Le Kazakhstan a toujours été considéré comme une exception en Asie centrale et en comparaison des autres républiques de l’ex-URSS. Pour la Russie, le Kazakhstan est un allie stratégique, d’abord l’allié historique qui a largement voté contre la fin de l’URSS, l’allié politique et économique régional ensuite et enfin le pilier de l’union douanière après la Russie.
Mais au cours des premiers jours de 2022, des événements inattendus y sont survenus.
Le contexte économique et démographique
Il y a tout d’abord eu des manifestations qui ont commencé à l’ouest du Kazakhstan à Janaozen à cause du doublement des prix du gaz liquéfié, dont les prix ne sont plus théoriquement réglementés par le gouvernement. Le gaz est un sujet sensible dans les régions occidentales du Kazakhstan, où plus de 90 % des véhicules roulent au gaz liquéfié et 70 % des ménages l’utilisent pour cuisiner.
Janaozen est en plein dans le hub pétrolier/gazier de Mangystau, et est la vile ou il y a 10 ans, en décembre 2011, les autorités y ont durement réprimé les troubles des travailleurs du pétrole qui demandaient des hausses de salaires.
La hausse des prix du Gaz n’a été qu’une goutte de trop dans une situation globale complexe qui a vu le Kazakhstan souffrir d’une inflation très forte au cours de la période ; si officiellement elle était de 7,5% en 2020 (11,3% pour l’alimentaire) elle s’est accélérée en 2021 à 8,9% et 10,9% pour l’alimentaire.
Toujours en 2020, l’endettement de la population a augmenté en 2020 de 12,3% et le nombre de chômeurs officiels en 2021 a augmenté de 12%.
La hausse du chômage a aussi accentué les migrations internes, poussées par les déséquilibres démographiques intra-pays. Nombre de jeunes migrants des provinces sont montés sur les grands centres urbains que sont Nur-Sultan et Almaty. Une dynamique sociologiques identique a celle qu’a connu l’Ukraine et qui a accéléré le Maidan, lorsqu’au cours des années 2000, de nombreux jeunes de l’Ouest de l’Ukraine ont émigré à Kiev pour y chercher du travail et ont servi de premiers de cordée ou chair a canon pour le Maidan.
Cette migration interne est fondamentale car le pays est en quelque sorte coupe en deux. Comme on peut le voir sur la carte ci-dessous, le Sud et l’Ouest du Kazakhstan ont un taux de natalité colossal, 4 et plus enfants par femme, soit presque un niveau africain.
Dans le nord par contre, le taux de natalité est plutôt autour de 1 / 2 enfants par femme, le nord qui est notamment, comme on peut le voir ci dessous, la zone dans laquelle est concentrée la population russe soit 18,5% de la population du pays.
Sans surprises, les émeutes se sont donc rapidement déplacées dans les grandes villes, les manifestants exigeant une baisse des prix des aliments, la fin de la campagne de vaccination, un âge de départ à la retraite plus bas pour les mères de famille nombreuse et la fin du régime Nazarbaïev avec son propre slogan : Shal, ket! (« A bas le vieil homme. »), qui rappelle étrangement le “Gotov Je” des manifestants d’Otpor en Serbie en 2000.
Ironie s’il en est, les revendications anti-vaccinations sont nées dans la zone du pays qui a, sur les 18 mois de pandémie de 04/2020 a 10/2021, connu la plus forte surmortalité, le nord, soit la zone russe, étant la plus épargnée.
L’Insurrection
Dans les premiers jours de 2022, le pouvoir Kazakh a donc fait face à des émeutes particulièrement violentes, qui se sont rapidement étendues à tous le pays via notamment les réseaux sociaux.
