« Le salut de la France, une des grandes tâches universelles de la Russie »

9Washington_Army_and_Navy_Club_2010Né en France, Alexandre Havard est également Russe. Il a travaillé comme avocat à Paris puis Strasbourg et Helsinki et dirige le Havard Virtuous Leadership Institute, via lequel il enseigne le leadership. Ses ouvrages ont été traduits en plus de 15 langues et il réside désormais à Moscou.

En 2013 a été publié son ouvrage « Un chemin russe » qui est plus qu’une biographie mais un ouvrage sur la foi, la France et la Russie.

La Voix de la Russie : Bonjour et merci de répondre aux questions de La Voix de la Russie, présentez-vous s’il vous plait ?

Alexandre Havard : Je suis franco-russo-géorgien. Trois de mes grands-parents qui résidaient à Saint-Pétersbourg et Tbilissi, ont fuit le communisme dans les années 1920 et se sont réfugiés en France. Je suis né à Paris ou j’ai fait mes études de droit. J’ai vécu en Finlande 18 ans. Je vis en Russie depuis sept ans.

LVdlR :Pourriez-vous nous expliquer comment vous est venue la vocation d’enseigner le leadership, de quoi s’agit-il exactement et a qui s’adressent vos formations ?

Alexandre Havard : Voilà l’histoire : au milieu des années 1990 on me propose de donner à l’Université d’Helsinki un cours de droit européen en langue française. Nombreux sont les étudiants intéressés.

Je fais porter la moitié de mon enseignement sur l’histoire de l’intégration européenne, afin d’aider l’auditoire à pénétrer le cœur et l’intelligence des Pères fondateurs : Robert Schuman, Jean Monnet, Konrad Adenauer, Alcide de Gasperi. Mes étudiants sont passionnés. Ils s’ouvrent, ils parlent, ils s’agitent. Nombreux sont ceux qui s’approchent de moi à la fin des cours pour me remercier de leur enseigner des choses dont personne ne parle à l’Université.

Je donne à mes étudiants de l’information, mais je me préoccupe surtout de leurformation. Je voudrais qu’ils agrandissent leur cœur.

La compétence professionnelle n’est pas le seul résultat d’un savoir théorique ou pratique, mais aussi le fruit de la formation du caractère, le fruit d’habitudes morales bien enracinées dans le cœur, l’intelligence et la volonté. L’université moderne met de plus en plus l’accent sur l’information et de moins en moins sur l’éducation. Elle produit de plus en plus de managers et de moins en moins de leaders. Elle produit le savoir, mais ne produit pas la sagesse. Elle produit la technique, mais ne produit pas le courage. Elle s’intéresse de plus en plus aux choses et de moins en moins aux personnes. La crise du monde moderne n’est pas une crise de l’information, c’est une crise de la formation, une crise de l’éducation.

Je me passionne pour le leadership : non pas le leadership « technique », basé sur des styles et des méthodes, mais le leadership « naturel », celui qui est fondé sur le caractère. Le leadership qui m’intéresse c’est le leadership fondamental, le leadership de toujours, le leadership tel qu’il était perçu dans l’antiquité. Je me plonge dans l’anthropologie et l’éthique aristotélicienne, confucéenne, judéo-chrétienne. J’analyse la vie et les actions des grands hommes de la politique, du business, de la science, de la religion, de la littérature, de l’art et du sport.

Je découvre alors que les vertus spécifiques du leader sont la magnanimité et l’humilité : la grandeur et le service. Je conçois le leadership comme la science qui nous permet d’atteindre la grandeur en suscitant la grandeur chez les autres. Je cherche à entrer en contact avec des hommes et des femmes ayant atteint à mes yeux cette grandeur. Je rencontre ainsi Alexandre Soljenitsyne dans sa maison près de Moscou, Lech Walesa dans son bureau à Gdansk, François Michelin au siège du groupe à Clermont-Ferrand. Pour la science, c’est vers Jérôme Lejeune que va mon admiration.

En 2002, je commence à enseigner mon système de leadership : en Finlande, dans les Pays Baltes, en Pologne, en Russie, aux Etats-Unis, au Kenya. J’enseigne aux hommes d’affaires, aux étudiants universitaires, aux directeurs d’écoles, aux politiciens et aux fonctionnaires. J’enseigne en anglais, en russe, et parfois en français ou en espagnol.

