Bataille pour l’Eurasie (2)

 Cet article a été publie originellement dans le second numéro de la revue perspectives libres

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Doctrines géopolitiques, non violence et ONG humanitaires

Après le second conflit mondial, l’Europe est donc divisée en deux par le rideau de fer,  l’URSS considérée comme principale puissance capable de dominer l’Eurasie, et les ligues  prométhéennes qui souhaitent son implosion en divers états sont soutenues par la CIA. Les stratèges US vont alors appliquer à la lettre les enseignements géopolitiques de leurs  idéologues en tentant de ceinturer la Russie par un réseau d‘états tampons leur permettant de continuer à avancer en Eurasie. Ce réseau sera constitué d’une façon tout à fait novatrice : Organiser la contestation de régimes de façon non violente et faussement spontanée, au moyen d’un réseau parfaitement organisé. A cette fin, une série d’associations et ONG vont être créées. Présentées comme des relais de la démocratie, elles sont surtout les relais politiques de l’Amérique au sein d’états jugés peu fiables et non démocratiques, à savoir les pays qui n’appartenant pas à l’alliance occidentale, appartenaient généralement au groupe des non alignés. Le concept est donc ancien, il date des années 80, en pleine guerre froide. Il va se développer dans une kyrielle d’ONG que le gouvernement Reagan a financées pour affaiblir et contrer l’influence Soviétique.

 

Les principales sont l’USAID[1], ainsi que l’USIP[2], ou encore la NED[3], qui est une école de cadres pour le monde entier, et qui gère elle-même de nombreuses associations libérales de promotion des valeurs démocratiques. Il y a aussi l’Institute for the Study of URSS ou l’American Comitee for Liberation of Bolchevism[4] auxquelles ont contribué des leaders Prométhéens après le second conflit mondial. On peut citer l’institut Aspen[5], la Jamestown fondation[6] ou encore le comité pour la paix dans le Caucase[7], qui a organisé, financé et soutenu le Jihad contres les Soviétiques en Afghanistan. Ce comité est une émulation de Freedomhouse[8], cœur du système, fondée en 1941 pour contrer l’influence nazie et qui évoluera plus tard vers l’anti soviétisme. La liste ne saurait être complète sans la Fondation Héritage[9], fondée en 1973, arme de la doctrine Reagan antisoviétique et aujourd’hui l’un des principaux think-tanks conservateurs américains. Le réseau Open Society[10] de Georges Soros, destiné à promouvoir la liberté et la démocratie dans le monde postsoviétique, via un certain nombre d’associations sous traitantes. Enfin l’AEI[11] qui a été l’un des architectes majeurs des politiques néoconservatrices de l’administration Bush. L’AEI est souvent citée, aux côtés de l’Heritage Foundation[12], comme étant la contrepartie de droite du think tank libéral Brookings Institution[13].

 

L’Albert Einstein Institute[14] est une organisation particulièrement intéressante, puisque son fondateur Gene Sharp[15] est également l’auteur du livre De la dictature à la démocratie, véritable manuel de l’action non violente et qui sera utilisé par la plupart des organisations de jeunesses financées par ces ONG pour renverser les gouvernements visés. Gene Sharp a politisé les techniques d’action non violente dans le contexte du renouveau de la guerre froide pour préparer une éventuelle résistance en Europe en cas d’invasion de l’armée rouge. Ce philosophe assez peu connu à publié de 1985 à 2005 de nombreux ouvrages sur ces techniques de résistance non violente. Dès 1987 il a dispensé des formations au sein de l’OTAN. Il est à noter que l’implication de Robert Helvey[16], ancien responsable de la CIA dès les années 90 permettra à l’institut de disposer de financements abondants de l’International Republican Institute (IRI), un think-tank proche du parti républicain et également l’une des quatre branches de  la National Endowment for Democracy (NED). Ces théories sont à mettre en parallèle avec celles les activités de l’ICNC[17] dirigé par Peter Ackerman[18]. Ce dernier affirme la supériorité tactique de l’action non violente dans le cadre globalisé de la société de l’information[19]. C’est lui également qui va développer l’idée de jeux vidéos avec scénarios basés sur des théâtres d’opérations réels ou supposés (à venir) de ces révolutions. Ainsi les théories de Sharp et Ackerman sont les pierres angulaires du système de désinformation globale et de guerre de l’opinion, essentiel pour déclencher les révolutions non violentes. Ce soft power axé sur la communication par internet, le journalisme citoyen et les réseaux sociaux permet aisément la diffusion massive de messages invérifiables qui jouent sur le spontané. Par ses techniques novatrices et de soft power, la révolution non violente est donc à comprendre dans toutes ses facettes: les démonstrations de rues des révolutions de couleurs, l’utilisation des réseaux sociaux pour déstabiliser des états ou encore la guerre de l’information, voire la cyber-guerre, également non violente. On peut affirmer que peu d’observateurs ont réalisé l’importance des financements et l’ampleur de l’activité de toutes ces organisations, think tanks et ONG. De même, peu d’observateurs ont compris leur origine commune au sein d’un dispositif unique, à visée géopolitique.

