Voyage de deux Français de Russie au Donbass

A la veille de Noël 2014, deux Français de Russie, consternés par la situation au Donbass, se sont rendus sur le territoire de la république de Donetsk pour offrir des cadeaux de Noel aux enfants victimes de guerre. De retour à Moscou, DISSONANCE a recueilli les impressions de l’un d’entre eux, Nicolas Fréal.

DISSONANCE : Quelle était votre motivation ?

Nicolas Fréal : Pour commencer, l’idée première était de nous rendre dans cette zone afin de voir ce qu’il s’y passait réellement et d’échanger avec la population locale. Pour cela, nous avons voulu nous rendre utile et venir les mains pleines, et non pas en voyeurs du malheur des autres. Avec mon coéquipier Nicolas, nous avons mis nos fonds propres et récolté encore un peu d’argent auprès d’une poignée de Français – en tout environ 150 000 roubles –, afin de mettre sur pieds un chargement suffisant que nous pourrions distribuer nous-mêmes le temps d’un week-end. Tous les francais de Moscou a qui nous nous sommes ouverts de notre projet nous ont supporte financièrement et moralement, tant ils sont outres et scandalises par la tromperie colportée par la couverture médiatique occidentale des évènements en Ukraine.

 

DISSONANCE : Comment fait-on pour pénétrer sur ce territoire ?
N.F. : Nous nous sommes mis a la recherche de fixeurs efficaces. Un mois plus tôt, une première tentative avait avortée, et cette fois-ci, je disposais de trois contacts potentiels. Je suis parti donc en précurseur le vendredi a Rostov-sur-le-Don et j’ai fait les achats avec l’aide de cosaques que nous connaissions pour avoir participe ensemble en août 2012 a la cavalcade Moscou – Paris qui commémorait la chevauchée de l’ataman Platov en 1814. Notre projet était d’aller jusqu’à Donetsk, mais le convoi qui s’y rendait a retardé son départ et nous avons opté pour une autre filière qui a accepté de nous emmener seulement pour un jour à Snejnoïe, à une trentaine de kilomètres a l’intérieur du Donbass. On nous a fait remarquer que si Donetsk attirait les regards parce qu’elle etait sous le feu, cette ville recevait aussi beaucoup d’aide au moment des fetes, ce qui n’était pas le cas de villes plus petites ou les habitants etaient d’autant plus exposés a l’indifférence et a l’oubli. Cet argument nous a paru solide et nous avons décidé de changer de destination.

Notre chargement humanitaire se composait d’anoraks pour enfants, de couches-culottes 0 à 4 ans, de petits-pots bébés, de lait en poudre, ainsi que des cadeaux de Noël : des peluches, 48 kilos de mandarines, des chocolats, etc. Nous avons ensuite pris la route dans un minibus avec un membre de l’union des paras russe, répondant au surnom de Balou, et une jeune femme ukrainienne de Snejnoïe, qui a organisé notre accueil dans cette ville.

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DISSONANCE : Quelle a été la réaction des douaniers quand ils vous ont vu arriver ?
N.F. : Nos fixeurs sont habitués à passer la frontière et ont expliqué aux douaniers russes que nous apportions des mandarines et des cadeaux pour les enfants du Donbass. Les gardes-frontières ont valide l’aspect humanitaire de notre démarche et ont tamponné nos passeports sans problème. Néanmoins, ils ont affirmé qu’ils faisaient ici une exception et que la prochaine fois ils refuseraient de nous laisser passer avec tant de marchandises. D’un point de vue strictement douanier, il n’est pas possible de se rendre en Ukraine avec tant de marchandises non-déclarées au risque d’être considéré comme des contrebandiers. Balou n’est par exemple pas passé car sa voiture n’était pas à son nom. Nous avons dû charger un véhicule qui a fait le transfert entre notre minibus et un autre qui nous attendait côté république de Donetsk. Du côté insurgé, en Ukraine, l’interrogatoire s’est avéré encore plus bref : « Que venez-vous faire ? », « Offrir des mandarines aux enfants », « Passez ! ».