Mon premier livre est publié à New York en 2007 sous le titre « Virtuous Leadership ». Entre 2007 et 2012 il est traduit en 14 langues. C’est l’édition chinoise réalisée par l’Académie chinoise des sciences sociales qui me donne le plus de joie : mon système de leadership n’est pas un système européen, c’est un système universel. Il est, c’est certain, inspiré du christianisme, mais le christianisme est la plus naturelle, la plus universelle de toutes les religions, car il est la seule religion qui soit vraie dans sa totalité. L’anthropologie chrétienne est compréhensible par tous les peuples, elle assimile toutes les vérités sur l’homme découvertes depuis les temps immémoriaux, elle les rassemble, les complète et les unifie.

Je n’ai qu’un seul objectif : répandre dans le monde entier une conception du leadership qui corresponde aux exigences les plus authentiques de la nature humaine et aux aspirations les plus nobles du cœur humain. Je n’ai qu’un seul désir : réveiller chez les hommes et les femmes de ce monde le désir de grandeur et de service, et transformer ce désir en une force dynamique, en une disposition stable de l’intelligence et de la volonté.

Après Moscou, on ouvre des centres de leadership vertueux à Washington, Shanghai, Nairobi et Bombay.

LVdlR : A l’heure où les discussions vont bon train en Russie sur l’identité de la Russie (la bataille entre les occidentalistes et les slavistes n’ayant jamais cessé), on parle beaucoup du « Monde russe » tandis que vous faites référence dans votre ouvrage à « l’Idée russe ». Pourriez-vous développer ?

Alexandre Havard : Les Russes cherchent à se définir en tant que peuple. Ils cherchent à saisir leur substance propre collective. Ils cherchent à connaître le plan éternel de Dieu pour leur nation. Les Russes sont convaincus qu’ils ont une importante mission à réaliser en Europe et dans le monde. C’est la philosophie de l’histoire qui les intéresse plus que tout.

Dans la première partie du XIXème siècle, Piotr Tchaadaev nous dit :« Il y a des grands peuples, comme il y a de grandes personnalités historiques, que l’on ne peut expliquer par les lois naturelles de l’intelligence, des peuples qui sont mystérieusement dirigés par la logique suprême de la Providence. Tel est notre peuple (…). J’ai la conviction profonde que notre vocation est de trouver une réponse aux questions importantes qui occupent l’humanité (…). Viendra le jour où nous serons le centre intellectuel de l’Europe ».
Vers la fin du XIXème siècle Vladimir Soloviev écrit : « Le visage de l’esclave qui est le visage de notre peuple à ce jour, la triste situation de la Russie sur le plan économique et sur d’autres plans, tout cela non seulement ne met pas en cause sa vocation, mais au contraire, la confirme. Car la force suprême que le peuple russe est appelé à injecter dans l’humanité est une force qui n’est pas de ce monde. L’ordre et la richesse matérielle ne comptent ici pour rien ».

Au XXème siècle Nikolaï Berdiaev affirme : « La culture occidentale est une culture de progrès. Le peuple russe, quant à lui, est le peuple de la fin ».

Tchaadaev, Soloviev, Berdiaev, voilà des auteurs qui parce qu’ils sont profondément chrétiens haïssent toute sorte de nationalisme, toute sorte de provincialisme. Voilà des penseurs qui sont de vrais patriotes, parce qu’ils aiment leur patrie dans la vérité, sans éprouver le besoin d’humilier les autres nations et de nier la réalité souvent dramatique de leur histoire. « L’amour de la patrie est une chose admirable, écrit Tchaadaev. Mais il y a une chose plus admirable encore, c’est l’amour de la vérité. C’est le chemin de la vérité, et non le chemin de la patrie, qui mène au Ciel. Je n’ai pas appris à aimer ma patrie les yeux fermés, la tête baissée, la bouche scellée. On n’est utile à son pays que dans la mesure où l’on est capable de le saisir dans toute sa clarté ».

Tchaadaev, Soloviev, Berdiaev, voilà des penseurs qui ont profondément marqué ma manière de voir les choses.

LVdlR : La tentative d’assassinat de ce grand Pape qu’était Jean Paul II a été pour vous un évènement marquant. Jean Paul II, premier Pape slave, a énormément pris en considération la Russie durant sa vie et surtout dans ses dernières années, sans pouvoir néanmoins visiter la 3ème Rome. Quelle est votre opinion à ce sujet ?

Alexandre Havard : Jean-Paul II a beaucoup aimé la Russie. Il avait lu Tchaadaev, Soloviev, Berdiaev.

