Mistral Gagnant
Lorsque la Russie a rendu public son souhait d’acquisition de Bâtiments de Projection et de Commandement (BPC) Mistral, la France a répondu par l’affirmative. Rapidement pourtant, des voix se sont élevées, exprimant des réticences à cette transaction. Ces réticences émanaient d’Etats impliqués dans des contentieux plus ou moins importants avec la Russie (Géorgie, Etats Baltes) et qui craignaient un risque de déséquilibre de la sécurité régionale, crainte accrue par le conflit d’août 2008 dans le Caucase.
Pourtant il semble irréaliste d’imaginer que la Russie de 2010 ait des intentions agressives envers un pays européen et ces réticences ont été interprétées comme une possible crispation de Washington, embarrassé par une acquisition de matériel aussi sensible. Mais le cadre est sans doute plus large et concerne l’évolution des rapports de force sur les mers, et l’affaiblissement de la domination militaire et maritime américaine, acquise durant la guerre froide. Pour mieux cerner la situation, il convient de comprendre l’utilité des Mistral et regarder dans quel contexte global la Russie souhaite cette acquisition.
Les BPC sont des outils de projection, permettant de réaliser depuis la mer des opérations terrestres. Multi-fonctionnels, ils peuvent servir au débarquement de troupes, à la lutte contre la piraterie maritime ou encore à des actions humanitaires. Le Mistral, qui appartient à cette classe BPC, peut transporter jusqu’à 1200 hommes, 16 hélicoptères, jusqu’à 120 véhicules (dont des blindés), deux aéroglisseurs et des navettes de débarquement.
Le navire comprend en outre des canons, des batteries de missiles, des installations médicales, et un centre de commandement. La forte capacité de projection et de déplacement sur des théâtres d’opérations lointains que permet ce BPC est essentielle pour la Russie qui ne possède plus à ce jour de matériel équivalent, depuis le retrait des navires de type Rogov, au début de la décennie.
Durant la guerre froide, l’URSS ainsi que les régimes non alignés rechignaient à l’acquisition de porte-avions et porte-aéronefs, guidés par un non interventionnisme et un anti-impérialisme dogmatique, lorsque ce n’était pas pour des contraintes matérielles. Dès la fin de la guerre froide, le monde a connu une décennie de domination militaire américaine totale, acquise justement par cette capacité de déplacement et projection de forces militaires à l’autre bout de la planète. 20 ans plus tard, l’émergence de puissances régionales contribue à entraîner la planète vers un multilatéralisme qui fait que désormais de nombreux pays ont des ambitions de présence sur les océans du globe.
Hormis les traditionnelles flottes Occidentales, la Russie, la Chine, le Brésil, la Corée du sud, la Turquie ou le Japon souhaitent se doter de porte-avions ou porte-hélicoptères, ce qui devrait permettre à tous ces Etats une réelle capacité d’intervention à l’autre bout du monde au milieu du siècle. La Russie via l’amiral Vladimir Vysotsky avait montré son intérêt pour les BPC français lors du salon Euronaval de 2008, expliquant que la Russie se préparait à construire une flotte de porte-avions, prévue pour être opérationnelle vers 2060.
Le barrage des réticences diplomatiques contourné, et les “resets” entre la Russie, l’Amérique, et l’OTAN confirmés, l’année franco-russe tombait à point. Vladimir Poutine, en confirmant dès le milieu de l’année, lors d’une visite à Paris, que Moscou ne fournirait pas de missiles S-300 à l’Iran après le vote de sanctions par l’ONU, avait en outre réglé cette épineuse question. Les différends entre les parties au contrat portaient sur deux points : les technologies afférentes, et le lieu de fabrication. La France souhaitait une vente sans technologie de pointe et qu’au moins deux bateaux soient fabriqués en France. La Russie, elle, conditionnait l’achat aux technologies liées et souhaitait acheter un seul navire, et faire construire les trois autres en Russie.
Si l’on semble plutôt se diriger vers la formule française pour la fabrication, le premier bateau devrait être livré avec la technologie de pointe liée, et notamment les dispositifs de calcul de conduite des opérations aériennes, essentiels pour le développement ultérieur des porte-avions. Récemment, Vera Chistova, vice-ministre de la Défense pour les moyens économiques et financiers, a confirmé que les dépenses pour l’achat ont été pré-intégrées aux budgets russes des trois prochaines années.
Côté français, Le directeur de la DCNS (fabricant militaire du Mistral) Pierre Legros, a lui indiqué que ces navires disposeraient des mêmes équipements que ceux de la marine française et que les seules différences seraient un pont d’envol renforcé pour accueillir les hélicoptères russes et une coque plus résistante pour pouvoir naviguer dans des eaux glacées. Quand au PDG de l’association des chantiers où devrait être fabriqué le Mistral, il a affirmé que le premier navire pourrait être construit fin 2013 et le deuxième en 2015. Les chantiers navals russes devant être en mesure de construire seuls les autres bâtiments dès l’année 2016.
