Alors que l’Amérique s’apprête peut être à prendre un tournant capital, que la Chine affiche un taux de croissance supérieur à 10%, il est peut être temps pour l’Europe de prendre une décision essentielle pour l’avenir du continent : conclure enfin un gigantesque pacte énergétique avec la Russie et casser la dépendance énergétique envers la politique Américaine qui comme l’a très bien résumé Alexandre Adler dans le Figaro Magazine (
Pourtant dieu sait que la matrice s’est mise en marche pour bien préparer les masses à penser que leurs gouvernements font bien de ne pas s’allier avec l’ours, pour preuve les somptueuses émissions de Arte sur Gazprom, les commentaires « avisés » qui chaque jour dépeignent la Russie comme une dictature qui cache son nom ou encore dieu sait quoi. Les Français et bon nombre d’Européens préfèrent visiblement traiter avec l’Amérique, ce pays en guerre avec tout le monde et qui prend l’énergie par la force, de l’Irak au .. Kosovo !
En effet, si
Yannik Harrel a très bien commencé à expliquer les grands projets en concurrence pour l’alimentation énergétique de l’UE de 2013 à 2050, il m’a semblé intéressant d’y apporter quelques précisions. Comme le rappelle
Valeurs actuelles,
« les spécialistes s’accordent pour dire que le gaz (l’or bleu) sera LA source d’énergie du XXIe siècle. Hors la Russie en est le premier pays producteur (détenant près de 1/3 des réserves mondiales) et la production des principaux pays Européens diminue. Ceux ci devront importer les ¾ de leur consommation à l’horizon 2015. » (et plus de 80% dès 2020). Deux projets de Gazoducs « s’affrontent » aujourd’hui, le projet Nabucco et le projet South Stream. Nabucco est un projet de gazoduc pour approvisionner l’Europe via le Gaz de l’Iran et de la Caspienne, vers l’Europe centrale. Ce projet est piloté par le Hongrois MOL, le Turc Botas, le Bulgare Bulgargas, le Roumain Transgaz et l’autrichien OMV. Soutenu par l’Union européenne, ce gazoduc permettrait de diversifier (entendez baisser la dépendance envers la Russie) les sources d’approvisionnement énergétique du Vieux continent. Quelques chiffres : 3 300 kilomètres de pipeline et 13 milliards de mètres cube délivrés annuellement, avec un pic à 31 milliards avancé par certains spécialistes, pour un coût estimé à 5 milliards d’euros et dont l’entrée en activité effective est prévue pour 2013
. (source : Yannick Harel). South Stream est un gazoduc devant relier la Russie à l’Italie via la Bulgarie. Le tronçon marin du gazoduc passera par le fond de la mer Noire ’des côtes Russes à Bulgares). La longueur totale du secteur marin sera d’environ 900 km et la profondeur maximale, de plus de 2 km. De là, la route sud-ouest devrait continuer à travers la Grèce et la Mer Ionniène jusqu’en Italie Méridionale. La route nord-ouest devrait traverser la Roumanie, la Serbie, la Hongrie et la Slovénie jusqu’en Italie du Nord, avec un embranchement vers l’Autriche et l’Allemagne. C’est le réseau russe de transport du gaz (
Gazprom) qui alimentera le South Stream, avec du gaz russe en provenance de Russie mais aussi d’Asie centrale, notamment du Kazakhstan.
C’est dans les derniers mois que le président Poutine à signé avec la Bulgarie et la Serbie deux accords absolument fondamentaux avec la Bulgarie tout d’abord qui a accepté une participation à South Stream envers et contre ses fraîches ambitions Européennes, mais avec la Serbie surtout, puisque le rachat de 51% du capital de la société Serbe NIS a été doublé d’une assurance que la Serbie serait sur le parcours de South Stream, route nord ouest. Le ministre Italien Pierluigi Bersani avait souligné que l’accord représente “un nouvel élément dans la stratégie de renforcement de la sécurité énergétique de l’Italie et de l’Union européenne“. South Stream, en effet, traduit parfaitement les axes de la nouvelle politique énergétique Russe : être libérée des contraintes et des influences géo-territoriales « jugées hostiles », colorées (Ukraine ou Guam) ou encore Américano-Turques (OTAN hors Europe) et créer une « route orthodoxe du gaz ». Le projet North Stream (un pipeline sous marin direct entre la Russie du nord et l’Allemagne de plus de 1200 km pour une capacité de 25 milliards de mètre cube délivrés par an) confirme cette volonté du Kremlin de développer des accords bilatéraux avec les pays de l’Union et de passer outre les intermédiaires jugés peu fiables (Ukraine dans le premier cas, et Pologne et pays Baltes dans le second). Il faut souligner quelques éléments essentiels : l’Allemagne, comme l’Italie ne s’embarrassent pas de l’opinion de leurs voisins proches (France pour l’Italie ou Pologne pour l’Allemagne) ; ces états freinent leur mission au sein de l’OTAN, mais développent leur partenariat stratégique direct avec la Russie, qu’ils estiment à juste titre sans doute être « le » partenaire clef pour leur sécurité énergétique. Cette position géopolitique et géo-stratégique pragmatique est à comparer avec la position de la France qui va dans le sens contraire.
