Bataille pour l’orient (4)

Et ailleurs dans le monde?
 
Après l’Eurasie et le monde arabe, dans quelle zone du monde peut-on s’attendre à une nouvelle révolution non violente? Le 15 février 2011 le sénateur Mc cain, candidat malheureux  à la dernière présidentielle a affirmé que « les évenements en Egypte allaient entrainer une croissance des mouvements vers la démocratie et les droits des individus et que cela devait être l’occasion pour les états comme la Russie et la Chine de réfléchir à leur modèle politique (…) Et qu’après le renversement de Moubarak, si j’étais Vladimir Poutine je me serais senti plus inquiet, assis au Kremlin avec mes amis du FSB ». Une menace non voilée qui n’a rien de surprenant lorque l’on sait les liens directs de Mc cain avec l’Iri, une des ONGs orange les plus actives. C’est en effet l’Iri qui s’est chargé de financer une grande partie des activités d’Otpor, et de l’organisation des séminaires au printemps 2002 sur les méthodes de Lobbying, de négociation et de communication. La belle Ioulia Timoshenko avait également prononcé des paroles similaires lors de la révolution Orange en Ukraine, sur la place principale à Kiev pour haranguer la foule des manifestants oranges.

Quand à G.W.Bush il avait affirmé en 2005 la volonté des Etats Unis d’exporter la démocratie dans les endroits les plus retirés du monde lors du sommet de Bratislava en 2005. A la fin de l’année 2010, Freedom House à établi un rapport sur l’état du monde et défini 4 pays cibles prioritaires dans lesquels la situation politique devait changer : la Russie, la Chine, l’Iran et l’Egypte.
Rien de surprenant à ce que les 3 pays restants soient visés à court ou moyen terme par des mouvements révolutionnaires non spontanés. La bataille pour l’influence en orient peut en outre se traduire comme une volonté américaine de ne pas laisser ses principaux adversaires chinois et russes gagner de l’influence dans cette partie du monde. Lors des manifestations de contestations en Syrie, des affiches et slogans hostiles à la Russie –et à la Chine- sont apparus. Cela n’est pas sans rappeler les émeutes en Iran en 2009, durant lesquelles des slogans très hostiles à la Russie cette fois avaient été scandés, des groupes Facebook avaientmême été créés pour dénoncer la Russie, comme le groupe « we hate Russia ».
Les violences (militaires et diplomatiques) entamées contre la Libye et la Syrie peuvent en outre être considérés comme des attaques indirectes de la Russie, tant ces deux états sont considérés comme des régimes non hostiles, voire amis de la Russie.
Pour Artachec Geyamian, président du parti arménien Unité-Nationale, ces évènements sont tout sauf anodins, ils représentent au contraire le premier pas vers une totale
réorganisation du monde et des frontières, sous le contrôle des etats-unis. Leur but est d’encourager tous les séparatismes et d’allumer des foyers de révolutions partout, afin de préparer la dislocation des grands ensembles, notamment de la Russie, via les séparatismes dans le caucase et en asie centrale, qui deviendront ensuite des modèles pour les différents peuples de russie. Le président russe Dmitri Medvedev avait justement au début de l’année lors d’un déplacement dans le Caucase russe rappelé que
« la situation dans le monde arabe secoué par des révoltes populaires risque d’aboutir à la désintégration de certains Etats » mais aussi que « Un scénario similaire a également été préparé pour la Russie mais ce scénario n’a aucune chance de réussir ».
Doit-on rapprocher ces propos du projet géopolitique de remodelage du moyen orient exprimé en 2003 par le président Bush lors d’une conférence dans les locaux de l’AEI ? Le projet s’appelle « grand moyen orient » et vise un vaste ensemble d’états (28 au total) dans le but de transformer le paysage politique et économique de cet ensemble et cela afin d’y favoriser l’implantation de la démocratie et la liberté.Bien sur ce grand jeu Amérique/Russie/Chine n’a pas commencé au moyen orient. Les révolutions de couleurs en Eurasie, qui ont échoué puisque tous les régimes qui en sont nés sont tombés hormis la géorgie. De plus on peut dire que le « front »
s’est plus ou moins stabilisé entre la Russie, l’UE, l’Otan et l’Amérique sur la façade ouest de l’Eurasie. La Chine et la Russie, par des contacts bilatéraux ont également plus ou moins trouvé des accords sur le point sensible des frontières pendant que leur coopération économique atteint des sommets. Il reste cependant un point de conflit éventuel entre ces 3 pays en Asie centrale. La présence américaine dans le trou noir afghan, l’influence grandissante de la Chine dans la région et la volonté de Moscou de ne pas s’en faire déloger laissent penser que le risque est relativement grand de voir des secousses oranges déstabiliser  certains pays, comme cela a été le cas au Kirghizistan en 2005 avec la révolution des Tulipes.
 
Et maintenant ?
 