 

Les révolutions de couleur aux frontières dela Russie

 

A la chute du mur de Berlin, le rideau de fer se déplace vers l’est. Le reflux de l’influence Soviétique et donc de la Russie va indirectement servir les visées géopolitiques Atlantistes. L’extension superposée de l’Otan et de l’Union Européenne crée une nouvelle division de l’Europe. Cette satellisation de pays Est Européens par l’OTAN, a fait d’une partie de l’Europe orientale une tête de pont de l’Amérique pour attaquer l’Eurasie[20] selon l’expert en géopolitique Italien Tibério Graziani. En septembre 1997, l’un des plus influents politologues Américain, Zbigniew Brzezinski[21] publie un article[22] sur la géopolitique de l’Eurasie et le maintien du leadership Américain qui passe selon lui par un découpage de la Russie en trois états distincts regroupée sous l’appellation “Confédération Russe“. Brzezinski  propose ce découpage dans le but de libérer la Sibérie Occidentale et sa voisine Orientale de la mainmise bureaucratique de Moscou tout en affirmant dans son ouvrage essentiel[23] qu’ainsi (et surtout) ” la Russie serait moins susceptible de nourrir des ambitions impériales”, et donc d’empêcher la prise de contrôle de l’Amérique en Eurasie. Également, dans la sphère d’influence Russe et près de ses frontières, certains alliés traditionnels de la Russie, réfractaires à l’extension de l’Otan, ont eux aussi résisté à cette Otanisation. Ces états, stratégiques tant politiquement que géographiquement seront donc les cibles de ces coups d’états démocratiques que l’on a appelé les révolutions de couleurs.

 

Serbie en 2000, les réseaux Soros, l’Open Society, Freedom House et  la NED organisèrent de grandes manifestations entre les deux tours de la présidentielle de l’année 2000. Soutenue par les nationalistes (comme ce sera le cas en Ukraine), la révolution a pris le nom de révolution des bulldozers[24] car des milliers de mineurs utilisèrent des bulldozers pour prendre d’assaut la capitale et le parlement et ce sans attendre le résultat des élections, ce qui en dit long sur le caractère démocratique de cette révolution. Le nouveau gouvernement nommera un premier ministre qui sera ensuite assassiné pour avoir livré Slobodan Milosevic au Tribunal Pénal International, ou ce dernier mourra avant son jugement. Les troupes Américaines installeront la base militaire Bondsteel[25] au Kosovo et achèveront de faire de cette province Serbe un état indépendant qui n’est toujours pas, 10 ans après, reconnu par la majorité des pays membres de L’ONU. En 2010, alors que le pays tente péniblement de négocier l’adhésion à l’UE, la situation économique est catastrophique et le pouvoir affaibli ne peut penser gagner les prochaines élections.

 

Géorgie en 2003, selon le schéma classique, l’opposition dénonce des fraudes électorales lors des élections législatives et descend dans la rue. Les manifestants contraignent le président Edouard Chevardnadze à fuir puis prennent le pouvoir. C’est la révolution des roses[26]. Son successeur Mikhaïl Sakashvili ouvre le pays aux intérêts économiques Américains et Occidentaux, et pense adhérer à l’OTAN et l’UE. Bien sur il rompt avec le voisin russe. 5 ans plus tard, en août 2008, Sakashvili bombarde la population d’Ossétie du Sud, tuant de nombreux Ossètes, dont la plupart ont la double nationalité russe et géorgienne, ainsi que des soldats Russes du maintien de la paix sous mandat de l’ONU. Moscou riposte et repousse l’offensive militaire géorgienne, qui avait été appuyée par des instructeurs Américains et Ukrainiens. Bilan : le pays est dévasté. Les élections de 2008, ayant vu la réélection du président Sakashvili, ont été très critiquées car jugées peu démocratiques.

