L’article original a été publié sur le site de Ria Novosti
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En décembre dernier, j’écrivais dans une tribune intitulée :“La démographie russe objet de tous les fantasmes” que contrairement à l’idée globalement véhiculée par le mainstream médiatique, la Russie n’est pas en train de disparaître, en tout cas pas plus que de nombreux pays d’Europe.
Ces dernières années il a en effet été très fréquent de lire çà et là que la crise démographique russe était telle que le pays pourrait ne pas s’en remettre et que la disparition pure et simple de la population russe était en cours. La Russie, nous disait-on, perdait à un rythme de croisière approximativement 800 à 900.000 habitants par an et devait voir sa population tomber à 100 millions d’habitants vers 2050. L’ONU prédisait même en 2008 que la population de la Russie devrait tomber à 132 millions en 2025 et 116 millions en 2050. Plusieurs éléments permettent néanmoins de penser que cela ne se produira pas.
A la chute de l’URSS, l’effondrement de la natalité et l’explosion de la mortalité ont créé un creux démographique sans précédent pendant 25 ans, soit une génération. Dès 1992 la mortalité dépasse la natalité. En 1999, avec 1.214.689 naissances et 2.144.316 décès, la perte nette de population est de 929.627 habitants. Le taux de fécondité cette année-là est de 1,17 enfant par femme alors qu’il était de 2,01 enfants par femme en 1989.
Dès les années 2000, le nombre de naissances va doucement remonter, mais la mortalité reste élevée, empêchant toute hausse de la population, malgré l’immigration. En 2005, 1.457.376 naissances ont lieu en Russie et 2.303.935 décès, soit une perte naturelle de population de 846.559 habitants. L’année 2005 est la 5ème année de stabilisation économique en Russie, ainsi que le début du second mandat de Vladimir Poutine. C’est aussi l’année de lancement du plan démographique et aussi d’un programme d’aide à la natalité. Les mamans se voient désormais attribuer des aides financières et matérielles destinées à les inciter à faire des enfants dans de meilleures conditions.
Les résultats seront très positifs. En 2010, 1.788.948 bébés verront le jour en Russie, et avec 2.028.516 décès la perte nette de population est de 240.000 habitants. Ces chiffres sont en outre pénalisés par l’exceptionnelle canicule de l’été 2010 qui a entraîné une surmortalité de près de 50.000 personnes. Sans cet évènement climatique la baisse naturelle de la population aurait pu être de “seulement” 200.000 habitants. Le recensement d’octobre 2010 a permis en outre de réévaluer à la hausse la population de la fédération de Russie, puisque selon les décomptes, la population au 01 janvier 2011 se monterait officiellement à 142,9 millions d’habitants, soit 1 million de plus que ce qui était estimé jusque là.
Pour l’année 2011 les chiffres de janvier à avril sont disponibles. Ils confirment la tendance entamée depuis 2 ans à savoir que la natalité devrait rester élevée (l’année devrait voir plus de 1,7 million de naissances), tandis que la mortalité est en baisse. Ainsi, pour la première fois depuis 1998 le nombre de décès devrait passer sous les 2 millions. Rappelons que la baisse du nombre de décès est la seconde étape du plan démographique, la première étant la hausse du nombre de naissances. La baisse naturelle de population devrait donc pour cette année s’établir autour de 200.000 habitants, contre 290.000 en 2009 et 240.000 en 2010. En 2009 l’immigration a en outre permis à la population russe d’augmenter de 25.000 habitants et de “seulement” diminuer de 50.000 habitants en 2010.