 

DISSONANCE  : Quelle est l’ambiance à la frontière ?

N.F. : Les douaniers russes contrôlent tous les véhicules au cas où il y aurait du matériel de guerre, des armes ou des produits interdits. Le passage entre les deux pays n’est pas du tout ouvert cote russe. Par conte, le poste ukrainien est au mains des insurges. Ils ne tamponnent rien. Coté vérification du chargement, ils s’en remettent aux russes d’en face.

 

DISSONANCE : Quelles sont les premières images qui vous ont alors marqué ?
N.F. : Le poste frontière a été le théâtre de combats notables. Une grande partie des bâtiments sont encore éventrés et brûlés. Il y a un certain nombre d’épaves de tanks et d’engins carbonises qui gisent aux aentours. Les murs sont couverts d’impacts de tir et quelques entonnoirs obligent a des coups de volant sur la route. Nous étions attendus par un minibus de la garnison de Snejnoe, avec a bord des combattants vêtus d’une tenue camouflage. La conversation pendant le voyage nous a appris que le premier etait agriculteur et l’autre ouvrier dans une usine. Ils n’avaient pas d’armes. Celles-ci les attendaient dans une voiture de police, a cinq kilometres a l’interieur des terres. Nous avons fait une courte escale dans un premier village, à Stepanovka, qui a été la cible de combats en août dernier. Sur un hameau d’une centaine de maisons, nombreuses d’entre-elles étaient complètement détruites, mitraillées ou bombardées, surtout dans le centre-ville. Quelques chars carbonisés étaient encore dans la position ou ils avaient ete touches. Un habitant est venu à notre rencontre et nous a raconté comment son fils avait été tué par des soldats ukrainiens au moment ou il était sorti dans la rue au passage d’un char. Le village est clairement endeuillé et quelques maisons seulement ont été rafistolées tant bien que mal. Il y a cependant des habitants qui se preparent a y passer l’hiver. Sur la route de Snejnoe, nous nous sommes arretes aussi a Saur Mogila, symbole de la lutte contre le nazisme [point le plus haut du Donbass (277 m), colline disputée à la division SS « Totenkopf » en 1943 au prix de 23 000 morts, tous inscrits sur le monument, ndlr]. Il est aujourd’hui complètement détruit par les combats de l’été 2014.

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DISSONANCE : Comment votre mission humanitaire a-t-elle été accueillie à Snejnoïe ?

N.F. : Le maire de la ville attendait notre arrivée. Il nous a reçus entouré de son service de sécurité. Il nous a remerciés pour notre aide, mais a tenu à préciser que ce dont ils avaient le plus besoin maintenant c’était que l’économie reparte et que l’on passe des commandes aux usines. Les écoles étaient ouvertes, les fonctionnaires recevaient une partie de leur salaire, peu d’habitants avaient déserté. Les administrés et les autorités locales préfereraient en fait du travail a de l’aide humanitaire. Il nous a même expliqué que tous nos cadeaux étaient achetables sur place. C’est simplement la masse monétaire qui faisait défaut au Donbass. Une prochaine fois, nous pourrions revenir seulement avec de l’argent.

 

DISSONANCE :Qui a bénéficié de vos présents ?