 

Ukraine en 2004 : L’élection présidentielle en Ukraine oppose Victor Ianoukovitch à Victor Iouchenko et Ioulia Timoshenko, ces derniers ayant le soutien de l’Ouest et de la communauté internationale. Dès la clôture du scrutin, des résultats divergents sont publiés et des milliers d’Ukrainiens se regroupent sur la place centrale de Kiev ou Viktor Iouchenko appellera à la résistance non-violente contre la dictature. L’OSCE et Freedom House condamneront les falsifications électorales pendant que Vladimir Poutine et Loukachenko reconnaitront eux la victoire du candidat désigné vainqueur par la commission électorale Ukrainienne, à savoir Victor Ianoukovitch. Après 15 jours de manifestations savamment organisées réunissant les mouvements libéraux et l’extrême droite, avec une forte pression médiatique (OSCE, OTAN, Conseil de l’Europe, Parlement européen..) le résultat des élections sera finalement annulé et un troisième tour organisé qui verra la victoire du candidat de l’ouest, Viktor Iouchenko. C’est la révolution orange[27]. Après un mandat, le pays est ruiné, le président Iouchenko ne sera pas réélu en 2009, obtenant moins de 5% des voix. Sans grande surprise, c’est Victor Ianoukovitch qui l’emporte, pendant que l’égérie de la révolution Orange et des occidentaux, l’ultra nationaliste Ioulia Timoshenko est accusée de corruption.

 

Kirghizstan 2005 : l’opposition kirghize conteste le résultat des élections législatives et amène à Bichkek des manifestants du Sud du pays qui renversent le président Askar Akaïev. C’est la révolution des tulipes[28]. L’Assemblée nationale élit comme président le candidat pro Américain Kourmanbek Bakiev qui cumulera les postes de président et premier ministre. Lorsque la situation est stabilisée, Bakaiev vend les quelques ressources du pays à des sociétés US et installe une base militaire US à Manas. Accusé de corruption et d’avoir laissé s’aggraver la situation économique, Bakiev est chassé du pouvoir par une nouvelle révolution populaire en 2010[29].

 


[1] http://en.wikipedia.org/wiki/United_States_Agency_for_International_Development

[2] http://fr.wikipedia.org/wiki/Institut_des_%C3%89tats-Unis_pour_la_paix

[3] http://fr.wikipedia.org/wiki/National_Endowment_for_Democracy

[4] http://en.wikipedia.org/wiki/American_Committee_for_the_Liberation_of_the_Peoples_of_Russia

[5] http://fr.wikipedia.org/wiki/Institut_Aspen

[6] http://en.wikipedia.org/wiki/The_Jamestown_Foundation

[7] http://www.freedomhouse.org/template.cfm?page=66&program=75

[8] http://www.freedomhouse.org/

[9] http://fr.wikipedia.org/wiki/Heritage_Foundation

[10] http://en.wikipedia.org/wiki/Open_Society_Institute

[11] http://fr.wikipedia.org/wiki/American_Enterprise_Institute

[12] http://fr.wikipedia.org/wiki/Heritage_Foundation

[13] http://fr.wikipedia.org/wiki/Brookings_Institution

[14] http://fr.wikipedia.org/wiki/Albert_Einstein_Institution

[15] http://fr.wikipedia.org/wiki/Gene_Sharp

[16] http://www.aforcemorepowerful.org/films/bdd/story/otpor/robert-helvey.php

[17] http://en.wikipedia.org/wiki/International_Center_on_Nonviolent_Conflict

[18] http://en.wikipedia.org/wiki/Peter_Ackerman

[19] Patrice Vidal – Dans l’arrière cour de Moscou

[20] http://www.geostrategie.com/1490/les-etats-unis-utilisent-l%E2%80%99europe-comme-tete-de-pont-pour-attaquer-l%E2%80%99eurasie

[21] http://fr.wikipedia.org/wiki/Zbigniew_Brzezi%C5%84ski

[22] http://www.comw.org/pda/fulltext/9709brzezinski.html

[23] Le grand échiquier page 56

[24] http://fr.wikipedia.org/wiki/5_octobre_2000_en_Serbie

[25] http://fr.wikipedia.org/wiki/Camp_Bondsteel

[26] http://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9volution_des_Roses

[27] http://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9volution_orange

[28] http://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9volution_des_Tulipes

[29]http://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9volution_kirghize_de_2010

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