En effet notre obsession biblique des « droits de l’homme » vient de nous faire nous opposer le droit de veto de la Turquie (on croit rêver) à participer à Nabucco et nous bride à faire le choix South Stream. Dans le même temps, notre pays se dirige vers une ré-intégration au coeur de l’OTAN, vers de nouvelles guerres au coté de l’oncle Sam. L’Europe a pourtant aujourd’hui le choix suivant : soit choisir l’Asie centrale post Soviétique, via la Russie pour son approvisionnement, soit faire le choix d’un approvisionnement Irano-Turc, via le caucase et les pays du Guam (Georgie, Azerbaidjan .. ) en conflits larvés avec la Russie ! On comprend bien la volonté de l’Amérique d’ancrer la dépendance énergétique de l’UE à des pays comme la Turquie, membre de l’OTAN et candidat à l’Union, tout comme l’Ukraine et la Georgie le sont à l’intégration au sein de l’OTAN. Si l’Iran fournit aujourd’hui 15% du gaz de l’UE il semble risqué d’augmenter la dépendance de l’UE envers ce pays pour des raisons de tensions évidentes avec l’Amérique. En cas de conflit, les pays de l’Union se voyant « contraints » de participer à une agression armée anti-Iran pour sécuriser leur approvisionnement énergétique. On peut se demander si ce n’est pas la la principale raison pour laquelle l’Amérique pousse l’union à se couper des approvisionnements Russes sur lesquels elle n’a aucun moyen de contrôle. Cette lutte pour les corridors Gaziers n’est cependant pas le seul point d’achoppement entre les interets Russes, Européens, Turcs et Américains pour l’utilisation des ressources gazières et … pétrolières de la région. D’ici 2030, plus de 90 % de la consommation de pétrole dans l’Union européenne seront assurés par les importations. La Russie en représente aujourd’hui 20% , une large majorité de la consommation des états d’Europe de l’est et du centre et une part minoritaire pour les états d’Europe de l’ouest.
Aujourd’hui deux immenses oléoducs approvisionnent l’Europe, le premier est le plus grand du monde, il s’agit de Druzhba. Cet oléoduc date de 1964, s’étend sur 4.000 Km et à une capacité annuelle de 50 millions de tonne ! Il achemine le pétrole de Sibérie et de l’Oural vers toute l’Europe et l’Amérique. De nombreuses ramifications/projets sont en cours, principalement des oléoducs sous terrains et marins (sur le modèle de North Stream pour le gaz) en mer du nord, dans le golf de Finlande mais aussi souterrain dans les Balkans. Son challenger est l’oléoduc BTC (Bakou Tbilissi Ceylan), un consortium Anglo-Azéri en majorité et alimente la méditerranée avec le pétrole Azéri (de la Caspienne). Cet oléoduc passe par la Turquie pour alimenter l’Europe du sud, il s’étend sur une longueur de près de 1700 km et a une capacité annuelle de 50 millions de tonnes. Néammoins, la nécessaire diversification tout autant que l’intensification des voies d’approvisionnements a vu des projets totalement opposés se créer. L’affaire récente du Kosovo, justifiée sous le masque humanitaire et l’impératif de justice est sans doute la parfaite illustration de la guerre terrible que se livrent Européens, Russes, Américains et Turcs à proximité de la mer noire. Lorsque le Kosovo a déclaré son indépendance, les premiers états à le reconnaître ont bien sur été l’Amérique, la Grande Bretagne et la France. Les deux premiers par tactique géopolitique, la France par dogmatisme sans aucun doute. Les spectateurs avisés auront sans doute remarqués que le Kosovo est sur le corridor d’un futur oléoduc appelé AMBO. Cet oléoduc qui porte le nom de son constructeur et opérateur (une compagnie pétrolière Albanaise, Macédonienne et Bulgare enregistrée aux US )- le traversera, acheminant ainsi le pétrole de la mer Caspienne vers l’Europe et les États-Unis. Il devrait atteindre une capacité annuelle de 35 millions de tonnes et s’étendre sur 894 Km. Il est intéressant d’apprendre que le projet AMBO date en fait de 1994 et a été ajusté, défini et mis en oeuvre par des filiales plus ou moins directes de Halliburton (cf ici) et à des fins « géo-stratégiques » tout autant que énergétiques. En novembre 1998, Bill Richardson (secrétaire à l’énergie de Bill Clinton) affirmait :« Il s’agit de la sécurité énergétique des Etats Unis ..