C’est lui, le Pape marial, qui le 25 mars 1984 a réalisé la consécration demandée par la Vierge à Fatima, en communion avec les évêques du monde entier. Cette consécration concerne avant tout la Russie. C’est lui, le Pape slave, qui en 1985 a rédigé une lettre encyclique en l’honneur des saints Cyrille et Méthode, les apôtres des slaves et les pères de la culture slave orientale. Déjà en 1980 il avait proclamé les deux frères de Thessalonique co-patrons de l’Europe. Ce Pape avait une vision plus juste, plus universelle de l’Europe que ses prédécesseurs. C’est lui encore qui en 1988 a publié une importante lettre apostolique à l’occasion du millénaire du Baptême de la Russie. En lisant cette lettre on découvre à quel point le Pape polonais aimait et comprenait la Russie.

La « doctrine russe » de Wojtyla, on peut la résumer en trois points :

1. La grandeur de la Russie, sa contribution spécifique au bien spirituel de l’humanité, est liée à la tradition culturelle et religieuse byzantino-slave dont les fondements ont été posés par Cyrille et Méthode au IXe siècle. Latiniser la Russie, ce serait la rendre stérile. Ce serait aussi condamner l’Église universelle à un provincialisme morbide et empêcher la réalisation de la grande unité chrétienne.

2. Les deux formes de la grande tradition de l’Église, l’Orientale et l’Occidentale, sont deux formes culturelles qui se complètent mutuellement comme les deux poumons d’un même organisme. La culture occidentale est plus logique et plus rationnelle, la culture orientale est plus mystique et plus intuitive. « Depuis toujours, affirme Piotr Tchaadaev (que Jean-Paul II a étudié en détail), le monde est divisé en deux parties : l’Orient et l’Occident. Ce ne sont pas seulement des divisions géographiques. C’est l’ordre des choses, tel qu’il découle de la nature même de l’existence rationnelle. Ce sont deux principes qui correspondent à deux forces dynamiques, deux idées qui embrassent toute la constitution vitale du genre humain. En Orient, l’esprit humain s’est formé en se concentrant sur lui-même, en pénétrant dans les profondeurs de son être, en se renfermant sur lui-même. En Occident, il s’est développé en sortant de lui-même, en jaillissant de tous les côtés, en dépassant tous les obstacles extérieurs ». La culture occidentale est plus masculine, la culture orientale est plus féminine. Cette complémentarité naturelle doit engendrer l’amour, non la confrontation. Le nationalisme culturel et religieux, le rejet de toute complémentarité, est une forme d’homosexualisme spirituel.

3. La séparation entre l’Église catholique et l’Église orthodoxe est un grand péché, mais la Providence Divine a permis cette séparation afin d’en tirer un bien supérieur : permettre à l’Église du Christ de découvrir en elle-même toute la richesse humaine et divine de l’Incarnation et de la Rédemption. « L’homme a besoin d’une certaine dialectique, affirme Karol Wojtyla, pour développer ses capacités de connaissance et d’action. L’Esprit Saint, dans sa bienveillance divine, n’a-t-il pas tenu compte de cette réalité humaine ? Ne faut-il pas que le genre humain parvienne à l’unité par la pluralité, qu’il parvienne à être une seule Église, dans le pluralisme des formes de pensée et d’action, de culture et de civilisation ? Une telle interprétation ne correspond-elle pas au moins en partie, à la Sagesse et à la Bonté, à la Providence dont Dieu a toujours fait preuve à l’égard de ses créatures ? Mais ces considérations ne peuvent justifier des divisions qui vont en s’accentuant. Il faut qu’à un moment donné, se manifeste l’amour qui unit ».

Vladimir Soloviev fut le premier à poser la question de l’unité chrétienne dans ces termes. Toute sa philosophie, qu’elle soit théorique ou pratique, est basée sur le concept de « toute-unité » (vseedinstvo) que l’on peut résumer en ces termes : l’unité maximale dans la multiplicité maximale. Pour lui legénéral n’a de sens que dans la mesure où il fait place auparticulier, et leparticulier n’a de sens que dans la mesure où il crée en lui une place pour legénéral. Pour Soloviev l’unité ne peut être que l’unité de la totalité. Une unité qui ne respecte pas la multiplicité, de même qu’une diversité qui refuse de créer en elle une place pour l’unité, n’est qu’une abstraction et un mensonge.

