Au cours du mois dernier, l’un des analystes russes contemporains les plus sérieux et compétents, Fedor Loukianov, a donné un entretien très intéressant à un magazine américain. Si l’interview mérite une lecture attentive, un des points de cet article est particulièrement intéressant.
Fedor Loukianov raconte sa discussion avec la collaboratrice du président allemand de la commission de politique étrangère du Bundestag, discussion qui illustre parfaitement le naufrage de l’élite ouest européenne et sa déconnection d’avec les peuples qu’elle est pourtant censée représenter, mais surtout défendre. Celle-ci lui affirme qu’il y aurait «un gros problème ici, en Allemagne avec la propagande russe de Poutine qui sape tout » et qu’ils auraient reçu « beaucoup de courriels critiquant notre président pour ses politiques critiquant la Russie sur l’Ukraine, comme étant trop dures, et ainsi de suite. ».
Fedor Loukianov lui demande alors si elle considère les critiques envers la politique allemande en Europe de l’est comme « un produit de la propagande de Poutine ». Celle-ci lui répond: « Oui, bien sûr ». M. Loukianov la laissa vraisemblablement confuse en évoquant la possibilité vraisemblable que ces critiques soient celles d’authentiques citoyens allemands qui utilisent leurs droits fondamentaux au sein d’une société dite démocratique.
Cette affaire arrive juste après le scandale qui a frappé une chaîne de télévision allemande ayant diffusé une émission réalisée par la chaîne russe RT. La chaîne a fait l’objet d’une procédure des instances de régulation à l’initiative de parlementaires locaux, persuadés que l’émission diffusée ne présentait que « le point de vue russe », « ne contribuait pas à former un tableau objectif » tandis que selon certains députés de gauche, « la chaîne RT serait trop proche du gouvernement ».
La liberté d’expression s’applique-t-elle à tous, sauf aux médias russes?
Cette volonté de censure est à mettre en lien avec les appels de pontes du journalisme en occident ayant appelé à rejeter et exclure « ces gens » (qui travaillent pour RT, ndlr) du monde du journalisme. Pourtant, d’un point de vue plus global, l’existence d’une hypothétique propagande russe qui inonderait le monde médiatique occidental est le dernier né des grands mythes frappant la Russie à l’étranger.
Plus la crise que connaît l’Europe s’étend (sur le plan politique, stratégique, économique, moral, sociétal…) et plus le système en place qui s’estime menacé tente de stigmatiser toute alternative potentielle. A cette dynamique s’ajoute le fossé croissant entre les journalistes et leurs lecteurs qui n’est pas nouveau et se mesure à chaque article publié et ce de façon quasi-systématique. En France, pays qui n’est pourtant pas dans un état de russophobie médiatique aussi poussé que l’Allemagne, des experts ont tenté d’expliquer sociologiquement la raison de la profusion des commentaires pro-Poutine sur le net. Les commentaires de cet article valent du reste leur pesant d’or.
Le succès de la communication russe à l’étranger gène de plus en plus, au fur et à mesure que la narration russe découd la narration précédente. Certains imaginent même que les antennes de la chaîne russe pourraient devenirdes cibles militaires pour l’Otan comme cela fut le cas en 1999 contre la tour de la télévision d’Etat en Serbie. Pourtant regardons la réalité en face: la communication russe, hormis les exemples récents de Russia Today et des agences de type RIA Novosti ou Sputnik est encore relativement médiocre, et le prétendu soft-power russe reste assez peu efficace.
En revanche, la réalité de la Russie d’aujourd’hui, bien que le modèle russe soit encore très embryonnaire et très imparfait, semble convaincre un nombre grandissant de Français et d’Européens qui sont soit au contact de la Russie, soit arrivent à passer outre le blocage médiatique et la mauvaise foi qui accompagnent le traitement médiatique de la Russie d’aujourd’hui.
En France, toutes les bonnes âmes qui défendent la Russie voire la Russie de Poutine sont systématiquement accusées d’être des agents du Kremlin, que ce soit par exemple par des journalistes dont l’incompétence n’a d’égal que la mauvaise foi, comme on a pu le constater lors de la dernière visite du député Nicolas Dupont-Aignan à Moscou. Reçu à la chambre de commerce et d’industrie franco-russe par une communauté d’hommes d’affaires lui faisant part du piètre traitement journalistique de la Russie par les correspondants francais en poste à Moscou, ces derniers ont immédiatement et de façon hystérique dénoncé l’hypothétique main du Kremlin derrière ces simples critiques, émises pourtant par les plus éminents chefs d’entreprises français de Russie.
