La démographie russe est un sujet fort complexe qui a donné lieu à de terribles erreurs d’appréciation (stratégiques, économiques…) et de compréhension de la réalité russe.
Sur le plan sanitaire, l’explosion de la toxicomanie a provoqué une explosion du VIH et l’on a vu réapparaître de nombreuses maladies qui n’existaient plus que dans certains pays du tiers monde comme par exemple la diphtérie, le typhus, le choléra ou la tuberculose.
La conséquence de ce grand dérèglement sur la démographie du pays fut quasi-instantanée. Dès 1991 le nombre de naissances va commencer à diminuer, passant annuellement de 1.794.626 à 1.214.689 en 1999, tandis que le taux de fécondité s’effondrait de 1,89 à 1,17 enfants par femme. Dans le même temps, le nombre de décès augmentait en flèche, passant de 1.690.657 en 1991 à 2.144.316 en 1999. Cette situation donna naissance à une nouvelle terminologie démographique propre au pays: le terme de « croix russe » définissant une natalité en baisse et une mortalité en hausse.
Fort logiquement, de nombreux pronostics démographiques plus pessimistes les uns que les autres vont apparaître à cette époque. La CIA (dans une analyse de 2001) envisageait par exemple que la population de Russie n’atteindrait que 130 millions d’habitants en 2015 (alors qu’elle s’est établie cette année à 146 millions d’habitants). En 2002, c’est l’Institut Robert Schuman qui augurait qu’en 2050, la population du pays pourrait atteindre «entre 77,2 millions et 101,9 millions d’habitants » selon des scenarios plus ou moins optimistes. Pour la plupart des observateurs, la Russie était condamnée à mourir. Pendant cette décennie post-soviétique, le pays perdait naturellement entre 750 et 900.000 habitants par an, et ce en dépit du fait que des centaines de milliers de Russes des ex-républiques soviétiques immigraient en Russie. Plus grave encore, les femmes russes ne faisaient plus d’enfants.Pourtant, dès le début des années 2000, la stabilisation politique et la prise en main active des enjeux démographiques par l’Etat russe vont permettre à la Russie de connaître un réveil démographique d’une vivacité exceptionnelle, qu’aucun démographe n’aurait pu imaginer.
Le réveil démographique russe: la Génération Poutine
Ce sursaut démographique a plusieurs causes principales.
Il y a eu tout d’abord le retour de la confiance dans l’avenir qui a eu un impact immédiat sur le nombre de naissances. Ce retour de la confiance s’est amplifié au fur et à mesure que la population russe vivait les conséquences du retour de la stabilité et l’amélioration continue et forte de son niveau de vie. Entre 2000 et 2015 la Russie sous Poutine a vécu ses « 15 glorieuses » et il est maintenant clair que cette croissance économique a entrainé une croissance démographique.
Il y a eu aussi la mise en place d’une forte politique familiale qui a contribué à inciter les jeunes femmes à faire des enfants et notamment un second enfant. Cette politique familiale s’est manifestée par deux moyens: D’une part il y a eu une politique d’aide financière aux familles et aux mères, avec une batterie de mesures financières et de soutiens dont la plus célèbre est une prime (le Matkapital) pour la naissance du second enfant mais on pourrait aussi citer des allègements d’impôts, des aides aux crédits immobiliers ou des cadeaux (frigidaires, voitures…) et autres.
D’autre part, il y a eu une habile campagne de communication morale et patriotique pour inciter les jeunes couples à faire des enfants et assurer un avenir à leur pays, notamment via l’organisation de journées patriotiques. Détail intéressant: la « presse people russe » y a fortement contribué en montrant des stars russes avec leur second, troisième ou quatrième enfant, ce qui n’a pas manqué d’inspirer fortement la population féminine du pays.Enfin il faut noter le rôle de l’Eglise, dont l’influence morale opère un retour en force au sein de la société russe. L’Eglise promeut en permanence une morale familiale qui a une grande influence sur la démographie du pays.
