Au IIe siècle avant notre ère, un général chinois du nom de Zhang Qian ouvre une voie géographique reliant l’Asie à l’Europe et au Moyen-Orient, jusqu’à la Syrie.
Ce gigantesque corridor terrestre allait permettre une formidable expansion commerciale et une hausse des échanges entre des zones du continent eurasiatique se retrouvant de facto connectées.
Cette interconnexion concerna tant le commerce que les religions ou les technologies. Au sommet de sa gloire, la Route de la Soie contribua sans doute directement à l’établissement du plus grand empire continental de tous les temps: l’Empire des Mongols, dont l’expansion guerrière au cours du XIIIe siècle, mit paradoxalement fin à cette fabuleuse infrastructure commerciale.L’Asie centrale ne revint au centre du jeu que précisément lors du grand jeu, au XIXe siècle, lorsque Russes et Britanniques s’y livrèrent un féroce combat pour son contrôle. A la fin de la seconde guerre mondiale, c’est l’URSS qui intégra ce Turkestan géant au sein d’un ensemble qui sépara de facto la Chine de l’Europe. Au cours de notre siècle, les réveils russes et chinois ont accentué le basculement du monde vers l’Eurasie et l’Asie tout en ravivant paradoxalement un tropisme vers l’Ouest et l’idée d’accentuer l’intégration continentale pour faire face aux pressions que ces pays subissent sur leurs flancs ouest et est.
Pour la Russie, dont le tropisme européen est civilisationnel avant d’être uniquement économique, les pressions pour l’éloigner de l’Europe y sont ressenties comme une agression civilisationnelle. Le containment qui lui est imposé sur son flanc ouest (dispositif de missiles américains, révolutions de couleurs avec instauration de régimes hostiles et tentatives de blocages énergétiques…) est considéré par les élites russes comme des menaces à la sécurité nationale du pays. La Chine est quant à elle dans une situation également très complexe puisqu’elle fait face, comme l’écrit Andrew Browne, à la domination américaine dans le Pacifique et une chaîne d’alliances militaires qui s’étend depuis la Corée du Sud et le Japon, à travers les Philippines et jusqu’en Australie.
Pékin a ainsi choisi de redonner vie à un gigantesque projet continental et eurasiatique: le rétablissement de la route de la soie, initiée dès 1996 par les autorités chinoises. Aujourd’hui, de nombreux projets de tracés existent, l’un terrestre (avec diverses variantes) et l’autre maritime.
Les tracés terrestres devraient relier la province chinoise du Xinjiang au Kazakhstan, traverser l’Asie centrale (Kirghizistan, Ouzbékistan, Tadjikistan, Turkménistan) avant de rejoindre le nord de l’Iran, l’Irak, la Syrie, la Turquie et continuer en Europe. Une fois en Europe, différents projets de tronçons existent. Un projet envisage l’axe Bulgarie, Roumanie, République Tchèque, Allemagne, tandis qu’un autre projet envisage le tronçon Macédoine, Serbie, Hongrie, Autriche et Allemagne, avant de rejoindre tout comme du reste la précédente variante, l’Italie. Il faut noter dans le cas de la seconde variante le rôle de la Turquie comme hub entre l’Eurasie et l’Europe, tout comme la liste des pays qui coïncident avec le tracé du projet Turkish-Stream.
Le tracé maritime, (Maritime Silk Road) est lui supposé partir de la mer de Chine vers la Thaïlande et le Viêt-Nam, la Malaisie, puis Singapour et l’Indonésie, avant de rejoindre, via l’océan Indien, le Sri Lanka, puis la mer Rouge, le Golfe, et, enfin, le Canal de Suez puis la Méditerranée. Un autre tracé inclurait lui un crochet par l’Afrique comme on peut le voir sur cette carte et on peut imaginer qu’à l’avenir la route du maritime du nord, émergeant du réchauffement climatique et de la fonte des glaces ne s’intègre comme corridor additionnel.
Les deux routes, celle des mers et celle des terres, pourraient se rejoindre au cœur de l’Italie, peut être à Venise.
Au sein de cette nouvelle route de la soie initiée par Pékin, la place de la Russie n’est pas anodine. Le président des chemins de fers russes a confirmé le 25 mai dernier, lors du 10e Forum de Shanghai, que l’une des priorités de la coopération russo-chinoise est la mise en œuvre d’un mécanisme complet, afin d’unifier le processus d’intégration économique de l’Eurasie via le développement d’une ceinture économique pour la route de la soie puisque l’un des tronçons passe par Le Kazakhstan puis par la Russie avant de continuer vers l’Europe.
Côté chinois, le projet “Une Ceinture, une Route” est un projet clef de la diplomatie chinoise pour l’année 2015, et en réactivant ce gigantesque projet, la Chine lance une “diplomatie économique” sans précédent visant à relier l’ouest et l’est du continent eurasiatique, diplomatie axée sur le volume d’infrastructure à déployer le long du tracé, infrastructures destinées à accentuer et accélérer l’intégration entre est et ouest du continent eurasiatique. A cœur de l’Eurasie, Russie et Chine se sont du reste déjà mis d’accord pour la construction de réseaux de communication comme ce premier tronçon de train rapide entre la capitale russe et la capitale du monde eurasiatique musulman de Russie, Kazan. Cette ligne pourrait selon le président Vladimir Poutine être prolongée jusqu’au cœur de la Sibérie, à Krasnoïarsk.
Cette nouvelle route de la soie n’est pas une manifestation impérialiste chinoise mais bien au contraire une main tendue à l’Europe qui permettrait à l’Europe de se désenclaver d’une domination américaine qui devient de plus en plus oppressante pour les états européens. Ce plan continental n’exclut pas du reste les Américains ni le reste du monde puisqu’une version étendue du projet s’étend sur tout la terre et comprend Etats-Unis d’Amérique, finalement reliés à l’Eurasie via la route de la soie du XXIe siècle.Pour la France, la route de la soie n’est pas un mythe éloigné, bien au contraire.
Des hommes politiques aussi connus tels que par exemple Jean-Pierre Raffarin ou Dominique De Villepin ont bien saisi l’importance de cet axe continental visant à concentrer l’Eurasie en un ensemble homogène et connecté. Alors que la géopolitique de Bruxelles dresse des murs en Eurasie, la géopolitique de Pékin vise au contraire à unifier les pôles du continent en rapprochant l’Asie, et la Chine, de l’Europe et donc de la France.
Au lieu de 48 jours par bateau, les expert estiment qu’en améliorant et harmonisant les législations, le trajet durerait par la route (de la soie) environ 15 à 18 jours en camion et seulement 13 en train, la solution ferroviaire étant également bien plus sûre et plus économique sur le plan de la dépense énergétique.
La France aurait sans doute beaucoup à gagner en affirmant ses ambitions de puissance continentale et eurasiatique en devenant un maillon actif de la route de la Soie car ce nouveau corridor continental nécessitera la construction d’un gigantesque réseau d’infrastructures sur un territoire s’étendant des côtes chinoises aux frontières françaises.