L’Assault américain sur les banlieues françaises (3)

La France ne le sait pas, mais nous  sommes en guerre avec l’Amérique. […] Oui, une guerre permanente, une guerre vitale, une guerre économique […] Oui, ils sont très durs les américains, ils sont voraces, ils veulent un pouvoir sans partage sur le monde… Vous avez vu, après la guerre du Golfe, ils ont voulu tout contrôler dans cette région du monde. Ils n’ont rien laissé à leurs alliés. […]Il ne faut pas se laisser faire, il ne faut pas se laisser impressionner.”
Citation de François Mitterrand, rapportée dans Le dernier Mitterrand (G.M.Benhamou)
 
Cette démarche américaine a l’égard de futurs cadres n’est absolument pas une nouveauté. De nombreuses structures américaines fonctionnent déjà en Europe, avec pour objectif de former des élites pro américaines. En France, on peut par exemple citer la très célèbre fondation Franco-américaine qui a été crée en 1976 par trois éminents Américains: James G. Lowenstein, James Chace et Nicholas Wahl. Les deux premiers étaient membres du très influent CFR (Council on Foreign Relations) dans lequel s’élabore la politique étrangère américaine tandis que le troisième était professeur de science politique. Ces représentants américains se sont appuyés sur des Français occupant de hautes fonctions pour développer l’influence américaine au sein des élites françaises. Le lancement de la fondation franco-américaine eut lieu grâce à la
proposition du président Giscard d’Estaing, lors d’un repas à l’ambassade de France à Washington le 18 mai 1976, en présence du président des Etats-Unis, Gerald Ford et du secrétaire d’Etat, Henry Kissinger. Le but recherché, comme le rappellent les textes officiels, est le suivant: « L’objectif de la Fondation franco-américaine est de renforcer la relation franco-américaine considérée comme un élément essentiel du partenariat transatlantique. » Depuis 1981, un programme de « jeunes leaders » existe qui a concerne un grand nombre d’hommes politiques français mais également de journalistes (Cf. Liste). 
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La nouveauté de cette politique de séduction est qu’elle est focalisée sur des communautés ethnico-religieuses en France. Le projet consiste  à dire aux Français qu’ils peuvent réussir à valoriser les minorités comme cela a été fait aux États-Unis. Cette politique diplomatique passe donc par des élites tout comme des sites internet de la communauté immigrée en France. Sont cités deux sites principaux que sont les sites oumma et saphir, qui se sont livrés à une sorte de coming-out à propos de leurs relations avec l’ambassade des Etats-Unis en France:
1. Oumma.com: « Nous entretenons effectivement des rapports cordiaux avec le personnel de l’ambassade et ce contact privilégié nous a permis, par exemple, de décrocher l’exclusivité d’un entretien avec Farah Pandith, membre de l’Administration Obama. »
2. Saphirnews: « Des liens ont en effet été tissés depuis longtemps entre les officiels américains en France et Saphirnews, qui a été amené, par exemple, à rencontrer la porte-parole du Congrès américain, Lynne Weil, en décembre 2008, pour discuter de l’état de la société française ».
 
