Cette Russie qui aime tant Poutine.

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Le Figaro magazine a récemment publié un article intitulé “Cette Russie qui aime tant Poutine“. Ça pourrait être du Latsa 🙂 !

J’applaudis et félicite le Figaro et surtout Veronika Colosimo, pour un article qui donne une image réelle de la Russie d’aujourd’hui et que je retranscris ci-dessous.

Cette Russie qui aime Poutine

Ils sont chefs d’entreprise, retraités, prêtres, médecins, intellectuels ou artistes et ils défendent leur Président envers et contre tous. Mais qui sont ces Russes qui plébiscitent Vladimir Poutine ?

N’en déplaise à ses ­détracteurs qui le décrivent comme botoxé, ringardisé, agrippé au pouvoir malgré une contestation croissante de sa légitimité, Vladimir Poutine a toujours le vent en poupe. L’année 2013 a été bonne pour le président russe, qui a enregistré un certain nombre de victoires, nationales et internationales, symboliques ou réelles. ­Sa cote de popularité reste au beau fixe, malgré les signes d’une économie en stagnation, un mécontentement croissant des élites et un divorce définitif avec la partie «libérale» de la société russe.

Mais qui compose cette majorité qui soutient, sans faillir, le locataire du Kremlin? Nombreux sont ceux pour qui Vladimir Poutine symbolise avant tout la victoire sur le chaos des «folles années 90», celles d’un capitalisme sauvage sans foi ni loi, ­synonyme de détresse matérielle et d’insécurité. Arrivé au pouvoir en 2000, Poutine a repris le pays en main et commencé à rendre aux Russes ce qu’ils avaient perdu les années précédentes:la sécurité, la stabilité, une fierté nationale. Mais ce qui leur manquait surtout, c’était une figure capable d’incarner le pouvoir. Depuis quatorze ans qu’il gouverne le pays, Poutine se manifeste comme l’homme du pouvoir absolu, l’autocrate, le tsar que les Russes postsoviétiques se sont mis à regretter…

Pour beaucoup, Vladimir Vladimirovitch est celui qui pourvoit aux besoins de ses concitoyens ; il est craint par les autres dirigeants, il est sur tous les fronts, il se confond avec le pays qu’il ­incarne, et entretient un rapport de complicité secrète avec le peuple. «Notre peuple a besoin d’une main de fer, comme le prouve notre histoire, explique Vladimir Barychov, un radiologue de 34 ans. Tous les grands bonds de développement ont été le fait de personnages forts comme Pierre Ier, qui a modernisé une Russie arriérée, ou Staline, qui a industrialisé un pays en ruine, en proie à la famine.»

Père Fiodor, jeune prêtre dans une église située au centre de Moscou, ne dit pas autre chose: «Pour notre peuple, l’idée de démocratie, de libéralisme, est étrangère, alors que nous comprenons l’idée de la concentration des pouvoirs. ­Notre peuple aime que le pouvoir soit entre les mains d’un individu ou d’un petit groupe.» Dans l’imagerie populaire, Poutine protège les faibles, redistribue les richesses et châtie les malfaiteurs. Dans un pays saigné à blanc par les oligarques qui manipulaient un Eltsine corrompu et alcoolique, il s’est lancé dans une croisade ouverte contre les nouveaux milliardaires russes, grands ­patrons industriels et financiers. L’arrestation et l’emprisonnement, en 2003, de Mikhaïl Khodorkovski (il vient d’être ­libéré après avoir purgé une peine de dix ans pour évasion fiscale à grande échelle, entre autres), à la tête de l’empire pétrolier Ioukos, fut l’emblème de la lutte du nouveau chef du Kremlin pour la récupération des richesses naturelles dont la rente fuyait irrésistiblement à l’étranger.

