Kazan l’orientale

L’article original a été publié sur le site de Ria Novosti

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Parmi les villes atypiques en Russie qu’il faut absolument visiter, je pense que Kazan est définitivement en tête de liste. Kazan, il faut bien le reconnaître, n’est pas une ville comme les autres. Elle n’est pas seulement la capitale du Tatarstan, cette incroyable province d’Eurasie qui a une histoire riche et ancienne.
Kazan est plus que cela, elle est au 21ème siècle un miracle d’harmonie, de fusion et de paix, a l’heure ou les tensions inter-communautaires et interreligieuses empoisonnent la vie dans bon nombre de pays, en Europe et ailleurs. Le Tatarstan se situe à l’est de Moscou, sur les rives de la Volga, juste avant l’Oural, c’est-à-dire près de cette frontière que certains attribuent à tort à l’Europe. L’histoire de la région est complexe, elle est bien à l’image assez incroyable de ce qu’est le Tatarstan d’aujourd’hui. La province est ancienne, vraisemblablement créée par les Bulgares de la Volga, ce peuple qui migra des rives de la mer noire pour constituer un état organisé dès le 8ème siècle sur le territoire de l’actuel Tatarstan.
L’islam s’y implante au 10ème siècle, introduit par des missionnaires du proche orient, mais les autres religions continueront d’y être pratiquées. En 1238 l’invasion des mongols de la horde d’or détruit définitivement la Bulgarie de la Volga. Le Khanat de Kazan est créé en 1438, il perdure un peu plus d’un siècle, jusqu’en 1552, date à laquelle le tsar russe Ivan le Terrible annexe la région et fait du Tatarstan une province russe. Symbole de cette conquête militaire, la fameuse église Sainte Basile, construite devant le Kremlin de Moscou et qui est encore considérée aujourd’hui comme un des symboles de l’architecture russe.
Ainsi, depuis 1552, les histoires du Tatarstan et de la Russie ne font plus qu’une. Depuis prés de 5 siècles le Tatarstan est donc une province russe. Comme la Carélie, dont elle est une sorte de miroir inverse, le Tatarstan a le statut de république. Comme sa cousine du nord, elle représente l’exemple de l’unité administrative la plus décentralisée possible au sein de la fédération de Russie. Les républiques russes sont en effet des entités très autonomes, ayant leurs constitutions, leurs présidents et même leurs langues officielles. A ce titre au Tatarstan tout est écrit en tatar et en russe.


Parmi toutes les républiques de la Fédération de Russie, le Tatarstan est sans doute celle qui représente et symbolise le mieux l’aspect pan-eurasiatique et multiculturel de la Russie d’aujourd’hui. Le Tatarstan est une république mosaïque dans laquelle cohabitent nombre de peuples et de religions. Les Tatars ethniques sont 50% de la population, les russes 40%, mais de nombreuses autres minorités y résident:Tchouvaches, Oudmourtes, Ukrainiens, Maris, Bachkires, Azéris, Biélorusses, Arméniens ou encore des minorités juives. Cette diversité ethnoculturelle traduit toute la réalité et la variété de la steppe.

 

La visite de Kazan, capitale du Tatarstan, déclenche en général une avalanche d’étonnements, de sentiments et de sensations aussi contradictoires qu’inattendus. La ville a bien sur sans doute beaucoup changé depuis que ses premiers colons sont venus s’y installer il y a plus de 13 siècles. Kazan est une ville en travaux, comme toutes les villes de la Russie d’aujourd’hui. Les immeubles neufs côtoient les vieilles maisons en bois, symbole de la cohabitation entre l’ancien et le nouveau monde. La modernité s’installe, les infrastructures se développent, notamment le magnifique métro, inauguré en 2005 pour les 1.000 ans de la ville. Le centre ville de Kazan est traversé par une artère piétonne, qui mène au Kremlin. C’est un ensemble architectural unique en Russie, mais aussi unique au monde. La mosquée Qolcharify, plus grande mosquée d’Europe, y trône à côté de la cathédrale de l’Annonciation. Ce Kremlin exceptionnel est d’ailleurs au patrimoine mondial de l’Unesco. Il est le cœur d’une ville qui est totalement multiculturelle et multiethnique, dans laquelle on peut voir un centre islamique, 41 mosquées, 26 églises orthodoxes, mais également des églises catholiques, protestantes, une synagogue, un centre pour la consécration de Krishna et même un centre de prière du Bahaïsme!
 
Assis en terrasse dans le centre ville, le visiteur a du mal à distinguer les différentes influences, asiatiques, orientales et Slavo-chrétiennes, mais également postsoviétiques, tant elles semblent imbriquées et fusionnées. Observer la foule qui passe dans la rue permet de faire des observations étonnantes. L’été à Kazan  apporte  quelque chose de nonchalant, on s’y sent à mi chemin entre l’Asie et l’Europe, ou plutôt entre l’Europe et l’orient. Kazan pourrait faire penser à Sarajevo, mais sa variante eurasiatique est bien particulière. La fusion des identités ethno-religieuses ne semble aucunement porter atteinte aux traditions russes, par exemple sur le plan vestimentaire. Il n’est pas rare de croiser, par exemple, deux jeunes femmes musulmanes marchant ensemble, l’une en foulard et l’autre en minishort.
Kazan est l’avant-poste des polémiques vestimentaires, mais visiblement, sans que cela ne crée aucune tension visible. Les deux communautés principales de Kazan, Tatars et Russes, semblent vivre paisiblement leurs différences et leurs identités culturelles et religieuses, sans se les  opposer, ni les imposer à leurs voisins. Depuis 500 ans bien sur, on imagine que toutes les communautés ont appris à vivre ensemble. Cette harmonie est du reste assez visible via le grand nombre de familles mixtes, qui vont au contraire de la communautarisation des peuples, du Tatarstan. En 2009, Hillary Clinton a d’ailleurs visité le Tatarstan pour s’inspirer des méthodes de cohabitation harmonieuse entre communautés. Elle a qualifié cette république russe de “modèle de cohabitation entre ethnies et religions différentes”, déclarant même son intention de consulter le président de l’époque Mintimir Chaïmiev sur les méthodes employées au Tatarstan pour régler  d’éventuels conflits intercommunautaires.
 
La ville n’est pas seulement une vitrine de paix et d’harmonie humaine. Un récent rapport économique d’Ernst et Young affirmait que Kazan était l’une des villes les plus propices au business en Russie. Symbole de cette réussite, la Fédération internationale du sport universitaire (FISU) a retenu, Kazan, pour l’organisation de l’Universiade d’été de 2013, une compétition internationale universitaire multisports organisée par la Fédération internationale du sport universitaire.
Clin d’œil d’actualité et à l’image de la réussite du Tatarstan, la devise de la République est: “Bez Buldırabız! (We can!)”.

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