«Je ne crois pas, très franchement, que ce soit à M. Poutine de décider qui doit gouverner l’Egypte. C’est au peuple égyptien de décider».
Marie Harf. Porte-parole du département d’Etat (février 2014).
« Je ne pense pas que Klitsch [surnom de Klitschko] devrait être dans le gouvernement. Je ne pense pas qu’il soit nécessaire, je ne pense pas que ce soit une bonne idée (…) Je pense que Yats [surnom de Iatseniouk], c’est le gars. Il a de l’expérience économique et l’expérience de gouverner. C’est le gars. Vous savez, ce dont il a besoin, c’est que Klitsch et Tyahnybok restent à l’extérieur. »
Victoria Nuland, sous-secrétaire d’État des Etats-Unis (février 2014).
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Ainsi on vient d’apprendre que les Etats-Unis ont le droit d’ouvertement choisir et mettre en place les élites ukrainiennes pendant que les Russes n’ont eux pas le droit d’ouvertement soutenir un candidat en Egypte.
Apres avoir largement bénéficié du printemps arabe qui a vu la prise de pouvoir en Egypte de leurs alliés de fait, les frères musulmans, l’Amérique perd doucement la main sur la région. L’instabilité en Libye, le retour de l’armée en Egypte, la résistance syrienne, le jeu turc sont autant de cartes qui visiblement bouleversent et instabilisent l’agenda de Washington. Ces bouleversements laissent une place d’outsider inattendu à la Russie qui, via sa prudente diplomatie régionale, notamment sur l’affaire syrienne, entame son grand retour dans la région.
L’Ukraine est aussi au cœur de ce grand jeu qui renvoie à la lutte régionale entre l’Amérique et la Russie au cœur du Sud-Est de l’Europe.
Comme en 2005, les manifestations contre le président Ianoukovich (pourtant démocratiquement élu) nous ont été présentées au début comme spontanées et populaires même si les violences perpétrées par des casseurs et des radicaux nationalistes ont rapidement terni le mythe de manifestants souhaitant un « rêve européen » pour leur pays.
Les extraits de la conversation téléphonique entre la sous-secrétaire d’État des Etats-Unis Victoria Nuland et l’ambassadeur américain en Ukraine, l’arrivée en grande pompe sur Maïdan et du président déchu Michail Sakaachvili, affirmant que l’empire russe mourrait à Maïdan, mais également de Bernard-Henri Lévy (en photo sur les barricades) laissent peu de doutes quant à la sincérité des propos de la diplomate américaine sur l’Europe (« Fuck the EU ») et la réalité de l’agenda américain dans cette affaire.
Victoria Nuland a du reste jugé également bon de rappeler que les Etats-Unis d’Amérique avaient depuis 1991 versé près de cinq milliards de dollars en Ukraine pour soutenir l’intégration européenne du pays. Une intégration de façade destinée à masquer les objectifs réels de l’immixtion américaine: arrimer l’Ukraine à la sphère d’influence de l’Otan et empêcher un rapprochement stratégique entre la Russie et l’Ukraine et donc l’émergence d’un nouvel acteur régional puissant.
Si certains avaient des doutes sur les similitudes d’agendas et la totale soumission européenne à l’Amérique, cette affaire ukrainienne a au moins permis de lever leurs doutes.
Pourtant, en ce mois de février 2014, la contestation semble s’essouffler et nul doute qu’elle n’ait sérieusement pâti des bourdes de la diplomatie américaine. Celle-ci, par son arrogance (et sa maladresse ?) aura sans doute et également rendu un très grand service au président Ianoukovich. Un sondage effectué par l’institut Razumkov montrait que déjà à cette époque, 50 % des personnes interrogées soutenaient les manifestants occupant le centre de Kiev, pendant que 42 % s’y disaient opposés. Le 21 janvier, ce ratio était passé, selon l’institut Socis, a 47 % pour et 46 % contre alors que l’institut Rating lui affirmait que 48% des sondés étaient opposés au mouvement de contestation, contre 45 % y étant favorables.
Malgré trois mois d’Euromaidan, le président Ianoukovich serait toujours en tète en cas d’élection présidentielle avec 21 % des voix contre 20 % pour le boxeur Vitali Klitschko, 13 % pour l’oligarque Petro Poroshenko (proche de l’ancien président Victor Iouchtchenko) et 6 % pour Arseny Yasteniouk, proche de Ioulia Timoshenko. Si le président Ukrainien perd des voix (il avait obtenu 30% au premier tour en 2010), le cumul des voix de l’opposition au premier tour stagne, ce qui semblerait démontrer que l’opposition n’a pas, ou peu, en réalité bénéficié de cette crise.
L’aspect extrêmement hétéroclite de cette « opposition » de rue lui confère-t-elle un destin à la Bolotnaya en Russie ?
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