«Eltsine s’était entouré d’oligarques qui pompaient le pays sans payer d’impôts, poursuit Barychov. L’argent que Khodorkovski sortait du pays via ses manigances ne se retrouvait pas dans les caisses publiques. Ces volumes volés étaient tellement ­importants qu’ils représentaient un danger pour la sécurité de la Russie.» Chef de service dans un hôpital au sud de la capitale, le ­radiologue est convaincu qu’il existe un lien direct entre l’arrestation de ­Khodorkovksi – et, plus généralement, la mise au pas des oligarques – et l’augmentation des salaires des enseignants et des médecins.

«Le pays se développe. La démographie se redresse. J’ai un bon salaire, j’ai touché une prime à l’enfant et cette stabilité m’a poussé à en avoir un deuxième», conclut ­Barychov, tellement reconnaissant à Poutine qu’il est encarté Russie unie, le parti du pouvoir.

Le redressement de l’économie russe, ­ravagée par la crise de 1998, a commencé avant l’apparition de Vladimir Poutine, mais c’est à lui que l’on attribue l’essor économique des années 2000.

Pour Veronika Stein, 89 ans, ancienne professeur de littérature russe, Poutine a relevé la Russie de ses décombres.«Poutine a récupéré un pays dans un tel état de destruction qu’il n’y avait plus rien à détruire. Et il l’a relevé, il a ­remis en route l’industrie et l’agriculture, et toute l’économie, et les institutions», explique cette retraitée, dissidente à l’époque soviétique, qui regrette l’agressivité et l’ingratitude à l’égard du président de la part de l’intelligentsia moscovite, dont elle est ­issue. «Il n’existe pas de baguette magique pour restaurer immédiatement à partir de rien, trouver des spécialistes qui n’ont pas été formés. Tout prend du temps, et c’est Poutine que l’on accuse de lenteur. Mais que peut faire un seul homme pour un immense pays? Il est entouré de fonctionnaires dont une grande partie est corrompue. Clairement, certains de ses ordres ne sont pas exécutés», raisonne la vieille dame. Les ratages et atermoiements du pouvoir russe sont souvent imputés aux autorités locales, aux «mauvais boyards», aux fonctionnaires corrompus qui sabotent le travail du leader national. Poutine, lui, garde le beau rôle.

Dans les sondages, la cote de popularité du Président n’est pas indexée sur celle de son gouvernement ou de son parti, Russie unie, majoritaire à la Douma, et qui concentre depuis plusieurs années l’irritation ou la déception de la ­population. Paradoxalement, le désamour traditionnel des Russes pour les ­représentants du pouvoir contourne Poutine, qui reste au-dessus de la mêlée et de tout soupçon. «Poutine est devenu le garant de l’unité de la Russie, qui a toujours eu une tendance vers l’éclatement. Pour moi, c’est la principale menace pour notre pays», déclare le directeur des studios Mosfilm, Karen Chakhnazarov. En 2000, l’empire soviétique n’était plus, mais ce qui restait de la Russie menaçait d’éclater, avec une montée des nationalismes dans les républiques ethniquement non russes du Caucase du Nord, et une prise d’autonomie par les grandes ­régions, face à l’affaiblissement du pouvoir central. «

Il a empêché l’éclatement du pays, a trouvé une langue commune avec tous les leaders des républiques», explique Andrei Barychov, 29 ans, directeur exécutif d’une petite entreprise (IT) qui inscrit au nom des principaux succès de Poutine la deuxième campagne de Tchétchénie et le renforcement de la structure fédérale. ­ Durant les années 2000, et jusqu’à aujourd’hui, la rébellion tchétchène, indépendantiste puis islamiste, s’est étendue aux autres républiques du Caucase du Nord et s’est exportée au-delà, jusque dans la capitale, sous forme d’attentats ­kamikazes. Poutine a choisi de mener une guerre sans merci contre les terroristes, qu’il avait d’ailleurs promis, dès 1999, d’aller «buter jusque dans les chiottes».

Cohésion, unité, consolidation face à l’ennemi, autant de thèmes cultivés par le Kremlin.

Quand, au lendemain des législatives de 2011, plusieurs dizaines de milliers de Moscovites descendirent dans la rue pour contester un scrutin jugé frauduleux et crier leur rejet de Poutine, ce mouvement de contestation fut présenté par le pouvoir, et perçu par ses partisans, comme une menace, là encore, pour l’intégrité de la Russie.

