L’article original a été publie sur Ria Novosti.
*
Ce 25 novembre, le président russe Medvedev a brusquement, et finalement, changé de ton à l’égard des partenaires occidentaux de la Russie, et surtout de l’Amérique. En cause, l’échec des négociations sur le bouclier anti-missile, les États-Unis ayant refusé d’y intégrer la Russie, après diverses négociations qui ont piétiné pendant plusieurs mois. Mais ce n’est pas la seule raison. Le 22 novembre, les États-Unis ont annoncé qu’ils allaient suspendre certains engagements pris dans le cadre du Traité sur les forces conventionnelles en Europe. Ce traité prévoyait la limitation quantitative des armes conventionnelles en Europe et avait été signé en 1990 par des états membres de l’OTAN mais également du pacte de Varsovie. L’effondrement de l’URSS avait modifié la donne et pratiquement supprimé la raison d’être du traité qui était d’assurer un équilibre entre blocs en limitant les quantités d’armements conventionnels stationnés en Europe. En 1999, lors du sommet de l’OSCE à Istanbul, la Russie, la Biélorussie, le Kazakhstan et l’Ukraine ont ratifié une version modifiée du traité. En 2007, c’est Moscou qui a gelé sa participation arguant de “circonstances exceptionnelles mettant en péril la sécurité du pays”. Moscou souhaitait que les pays de l’OTAN ratifient la version adaptée du traité FCE qui ne privilégie plus la logique de coalition, mais tient compte de la nouvelle architecture de sécurité en Europe.
Ainsi, dès le lendemain, le président russe Dimitri Medvedev a chargé les forces armées du pays d’élaborer des mesures pour détruire, si besoin, les moyens d’information et de commande du système de défense antimissile américain. Le jour même, le porte parole du conseil de sécurité américain a affirmé en réponse que les plans américains en Europe sont inchangés, et que le bouclier serait pleinement opérationnel en 2018. Moscou s’oppose à ce projet, considérant que la mise en place d’un bouclier antimissile à proximité de ses frontières menace son potentiel stratégique, les missiles du bouclier étant prévus pour être disposés en Pologne, République Tchèque, Roumanie, Bulgarie et bien évidemment en Turquie. En clair au cœur de l’Europe de l’est, du nord au sud et le long des frontières Biélorusses et Ukrainiennes. Moscou a également menacé de se retirer du nouveau traité START (signé en avril 2010 par les présidents russe et américain, et entré en vigueur au début de cette année lors de la fameuse réunion du «reset » entre Hillary Clinton et Sergueï Lavrov) mais également de déployer des éléments offensifs dans l’ouest et le sud du pays, y compris dans l’enclave de Kaliningrad. Enfin la Russie pourrait autour de 2018 se retirer du traité ABM si elle ne trouve pas d’entente d’ici là avec les Etats-Unis à propos du bouclier anti-missiles.
C’est en 1999 que le président Clinton fit adopter le National Missile Defense Act par la Chambre et le Sénat des États-Unis. A l’époque il s’agit d’une loi qui permet au pays de construire un bouclier antimissile limité aussitôt que la technologie le permettra. Son successeur, le président Bush relancera le projet, et finalement, en 2008 le programme prévoit une centaine d’anti-missiles capables d’ intercepter une attaque de missiles balistiques qui proviendrait d’Eurasie ou d’« États voyous » tels que l’Iran ou la Corée du Nord. C’est Barak Obama, en 2009, qui réévaluera la menace en privilégiant la protection des intérêts américains en Europe, via le développement d’une défense antimissile destinée à protéger les pays européens de l’OTAN. Face à cela les russes ont proposé l’idée d’un bouclier intégré avec la participation de la Russie. Mais cette solution équivaudrait à attribuer a la Russie un pouvoir décisionnel certain au sein de l’alliance et donc en faire un quasi-membre de fait. Une solution que les stratèges américains ne semblent même pas envisager, jusqu’à ce jour.
Ainsi, et malgré tous les faux semblants, l’expansion américaine se poursuit vers l’Eurasie. Ce ne sont plus seulement les puissances euro-occidentales, dociles politiquement et empêtrées dans la crise économique, qui sont concernées. Il y a aussi les pays d’Europe de l’est, et ces anciens territoires du bloc soviétique que Donald Rumsfeld a pourtant qualifiés de « nouvelle Europe » en 2003. Une bien curieuse appellation alors que devrait visiblement s’installer un nouveau rideau de fer au cœur du continent, laissant le trio Russie-Ukraine-Biélorussie de l’autre côté d’une sorte de nouvelle ligne Maginot américaine. Bien sur les américains disent et répètent que ce déploiement militaire sur les marches occidentales de la Russie n’est pas dirigé contre le potentiel militaire de la fédération de Russie mais uniquement destiné à protéger l’OTAN et ses alliés d’une possible attaque iranienne.
Pour autant, ces nouveaux déploiements de missiles américains contrarient et inquiètent la Russie mais également la Chine. Conséquence directe, le représentant de la Russie auprès de l’Otan, Dimitri Rogozine a annoncé qu’il se rendrait en janvier prochain en Chine et en Iran afin de rencontrer à Pékin le ministre chinois des affaires étrangères et le commandement de l’état-major, et à Téhéran, le secrétaire du conseil suprême de sécurité nationale iranienne ainsi que des représentants de la diplomatie. Le programme de ces rencontres parait clair: évoquer la question du déploiement du bouclier antimissile américain. Cette tension est-ouest croissante a aussi un aspect maritime puisque les États-Unis ont décidé, dans le cadre de ce bouclier anti-missile, de déployer des navires militaires dans les mers septentrionales, complétant ainsi un encerclement complet de la Russie, via le nord (l’arctique), le sud (Turquie) et l’ouest (Europe centrale et Balkans). Moscou vient d’ailleurs de déclarer que cette présence militaire américaine en arctique menaçait directement les intérêts russes. On remarque qu’au sud, la Russie a commencé à déployer une petite flotte de navires de guerre en méditerranée orientale. Cette flotte va être rejointe par le porte-avions russe Amiral Kouznetsov.
En l’espace de quelques semaines, alors que l’occident est en pleine crise systémique, que ses principaux pays sont engagés dans de nombreux conflits militaires, les relations internationales ont pris une tournure relativement inquiétante faisant ressurgir un parfum de guerre froide. Plus que ça, la situation traduit bien l’impuissance des pays européens, coincés entre deux puissances, sans aucune marge de manœuvre et sans position bien précise sur les problèmes de sécurité. Il y aurait pourtant bien sur une solution, et elle a été proposé par le président Russe Dimitri Medvedev en 2008: la création d’une architecture européenne de sécurité, destinée à défendre uniquement et en priorité les intérêts de tous les états du continent, de Lisbonne a Vladivostok.