Les pressions de l’Union européenne et de Washington ont eu nous le savons finalement raison de la patience russe pour la construction du gazoduc South Stream, qui devait alimenter l’Europe du sud en gaz russe.
La décision de la Russie d’annuler le projet est une grande victoire américaine qui empêche ainsi une nouvelle artère de relier les organismes russes et européens. L’échec du projet South Stream, alors que ses jumeaux le North Stream (reliant la Russie a l’Allemagne) et le Blue Stream (reliant la Russie a la Turquie) sont en activité et prouvent leur efficacité sans aucun scandale ni disfonctionnement, est autant insensé qu’infondé tant politiquement qu’économiquement.
La manœuvre traduit la volonté de certaines puissances d’éviter que la Russie et la vieille Europe ne soient en contact direct sans le filtre de la nouvelle Europe dont les Etats sont devenus des satellites et des relais actifs de la politique américaine en Europe de l’Est et surtout dans le cadre de la politique de pression et de reflux menée contre la Russie sur ces frontières ouest et sud.
Moscou, qui cherche évidemment un débouché pour son gaz a fait une proposition plus qu’inattendue visant à remplacer South Stream par un projet du nom de Turkish Stream, qui vise à compléter l’actuel Blue Stream et livrer du gaz naturel via la mer noire a l’Europe et donc par la Turquie. Ce binôme technique Moscou — Ankara pour alimenter l’Europe pourrait se transformer en trinôme puisque la Grèce serait pressentie pour devenir le point de passage du Turkish Stream vers l’Europe par un tracé mais passant par la Macédoine, la Serbie et la Hongrie avant d’arriver vraisemblablement en Autriche pour être ensuite redistribué dans d’autres pays.
Le choix des pays qui hébergeront thermiquement ce nouveau corridor énergétique n’est pas un hasard:
— Il évite la Bulgarie, plausiblement sanctionnée pour avoir plié aux pressions américaines pour South Stream.
— Il comprend donc la Turquie, qui est intéressée a augmenter sa consommation de gaz russe et vendre à l’Europe tout en évitant l’Ukraine
— Il comprend aussi la Grèce et la Serbie considérés comme des alliés civilisationnels, historiques et régionaux par Moscou ainsi que la Macédoine par obligation géographique
— Enfin la Hongrie d’Orban qui est à ce jour un des rares pays de l’UE ne s’étant pas soumis aux politiques antirusses et de sanctions déployées par Bruxelles sur injonctions américaines.
Nul doute que ces pays ne seront dans un avenir proche soumis à de lourdes déstabilisations politiques comme cela a déjà commencé pour la Macédoine.
Dans le même temps, Bruxelles est de son coté en proie à une situation qui lui échappe désormais totalement sur le plan extérieur, avec le dossier ukrainien mais aussi sur le plan intérieur dans le cadre des négociations avec la Grèce.
Le premier coup de poignard que Moscou vient de lui infliger en lui « proposant » une dépendance énergétique avec une Turquie qui a été oubliée dans la file d’attente de l’intégration européenne pourrait théoriquement se doubler d’un second coup de poignard avec un soutien financier apporté par Moscou a Athènes, afin d’éviter un Grexit. Ce faisant, Moscou se trouverait dans une situation de négociation doublement renforcée lui permettant de peser dans la stabilité de la zone euro tout en se retrouvant par conséquence en position de force diplomatique sur les dossiers Turkish Stream et ukrainien.
Dans une formidable démonstration de l’absence de stratégie qui la caractérise, Bruxelles:
— Après avoir volontairement annulé South Stream qui lui était favorable, pourrait donc se retrouver contrainte de soutenir Turkish Stream, qui lui est beaucoup moins favorable, afin d’éviter un Grexit.
— Pourrait se retrouver les mains liées en Ukraine laissant Moscou et Washington se faire face ce qui n’augure rien de bon pour l’avenir ni le maintien du process de Minsk-2 qui rappelons-le est le résultat d’une discussion entre Paris, Berlin et Moscou, soit entre puissances continentales et européennes.
Moscou fait clairement une démonstration de force en déployant une politique sur la longue durée qui voit le renforcement des blocs germaniques (l’Allemagne avec North-Stream et l’Autriche avec Turkish Stream) et orthodoxes (Grèce — Serbie) tandis que l’union européenne semble elle de plus en plus fragile et sans stratégie, comme c’est manifeste sur le dossier ukrainien.
Mais surtout, la Russie relance activement une forme de multipolarité qui va à l’encontre totale du modèle de l’Union Européenne qui est supranational. Les discussions avec la Turquie d’un côté, la Grèce et la Serbie de l’autre montrent que la coopération bilatérale d’Etat à Etat, lorsqu’elle est menée avec une ferme volonté politique, permet le déploiement d’une politique puissance dont la Russie vient de faire une nouvelle démonstration, retournant à son avantage une situation pourtant mal engagée.