C’est aussi d’empêcher la création de voies intérieures stratégiques par ceux qui ne partagent pas nos valeurs. Nous essayons de tirer ces nouveaux pays indépendants vers l’Occident ….Nous aimerions les voir dépendre des intérêts du commerce et des politiques occidentales plutôt qu’elles prennent une autre direction ». Bien sur, en 1999, lors de la guerre en Serbie, c’est bien évidemment la zone d’influence Russe (Europe Orthodoxe) qui était visée, l’Amérique profitant de la grande faiblesse de la Russie à ce moment (fin du mandat Eltsine). Est ce pour sécuriser ce corridor pétrolier que les Américains ont découpé la petite Serbie (propice à se retourner côté Russe) et à installer la plus grande de leur base au Kosovo même, à quelques kilomètres du tracé du fameux pipeline ? Encore une fois, les interets pétroliers / gaziers Américains vont à l’encontre des intérêts des citoyens Européens. Pourtant la encore, un « choix » est possible, en effet encore une fois, l’Union peut faire le choix Russo-Greco-Bulgare en soutenant la « route orthodoxe du pétrole », à savoir l’oléoduc « Bourgas-Alexandroupolis ». Ce pipeline de 300 km devrait transporter le pétrole de Russie et du Kazakhstan, via la Caspienne sans passer par la Turquie et ses détroits surchargés, en offrant une capacité annuelle de 35 millions de tonnes.
Un projet de 3ième oléoduc « Pan Européen » (PEOP) existe également, destiné à acheminer le pétrole de la du caucase et des bords de la Caspienne, via la mer noire vers l’Italie, via la Serbie, la Croatie et sans doute la Slovénie. Cet oléoduc de 1400 Km aura une capacité annuelle de 60 millions de tonnes. Il est lui aussi également destiné à renforcer BTC et a limiter la dépendance Russe en pétrole puisque les ramifications de cet oléoduc atteindront d’Italie l’Autriche, l’Allemagne et la république Tchèque. Même si les divers oléoducs ne sont pas censés ’approvisionner’ les mêmes zones, AMBO destiné à l’Amérique et au Canada via les ports de Hollande, pendant que les autres projets auraient vocation à alimenter l’Europe ; même si les fournisseurs de gaz ne seraient pas les mêmes, nous sommes bien face à une guerre totale pour la maîtrise de l’approvisionnement de l’Amérique et de l’Europe, et à un conflit d’optique pour le futur. Pour quelles raisons l’Europe devrait elle sacrifier un axe Russo-Bulgaro-Grec pour faire le choix de la Turquie et du caucase, avec son lot d’incertitudes et d’instabilité ? Pourquoi faire le choix d’états politiquement « inadmissibles » à l’OTAN et en froid permanent avec la Russie ? Pourquoi continuer dans la politique du choix des états musulmans que ce soit en politique Européenne (indépendance du Kosovo) que de l’approvisionnement (Turquie qui nous oppose son droit de veto au projet Européen Nabucco et ne manquera pas d’utiliser l’argument énergétique pour négocier son entrée dans l’UE). On se demande bien quelle mouche pique nos politiciens de manquer d’autant de lucidité devant des chois aussi capitaux pour leurs citoyens, si ce n’est que des consignes leur sont peut être transmises d’outre Atlantique, comme cela a été précédemment le cas pour la Slovénie lorsqu’elle a pris la présidence de l’UE. Peut être serait il temps, en 2008, et alors que nul ne peut prévoir l’avenir énergétique de la planète de relire attentivement la froide remarque de Alexandre Adler dans le figaro magazine du 4 avril 2008 : La vérité toute simple, c’est que l’intérêt géopolitique de l’Europe continentale (France et pays latins, tout comme Allemagne et pays germaniques) diverge nettement de celui des États-Unis et peut-être même de la Grande-Bretagne.