Il est donc plausible, et souhaitable, que l’année franco-russe se termine par un accord commercial et politique majeur. Pour le président français l’enjeu est de taille, sur un plan financier, le prix d’un bateau avoisinant les 500 millions d’euros, mais également sur un plan politique, afin de prouver que la ré-intégration de l’OTAN en 2009 n’a pas ôté toute souveraineté à la France. Du côté russe, l’acquisition est importante d’un point de vue militaire, mais aussi sur le plan géopolitique, la Russie se donnant ainsi pleinement les moyens d’atteindre l’objectif de la politique entamée en mars 2000 : rester une puissance de premier plan.
“Durant la guerre froide, l’URSS ainsi que les régimes non alignés rechignaient à l’acquisition de porte-avions et porte-aéronefs, guidés par un non interventionnisme et un anti-impérialisme dogmatique, lorsque ce n’était pas pour des contraintes matérielles”.
Alexandre, n’avez-vous jamais entendu parler de l’amiral soviétique Serguei Gorchkov et de son Eskadra de haute mer constituée à grands frais, avec ses quatre “croiseurs de combat porte-aéronefs” de la classe Kiev (Projet 1143 avec les Kiev, Minsk, Novorossiysk et Baku/Amiral Gorchkov, ce dernier étant complètement refondu pour être livré à la marine indienne sous le nom deVikramaditya en 2012 si tout va bien).
N’avez-vous non plus jamais eu vent du projet 1143.5 ayant accouché de deux “croiseurs lourds porte-avions”, l’ Amiral Kuznetsov (ex Tblilisi) toujours en service dans la marine russe, et son sister-ship Varyag (inachevé et vendu par l’Ukraine à la Chine qui ne manque pas de l’étudier pour ses propres projets domestiques), ni du projet 1160-1 non réalisé de porte-avions nucléaire géants de 80000 t, classe Orel (http://www.red-stars.org/spip.php?article157).Une résurgence du Projet Orel s’est faite jour en 1984 sous le nom de Projet 1143.7. La tête de classe Ul’yanovsk , un CVN de 75 000 tonnes, fut mise sur cale en novembre 1988, annulée en novembre 1991 alors que le bâtiment était construit à moitié, avant d’être ferraillée en février 1992.
Quant à un autre pays “non aligné”, il est vrai que les porte-avions INS Vikrant (ex HMSHercules, classe Majestic) entré en service en 1961 et INS Viraat (HMS Hermès, classeCentaur, celui de la guerre des Malouines de 1982) commissionné en 1982 ne témoignent pas d’une volonté de l’Inde de se doter d’une force aéronavale digne de ce nom ! (http://fr.wikipedia.org/wiki/Porte-avions).
Pascal LASSALLE
Bonjour Pascal
votre commentaire ne vient que conforter mon article, qui etait formellement linite a 6.000 tonnes (oups signes je veux dire).
Les barques dont vous parlez sont des petits modeles. Les Vibrant ? Moins de 22 000 tonnes soit a peine plus que les MISTRALS !
Les projets de 75000 ou 80 000 tonnes dont vous parlez n’ont d’ailleurs pas vu le jour, pour diverses contraintes materielles et financieres.
Aujourdhui le Charles de Gaulle atteint les 40.000 tonnes, alors que des les annees 70 l’US NAVY disposait de bateaux de plus de 100.000 tonnes, lui conferant une puissance de projection et donc de maitrise des mers inegalee … Ce qui est dit dans mon article.
Bonsoir Alexandre,
Il semblerait que vous n’ayez pas saisi le fond de ma pensée qui n’est nullement réductible à une histoire de tonnage! Je voulais simplement souligner que les faits démentent votre affirmation péremptoire et hâtive selon laquelle “L’URSS et les régimes non alignés rechignaient à l’acquisition de porte-avions et porte-aéronefs, guidés par un non interventionnisme et un anti-impérialisme dogmatique…”.
L’URSS a clairement déployé dès les années 70 un interventionnisme maritime, démentant son “anti-impérialisme” proclamé, avec la mise en chantier d’une flotte de haute mer dispendieuse couplée à des bases navales ou des facilités de mouillage dans le monde entier (outre Cuba, la Syrie , la Somalie, le Vietnam, etc.), ceci afin de tenter vainement d’affronter la thalassocratie américaine sur son propre terrain. Les derniers projets (1143.5 et 1143.7) n’ont tout simplement pas été menés à terme à cause d’une conjonction de facteurs financiers et surtout politiques (perestroika mise en place par un système à bout de souffle et chute de l’URSS),mais l’intention y était!Rien n’indique qu’il n’en aurait pas été autrement sous Brejnev à l’époque de la “glaciation”,pour peu que les “acquis” technologiques de l’époque l’eussent permis.
Quant aux porte-avions indiens, vous devriez savoir que ce n’est pas encore en terme de tonnage qu’il convient de les apprécier, mais en fonction de la destination première clairement interventionniste de ses bâtiments (dans l’océan indien pour ce cas précis), munis d’un capacité de frappe aérienne offensive, toutes limitée fut-elle par rapport à son pendant étatsunien.
Pascal LASSALLE
…. “Lorsque ce n’était pas pour des contraintes matérielles” il est aussi écrit 😉
Ce que j’ai bien noté dans mon premier commentaire et qui n’infirme pas le moins du monde, comme l’auront noté vos lecteurs, l’ensemble de mes propos, mon cher Alexandre 🙂
Pascal LASSALLE