Récemment divers articles sont venus rappeler l’existence d’un ancien projet géostratégique américain de grande ampleur, visant à remodeler le monde musulman via la modification des frontières existantes et la création de nouveaux Etats. Le projet, qui porte le nom de grand Moyen-Orient, a vu le jour au sein des analyses stratégiques américaines des années 50, mais a été mentionné en 2002 (le président Bush annonçant incidemment dans un discours à l’université de Caroline du Sud son intention de lancer une initiative de partenariat avec le Proche-Orient), puis en 2003 (discours du président George W. Bush à la NED) et enfin en 2004 lors du discours annuel du président sur l’état de l’Union.
Ce grand Moyen-Orient ne s’arrête pas en fait au Moyen-Orient actuel, mais s’étend tant au Caucase qu’à l’Asie centrale ou encore au Pakistan, à la Turquie et à certains pays d’Afrique noire. De quoi s’agit-il ?
Pour les stratèges américains en effet, l’ensemble du Moyen-Orient serait tiraillé par des dynamiques ethniques et confessionnelles qui remettraient en cause le tracé des frontières issues des accords Sykes-Picot. A cette fin, un plan de redécoupage de cinq nations devrait aboutir à la constitution de 15 nouvelles entités étatiques ou régionales, recomposées sur des bases ethnico-religieuses et donc transnationales, comme on peut le voir sur cette carte. Comme on peut le constater, il s’agit de créer des entités autonomes et homogènes, tant ethniquement que religieusement.
Ce projet de scinder cette hyper-région pourrait se faire, selon l’une des intellectuelles en pointe de cette réflexion, via notamment la création de trois cités-États que seraient Bagdad, Misrata et Djébel el-Druze, soit deux villes libyennes et une ville syrienne. On ne saurait mieux comprendre les obsessions occidentales (sous domination américaine) à détruire la Libye de Kadhafi et la Syrie d’Assad, pions essentiels mais surtout obstacles principaux à la réalisation de ce projet assez surprenant.
Celui-ci amène à se poser plusieurs questions.
On peut se demander où pourraient mener ces fragmentations d’Etats souverains et se poser la question de savoir si l’affaiblissement des États de cette région via le séparatisme pourrait faire le lit d’un fondamentalisme islamique dont on sait à quel point il peut être destructeur pour la région.
On peut aussi se demander quel est l’objectif souhaitée par les stratèges américains d’aller finalement modifier des frontières (certes imparfaites mais existantes) d’Etats souverains. Est-ce pour définitivement remettre en cause l’Ordre et l’état des choses imposés par les européens au siècle dernier suite au démembrement de l’Empire ottoman en remettant la Turquie, devenu l’allié américain dans la région, au centre du grand jeu ?
La volonté de se mêler du destin de pays appartenant a des zones d’influences d’autres puissances régionales (russes et chinoises en Asie centrale ou dans certains pays musulmans non alignés comme la Libye ou la Syrie) est elle une forme d’agression en velours pour porter atteinte à l’influence régionale de ces pays ?
Ce scénario semble de moins en moins improbable alors que le projet américain pour le Moyen-Orient et le monde musulman rappelle de plus en plus le démantèlement de la Yougoslavie, dont la fragmentation imposée sur des bases ethnico-religieuses a abouti à l’apparition de petites nations homogènes et pour le coup alignées, que l’on pense à la Croatie, la Slovénie ou encore plus récemment au Kosovo.
Dans ce contexte, la guerre en Syrie prend de plus en plus d’importance tant elle devrait avoir pour conséquence directe soit une perpétuation de ces processus, soit au contraire signifier leur coup d’arrêt. On comprend mieux dès lors pourquoi la guerre médiatique contre l’Etat syrien est aussi intense.