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Les personnalités visées sont aussi emblématiques. On peut citer parmi les plus médiatisées :
Rokhaya Diallo, une jeune militante associative française d’origine sénégalaise qui est chroniqueuse pour la télévision et la radio. Cette dernière, féministe convaincue, intégrera l’organisation d’extrême gauche Attac, avant de s’engager activement dans le féminisme et le milieu associatif via diverses associations comme Mix-cité et les indivisibles. En mars 2010, elle est sélectionnée pour participer au programme International Visitor Leadership : invitée du gouvernement fédéral des États-Unis, elle visite le pays pour y étudier la diversité. En septembre 2010 elle sera invitée au 40ème Congressional Black Caucus, événement annuel qui réunit les parlementaires Afro-Américains des États-Unis.
Reda Didi est un autre de ces français d’origine immigrée courtisés par les Etats-Unis. Cet ex-responsable du mouvement socialiste écologiste français « les verts » a lui aussi fait un séjour aux Etats-Unis, accompagné de 8 personnes sélectionnées dans le cadre du programme « Graines de France ». Graines de France a pour objectif d’impliquer les citoyens dans la vie politique en créant des nœuds de militants actifs, recrutés dans les populations d’’origine immigrée si possible. Will Burns, directeur de campagne d’Obama pour son élection au sénat américain en 2000, vient par ailleurs d’intégrer le conseil d’administration de leur club de réflexion.
Ali Soumaré est le plus connu en France. Candidat PS aux élections régionales, ce responsable associatif, très engagé sur le terrain lors des émeutes à Villiers-le-Bel, est reconnu aux Etats-Unis depuis plus de deux ans comme “jeune leader des quartiers issu de l’immigration”. Il a été reçu plusieurs fois à l’ambassade américaine de
Paris et a participé à des groupes de travail sur la manière de mener une campagne électorale. Il a aussi été consulté sur divers sujets d’actualité comme l’intégration. A chaque fois, on lui a déroulé le tapis rouge. « Mon propre parti, le PS, ne m’a jamais montré la moitié de l’intérêt que les américains m’ont porté », raconte-t-il. « Avec une certaine humilité, ils essaient vraiment de comprendre nos problématiques. C’est passionnant et extrêmement flatteur. »
Almamy Kanouté, militant associatif et à la tête d’une liste indépendante à Fresnes, est rentré le 6 mai dernier de trois semaines de périple à travers les États-Unis. Nom du programme: “Gestion de la diversité ethnique”. “C’était intensif, nous avons enchaîné les réunions, les visites, raconte-t-il, conquis. J’en ai conclu que, si les américains n’ont pas forcément toujours mieux réussi l’intégration des populations d’origine étrangère que les français, ils y consacrent plus de moyens et plus d’efforts. Là-bas, je me suis senti compris: ici, on me taxe d’extrémiste communautaire. Eux, au moins, ne nous jugent pas.”  
Said Hammouche, 37 ans, a également participé au programme des Visiteurs internationaux. Il est né à Paris et a grandi à Bondy, en Seine-Saint-Denis. Fondateur du cabinet de recrutement Mozaïk RH, qui vise à favoriser la diversité dans l’entreprise, il est parti fin 2008 aux États-Unis via ce programme d’échange: « Pour eux [les Américains], ces voyages servent à briser nos idées reçues sur leur pays. On n’est pas dupes de leur démarche, on sait qu’on est peut-être manipulés mais je comprends mieux aujourd’hui la volonté de créer, d’entreprendre et d’avancer des Américains. C’est quelque chose de très fort, que je connaissais mal auparavant. »
 
Mais les séjours de quelques leaders identifiés ne sont pas tout. En novembre 2010, à l’occasion du premier grand forum de l’emploi lancé par l’association « Nos quartiers ont des talents », l’ambassade américaine a participé à l’organisation d’une rencontre avec des patrons de très grosses sociétés à l’hôtel Newport Bay Club à Disneyland Paris. Cette structure d’aide à l’insertion pour les jeunes des minorités existe depuis 2005 et a été créé par le Medef (Syndicat patronal français ) de Seine Saint Denis, le département à plus forte densité ethnique et religieuse étrangère de France. Le forum a rassemblé près de 5.000 jeunes. L’association « Nos quartiers ont des
talents » a été mise en place en décembre 2009. Elle souhaite multiplier par dix le nombre de jeunes suivis et le réseau de parrains d’ici 2015, sans doute avec le soutien discret de l’ambassade Américaine.
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Ce travail de réseau vise aussi directement les musulmans français. Le 2 décembre, le consul américain Mark Shapiro lançait une association, nommée Confluences, destinée à promouvoir les minorités et particulièrement la  minorité musulmane. Ce projet est le résultat d’un partenariat entre la région Rhône-Alpes et le département d’état américain, l’équivalent de notre ministère des Affaires étrangères.  Selon les messages diplomatiques révélés par Wikileaks, les Américains craignent en effet
que la discrimination des musulmans puisse susciter des crises répétées et puisse faire de la France un “pays faible” et “un allié moins performant”. L’association Confluences a pour objectif de créer, d’animer et de gérer à Lyon, un centre dédié à la diversité et à la lutte contre les discriminations. L’attaché culturel du consulat américain à Lyon siège au conseil d’administration de l’association.
Les petites ingérences américaines prennent parfois d’autres formes :
Le 3 août dernier, BBC News révélait que les États-Unis avaient très largement financé un manga japonais (Manga to promote US-Japan military alliance) destiné au jeune public japonais afin de le convaincre de l’intérêt de l’alliance militaire entre les États-Unis et le Japon (et notamment le maintien de la base américaine d’Okinawa, de plus en plus contestée par la population).C’est dans la même veine qu’en décembre 2010 est apparu aux Etats-Unis un nouveau super héros de bande dessinée appelé  ightrunner. Il s’agit en réalité de Billi Asseiah, un islamiste sunnite algérien de 22 ans immigré en France (censé représenter la France) et installé à Clichy sous-Bois. Incarnant les valeurs de justice, d’honneur et de droiture, il secourt la veuve et l’orphelin selon l’expression consacrée. Il défend aussi et surtout les intérêts de sa communauté (les musulmans) injustement attaquée. Un élément d’autant plus inquiétant que le premier épisode de la BD se déroule durant les émeutes de banlieues de 2005 en France. Accompagné par un ami, Bilal, alors âgé de 16 ans, est injustement pris à partie par la police, passé à tabac alors qu’il n’a rien fait de mal. Ensuite,
son ami est abattu après avoir incendié un commissariat. Bilal devient alors ightrunner pour rétablir l’ordre juste et démocratique. Figurant dans Annual
Batman Detectiye Comics (n” 12) et dans Batman Annual ( N° 28 ), nul doute que ce Batman d’un nouveau genre n’apparaisse prochainement dans les kiosques
français.
 
