Vladimir Poutine appose sa signature au bas de la Loi Dima Iakovlev. Ça, c’était le 28 décembre dernier. Malgré la date, le geste du président russe est loin d’être innocent. En ratifiant l’interdiction d’adoption d’enfants russes par des familles américaines, l’homme fort du Kremlin tire un peu plus sur la corde déjà extrêmement tendue des relations russo-américaines.
Deux semaines plus tôt, la tension était déjà montée d’un cran avec la Loi Magnitski. Une mesure américaine qui gèle les avoirs sur le territoire US de toute personne responsable d’une violation avérée des droits de l’Homme en Russie.
Ajoutez à cela la déclaration d’Hillary Clinton, en visite à Londres, qui évoque sa “crainte d’une resoviétisation de l’Eurasie”, et vous obtenez une atmosphère crispée à souhait, au point que certains n’hésitent pas à parler d’une nouvelle Guerre froide. À raison ?
Poutine et son monde multipolaire
À cette question, Alexandre Latsa répond par l’affirmative. Ce Français vit et travaille en Russie. Il est chroniqueur pour les sites d’information RIA-Novosti et Voix de la Russie, ce qui fait de lui un observateur avisé, bien que forcément orienté, des relations russo-américaines : “La politique américaine depuis 20 ans a amené cette nouvelle Guerre froide. Les lois Magnitski et Dima Iakovlev n’en sont que les plus récents développements. La différence fondamentale est que l’Amérique désormais fragilisée n’a plus en face d’elle une Russie faible et en décomposition mais une Russie qui a elle aussi ‘son’ agenda géopolitique.”
Amine Ait-Chaalal, professeur à l’UCL et spécialiste de politique étrangère américaine, n’est pas aussi alarmiste : “Entre l’URSS et les USA, la Guerre froide était bien plus tendue et parfois beaucoup plus dramatique que la situation actuelle.” Il reconnait toutefois volontiers qu’“il existe une très nette crispation des relations entre les deux pays.”
Le déclencheur de ces nouvelles tensions, ce serait donc la montée en puissance de la Russie depuis 2000 et l’accession au pouvoir de Vladimir Poutine : “Durant l’ère Eltsine, l’administration américaine avait sans doute bon espoir d’intégrer totalement la Russie à son architecture mondiale, c’est-à-dire faire de la Russie une puissance sous tutelle économique et militaire et surtout sans ambitions géostratégiques” poursuit Alexandre Latsa.
Une hypothèse confirmée par Amine Ait Chaalal : “La période Eltsine n’a été qu’une parenthèse. Les actuels dirigeants russes cherchent à réaffirmer clairement le rôle de puissance mondiale de leur pays.” Volonté clairement affirmée par Vladimir Poutine lors de son discours de Munich en 2007, qui appelait alors à un changement de l’architecture mondiale. Le président russe veut un monde multipolaire, avec une place pour sa Russie parmi les grandes puissances, là où les États-Unis veulent conserver leur mainmise sur la géopolitique mondiale.
Des coups d’État made in America ?
Pour garder le contrôle de la zone Eurasie, “l’arrière-cour des affaires du Monde” avec ses ressources énergétiques et sa pléthore de concurrents potentiels (Chine, Russie, Europe), les Américains ne reculeraient devant rien, selon Alexandre Latsa : “Les Etats-Unis ont, durant la dernière décennie, activement contribué à l’instauration de régimes politiques qui leur soient favorables dans la région Eurasie.”
Pour ce faire, les Américains ne sont pas intervenus directement, mis à part en Afghanistan, mais ont apporté un soutien plus ou moins clair à certains mouvements révolutionnaires. Pour Alexandre Latsa, “ces mouvements sont en réalité de réels coups d’Etat démocratiques, réalisés par le désordre social et des élections anticipées, eux-mêmes organisés par le travail de sape d’une galaxie d’ONGs présentes dans les pays visés. Cela a été le cas en Serbie, Ukraine ou Géorgie, via les mêmes associations et les mêmes modes opératoires.” Notre interlocuteur cite, en guise de preuve, les confessions dans Politique Internationale d’Aleksandar Maric, activiste de l’ONG Otpor qui confirme l’aide politique et financière du département d’État américain lors de ces révolutions.
Amine Ait-Chaalal se veut moins catégorique, sans pour autant contredire la théorie avancée par Alexandre Latsa : “Au niveau international, les Etats-Unis ont plusieurs stratégies : l’une d’entre elles vise à maintenir leur prééminence actuelle. Très rationnellement, tout ce qui peut y contribuer sera dès lors favorisé. Cela dit, des dynamiques nationales, dans les environs de la Russie ou ailleurs, ne se dictent pas de l’extérieur. Elles ne peuvent, à la limite, qu’être (plus ou moins clairement) soutenues, ou même encouragées. Ou, a contrario, non soutenues, voire découragées.”
La Syrie, nouvelle pomme de discorde
Serbie, Ukraine, Géorgie : autant de pays qui, dans l’intervalle, ont perdu leur impact économique important avant ce changement de régime. Une réalité qui amène les Russes à accuser le rival américain d’ingérence directe dans les pays frontaliers.
La Guerre de Géorgie, en 2008, avait déjà fait monter la tension d’un cran entre les deux grands rivaux de la Guerre froide. Depuis, Américains et Russes ne se cachent plus, et se mettent publiquement des bâtons dans les roues. La Russie n’hésite pas à maintenir son veto au Conseil de Sécurité de l’ONU pour empêcher coûte que coûte une intervention dans le conflit syrien.
Syrie, Loi Magnitski et Loi Dima Iakovlev : la tension est à son comble entre des États-Unis en perte de vitesse et une Russie qui veut redistribuer les cartes du grand échiquier mondial. Une redistribution qui passe par l’Eurasie et où les Russes, en plus de la concurrence américaine, devront notamment composer avec les aspirations turques et iraniennes.
I like this comment by wigbond in Belgium:
“Dommage qu’il n’y ait pas plus souvent d’articles sur ces sujets géopolitiques, passionnants. A quand un article sur l’Organisation de Coopération de Shangai ?”
So, when are you going to write an article about the SCO for Ria Novosti, Alexandre?
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