK commence à produire des cartes dites de « co-branding » ou « co-badgées » avec des opérateurs étrangers comme « Japan Credit Bureau » et « American Express », suite à l’accord signé en Juillet 2015, ou encore avec « Union Pay » signé en Septembre 2016.
Ces cartes « co-badgées » permettront un fonctionnement des cartes MIR à l’étranger dans les principaux lieux touristiques et les grandes villes, sur le modèle d’Union Pay utilisable lui aussi par les touristes Chinois à l’étranger.

STRATPOL : D’autres pays des BRICS disposent-ils de systèmes similaires ou ce système pourrait-il et devrait-il devenir un système propre aux BRICS ?

Alexandre Latsa : Il existe plusieurs pays dans le monde disposant aussi de leur propre système national des cartes de paiement, « China Union Pay » étant le plus connu d’entre tous, mais aussi le Japon qui utilise en interne le système appelé JCB, « Japan Credit Bureau », ou encore l’Inde avec son système national de cartes NPCI, « National Payments Corporation of India », créé en 2008.
Aujourd’hui au sein des BRICS il n’est pas prévu d’en faire un système commun, mais plutôt de signer des accords de « co-branding » entre les différents systèmes nationaux de cartes pour développer une utilisation réciproque.
Un autre axe de développement est l’internationalisation de MIR via des systèmes de paiements électronique à l’image de l’accord récemment signé entre le NSPK et Samsung qui va permettre l’utilisation de la Carte MIR au sein du système de paiement électronique Samsung Pay.

STRATPOL : Est-ce que MIR aura un intérêt quelconque pour les citoyens européens ?
Alexandre Latsa : Non.

STRATPOL : Pensez-vous que MIR soit une conséquence directe des sanctions ?
Alexandre Latsa : Le NSPK et la carte MIR sont une conséquence directe des déconnexions « pilotes » des Cartes Visa et Mastercard qui ont eu lieu dans 5 banques russes et des menaces plus larges émanant des pays occidentaux sur le système bancaire et financier russe.
Le projet a été monté en un temps record entre sa décision annoncée à l’été 2014 et son lancement effectif un an et demi plus tard.

STRATPOL : Quel lien voyez-vous entre l’établissement du système MIR et les grandes dynamiques de dédollarisation que nombre de pays sont timidement en train d’initier, notamment par exemple via des accords commerciaux bilatéraux en monnaies nationales que l’on pense à la Russie et la Chine ou la Russie et la Turquie par exemple ?
Alexandre Latsa : Les deux sujets ne sont pas liés directement mais font partie d’un ensemble ou les outils monétaires et financiers américains, qui servent clairement d’outils de chantage et permettent des sanctions sur les états qui s’opposent à la politique étrangère américaine, perdent désormais en efficacité car perdent leur monopole.
C’est le cas sur les cartes bancaires, mais aussi sur le yuan qui fait son apparition comme monnaie alternative de financement pour les pays sanctionnés par les Etats-Unis (cf. le mégaprojet de GNL Yamal qui a un coût de 26 milliards de dollars… sans 1 seul dollar injecté), ou encore des systèmes de transferts et de virements actuellement en émergence, en préparation …

STRATPOL : Avez-vous quelque chose à ajouter à ce sujet pour les lecteurs de STRATPOL ?
Alexandre Latsa : Nous traiterons séparément dans une autre vidéo le sujet encore plus sensible des virements et transferts bancaires et plus particulièrement le système SWIFT.

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Source : STRATPOL

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