La population russe ne baisse plus depuis 2009
Renversement de situation économique, mesures pro-natalistes et remoralisation de la société russe: cet ensemble de facteurs a eu un effet beaucoup plus rapide et beaucoup plus important que prévu sur la natalité russe. Le nombre de naissances n’a (depuis 2000) cessé d’augmenter, passant de 1.266.800 naissances en 2000 à 1.929.699 naissances en 2013 tandis que le nombre de décès a connu un recul constant, passant de 2.365.826 en 2003 à 1.878.269 en 2013. Des résultats surprenants, surtout pour les démographes, alors que le nombre de femmes en âge de procréer diminue depuis 2008.
En comptant l’immigration de résidence (entre 250.000 et 300.000 personnes/an) la population russe ne diminue plus depuis 2009. Depuis 2012, elle connaît même une hausse naturelle, c’est-à-dire sans tenir compte de l’immigration, puisqu’en 2013 la population a augmenté naturellement de 22.913 habitants.
2014 n’a pas dérogé à cette tendance positive sur le plan de la natalité puisque selon les premières données disponibles (des ajustements auront lieu dans les prochains mois), le pays a connu 1.947.301 naissances et un taux de fécondité de 1,76 enfants / femme. Petite ombre au tableau: le nombre de décès est sensiblement reparti à la hausse avec 1.913.613 décès pour l’année, permettant cependant une hausse naturelle de population de 33.688 habitants pour l’année 2014.
Et l’immigration dans tout ça?
Durant les années 90, des millions de Russes de l’étranger (de l’ex-URSS) se sont du jour au lendemain retrouvés citoyens de pays étrangers à la chute de l’Union soviétique. Ces « pieds rouges » sont retournés en Fédération de Russie, créant un flux migratoire majoritairement slave qui a comblé dans une large mesure l’effondrement démographique naturel que le pays connaissait à la même période.
Au cours des années 2000, ce flux s’est peu à peu tari et a été remplacé par des flux intenses de citoyens d’Asie centrale et dans une moindre mesure d’une Caucase non russe (Arménie, Géorgie, Azerbaïdjan…) attirés par les opportunités économiques qu’offrait une Russie en pleine croissance. Parallèlement, le nombre de ressortissants d’Europe et d’occident augmentait également, mais dans des proportions bien moindres.
Les derniers événements géopolitiques ont vu la situation considérablement évoluer sur ce plan.
Les premières données disponibles pour 2015 indiquent qu’environ 10,9 millions d’étrangers (dont 80% issus de la CEI) se trouvent sur le territoire de la Fédération de Russie, soit 440.000 de plus qu’il y a un an. Mais en faisant abstraction du fort mouvement d’immigration d’Ukrainiens dû à la guerre (près de 860.000 personnes), on constate que le nombre d’étrangers présents en Russie a en réalité diminué de 420.000 personnes. Il est intéressant d’analyser qui part de Russie et qui vient en Russie dans un contexte de crise géopolitique et pétrolière.Nous avons bien sûr assisté au départ de dizaines de milliers de migrants d’Asie centrale affectés par la chute du rouble et l’évolution de la situation globale en Russie, en premier lieu les ressortissants d’Ouzbékistan (-100.000) et du Tadjikistan (-22.000). Outre ces derniers, les communautés qui ont le plus quitté la Russie sont les occidentaux: en premier lieu les Allemands (-108.000), les Américains (- 80.000), les Anglais (-68.000), les Finlandais (-46.000), les Espagnols (-31.000) et les Italiens (-23.000). Il On dénombre en outre 18.000 Canadiens et 15.000 Français en moins sur un an.
A l’inverse, l’effectif de certaines communautés augmente: les Ukrainiens (+850.000), les Biélorusses (+130.000), les Chinois (+68.000), les Arméniens (+44.000), les Kazakhs (+26.000), les Kirghizes (+20.000), les Moldaves (+16.000), les Coréens du nord et du sud (+14.000) et les Géorgiens (+2.500).
Cette évolution brutale dans la structure de la population étrangère traduit donc une désoccidentalisation de l’immigration et parallèlement sa forte slavisation et « CEI-sation ». La « désasiatisation » est à relativiser, puisque 122.000 ouzbeks et tadjiks ont été « remplacés » par 128.000 Chinois, Coréens, Kazakhes et Kirghizes.