L’Église du XIXe siècle n’était pas prête à recevoir le message de Soloviev. Le penseur russe s’en rendait bien compte. Il écrivait pour les hommes et les femmes du XXIe siècle, pour ceux qui devaient survivre aux grands cataclysmes du XXe siècle, dont il pressentait l’imminence.

Le Pape polonais est le grand héritier intellectuel et culturel du philosophe russe. En l’an 2000, à l’occasion du centenaire de la mort de Soloviev, il affirmait : « En faisant mémoire de cette personnalité russe d’une profondeur extraordinaire, qui avait très bien perçu le drame de la division des chrétiens et le besoin urgent d’unité, je voudrais inviter le monde à prier pour que les chrétiens d’Orient et d’Occident retrouvent au plus vite la pleine communion ».

La pensée de Karol Wojtyla est profondément orientale. Elle n’est pas linéaire comme celle de ses prédécesseurs, mais circulaire. Avec Jean-Paul II on revient toujours au point de départ. Cettenostalgie créatriceest la force de l’Orient. L’Orient est un aigle, sa trajectoire est une spirale ascendante. L’Occident est un lion, sa trajectoire est celle d’une flèche. L’aigle et le lion, voilà les deux symboles de la grandeur, perçue sous des angles différents.

LVdlR : Vous étudiez en France et consacrez même un chapier de votre livre à Paris. Vous affirmez aimer et respecter la France tout en constatant que ce pays vous a procuré une amertume profonde. Pourriez-vous expliquer pourquoi ?

Alexandre Havard : C’est à Paris que j’ai grandi et que j’ai reçu ma première éducation. C’est à Paris que j’ai découvert ma vocation. Sans Paris je n’existe pas. J’admire la France. En France on apprend à rompre les chaînes de la pensée routinière, à vaincre le poids de la tradition mal entendue, à fuir la languissante monotonie des « déjà vu ». « Pourquoi la France continue-t-elle d’occuper la première place en Europe ? », se demandait Dostoïevski voilà 200 ans. Et de répondre : « Parce qu’elle est toujours le pays du premier pas, de la première expérimentation, de la première idée ». Je pense à cette idée géniale qu’est l’intégration européenne, non pas dans sa forme actuelle, violée, dégradée, vidée de son contenu originel, mais telle qu’elle fut conçue par Jean Monnet et Robert Schuman : une idée profondément morale, porteuse d’une vision noble de la personne humaine.

J’aime Paris. Mais dans cet amour il y a une amertume profonde. Quand je pense à la capitale française, je pense à Voltaire et à Rousseau qui occupent les premières places dans ce mausolée qu’on appelle le Panthéon, car en son sein sont inhumés ceux que l’État français depuis 300 ans reconnaît comme ses « dieux » : Voltaire, ce personnage répulsif au ricanement diabolique, le père du laïcisme sectaire, intolérant et fanatique ; Rousseau, ce sentimental d’une inconsistance phénoménale, le père de la philosophie des Lumières, qui pour avoir nié l’existence du mal dans l’homme, a créé un type d’homme étranger aux concepts de développement personnel et de perfectionnement moral, un type d’homme dont la seule espérance est le « progrès social ».

Voilà ce qu’on lit à l’entrée de ce mausolée : « Aux grands Hommes, la Patrie reconnaissante ». On lit et on pleure, tellement le mensonge est de mauvais goût. Le Panthéon qui fut jadis une église dédiée à l’une des plus grandes femmes de France, à celle qui sauva Paris de la destruction « mongole », est depuis la Révolution française un mausolée dédié à de « grands hommes » qui sont en réalité de grands ennemis de l’humanité.

Extrait du livre « Un chemin russe » (pages 79 et 80) :

« Paris est la ville de la nouvelle Europe et de la nouvelle humanité européenne. (…) De l’harmonie sublime de l’ancien et du nouveau (…) Mais Paris est aussi la ville de cet esprit petit-bourgeois qui est le fruit d’une soif insatiable de jouissance (…) L’esprit petit-bourgeois est une catégorie métaphysique et non pas sociale. Le socialisme est pénétré de cet esprit qui est fondamentalement athée, irréligieux.

(…)
C’est à travers de grandes douleurs et de grands chamboulements que se réveillera l’esprit héroïque des Français. La fin de l’esprit petit-bourgeois, de son irréligiosité et de sa haine de la religion, est inévitable. Paris renaitra alors à une vie nouvelle.

