Cet article a été publié originellement sur Ria-Novosti
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Le président Medvedev a déclaré à Vladikavkaz ce 22 février 2011 que: “La situation dans le monde Arabe, qui est secoué par des révoltes populaires risque d’aboutir à la désintégration de certains Etats (…) Un scénario analogue a également été conçu pour la Russie, mais il a échoué”.
Beaucoup de lecteurs m’ont demandé à quel scénario le président faisait allusion, en me renvoyant aux propos de l’opposant Boris Nemtsov qui, interrogé par la presse française, affirme tout simplement que “Poutine finira comme Ben-Ali”. Quelques années après la désintégration de l’union soviétique, le morcellement de la Russie en trois entités nationales distinctes a été envisagé par quelques idéologues américains parmi lesquels Zbigniew Brzezinski. Dans son livre “le grand échiquier”, publié en 1997, Brzezinski décrit un projet de management général de la planète par l’hyper puissance américaine. Conformément aux thèses géopolitiques Anglo-saxonnes des maitres géopolitiques que sont Mackinder ou Spykman, Brzezinski considère c’est dans le Heartland (partie centrale de l’Eurasie) que se trouve la clé du pouvoir mondial.
Il imagine donc de faire de l’Asie centrale, autour d’une “nouvelle route de la soie”, un protectorat américain, en écartant la Russie et en s’appuyant sur la Turquie, pion essentiel de l’OTAN dans cette région. Il imagine ainsi une mainmise américaine sur les ressources énergétiques de cette zone, le remodelage de tous les projets d’oléoducs de la région Asie centrale Caucase, et parallèlement, un élargissement massif de l’OTAN en Europe orientale et balkanique, jusqu’au frontières ouest et sud de la Russie. Dans ce projet, l’union européenne devient une simple tête de pont américaine en Eurasie, la puissance et le territoire russes sont réduits au minimum, et la culture dominante américaine dirige un monde unipolaire. Je recommande la lecture de ce livre hystérique qui aurait pu être sous titré : “Docteur Folamour: le retour” ou “Prologue pour une troisième guerre mondiale”. Bien sur les temps ont changé, mais pas réellement les obsessions de ce stratège démocrate, puisqu’une version à jour du grand échiquier est sortie en 2004 intitulée: “le vrai choix”.
C’est peut être à ce projet d’asphyxie de la Russie que le président Medvedev a voulu faire allusion dans sa déclaration de Vladikavkaz. Une partie des projets envisagés dans l’ouvrage de Zbigniew Brzezinski s’est concrétisée dans les évènements qui ont frappé certains pays de la zone postsoviétique, notamment la Serbie en 2000, la Géorgie en 2003 et l’Ukraine en 2004. A l’époque, on a parlé de “révolutions de couleurs” pour décrire ces évènements qui furent présentés comme des manifestations populaires démocratiques et spontanées. On sait maintenant que les révolutions de couleurs ne furent en fait que des coups d’états démocratiques, spontanés en apparence seulement, organisés de l’extérieur pour faire tomber des régimes jugés fragiles, via une armée de révolutionnaires non-violents regroupés au sein de mouvements de jeunesse financés par une kyrielle d’ONG nées aux USA.
Néanmoins on peut constater que ces révolutions de couleur ont toutes eu lieu dans des pays ou le pouvoir contesté n’était plus en position de force, et ou le gap générationnel/politique entre pans de la population était marqué, ce qui était le cas en l’Ukraine (scindée culturellement en deux entre Est et Ouest), en Serbie (scindée entre pro et anti union européenne) ou encore en Géorgie ou une partie naïve de l’opinion imaginait qu’une adhésion a l’OTAN déboucherait rapidement sur une adhésion à l’union européenne et sur une pluie de subventions. On sait aussi ce qu’il advint, ces révolutions de couleurs échouèrent toutes sur le moyen terme. Ces révolutions ont amené au pouvoir des régimes qui ont aggravé considérablement la situation économique et politique des états concernés, et qui n’ont pas survécu aux élections après leur premier mandat. Les projets d’intégration de l’Ukraine et de la Géorgie à l’OTAN ont échoué du même coup.
Certains rares commentateurs imaginent maintenant que des évènements du type “printemps arabe” pourraient se produire en Russie. Tout en soulignant les différences fondamentales entre la Russie et les pays du “printemps arabe”, ils mettent donc en garde le pouvoir russe contre des évènements sociaux pouvant dégénérer, voire aboutir à une révolution à l’Égyptienne. Pourtant la Russie à sans doute déjà vécu sa révolution démocratique lorsqu’en 1993, le Congrès annule le projet de référendum visant à adopter le nouveau projet de constitution, préparé par Boris Eltsine et qui visait à permettre la poursuite des difficiles et contestées réformes libérales. La tension politique aboutit à un conflit armé de 10 jours dans les rues de la capitale opposant les communistes et les nationalistes, aux progressistes soutenant Boris Eltsine. On connait la suite, l’armée restée fidèle au président donna finalement l’assaut de la maison blanche et mis au pas la rébellion. Ces évènements furent la vraie rupture avec le passé Soviétique. Boris Eltsine dirigea le pays 6 années de plus, jusqu’en 1999 ou il laissa la place à Vladimir Poutine.
Il faut en outre beaucoup d’imagination pour trouver des points communs entre la situation dans l’Egypte du régime Moubarak, et la situation actuelle en Russie. Même à l’époque des révolutions de couleur, alors que le redressement de l’économie Russe était embryonnaire et rencontrait bien des difficultés, la Russie est restée politiquement stable et n’a pas connu l’embryon d’un tel mouvement. Il y a des raisons à cela: l’immédiate solidité politique de l’état Russe, le solide ancrage populaire du pouvoir et l’absence de substance ou de volume d’une quelconque opposition. Les pays qui vivent ou se préparent à vivre des révoltes populaires dans le monde arabe présentent des points communs: Misère populaire, surpeuplement des villes, tensions religieuses, tensions à propos du droit des femmes, chômage endémique, surtout des jeunes, illettrisme important.
Ce ne sont pas les caractéristiques de la Russie d’aujourd’hui. L’amélioration de la situation en Russie sur la dernière décennie laisse objectivement peu de place à une révolution de ce type. La Russie est maintenant la 9ème économie mondiale et elle est au 6ième rang mondial pour le PIB à parité de pouvoir d’achat. La croissance économique est soutenue, l’endettement public est très faible, les réserves de change sont importantes, le rouble est stable et le niveau de vie de la population augmente régulièrement. Le pays se réindustrialise progressivement et retrouve son statut de grande puissance. Manifestement, les conditions ne sont pas du tout réunies pour une quelconque révolution sociale.