Lorsqu’on parle de Vladimir Poutine, on ne peut pas ne pas songer à cette phrase qu’il aurait prononcée sur le fait que la chute de l’Union soviétique aurait constitué “la plus grande tragédie du XXe siècle” ou que le projet russe d’Union eurasiatique serait une réanimation non officielle de l’Union soviétique.
Pourtant, le projet d’union eurasiatique n’est pas un projet russe puisque c’est Noursoultan Nazarbaïev, l’actuel président du Kazakhstan, qui fut le premier à évoquer l’idée d’une union eurasienne rassemblant les pays de l’ex-URSS, en 1994, dans un discours à l’université de Moscou.
En réalité, le président russe a également affirmé que “celui qui ne regrette pas l’URSS n’a pas de cœur; celui qui souhaite son retour n’a pas de tête”. C’est en fait le statut des 25 millions de Russes au lendemain de l’éclatement de l’URSS qui justifiait, selon le président russe, cette qualification, comme on peut le vérifier dans le discours original de 2005.
Au cours des décennies suivantes, ce statut des minorités russes, russiennes et russophones en dehors des frontières russes, fut l’enjeu de joutes et de tensions diplomatiques de grande ampleur, voire de guerres comme en Géorgie, en Ukraine ou, aujourd’hui, en Syrie. Dans ce dernier cas en effet, la montée en puissance des groupes issus de l’espace post-soviétique au cours des 18 derniers mois a sans doute grandement contribué à la décision de Moscou d’aller frapper en amont ces militants afin d’éviter que ces fourmis terroristes n’aient la moindre chance de revenir déstabiliser l’ex-espace soviétique, que ce soit en Russie ou en Asie centrale.
En Europe, le problème des minorités russophones des pays baltes a, des années durant, empoisonné les relations entre Bruxelles et Moscou. La lente et inachevée réhabilitation des minorités russes de ces Etats n’a pas rassuré les administrations baltes, qui étaient persuadées que ces minorités pouvaient à tout instant se transformer en une sorte de cinquième colonne russe au cœur de l’Europe. Pour les petits Etats baltes, au sein desquels, par exemple à Riga, le parti des Russes ou de l’harmonie a par exemple remporté les élections municipales de 2014, son leader était suspecté d’être l’homme de Moscou.
Pour cette raison sans doute, l’Estonie va lancer très prochainement une chaine de télévision russophone dédiée à sa minorité russophone qui représente 25% de la population du pays, soit 330.000 personnes sur les 1,3 million que comprend le pays. Parmi eux, 90.000 ont la nationalité russe et près de 80.000 n’ont ni la nationalité russe ni la nationalité estonienne. Cette chaine, du nom d’ETV+, va être notamment très orientée vers les réseaux sociaux pour tenter d’influer sur la génération des 25/50 ans.
Cette première chaine russe au sein des pays baltes, destinée à la minorité russe de la région, est sans doute le premier cluster d’un ensemble plus large, un projet européen qui porte le nom d’EastStartComTeam et qui devrait, via l’ouverture d’antennes dans divers pays de l’ex-espace soviétique, promouvoir les valeurs de l’Union européenne tout en luttant contre la soi-disant propagande russe. En réalité cette “propagande russe” n’est pas qu’une impulsion de Moscou mais la reconstitution inévitable de l’unité du “monde russe” autour du pôle puissance reconstituant qu’est devenu Moscou.
Une reconstitution qui s’opère comme mue par une gravité historique profonde, sur les ruines de cette grande tragédie du XXe siècle qu’a été la fin de l’Union Soviétique et sur les frontières en crise d’une Union européenne en panne de modèle et d’énergie.