Alors que la Russie est en pleine perestroïka, un jeune militant communiste, membre actif des komsomols, se reconvertit à l’économie de marché en créant en 1985 un café coopératif aux fins d’importations de cognacs bas de gamme et autres produits occidentaux manquant en Russie de l’époque.
En 1989, il fonde la première banque privée du pays (Menatep) et seulement six ans plus tard, en 1995, s’empare de la société pétrolière Ioukos au moment de la privatisation des entreprises russes. L’acquisition de Ioukos se fait de façon vraisemblablement discutable puisque les deux seuls acheteurs autorisés à entrer en lice pour cette acquisition sont des compagnies détenues majoritairement par la banque Menatep.
En 1996, on retrouve ce jeune milliardaire au sein d’un groupe formé par les sept banquiers et hommes d’affaires les plus influents de Russie. Ces derniers vont en utilisant leur très forte influence dans la sphère publique russe (économie, médias…) soutenir et permettre la réélection de Boris Eltsine contre son opposant communiste Guennadi Ziouganov.
En 2001, le jeune et riche Mikhaïl Khodorkovski semble promis aux plus hautes destinées. Il lance l’Open Russia Fondation, une ONG destinée à influer sur la vie politique russe et qui ne masque pas les orientations politiques libérales, civiques et pro-occidentales de son fondateur. L’ORF, membre du réseau des sociétés ouvertes (Open Society) de Georges Soros, se présente comme une première pierre dans la lutte contre la corruption et afin de faire de la Russie un soi disant pays européen. L’ORF tient sa réunion de lancement aux Etats-Unis le 18 septembre 2002. Au cote de Mikhaïl Khodorkovski, siègent au board de l’ORF, par exemple, Henry Kissinger, Arthur Hartman (ancien ambassadeur américain en France et en union soviétique) ou encore Lord Jacob Rothschild. Ce dernier sera du reste fait légataire des actifs de Ioukos par Mikhaïl Khodorkovski au moment de son arrestation.
En avril 2003, Ioukos entame une fusion avec Sibneft, une société acquise en 1996 par Boris Berezovsky et Roman Abramovich et majoritairement (à l’époque) détenue par Boris Berezovsky. A la même époque, Mikhaïl Kodorkovski siège au groupe Carlyle et mène des négociations avec des sociétés américaines (Exxon Mobil and Chevron Texaco) pour leur céder Ioukos, en clair céder des avoirs énergétiques russes, acquis de façon douteuse, à l’Amérique, c’est-à-dire à l’époque à l’adversaire stratégique et géopolitique principal du pays.
Le 25 octobre 2003, Mikhaïl Khodorkovski est arrêté à l’aéroport de Novossibirsk en Sibérie, dans le cadre d’une enquête fédérale sur des malversations financières au sein de Ioukos.
Le mainstream médiatique et intellectuel français et occidental n’a alors et depuis jamais cessé de nous marteler que Vladimir Poutine aurait arbitralement fait arrêter Mikhaïl Khodorkovski en qui il voyait un potentiel rival et surtout un homme capable de dénoncer la soit disant corruption d’état qui régnait en Russie.
Pourtant, la réalité semble assez éloignée de cette vision manichéenne de ce que l’on appelle désormais “l’affaire Khodorkovski”.
Le 26 novembre 2003, des banquiers suisses portent plainte contre Khodorkovski et ses associés pour blanchiment d’argent et participation à une organisation criminelle, à savoir une fraude financière à grande échelle organisée via la banque Menatep, qui aurait dès 1997 ouvert un compte au sein de Clearstream et procédé à des transferts financiers massifs vers la Bank of New York.
A cette époque, la responsable de la banque de New York, Natasha Gurfinkel Kagalovsky, n’est autre que l’épouse du vice-président de la Menatep: Konstantin Kagalovsky. Ce dernier est très proche d’un autre oligarque du nom de Vladimir Goussinski, ex-monsieur média sous Eltsine et candidat d’opposition libérale chez Iabloko en 2003 avant de quitter le pays et de diriger, avec son partenaire de l’époque Konstantin Kagalovsky lui aussi en exil, une chaine de télévision ukrainienne d’opposition qui critique fortement la politique de l’actuel président Victor Ianoukovich.
Selon la journaliste Lucy Komisar, les seules opérations de blanchiment d’argent via le schéma Clearstream-Menatep se montent à au moins sept milliards de dollars provenant de Russie.
En 2005, le chef de la sécurité de la banque Menatep puis de Ioukos, Alexeï Pitchouguine, est condamné à 20 ans de réclusion pour le meurtre de Sergueï Gorine, un ancien dirigeant de la banque Menatep, et de son épouse Olga. Cette sentence est commuée en 2007 à une peine de prison à vie après qu’il ait été aussi reconnu coupable de trois autres meurtres. Toujours en 2005, Mikhaïl Khodorkovski est lui condamné à 9 ans de prison (ramenés à 8 ans en appel) pour fraude fiscale puis à 6 ans de prison supplémentaires en 2010 (ramenés à 5 ans en appel) pour vol de pétrole et blanchiment d’argent d’un montant de 23,5 milliards de dollars.
Le mainstream médiatique et intellectuel français et occidental n’a alors et depuis jamais cessé de nous présenter Khodorkovski et Platon Lebedev (son associé) comme des prisonniers politiques. En 2011 les partisans de Mikhaïl Khodorkovski affirmaient vouloir saisir la cour européenne des droits de l’homme. Amnesty International, à peu prés à la même époque, affirmera même que Khodorkovski et Lebedev sont clairement des “prisonniers d’opinion“.
Pourtant, la cour européenne des droits de l’homme vient à ce sujet de rendre la décision. Elle confirme le caractère non politique du procès, et confirme que les accusations contre les accusés sont justement fondées mais aussi que le droit des accusés à un procès équitable n’avait pas été violé. Autrement dit, il y a bien eu violation de la législation pénale et fiscale et leur condamnation est donc bien justifiée.
Cette décision va dans le sens des affirmations du président russe qui affirmait en 2010 que: “les crimes de M. Khodorkovski ont été prouvés par la justice (…) et que tout voleur doit aller en prison”. Celui-ci non sans humour rappelait notamment que “Pour des crimes analogues, l’Américain Bernard Madoff a été condamné à 150 ans de prison (…) Notre justice est donc beaucoup plus libérale”.
Cette décision de la cour européenne des droits de l’homme va également à l’encontre des affirmations de la très large majorité des commentateurs sur cette affaire depuis près d’une décennie. Ce jugement démontre et brise leur trop fort parti pris et leur obsessionnelle refus d’accepter qu’un quelconque opposant (ou pas) à Vladimir Poutine puisse être coupable de quoi que ce soit.
On ne peut s’empêcher, sur la forme et le traitement médiatique extérieur de l’affaire, de faire un parallèle avec l’affaire Navalny et de se dire que finalement la justice russe a bien fait de libérer le jeune bloggeur mis en examen. Cette mesure ralentira peut être la mauvaise foi du mainstream médiatique. Elle procurera aussi un peu de sérénité à l’élection municipale de Moscou en septembre prochain et donc à la vie politique et démocratique intérieure du pays.
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