Et l’avenir démographique russe?
La hausse démographique que la Russie connaît depuis 2009 est due à deux facteurs cumulés que sont une hausse de la natalité et une immigration stable et soutenue.
On peut imaginer que l’immigration ne diminue pas ou peu sur la longue durée, surtout si la Russie connaît rapidement un retour à la croissance, ou ne traverse pas l’effondrement économique qui semblait promis au pays une fois les tensions de ces derniers mois dissipées. Dans tous les cas, une baisse de l’immigration globale et de travail ne devrait pas avoir la moindre influence sur l’immigration de résidence: celle-ci devrait rester plus ou moins stable, car elle ne constitue que 200 à 300.000 personnes sur 10 millions d’étrangers présents à ce jour.
Il semble par contre inévitable que ces prochaines années la natalité diminue de nouveau, et même fortement, lorsque la génération de jeunes femmes nées dans les années 90 arrivera en âge de procréer. Cette génération est bien moins nombreuse que celle des années 80, qui a fait des enfants au cours de la dernière décennie. Cette baisse devrait être cependant atténuée par la hausse du nombre d’enfants par femme. Autre aspect crucial: la diminution très prononcée du nombre des avortements, ceux-ci étant passés de 3.060.237en 1994 à environ 800.000 en 2014.
La tendance lourde devrait donc voir une baisse du nombre de naissances (qui ira en s’accélérant après 2025) et une hausse des décès, particulièrement forte après 2030. Une évolution dynamique de la pyramide des âges russe jusqu’en 2031, disponible ici, montre l’évolution de la situation.
La population de la Russie était de 148.273.746 millions d’habitants début 1991 et était tombée à 141.903.979 millions d’habitants en 2009. Elle est depuis 6 ans en hausse constante et s’établissait au 1er janvier 2015 à 146.270.033 d’habitants, notamment via le rattachement de la Crimée qui a « boosté » de 2 millions d’habitants la population de la Fédération de Russie.L’avenir de la démographie russe peut être envisagé à travers le prisme de trois scénarios démographiques.
1/ Le premier, qui pourrait s’appeler « scénario pessimiste », envisage que la population russe diminue naturellement de 50.000 habitants dès l’année prochaine, de 125.000 la suivante et ainsi de suite. Ce scénario envisage une population de 142,5 millions d’habitants en 2030.
2/ Le second scénario, ou scénario médian, envisage une population russe qui se remet à diminuer naturellement à compter de 2018. Toutefois, une immigration annuelle d’environ 350.000 personnes comble le déficit démographique naturel jusqu’en 2025. Ce scénario envisage une population de 147,5 millions d’habitants en 2030.
3/ Enfin le troisième scénario, ou scénario optimiste, envisage une population russe augmentant naturellement jusqu’en 2021 (ce qui semble fort improbable à ce jour) parallèlement à une immigration annuelle soutenue de 450.000 individus, permettant à la population russe d’atteindre 152 millions d’habitants en 2030.
Ces deux dernières prévisions sont intéressantes car en 2006 la même estimation envisageait des populations de respectivement 139.372.000 habitants et 148.000.000 en 2030. Comme on peut le voir sur la dernière petite décennie la situation s’est améliorée au-delà de toute prévision.
En parlant de prévision justement: Il est plausible à ce jour tout du moins d’envisager que la population de la Russie ne se situe aux alentours de 150 millions d’habitants en 2030 soit une situation à mi-chemin entre les scénarios médian et optimiste. En effet la population de Russie atteint en ce mois de février 2015 146,4 millions d’habitants et devrait plausiblement à la fin de l’année atteindre 146,8 millions d’habitants, avec une hausse naturelle de population de 40.000 et un apport migratoire de 300.000 âmes. Cela permettrait en théorie à la population de se situer pile entre les deux estimations moyenne (146,7 millions) et haute (146,9 millions) au 01/01/2016.
Une situation bien loin des prédictions qui avait été faites par les instituts et autres « spécialistes » de la démographie russe au cours des quinze dernières années.