«Il m’a semblé important, à ce ­moment-là, de prendre position ouvertement, c’était un moment de lutte politique acerbe en Russie, se souvient Chakhnazarov, qui a participé à la campagne présidentielle de 2012 en devenant l’un des “ambassadeurs” du candidat Poutine. J’ai décidé de le soutenir, en sentant une odeur de 1991… la déstabilisation, la destruction.» Un pays repositionné sur la carte morale d’une Europe en crise Vladimir Poutine a donc réussi à cimenter le pays de l’intérieur, sans pour autant ­négliger les intérêts de la Russie sur la scène internationale. Aujourd’hui, les relations avec l’Occident, et plus particulièrement les Etats-Unis, sont tièdes, ce qui n’est pas pour déplaire aux nostalgiques de la grandeur de l’URSS, une superpuissance redoutée par la moitié de la planète. Ce qui compte, c’est que la Russie soit redevenue un acteur essentiel sur l’échiquier mondial. Elle est de nouveau présente, et lourdement, dans tous les grands dossiers internationaux, de l’Iran au conflit israélo-palestinien.

A la satisfaction nationale, Poutine a «mouché» les Américains, ­empêchant in extremis une intervention militaire en Syrie en lui substituant une ­solution diplomatique de désarmement sous l’égide de Moscou. Et puis, il a fait un pied de nez aux Européens en retenant de justesse l’Ukraine, prête à tomber, pour son propre malheur, dans les bras d’un ­Occident considéré comme économiquement instable et moralement douteux. Car, au-delà de la géopolitique, la Russie entend également se positionner sur la carte morale d’une Europe en crise en tant que dépositaire des «valeurs traditionnelles».

«Poutine défend les valeurs qui sont ­importantes pour moi: les valeurs dites traditionnelles. Il s’agit surtout de la famille, du ­mariage, du patriotisme. Nous, les Russes, sommes intolérants par nature. Poutine ne craint pas de formuler ces principes. Et ce n’est pas du populisme, car lui aussi y croit», ne doute pas le père Fiodor.Ce père de huit enfants ­applaudit la résistance de Poutine face à la permissivité occidentale à l’égard des ­homosexuels. Du reste, les représentants de la très conservatrice Eglise orthodoxe russe ne sont pas les seuls à saluer les ­mesures restrictives introduites par le gouvernement à l’encontre des LGBT. La loi «contre la propagande de l’homosexualité», passée l’été dernier, qui assimile les gays aux pédophiles, est soutenue par près de 80 % des Russes.

Selon les sondages, tous les Russes qui soutiennent Poutine ne l’aiment pas pour autant. La majorité qui soutient Poutine est composite, et un bon tiers votent pour lui en l’absence d’une alternative politique. Pour eux, le statu quo est préférable, par défaut, même s’il ne les satisfait pas. L’inconnu est plus inquiétant et, somme toute, on peut s’accommoder même d’un pouvoir que l’on ne respecte pas totalement.

«Poutine est seul, constate Denis Volkov, de l’institut de sondages Levada. Il n’y a personne autour de lui. Le système est construit de telle sorte qu’il ne permet pas l’émergence de ­figures politiques convaincantes au sein de l’élite dirigeante. Ni pendant les élections, parce que les adversaires sont écartés. Ni à la télévision, qui a des consignes strictes de ne pas donner l’antenne aux concurrents.»

L’entrepreneur et informaticien Andrei Barychov, satisfait des conditions mises en place pour le développement des PME, mais néanmoins critique du pouvoir, a sincèrement été tenté par l’opposition: «Je suis allé aux manifs de l’opposition et j’ai écouté ses leaders. Ils savent haranguer une foule, mais ils n’ont jamais rien accompli de sérieux.»

Evidence: si les JO de Sotchi sont un succès, cette opposition risque bien d’attendre encore longtemps son tour avant d’entrer au Kremlin

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