On peut se demander pourquoi le régime égyptien a été abandonné, alors qu’il était loyal et fidèle à Washington. Quel aurait été l’intérêt de l’Amérique à sacrifier ce pion en quelque sorte? Une réponse est apportée par Eric Denécé, directeur du Centre français de recherche sur le renseignement (Cf2R), et ancien du renseignement.
Pour lui les « conférences organisées sous l’égide d’ONG américaines, comme Freedom House, l’International Republican Institute ou Canvas, et où étaient présents la plupart des blogueurs et des leaders de ces mouvements, ont créé un contexte favorable aux révolutions. Le processus était le même que celui qui a précédé le  démantèlement de l’URSS, la Révolution serbe, la Révolution orange en Ukraine ou encore celle des Roses en Géorgie ».
D’autre part « De telles contestations populaires ou étudiantes dans les pays arabes se produisent régulièrement, mais elles sont à chaque fois réprimées par l’armée et la police. Pour la première fois, l’armée s’est désolidarisée de la police, en refusant de réprimer les soulèvements en Tunisie comme en Égypte, et les mouvements ont été observés par la presse internationale. Mais surtout, dans la semaine précédant les événements, les plus hauts représentants des armées de Tunisie comme d’Égypte se sont rendus à Washington, qui assure l’essentiel du financement de l’armée, pour obtenir le feu vert des États-Unis à un renversement des dirigeants. Ils ne supportaient plus la prédation des clans au pouvoir. »« Il n’y a pas de renouvellement d’élites, la nouvelle équipe au Caire comprend le chef d’état-major de l’armée ainsi que l’ancien chef du service des renseignements, et s’est immédiatement engagée à respecter les accords internationaux signés, notamment les accords de Camp David auxquels est hostile une large partie de la population. « Quand au nouveau gouvenement de Tunis, il comprend en majorité des collaborateurs de l’ex-président Ben Ali. (…) Ces révolutions sont donc un renouvellement des classes dirigeantes qui ont, avec l’accord de Washington, organisé des coups d’État en douceur, en profitant d’une vague de contestation
populaire qu’elles ont intelligemment exploitée.
Ainsi, leur arrivée aux affaires bénéficie en apparence d’une grande légitimité et donne le sentiment d’une rupture profonde avec le régime précédent. La situation est en réalité bien différente ».
« Washington encourage et appuie les armées d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient pour qu’elles évoluent vers un rôle « à la turque » : c’est-à-dire qu’elles n’occupent pas le pouvoir – sauf cas de force majeure – mais soient les garantes de la stabilité du pays contre l’islamisme, qu’elles contribuent à la stabilité régionale et qu’elles ne manifestent pas d’hostilité réelle à l’égard d’Israël. »
*
Le basculement de l’armée est en effet dans tous les états la condition sine qua non de l’effondrement du politique pouvoir. Cela a été le cas en Serbie, ou l’armée n’a pas empêché les manifestants de prendre l’assaut le parlement, mais également en Egypte. Bien sur dans tous les états, les conditions étaient réunies pour  une explosion.  Les groupes cités de jeunes activites ont principalement eu le rôle d’allumer le brasier puis de l’attiser. Il faudra désormais l’éteindre alors qu’en Egypte, l’armée peine à refaire
revenir l’ordre et en début de ce mois d’aout 2011 tente de déloger les derniers manifestants de la place Tahir. Le facteur islamiste et la position des frères musulmans forment une équation complexe. Une aggravation de la situation économique du pays leur serait sans doute électoralement favorable, à la veille d’élections législatives qui devraient être reportées à la fin de l’année. Les Frères Musulmans viennent il y a quelques jours de procéder à une démonstration de force via une manifestation monstre aux côtés des Salafistes, sous les slogans comme « il n’y a pas d’autre Dieu que Dieu » ou « l’Égypte est islamique ». Des incidents ont du reste éclaté, l’armée accusant des “acteurs étrangers” de fomenter des troubles en manipulant les manifestants. Le mouvement du 6 Avril a rejeté ces accusations, tout comme le parti Liberté et justice
créé par les Frères musulmans. Néanmoins on voit mal comment le pays pourrait échapper à plus ou moins long terme à une prise de pouvoir des frères musulmans, sans recourir à une solution à la Turque c’est-à-dire avec une armée prédominante.
C’est dans cette logique qu’il faut éxaminer les autres évenements au proche orient, comme première étape d’un remodelage géographique, politique et sans doute  structurel, qui s’accompagnera sans doute d’une pluie de subventions occidentales. Cela afin de brider les vélléités islamistes radicales, mais surtout pour permettre à l’équilibre géopolitique précaire de la région de ne pas vaciller.Le procès de Moubarak devrait permettre à l’Egypte de tourner la page d’une époque, mais l’avenir est bien
incertain, et le pays est désormais sous le regard de tous ses voisins arabes qui le tiennent pour modèle.

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