(…)
Le salut de la France, voilà une des grandes taches universelles de la Russie ».

LVdlR : Vous affirmez qu’à cette époque vos pensées les plus profondes vont vers : « Dieu, la France et la Russie ». Pourquoi ces liens si essentiels entre ces deux pays d’après vous ?

Alexandre Havard : Dans le message de Fatima, il n’y a pas seulement la Russie. Il y a aussi la France. En 1931, à Rianjo en Espagne, Jésus-Christ se plaint à Lucia de ce que la consécration de la Russie au Cœur Immaculé de Marie, demandée en 1929, n’a pas encore été réalisée : «Ils n’ont pas voulu écouter ma demande. Comme le roi de France, ils s’en repentiront ».

Les rois de France… En 1689 par l’intermédiaire de Sainte Marguerite-Marie, le Christ avait demandé au roi Louis XIV de consacrer la France à son Cœur Sacré. Mais trop aveuglé par ses passions et trop enivré par son orgueil, il mourut sans répondre aux demandes du Ciel. Ses successeurs, Louis XV et Louis XVI, ne réaliseront pas non plus cette consécration. En 1789 éclate la Révolution Française, en 1792 se déchaîne la persécution contre l’Église, en 1793 Louis XVI est décapité sur la place publique…

La France doit être consacrée au Cœur de Jésus, et la Russie au Cœur de Marie. C’est le plan de Dieu. La France et la Russie sont l’objet d’une prédilection divine et leurs destins sont inséparables. Inséparables comme le sont le Cœur Sacré de Jésus et le Cœur Immaculé de Marie.

Dieu, la France, la Russie, voilà le contexte, voilà le cadre de mes pensées les plus profondes et les plus intimes. Voilà ce qui occupe mon cœur depuis longtemps.

LVdlR : En 2007 vous vous êtes installé de façon définitive à Moscou. Quel regard portez-vous sur la Russie actuelle ?

Alexandre Havard : Le communisme, comme toute idéologie, a provoqué une catastrophe anthropologique : l’idéologie stimule la volonté, mais elle détruit l’intelligence et épuise le cœur ; elle stimule la volonté, car elle est orientée vers un but ; elle détruit l’intelligence, parce qu’elle nie la nature des choses ; elle épuise le cœur, parce qu’elle le nourrit d’une espérance falsifiée.

Après 70 ans de communisme il est nécessaire de rétablir l’intelligence et le cœur. L’économie de marché dégourdit l’intelligence, car elle est orientée vers les besoins matérielsréels des individus. Mais l’économie de marché à elle seule ne rend l’humanité plus intelligente que dans les matières relatives au marché. Il faut compléter cette « intelligence matérielle » par une « intelligence spirituelle », qui puisse s’intéresser à l’âme humaine et satisfaire ses exigences les plus profondes.

Malheureusement le matérialisme pratique (le consumérisme) qui prend la place du matérialisme théorique (le marxisme) paralyse la volonté : il enflamme les passions les plus viles et rend difficile la pratique des vertus de courage et de maîtrise de soi. Il fait aussi du cœur son esclave : la consommation devient le sens et le but de l’existence.

20 ans ont passé depuis l’effondrement de l’Union Soviétique et voici que le cœur des Russes, épuisé par l’idéologie et servi par la matière, est toujours vivant. Il réclame ses droits perdus. Le leadership vertueux est une réponse à ce cri désespéré de l’âme.

Le leadership n’est pas une technique, mais un mode d’être. Avant de répondre à la question « que faire ? », il faut répondre à la question « qui sommes-nous et qui devons-nous être ? ». « Qui sommes-nous et qui devons-nous être ? », voila une question profondément morale à laquelle toute la littérature russe du XIXe siècle a tenté de répondre. C’est à cette question aussi que s’intéresse le leadership vertueux.

LVdlR : Avez-vous quelque chose à rajouter pour les lecteurs de Voix de la Russie ?

Alexandre Havard : Oui. La force de la Russie ce n’est pas la force de son Etat. C’est la force de ses martyrs. Ils sont des millions, et c’est eux qui constituent réellement la Russie d’aujourd’hui. L’avenir chrétien de la Russie est quelque chose dont personne ne peut douter. Ce qu’il faut c’est un peu de patience. Comme disait Alexandre Soljenitsyne : Il a fallut trois génération pour détruire la Russie ; il en en faudra trois pour la reconstruire.

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