En outre et selon Wikileaks, dans le texte envoyé en  janvier 2010 par l’ambassadeur Rivkin, on peut lire : « De plus, nous continuerons et renforcerons notre travail avec les musées français et les enseignants pour réformer le programme d’histoire enseigné dans les écoles françaises, pour qu’ils prennent en compte le rôle et les perspectives des minorités dans l’histoire de France ». 9 mois plus tard, en septembre 2010, est voté une loi réduisant au minimum la partie des manuels d’histoire consacrée a des personnages historiques (François Ier, Henri IV, Louis XIV et Napoléon) ou à certains moments de l’histoire de France, dans certaines classes, au profit de cultures étrangères, notamment africaines. 
 
Cette décision officielle a été prise en France, en 2010, au nom de « l’ouverture aux autres civilisations de notre monde ». De même, l’étude de la Révolution et l’Empire sont sacrifiés pour mieux pouvoir étudier les grands courants d’échanges commerciaux au XVIIIème et XIXème comprenant les traites négrières et l’esclavage. Dans le nouveau programme des classes de 4ème: 4 heures de cours sont consacrées aux traites négrières alors que toute l’histoire de la révolution et de l’empire est expédiée en moins de 8 heures. Autre exemple édifiant, Louis XIV qui constituait un temps fort du 1er trimestre de 4ème est remplacé par un thème appelé: l’ « Émergence du roi
absolu ». Le Roi Soleil est désormais renvoyé en 5ème à la fin de l’année d’étude, année au terme de laquelle on se sera longuement attardé sur les civilisations africaines du Monomotapa et Songhaï et sur la traite orientale. En réalité, François Ier, Henri IV, Louis XIV et Napoléon Ier sont relégués dans ce que les nouveaux programmes scolaires qualifient « d’éléments de compréhension contextuels » et ne feront donc plus l’objet de chapitres d’étude à part entière dans les programmes de l’éducation nationale française.
 
Quelles conclusions faut-il tirer de cette activité dirigée vers les minorités et des programmes en direction des banlieues et des français d’origine étrangère qui coûtent chaque année 3 millions de dollars à l’ambassade des États-Unis ?Tout d’abord que les américains sont dans une démarche impérialiste de promotion de leur modèle de société et de protection de leurs intérêts futurs en France, et que la politique de détection et de promotion des minorités n’est évidemment pas une action humanitaire dénuée d’intentions masquées. Ces programmes américains en faveur des minorités se développent dans un contexte économique médiocre qui rend difficile l’intégration de nouveaux immigrés en France. Il s’agit surtout d’améliorer l’image des États-Unis auprès des jeunes musulmans de France, suite aux guerres en Irak et en Afghanistan, sous prétexte de promouvoir la diversité, le respect des différences culturelles et la réussite pour tous.Mais ces stratégies de réseaux et d’influence présentent un réel danger
pour la France. L’intégration réussie des nombreuses vagues d’immigration que notre pays à connu dans le passé s’est toujours réalisée sans aucune revendication ethno-religieuse mais bel et bien par un processus complexe de totale assimilationLa volonté américaine de miser sur des élites ethniques et religieuses est fondée sur la reproduction d’un modèle américain communautariste totalement contraire au modèle français d’intégration, qui est républicain, égalitariste et non discriminatoire.
Les difficultés que la France rencontre actuellement avec ses minorités sont liées au développement excessif de la communautarisation, qu’elle soit identitaire, sociale et ethnico-religieuse. Sur le territoire se sont développés des sous cultures transversales, indépendantes voire hostiles à l’identité française. 
Pour la France, pays chrétien et européen dont l’avenir est en Europe, cette activité d’ingérence est extrêmement négative. En accroissant les sentiments communautaristes et revendicatifs de minorités ethniques et religieuses à l’égard de l’état français, les américains prennent le risque de créer des tensions qui pourraient aboutir à un point de non retour. En outre, cette agression en règle contre le modèle assimilationiste choisi par la France pourrait avoir des conséquences explosives, lorsque l’on sait que les
revendications ethno-religieuses s’ajoutent à des revendications régionalistes déjà sous jacentes. On peut s’interroger sur les intentions américaines dans ce domaine. Propager leur modèle de société ? Affaiblir la cohésion des sociétés visées pour éviter la formation en Europe d’un pôle économico-militaire indépendant, et concurrent des USA? N’oublions pas de faire un parallèle avec l’obsession des américains à faire entrer la Turquie dans l’UE, mais aussi à empêcher tout rapprochement avec la Russie.
 
Source : le blog gestion des risques interculturels, Faits et documents 308 du 15 au 31 janvier 2011

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