N.F. : La mairie dispose d’une liste de familles en détresse, et nous avons, accompagnés de deux  assistantes sociales, rendu visite à cinq d’entre-elles. La rencontre la plus marquante a été celle d’une grand-mère qui gardaient ses deux petites-filles après la disparition de leurs parents. Quand nous sommes arrivés à l’appartement, la vieille dame n’était pas là. Les deux filles nous ont dit a travers la porte qu’elles ne pouvaient pas ouvrir sans la présence de leur grand-mère. Nous avons annoncé que nous apportions des chocolats et les deux filles n’ont pas pu se retenir d’ouvrir quand même. Elles en ont pris puis on a refermé l’air de rien jusqu’à ce que la grand-mère arrive. Elle a été très émue de nous voir, elle pleurait, allant même jusqu’à dire que c’était son plus beau jour depuis plusieurs mois. Sa situation n’était pas des plus dramatiques, mais elle n’avait par exemple pas de quoi acheter des piles pour l’appareil auditif d’une des filles rendue presque sourde par les bombardements. Nous lui avons donné 1000 roubles (6 mois de piles). Le plus intéressant pour nous n’était pas d’apporter ces vêtements chauds, ni à manger, ce dont ils disposent plus ou moins, mais ces articles qui sortent de l’ordinaire, que l’on n’achète pas quand on a un budget restreint, comme du chocolat dans des emballages de fête. Parmi la liste, il y avait beaucoup de familles nombreuses dont le pere avait ete tue, avec des enfants en bas-age. Ces personnes croient quasiment que toute l’Europe est contre eux, et de savoir qu’il y a des Français solidaires à leur cause, leur fait énormément plaisir. Toutes les réactions ont toujours été très attendrissantes.

Nous sommes aussi allés voir l’orphelinat où il ne restait plus que trois pensionnaires sur les 15 d’avant la guerre. Ces derniers ont été emmenés en Ukraine de l’Ouest par l’armée de Kiev lors de leur offensive dans la région. Les enfants présents dessinaient des chars et des avions qui jetaient des bombes. Tout le reliquat de nourriture a été laissé à la mairie, qui doit se charger de la distribuer aux écoles, puisque nous étions le week-end.

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DISSONANCE : Les références à la Seconde Guerre mondiale sont très présentes dans la rhétorique de l’insurrection pro-russe dans l’Est de l’Ukraine, avec l’emploi de termes comme « lutte contre le fascisme » et « bandéristes » pour désigner les troupes ukrainiennes par exemple. La population locale a-t-elle vraiment l’impression de mener la dernière bataille de la Grande Guerre patriotique ?

N.F. : C’est vrai. Quand vous parlez aux locaux, ils vous présentent le pouvoir de Kiev comme celui d’une bande de putschistes qui s’appuient sur un noyau dur de néo-fascistes issus des régions ouest de l’Ukraine qui ont collabore avec l’Allemagne nazie, le tout finance par les Etats-unis. La mise sous tutelle du pays avec ses ministres etrangers et son aliénation a l’UE ne voudrait qu’amener l’Otan aux frontieres russes pour y implanter des bases et préparer un assaut sur la Russie, en parallele avec une appropriation des ressources et des richesses du Donbass. C’est pourquoi ils voulaient nous montrer ce monument à Saur Mogila, pour nous expliquer à quel point ils avaient souffert et surtout été humiliés. Pour eux, la destruction délibérée de ce monument d’unité régionale et d’histoire commune par les forces de Kiev est un crachat sur la tombe de leurs ancêtres. Tout est très clair dans leurs têtes : ils ont organisé un référendum selon leur droit a disposer d’eux-mêmes, la démocratie a parlé [Le 11 mai 2014, 89,07 % des électeurs de Donetsk et  95,98 % de Lougansk ont voté pour l’indépendance de leurs régions, ndlr], et si Kiev ne respecte par ce choix, c’est que les autorités ukrainiennes sont antidémocratiques. Ces personnes luttent donc pour leur indépendance sur leur territoire historique.

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DISSONANCE : Comment ces populations voient-ils leur avenir ?

N.F. : Les gens sont globalement optimistes. Les victimes civiles accumulées que font les bombardements ukrainiens renforcent chaque jour leur détermination et instaurent un climat d’entraide généralisée et d’empathie qui, paradoxalement, crée un climat sur place extrêmement chaleureux et camarade. L’ambiance est donc étonnement enthousiasmante et civilisée, malgré la précarité de la vie même. Le rêve des habitants est celui d’un Etat moral et vertueux. j’ai été étonné par exemple de voir dans la constitution de Novorussia que le prêt a usure etait interdit ! La démarche du petit peuple du Donbass reste étonnante et incroyablement subversive, de par le fait qu’elle veut préserver son âme au milieu de la grande foire aux corruptions qui caractérise notre époque.

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