Le dernier sommet Russie-UE qui a eu lieu les 3 et 4 juin derniers à Ekaterinbourg, soit sur la limite géographique (ou plutôt sémantique) de l’Europe, ne restera sans doute pas dans l’histoire comme un sommet ayant contribué à une meilleure compréhension, ni à une amélioration de l’intégration entre la Russie et l’Union Européenne.
Les journalistes étrangers, qui d’habitude se pressent pour assister à ces événements ne se sont pour une fois pas trompés (c’est sans doute assez rare pour le mentionner) il n’y avait pas grand-chose à attendre de ce sommet. Seule une poignée d’entre eux a fait le déplacement, sans doute autant pour bénéficier d’une bonne opportunité de visiter la capitale de l’Oural que pour couvrir ce que la presse russe a appelé un double monologue.
Aucun des dossiers sensibles n’a en effet progressé et au contraire les désaccords se sont semble-t-il amplifiés, sur les principales pierres d’achoppement entre Moscou et Bruxelles que sont l’énergie, le problème des visas mais aussi la guerre en Syrie. Ce dernier point a fait l’objet d’une passe d’armes diplomatique assez remarquable. Le président russe, en affirmant que la Russie n’avait pas “encore” livré les fameux missiles anti aériens S-300 à la Syrie, a rassuré les partenaires occidentaux, tout en sous entendant qu’il pourrait commencer les livraisons si une décision de bombarder la Syrie était prise en Occident.
Cette menace voilée intervient au moment ou l’Etat Syrien semble renverser l’histoire pendant que les européens ne semblent pas capables d’adopter une position commune ou cohérente sur ce dossier. Qui aurait pu penser que la politique étrangère socialiste s’alignerait sur celle des Anglais et des Américains?
Quoi qu’il en soit, la position de la Russie reste inchangée sur le dossier Syrien et il semble que la Russie ne reconnaît pas l’UE comme acteur à part entière dans cette arène. Que ce soit sur la question syrienne ou sur d’autres problèmes, on a constaté que le président russe souhaite dialoguer non pas avec l’UE, mais avec les membres clés de l’Otan comme la France et l’Allemagne, dans le cadre de relations d’état à état. La délégation anglaise ne s’y est pas trompée, quittant d’ailleurs le sommet avant la fin de celui-ci.
Alors finalement que reste t-il de la relation Russie-UE après ce sommet?
Sur le plan politique aussi bien que moral ou sociétal, on peut constater que la relation Russie-UE s’effrite ce qui n’est pas une surprise pour les lecteurs fideles de RIA-Novosti. Au début de l’année j’expliquais que la divergence sur les projets de société reste importante, l’UE souhaitant ouvertement imposer à la Russie une conception sociétale que celle-ci rejette, arguant qu’elle est souveraine et différente. Cette rupture morale entre une Russie conservatrice qui connaît un retour du fait religieux et une Europe au contraire très libérale-libertaire, a entrainé un malentendu croissant entre la Russie et les pays européens. Le sujet des droits des minorités notamment sexuelles n’à donc pas contribué à réchauffer les relations Russie-UE. Le président russe rappelant du reste à quel point il était fatigué des questions sur les droits des homosexuels, et martelant que “les traditions culturelles, morales et ethniques de la Russie devaient être respectées” ou que “si une loi interdisant l’adoption d’enfants russes par des couples d’étrangers homosexuels était votée par le Parlement, il la promulguerait”.
Comme pour confirmer cette rupture dans le domaine sociétal, il y a aussi eu les propos de Dmitri Kisseliev, présentateur de Вести недели, l’une des émissions politiques la plus regardées de Russie. Ce dernier a affirmé : “Le vieux monde a semble-t-il fait son choix. (…) Faire le culte de l’homosexualité, renoncer à la notion de péché, trahir le christianisme et la famille traditionnelle, dépraver les enfants dans des familles homosexuelles, tout cela, c’est la destruction de sa propre identité, le chemin de l’autodestruction”. On ne saurait être plus clair.
La visite de François Hollande avait fait naitre le terme de “diplomatie économique”, on peut sans doute aujourd’hui se demander ce que cela recouvre. La relation Russie-UE semble devoir se cantonner à son aspect le plus froid: l’économie. Lors du sommet, la partie russe a rappelé que Russie et UE étaient non seulement des partenaires naturels, notamment pour l’énergie, mais aussi que le volume des échanges économiques entre les deux parties était en hausse, atteignant 410 milliards de dollars en 2012, et déjà 277 milliards de dollars depuis le début de l’année 2013.
L’UE et la Russie semblent avoir accepté, du moins pour le moment, leur interdépendance économique (énergie pour l’Europe contre ré-industrialisation pour la Russie). La Russie et les russes (le peuple comme l’élite) qui se considèrent majoritairement comme partie intégrante de l’Europe au sens large, refusent cependant totalement la direction politique, morale et religieuse prise par l’Union Européenne et rejettent donc l’idée d’un “un destin commun avec cette Europe occidentale ou avec l’Amérique actuelle”.
A moyen terme, il n’est pas exclu que le partenariat s’effrite encore plus si l’UE devait se projeter encore plus à l’Ouest (sein du nouveau marché de libre échange entre l’Union européenne et les États-Unis planifié pour 2015?) pendant que la Russie renforcerait de son côté son intégration eurasiatique et son partenariat avec la Chine.
Assiste-t-on à la fin du “destin continental commun”?