Cela en dit long sur les psychoses qui accompagnent le traitement d’opinions non négatives sur la Russie, systématiquement interprétées comme du « lobbying vénal » pour le compte du Kremlin. Les russophiles ont-ils l’obligation morale de ne pas être kremlinophiles?
Cette haine du leader russe, ainsi que de sa politique de puissance et de réappropriation de souveraineté, n’est pas uniquement le fait de la majorité des journalistes et commentateurs. Une autre catégorie existe: celle des militants politiques qui sont animés par une haine de la Russie de Poutine, soit par une passion historique pour l’Ukraine galicienne, catégorie que l’on trouve surtout en France et en Europe au sein d’une certaine galaxie nationaliste identitaire.
Ces blogueurs anonymes et autres activistes 2.0, dont l’activité a augmenté au cours de l’année 2014, se sont mis à attaquer agressivement et systématiquement les Français qui défendent la Russie. Aux insultes, menaces et mensonges se sont rajoutés de multiples mythes destinés à présenter tous les Français prônant la coopération franco-russe comme des « agents du Kremlin » occupant des positions économiques favorables en échange de leur action de promotion de la Russie et de son image, sur le modèle des écrivains communistes français à l’époque de l’URSS.
La ressemblance et le lien entre les deux ne s’arrête pas là.
L’activité de la plupart de ces sites et des agitateurs et commentateurs anonymes est peut-être à mettre en lien avec un événement bien inattendu: de sources proches du ministère français de l’Intérieur, il semble confirmé que la direction du Pravy Sektor, et on parle même de la présence de Andriy Paruby, se serait rendue par deux fois ces derniers mois en France, pour faire la tournée des milieux nationalistes les plus radicaux. A grands renforts de propositions de financements, Pravy Sektor chercherait-il à recruter des militants en vue de mener des actions violentes contre les intérêts russes en France et sans doute aussi contre les patriotes français russophiles?
De façon peu surprenante pour les lecteurs de Sputnik, les contacts se seraient notamment dirigés vers les mêmes soutiens que les ultranationalistes russes avaient trouvés en France lors des marches russes. Ces marches regroupaient on s’en souvient des ultranationalistes plutôt proches d’Alexeï Navalny et hostiles à Vladimir Poutine, dont certains combattent au côté de l’armée ukrainienne contre les fédéralistes pro-russes du Donbass.
Une alliance surprenante qui montre bien que ceux qui souhaitent à porter atteinte à la paix en Europe et à la relation franco-russe sont sans morale et n’hésitent pas à se servir de l’extrême droite pour atteindre leurs objectifs dans la région, comme ils le font avec les islamistes les plus fanatiques en Syrie ou via les minorités sociétales les plus radicales en Europe.
Le voyage des responsables ukrainiens en France a connu peu de succès, puisque les intéressés ont pu constater la forte russophilie des milieux patriotiques de droite français. Une tendance inverse à celle des milieux nationalistes polonais ou baltes, avec lesquels Pravy Sektor souhaite créer un arc stratégique régional antirusse correspondant au passage parfaitement aux objectifs néo-conservateurs pour la région. Des objectifs contraires aux intérêts supérieurs de la nation française et à ses impératifs prioritaires de souveraineté, puisque comme l’a très justement rappelé l’irremplaçable Jean-Pierre Chevènement: « Il n’y a pas d’indépendance de la France sans une Russie forte ».
Peu à peu, la réalité reprend cependant le dessus, et cette stigmatisation irrationnelle des milieux pro-russes dévoile son inefficacité tout autant que son inutilité et son ridicule.
Il n’y a en réalité pas plus de mystérieux agents du Kremlin que d’ours dans les rues de Moscou, mais il existe par contre des Français très russophiles qui ne supportent plus la dynamique de haine à l’encontre de la Russie, ce pays que nous aimons tant détester comme le dit Guy Mettan.
Malheureusement pour certains esprits malades et complotistes, aux visages masqués et pour certains visiblement payés en dollars ou grivnas, la grande majorité des patriotes franco-russes sont d’authentiques « fantassins idéologiques ». Ils ont rejoint la bataille de l’information de façon très majoritairement bénévole, avec conviction et en utilisant une arme essentielle dans ce combat pour la vérité: internet.
Ce sont eux qui gagneront à très court terme la bataille de l’information en cours, car la victoire appartient aux plus déterminés mais aussi et surtout aux plus sincères, à ceux qui avancent à visage découvert.