Le 9 mai n’est jamais une journée comme les autres en Russie, mais ceux qui ont pu vivre la journée du 9 mai 2015 dans les rues de Moscou ne l’oublieront sans doute jamais.
Alors que certains commentateurs disaient le président russe isolé, il était en tête du cortège et il portait une photo de son père.
Mais surtout, les spécialistes de la Russie et autres kremlinologues professionnels, au-delà du Poutine bashing, semblent être incapables d’interpréter le grand bouleversement historique qui est en train de se produire.
Alors que l’Europe et l’Amérique ont brillé par leur absence inexcusable c’est au final « seulement » 20 chefs d’états qui étaient présents parmi lesquels par exemple les chefs d’Etat chinois, indien, sud-africain, serbe, vénézuélien, vietnamien ou égyptien ainsi que le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon ou encore le président du Kazakhstan et initiateur de l’Union eurasiatique: Noursoultan Nazarbaïev.
Ceux qui étaient là ont pu assister au plus grand défilé de l’histoire de la Russie: rassemblant 16.000 soldats russes et 1.300 militaires étrangers, défilé clôturé par une incroyable parade aérienne.
Une preuve de plus que les élites russes entendent bien préserver et continuer à rendre vivante l’incroyable expérience historique et militaire qu’a été la résistance russo-soviétique durant la grande guerre patriotique.Pendant ce temps, l’Union européenne fêtait la journée d’une Europe de plus en plus remise en cause par les peuples de Londres à Athènes, la nouvelle Europe pro-américaine avait organisé sa propre commémoration du 8/9 mai sous patronage polonais, et le président français, lui, était parti en Guadeloupe pour inaugurer un grand mémorial sur l’esclavage. On a les dirigeants que l’on mérite.
Les nombreux gros plans des télévisions du monde entier sur un Vladimir Poutine entouré des présidents Kazakh et Chinois sont extrêmement lourds de sens et il y a toutes les raisons de penser que va s’accentuer dans un avenir proche l’intégration entre la Russie et l’Asie, une intégration organisée autour d’un binôme Moscou-Pékin puisque lors de sa visite le président chinois a confirmé qu’il était déterminé à investir lourdement en Russie.Cette nouvelle trajectoire historique est diamétralement opposée à celle qui se dessinait au début de la décennie lorsque la Russie semblait ouvrir une fenêtre sur l‘Occident puis sur l’Europe. Pour Dimitri Trenin du centre Carnegie le concept de grande Europe de Lisbonne à Vladivostok a fait place, dans les projets des élites russes, à un projet de grande Asie de Saint Petersbourg à Shanghai.
Alors que la fin de la guerre symbolise l’unité et la paix retrouvée en Europe, le 9 mai 2015 aura permis à tous de comprendre qu’une dynamique différente s’était mise en place et que la passion avait disparue des relations entre la Russie et les Etats européens pour faire face au mieux à un froid pragmatisme.Mais tandis que personne ne peut clairement établir la direction que prennent les nations européennes au sein d’une Union Européenne a la dérive, les élites eurasiatiques sont-elles visiblement très décidées à accentuer et accélérer le partenariat asiatico-pacifique.
Pour Moscou l’axe Paris-Berlin-Moscou semble devoir faire place à un axe Moscou-Astana-Pékin.
Avec ou sans l’Europe.