D’importantes foules de personnes ont défilé, la majorité pacifiquement, mais comme pour le Maidan, une active minorité a tenté le coup de force. Les magasins et supermarchés ont été pillés, les bâtiments officiels pris d’assaut et les forces de sécurité attaquées. Des magasins d’armes ont été tout de suite pillés et des bandes armées ont semé le chaos, incendié des voitures et saisi des véhicules blindés de l’armée, faisant prisonniers leurs équipages. Les manifestants ont aussi pris d’assaut l’administration et diverses institutions (beaucoup ont maintenant été pillées, détruites et incendiées). L’aéroport d’Almaty a également été capturé pendant plusieurs heures.
Selon le président Kazakh au pic de la crise ce sont quelques 20.000 bandits qui auraient attaqué Almaty avec pour objectif de :”faire tomber la ville, y saper l’ordre constitutionnel, détruire les institutions de gouvernance et prendre le pouvoir,soit une tentative de coup d’État (…) organisé et bien préparé avec la participation de combattants étrangers de pays d’Asie centrale, y compris d’Afghanistan et du Moyen-Orient” selon les autorités, ce que semblerait confirmer l’apparition publique de groupes radicaux islamistes appelant a libérer le pays tandis que certains soldats loyalistes auraient été eux décapités.
Il est dur de totalement confirmer ou infirmer ce scénario même s’il est possible d’imaginer que des équilibres précaires inter-clans, une corruption endémique, notamment dans la police, aient peut être poussé certains à tenter de profiter de la situation, créé cette situation de flou et d’impréparation des structures de force, et plausiblement que de l’étranger, rien n’est moins sur qu’un Kazakhstan déstabilisé et affaiblissant la Russie et la Chine, aille dans le sens des intérêts stratégiques du dispositif occidental OTAN-centrique qui est implante et travaille activement, et publiquement, au Kazakhstan.
Les différentes arrestations de divers politiques, de mafieux réputés proches des services secrets turcs, de voyous et d’étrangers permettent de laisser planer le doute mais il semble aussi certain que c’est l’appel à l’aide de l’OTSC qui changera la donne.
L’intervention de l’OTSC
Dans la nuit du 6 janvier, l’OTSC accepte l’appel de mission de la paix et en seulement quelques heures le premier avion avec des militaires russes, biélorusses, tadjiks et arméniens arrive au Kazakhstan.
Une telle vitesse d’intervention laisse du reste penser que la situation n’était pas si inattendue pour les russes, permettant de mettre en doute une totale spontanéité de ces événements que le président russe Vladimir Poutine qualifiera clairement d’attaque du terrorisme international contre un état souverain appuyé par des modes opératoires issus des révolutions de couleurs.
La réaction déterminée du président Tokaev, appelant clairement l’armée a éliminer sans négociations les “rebelles” et autres “maraudeurs” ne laissait que peu de doutes sur l’issue de cette révolte qui s’est propagée aussi vite qu’arrêtée.
Une grosse semaine plus tard, ce 14 janvier, la situation semble s’être calmée : quelques 225 civils et 19 policiers et militaires ont été tués, plus de 2 200 civils et 1 300 policiers été blessés et 10.000 personnes arrêtées, risquant des peines de prison allant de 8 ans à la perpétuité.
Les troupes russes de l’OTSC quittent déjà le pays.
Et demain ?
La vitesse d’intervention des troupes russes pour l’OTSC est un signal fort que la Russie est une réelle force d’intervention militaire régionale au sens large, confirmant ce que la Syrie avait déjà démontré.
Le Kazakhstan oscille depuis l’indépendance entre rapprochement et éloignement avec la Russie. La politique multi-vectorielle des autorités Kazakhes a notamment vu un fort rapprochement avec la Turquie, que le Sultan Erdogan souhaitait transformer en maillon clef d’un grand ensemble pan-turque.
L’Organisation des États Turciques s’est même dite prête à apporter son soutien au Kazakhstan pour rétablir l’ordre, mais ce sont les soldats russes et biélorusses qui ont ramené l’ordre dans les rues Kazakhes, après un désordre qui aura finalement accéléré la fin de règne du principal artisan de la “réunification de tous les turcophones qui pourraient devenir une force efficace dans le monde”.
Moscou a gagné une bataille, mais la guerre elle, continue.