Les évènements à Kiev ne témoignent pas seulement de l’affaiblissement de l’Ukraine en tant qu’Etat, mais peut-être même de sa disparition en tant que nation, du moins telle que nous la connaissons aujourd’hui.
Zone faible et molle entouré de deux zones fortes et dures, la Russie et l’Ouest américano-centré sous contrôle de l’OTAN, l’Ukraine paye aujourd’hui tout autant le prix de l’exécrable gestion des élites qui s’y sont succédé au pouvoir depuis la chute de l’URSS que celui de l’ingérence américaine qui veut faire d’elle un fusible de l’OTAN au cœur de l’OTAN aux frontières russes.
Par une inévitable et implacable logique historique ressurgissent en ces temps troublés des lignes de fractures pourtant évidentes entre l’Ouest du pays qui n’a jamais fait partie de l’empire russe et fut annexé par l’URSS, et le reste de l’Ukraine qui au contraire a fait partie de l’empire russe. Ce reste de l’Ukraine qui est lui décomposable entre une Crimée historiquement russe et rattachée par accident à l’Ukraine en 1954, un Est et un Sud-est russophones et ouvertement pro-russe (ou se concentrent les troubles de ces derniers jours) et enfin l’Ukraine centrale avec Kiev qui, victime de sa croissance et d’une immigration de travail venue de l’Ouest du pays, a connu une profonde modification sociologique que l’on pourrait qualifier de galicisation politique, morale et politique.
La bataille d’influence qui se joue sur la pauvre nation ukrainienne traduit une nouvelle fois l’absence de politique étrangère de l’Europe (la Zerope disait un célèbre écrivain français exilé au Canada), dont les positions sont alignées sur celle de l’Amérique avec une déroutante symétrie. Pourtant malgré la prodigieuse propagande déployée pour nous y faire croire, il n’y a pourtant pas de coup d’Etat russe en Ukraine.
Les seuls coups d’Etats en Ukraine sont ceux de 2005 et 2014, le dernier portant le triste nom d’Euromaïdan malgré son modus opérandi conçu outre-Atlantique et ses objectifs dirigés contre la paix sur le continent. Des coups d’Etats fomentés par le département d’Etat américain avec l’intention claire et unique de séparer l’Ukraine de la Russie et donc la Russie de l’Europe. Pourtant nul ne peut aujourd’hui douter que les nations européennes seraient les grandes perdantes d’un conflit entre « l’occident » et la Russie, conflit qui les éloigneraient de cette dernière.
Le funeste Euromaïdan, qui a fait des dizaines de morts, s’est accompagné d’un double standard sémantico-médiatique odieux. Pour les journalistes français, lorsque des dizaines de milliers de casseurs attaquent l’Etat et l’ordre public en renversant le gouvernement et causent directement ou indirectement des dizaines de morts et des centaines de blessés, ces évènements sont des éruptions démocratiques et les manifestants sont europhiles ou pro-européens. Dans le même temps, des comportements similaires à l’Est du pays sont dénoncés comme une violation du droit et les activistes pro-russes qualifiés de terroristes (sic) alors même qu’on ne compte pas de victimes mais juste quelques blessés.
Nul ne peut plus aujourd’hui douter que cette ligne de fracture provoquée volontairement survient chronologiquement au moment précis où l’hémisphère Nord est sur le point de ce scinder en deux blocs : eurasiatique et atlantique, autrement dit russe et américain. Historiquement, dans la grande fâcherie qui pourrait survenir entre un Occident américano-centré et la Russie, la France et l’Allemagne porteront la lourde responsabilité historique du vide politique que la communauté européenne a manifesté.
Prions que les élites européennes, visiblement atones à ce jour, sortent de la torpeur dans laquelle elles semblent se trouver avant qu’il ne soit trop tard.