Depuis 2008 la population russe est donc globalement en voie de stabilisation. Le taux de fécondité pour 2010 est approximativement estimé à 1,54 enfant / femme ce qui correspond à peu près au taux médian au sein de l’union européenne, et est supérieur à celui de nombreux pays comme par exemple l’Allemagne ou l’Italie dont on n’annonce pourtant pas la disparition programmée pour le milieu du siècle. Symbole de cette prise de conscience que la Russie existera encore dans le futur, le bulletin démographique 2010 révisé de l’ONU prend en compte ces nouvelles évaluations et projette dans sa variante “moyenne” une population en Russie de 139 million en 2025 et 126,2 millions d’habitants en 2050. Ces nouvelles estimations de l’ONU sont plus en phase avec le scénario démographique prévu par l’institut russe de statistiques Rosstat qui dans son scénario démographique médian pour le pays envisage une population de 140 millions d’habitants en 2025 et 139 millions en 2030. Mais ces estimations paraissent prudentes dans la mesure où l’impact de l’immigration est sans doute encore largement sous estimé en Russie et le sera sans doute dans les années à venir.
Que devrait-il se passer? Dans les prochaines années le nombre de femmes en âge de procréer va lentement diminuer, effet de structure de la pyramide des âges russe. Il y avait en 2010 par exemple 2,56 millions de femmes de 22 ans, 2,23 millions de femmes de 20 ans, 1,84 million de femmes de 18 ans et 1.68 million de femmes de 17 ans. Seul un taux de fécondité à la hausse pourrait compenser la baisse logique du nombre de naissances, due au plus faible nombre de jeunes mamans russes en âge de procréer. La hausse souhaitée du taux de fécondité à 1,6 ou 1,7 enfant par femme, couplée à la réduction de la mortalité en cours (amélioration des infrastructures et changement de génération) devrait donc théoriquement permettre de réduire le gap entre le nombre des naissances, qui ne devrait plus trop augmenter désormais, et le nombre de décès qui lui devrait sérieusement diminuer. Mais seule une immigration d’approximativement 200 à 250.000 personnes / an devrait pouvoir empêcher la population de numériquement décroître. Ces chiffres sur l’apport migratoire sont également ceux fixés pour le scénario démographique de l’institut statistique Rosstat, dans sa version basse, pour arriver à cette population de 139 millions d’habitants en 2030.
Bonjour Alexandre;
Puis-je me permettre rapidement une réflexion à la lecture de cette note?
Assurément, la question de la démographie est l’objet de tous les fantasmes et pas seulement en Russie.
Et comment y échapper d’un côté comme de l’autre?
Je veux dire par là: sommes-nous sûrs qu’il est de nos jours impératif qu’un pays figure dans le groupe de tête des pays à forte croissance démographique pour être respecté et surtout assuré de se reproduire en reproduisant ses membres, sans devoir les sacrifier faute de pouvoir les nourir ou leur donner une vie digne? (On sait bien que de nombreuses guerres, comme celle de Trente ans – des États y ont perdu jusqu’à 50% de leur population, sont faites pour se débarrasser du surplus d’hommes).
Je ne suis pas spécialiste de cette question, loin s’en faut, mais j’ai le sentiment que l’équation que nous construisons dans notre tête entre une forte croissance démographique et haut degré de développement civilisationnel procède d’un fantasme, longuement entretenu par le christianisme et les États.
Compte tenu des sérieux problèmes écologiques et démographiques qui agitent la planète peut-être est-ce une chance pour la Russie que de faire partie des 63 pays à décroissance démographique. Une décroissance qui permet à ces pays de mieux prendre en main leur destin en réalisant une révolution civilisationnelle dont on ne mesure pas encore la nature et l’ampleur.
On sait bien que la Russie ne fait jamais rien à moitié. S’agissant de cette question on peut en théorie, pour le coup, dissonante, émettre l’hypothèse qu’elle amorce peut-être là, brutalement, avec d’autres pays développés ou non (Iran Tunisie…) une ère nouvelle. Une ère caractérisée par une sorte de maîtrise du destin de la nation jusque-là soumis aux aléas de la reproduction bio-socio-théologique de ses membres.
Oups… Une petite erreur m’a empêché de signer mon texte.
René GENDRE.